17/06/2022
ARRÊT N° 2022/339
N° RG 19/05433 - N° Portalis DBVI-V-B7D-NLRD
SB/KS
Décision déférée du 21 Novembre 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CASTRES ( F 19/00001)
[Z] [H]
SERVICE ENCADREMENT
[G] [M]
C/
SARL ALDI MARCHE TOULOUSE
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
Madame [G] [M]
4 rue Jean Jacques ROUSSEAU
66250 SAINT LAURENT DE LA SALANQUE
Représentée par Me Georges CATALA, SCP CATALA & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
SARL ALDI MARCHE TOULOUSE
ZAE LES CADAUX 1005 avenue Pierre Ottavioli
81370 SAINT SULPICE LA POINTE
Représentée par Me Isabelle BAYSSET de la SCP INTER-BARREAUX D'AVOCATS MARGUERIT BAYSSET RUFFIE, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant , S.BLUME et N.BERGOUNIOU chargées du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUME, présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES
Madame [M] a été embauchée par la SARL ALDI MARCHE, par contrat à durée indéterminée le 4 avril 2011, en qualité d'assistant magasin, niveau 5, de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. Elle était affectée au magasin de Perpignan.
En mai 2016, Madame [M] a été promue au poste de manager de magasin - statut cadre - niveau 7, en charge du magasin de SAINT-LAURENT-DE-LA-SALANQUE.
Le 17 mai 2017, Madame [M] s'est vue prescrire un arrêt de travail d'une durée de 10 jours, consécutif à un malaise survenu sur le lieu de travail.
Le 25 juillet 2017, le responsable de secteur, Monsieur [E], a procédé à un contrôle du magasin géré par Madame [M]
Madame [M] a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable en date du 7 août 2017, auquel elle ne s'est pas présentée.
Le 17 août 2017, Madame [M] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave. Il lui était reproché les griefs suivants :
- un non-respect du contrôle de fraîcheur des fruits et légumes,
- un non-respect des règles d'affichage des prix,
- un non-respect du concept Aldi Marché en matière de balisage de la publicité,
- une absence de réapprovisionnement des rayons en rupture,
- un non-respect des règles d'enregistrement du temps de travail des salariés,
- la tenue de propos injurieux et racistes.
Le 25 septembre 2017 Madame [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Castres aux fins de constater, à titre principal, la nullité de son licenciement pour harcèlement moral et, à titre subsidiaire, l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, et voir condamner l'employeur au paiement de diverses sommes.
Par jugement du 21 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Castres, section encadrement, a :
-Débouté Madame [M] de l'ensemble de ses demandes ;
-Condamné Madame [M] aux dépens de l'instance.
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Par déclaration du 18 décembre 2019, Madame [M] a interjeté appel de ce jugement, notifié le 29 novembre 2019, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
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Aux termes de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique
le 16 mars 2020, Madame [M] demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Castres du 21 novembre 2019,
A titre principal,
Vu les dispositions des articles L.1152-1, L1152-2 et L1152-3 du Code du travail.
-Constater que Madame [M] a été victime de harcèlement moral au sein de la SARL Aldi Marché toulouse ;
-Condamner la société SARL Aldi Marché Toulouse à verser à Madame [M] les sommes suivantes :
*76 883,28 € au titre de la nullité de son licenciement pour harcèlement moral,
* 6 406,94 euros au titre du préavis et 640,94 euros d'indemnité de congés payés afférente
*12.000€ au titre du préjudice subi du fait du harcèlement moral
A titre subsidiaire
Vu les dispositions des articles L1235-3 et suivants du Code du travail :
-Condamner la société SARL Aldi Marché Toulouse à verser à Madame [M] les sommes suivantes :
*76 883,28 € au titre du caractère injustifié de son licenciement, outre 6 406,94 euros au titre du préavis et les congés payés afférents, soit 640,94 euros.
*12.000€ au titre du préjudice subi du fait du caractère injustifié de son licenciement.
En tout état de cause :
-Condamner la société Aldi Marché Toulouse à verser à Madame [M] les sommes suivantes au titre du non-paiement des heures supplémentaires :
*la somme de 26 341,98 € au titre des heures supplémentaires pour 2013,
outre 2 634,19 €
au titre des congés payés y afférents.
*la somme de 31 194,45 € au titre des heures supplémentaires pour 2014,
outre 3 119,44 €
au titre des congés payés y afférents.
*la somme de 31 194,45 € au titre des heures supplémentaires pour 2015,
outre 3 119,44 €
au titre des congés payés y afférents.
*la somme de 13 170,99 € au titre des heures supplémentaires pour 2016,
outre 1 317,09 €
au titre des congés payés y afférents.
-Condamner la société Aldi Marché Toulouse aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
-Ordonner l'exécution provisoire en application de l'article R 1454-28 du Code du travail.
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Aux termes de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique
le 5 janvier 2022, la SARL Aldi Marche Toulouse, demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a :
-Débouté Mme [M] de sa demande de reconnaissance de l'existence d'un harcèlement,
-Débouté Mme [M] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul, au titre du préavis et congés payés afférents et harcèlement moral,
-Débouté Mme [M] de sa demande de disqualification du licenciement pour faute grave
notifié et de ses demandes afférentes au titre des dommages et intérêts, préavis et Congés payés afférents et préjudice moral,
-Débouté Mme [M] de sa demande de nullité de la convention de forfait,
-Débouté Mme [M] de ses demandes au titre des heures supplémentaires
Subsidiairement,
Réduire à de plus justes proportions le quantum des éventuels dommages et intérêts alloués pour licenciement nul,
-Juger que Mme [M] ne saurait prétendre à une somme supérieure à 6150.16 euros au titre du préavis outre la somme de 615.01 euros au titre des congés payés afférents.
A titre infiniment subsidiaire,
-Réduire à de plus justes proportions le quantum des éventuels dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-Juger que Mme [M] ne saurait prétendre à une somme supérieure
à 6150.16 euros au titre du préavis outre la somme de 615.01 euros au titre des congés payés afférents.
En tout état,
-Juger prescrites les demandes de Mme [M] au titre des heures supplémentaires sur la période du 01.03.2013 au 17.08.2014.
-La débouter de ses demandes au titre des heures supplémentaires
A titre subsidiaire : si sa convention de forfait annuel en jours venait à être privée d'effet,
-Condamner Madame [M] à rembourser à la société ALDI MARCHE TOULOUSE la somme de 2771.23 euros bruts au titre des jours de réduction du temps de travail dont elle
a bénéficié en exécution de sa convention, outre 277.12 euros au titre des congés payés
afférents,
-Débouter Mme [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens,
-Condamner Mme [M] au paiement de la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700-1° du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
I) Sur le forfait annuel en jours
Il ressort du contrat de travail et de ses avenants des 21 février 2013 et 13 mai 2016 qu'entre le 1er mars 2013 et le 13 mai 2016 la salariée , en qualité de cadre responsable de magasin du niveau 7 du classement conventionnel, a bénéficié d'un forfait annuel en jours, puis à compter du 13 mai 2016 d'un forfait annuel en heures.
Aucune contestation n'est émise par la salariée sur le forfait annuel en heures adopté à compter du 13 mai 2016 fixant une rémunération sur la base d'une moyenne hebdomadaire de 42h augmentée des temps de pause , sa demande portant exclusivement sur la remise en cause du forfait annuel en jours sur la période
de mars 2013 à mai 2016.
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La salariée soutient qu'elle ne pouvait relever d'un forfait annuel en jours au motif qu'elle était soumise aux horaires de travail collectifs et ne disposait d'aucune autonomie dans l'organisation de son travail.
En application des dispositions de l'article 5.7.2 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ,un forfait annuel en jours peut être convenu avec les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein du service ou de l'équipe à laquelle ils sont rattachés.
Il est constant que la salariée relevait du statut cadre et du niveau 7 de la classification conventionnelle et qu'aux termes de son contrat de travail elle était investie de la responsabilité de la gestion du magasin et de l'équipe des salariés, sans référence horaire. La salariée était également dotée d'une large délégation de pouvoirs, notamment en matière sociale.
L'affirmation de la salariée selon laquelle elle ne disposait d'aucune autonomie dans la gestion de son temps de travail et devait être présente pendant les heures d'ouverture du magasin et assurer l'ouverture et la fermeture de l'établissement n'est pas confortée par les pièces produites aux débats. Il ressort du reste de ses explications que la salariée prenait parfois son service à 10h, ce qui confirme la réalité effective de subdélégations de pouvoirs autorisées par l'employeur , tant en sa qualité de responsable de magasin que de manager (pièces 7 et 8 employeur) . Il en résulte que la salariée n'effectuait pas de façon systématique l'ouverture et la fermeture du magasin et qu'elle n'était pas astreinte au respect des horaires collectifs ,ainsi qu'elle le soutient. Il résulte de l'analyse de son contrat de travail et des fonctions réellement exercées , que la salariée bénéficiait d'une autonomie dans l'organisation de son travail, de son emploi du temps et dans la prise de décision.
En revanche , alors que l'employeur était tenu, conformément aux exigences de l'article 5.7.2 de la convention collective et de l'article L3121-65 du code du travail, d'assurer le suivi de la charge et de l'amplitude de travail de la salariée , de l'organisation du travail dans l'établissement, et de l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, notamment par l'organisation d'un entretien annuel avec la salariée, la société ALDI Marché ne justifie pas de l'organisation de tels entretiens annuels au fins d'assurer le suivi qui lui incombe.
A défaut de mise en oeuvre par l'employeur de ces dispositions prévues par la convention collective, le forfait annuel est inopposable à la salariée.
En conséquence, la convention de forfait en jours est privée d'effet et Madame [M] est en droit de formuler une prétention au titre d'heures supplémentaires sur le fondement du droit commun.
Sur les heures supplémentaires
L'article L 3171-4 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié . Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié au soutien de sa demande, le juge forge sa conviction, après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Selon l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, « l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
En application de ces dispositions, la salariée peut prétendre un rappel de salaire portant sur des heures supplémentaires effectuées sur la période de trois années précédant la rupture.
Le licenciement étant intervenu le 17 août 2017 , la demande en rappel de salaire formée par Mme [M] sur la période du 1er mars 2013 au 30 juillet 2014 est donc irrecevable comme prescrite, ainsi que le soutient justement l'employeur .
La salariée affirme qu'elle travaillait 5 jours par semaine à raison de 12heures par jour, soit 60 heures par semaine. Elle intègre dans ses écritures un décompte établi sur la base de cette durée de travail hebdomadaire après indication d'une déduction des jours de congés et de RTT, sans mention précise toutefois du montant des déductions opérées, et chiffre comme suit sa demande financière après mention du salaire de base retenu et application des majorations à 25% et 50%:
année 2013 (du 1er mars au 31 décembre): 26 341 euros correspondant à 304 heures majorées à 25% et 646 heures majorées à 50%
année 2014: 31 194,45 euros correspondant à 360 heures majorées à 25%
et 765 heures majorées à 50%
année 2015: 31 194,45 euros correspondant à 360 heures majorées à 25%
et 765 heures majorées à 50%
année 2016 (du 1er janvier au 31 mai 2016): 13 170,99 euros correspondant
à 152 heures majorées à 25% et 323 heures majorées à 50%
outre les congés payés afférents aux rappels de salaire réclamés.
Elle produit une lettre de recours amiable adressée à la CPAM le 20 novembre 2017 (pièce 14) dans laquelle elle décrit ses conditions de travail et les difficultés d'organisation tenant à un manque d'effectif pour assurer le fonctionnement du magasin, notamment en période estivale.
Le décompte fourni par la salariée ainsi que le recours amiable susvisé sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement.
La société ALDI Marché conteste l'accomplissement des heures supplémentaires revendiquées par la salariée, et verse aux débats un relevé des jours travaillés sur la période de janvier 2014 à mai 2016 précisant de façon quotidienne les jours de travail, jours de repos hebdomadaire, jours de congés payés, jours de RTT. Ces relevés présentent un caractère contradictoire, comme étant revêtus de la signature de la salariée, et ne donnent lieu à aucune remise en cause par celle-ci.
Au-delà du décompte de jours de travail, l'employeur qui doit assurer le contrôle des heures de travail effectuées, ne fournit aucun élément justifiant des horaires de travail effectivement réalisés par la salariée.
En revanche , ainsi que l'objecte avec justesse l'employeur, les indications fournies par la salariée selon lesquelles elle commençait sa journée de travail à 10h le jour du contrôle effectué dans le magasin le 25 juillet 2017 , viennent invalider au moins en partie le décompte de la salariée établi sur une durée quotidienne de travail de 12h (de 8h à 20h) sur 5 jours, soit 60h par semaine.
Prenant en considération la multiplicité des tâches inhérentes à la fonction de manager de magasin telles que décrites dans la fiche de poste de la salariée - notamment la participation à la fixation des objectifs et au suivi des performances, la gestion des prix, la politique commerciale, l'embauche et la formation du personnel, la planification des horaires du personnel et des congés, la détermination des tâches de chacun, au besoin la tenue d'une caisse, la réalisation des contrôles hebdomadaires et mensuels, la discipline, la clôture des caisses, la gestion du coffre, l'entretien et la sécurité du magasin - et au vu de l'absence de production par l'employeur de pièces permettant de contredire dans leur totalité le décompte des heures supplémentaires établi par la salariée, la cour retient que la salariée ne pouvait accomplir l'ensemble des tâches propres à sa fonction dans une limite légale de 35heures hebdomadaires.
Au vu des pièces produites par les parties et de leurs observations respectives, la cour a la conviction que la salariée a accompli sur la période non prescrite du 17 août 2014 au 3 mai 2016 un total de 524,33 heures supplémentaires ouvrant droit à un rappel de salaire de12 813,54 euros outre une indemnité de congés payés de 1281,35 euros..
Sur la demande de la société ALDI Marché au titre des RTT
La société ALDI Marché qui a attribué à la salariée des jours de récupération de temps de travail (RTT) en exécution de la convention de forfait annuel en jours est fondée à prétendre, au titre de la restitution de l'indû , au remboursement par la salariée des jours de RTT dont elle a bénéficié, sur la base de journées valorisées à 7 heures . Après vérification par la cour du décompte établi par l'employeur qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse de la salariée, il sera ordonné à Mme [M] le remboursement de la somme globale de 2771,23 euros correspondant à 19 jours de RTT entre septembre 2014 et mai 2016.
La cour ordonne la compensation des créances réciproques des parties à due concurrence.
Sur la demande de nullité du licenciement en raison d'un harcèlement moral
En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement au sens de l'article L 1152 - 1 du code du travail, le salarié établit, conformément à l'article L 1154 - 1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, des faits faisant présumer l'existence d'un harcèlement ;
au vu de ces éléments, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
L'article L1152-3 du même code prévoit que toute rupture du contrat intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L1125-1 et L1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l'espèce, Mme [M] soutient que son licenciement prononcé pour faute grave procède en réalité d'un harcèlement moral qu'elle a subi depuis fin septembre 2016, ayant dégradé ses conditions de travail et son état de santé.
Au soutien de sa demande, elle se prévaut des circonstances suivantes ayant contribué à son isolement et à la dégradation de ses conditions de travail:
- une gestion marquée par les brimades, les remarques intempestives, humiliations et colères de son supérieur hiérarchique direct,
- des horaires et un sous-effectif insoutenables
- des tâches difficiles ne figurant pas sur sa fiche de poste
- une pression continuelle de son responsable de secteur , des reproches incessants et dégradants,
- des agissements et propos quotidiens entretenant une relation de dominant à dominé
Elle fait état d'une détérioration de son état de santé qui a atteint son paroxysme le 17 mai 2017 lors de son malaise sur le lieu de travail, évènement qui a été suivi de plusieurs arrêts de travail.
A l'appui de sa demande elle verse aux débats les éléments suivants:
- un avenant à son contrat de travail du 25 juillet 2017 instaurant le travail dominical
- un certificat médical du 10 juin 2017 mentionnant une tachychardie
- une ordonnance du 13 juin 2017 de prescription médicamenteuse
- un avis d'arrêt de travail du 17 mai 2017 motivé par un malaise par tachycardie paroxystique
- un avis d'expert historien sur la méthode de management d'Harzburg , méthode de gestion par objectifs
- une lettre de l'inspection du travail du 15 juillet 2013 relevant, à l'issue de contrôles opérés courant 2013, une charge de travail excessive des responsables du magasin Aldi la Pompignane à Montpellier et un épuisement de salariés au sein de ce magasin.
- une lettre de saisine du CHSCT par Mme [M] du 13 août 2017 évoquant un accident du travail survenu le 1er août 2017 après un choc psychique violent déclenché par M.[E], responsable de secteur, et sollicitant une enquête.
- une lettre de saisine de la commission de recours amiable de la CPAM
du 20 novembre 2017.
- une attestation de M.[O], salarié dénonçant les pressions exercées de façon générale par la direction contre les salariés pour obtenir d'eux des attestations contre des personnes occupant des postes à responsabilité et dont le licenciement est prononcé, comme cela a été le cas de la demande de témoignage que lui a faite M.[E] lors du licenciement de M..[U], 'pour être sûr qu'il dégage', tout comme il a été demandé à M.[U] d'attester contre Mme [M].
La cour constate à la lecture des différents courriers que ceux-ci ne renferment aucun terme irrespectueux de nature à corroborer les brimades et humiliations alléguées par la salariée.
Par ailleurs aucun élément ne vient objectiver les pressions ou agissements quotidiens de domination dont excipe l'appelante, étant observé que le courrier adressé à l'employeur par l'inspection du travail , quatre ans avant les faits objets du litige , ne concerne ni la salariée ni le magasin dont elle assure la responsabilité , s'agissant d'un établissement situé à Montpellier et non celui de St Laurent de la Salanque. Quant à l'attestation de M.[O], elle ne comporte l'énonciation d'aucun fait précis se rapportant à des agissements éventuels de harcèlement dont Mme [M] aurait été l'objet dans la période précédant le licenciement de celle-ci.
De plus, il ne ressort pas de l'analyse historique versée au débat ni d'aucun autre élément produit aux débats que la méthode de management d'Harzburg élaborée entre 1956 et les années 1970 soit en vigueur au sein de la société ALDI Marché.
Quant aux pièces médicales produites, si elles mettent en évidence chez la salariée des manifestations de tachychardie, aucun élément ne permet d'établir un lien direct entre ces éléments médicaux et des agissements qu'elle aurait subis dans l'entreprise ayant pu entrainer une dégradation de ses conditions de travail au demeurant non constatée par l'inspection du travail ou le médecin du travail. La saisine de la commission de recours amiable de la CPAM n'a pas été suivie d'une prise en charge des troubles évoqués au titre de l'accident du travail. Enfin la requête très succincte adressée par la salariée au CHSCT ne fournit aucun élément de description du comportement de son supérieur hiérarchique à son égard.
En conséquence, les éléments de fait, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral à l'encontre de Madame [M].
Elle sera déboutée de ses demandes à ce titre et à celui du licenciement nul afférent, par confirmation du jugement déféré.
Sur le licenciement
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.
Aux termes de la lettre de licenciement du 17 août 2017 six griefs principaux sont articulés contre la salariée à l'issue d'un contrôle effectué par la direction dans le magasin le 25 juillet 2017:
- absence de contrôle fraîcheur de fruits et légumes
- non respect des règles d'affichage des prix
- non respect du concept ALDI en matière de balisage
- nombre important de ruptures dans les rayons
- non respect des règles d'enregistrement du temps de travail
- tenue de propos injurieux et racistes
A l'appui du grief relatif à la tenue de propos racistes et injurieux, l'employeur verse aux débats les témoignages de trois salariés de la société ALDI Marché (M.[F], M.[B] et M.[U]) tous salariés de la société ALDI Marché lorsqu'ils ont attesté, et dont l'objectivité et la spontanéité ne peuvent être garanties, non pas tant en raison du lien de subordination avec leur employeur, que des pressions sur les salariés relatées par M.[O] dans des termes précis qui ne donnent lieu à aucune observation de l'employeur .
Si la matérialité des 4 premiers griefs résulte du rapport de visite établi dans le magasin par le responsable de secteur le 25 juillet 2017, revêtu de la signature de la salariée, la gravité de ces manquements mérite d'être relativisée en considération du très faible nombre de catégories de produits ne comportant pas une indication des prix ( 3 types de produits). Par ailleurs la salariée affirme sans être démentie sur ce point avoir commencé son travail à 10h, de sorte que le contrôle fraicheur incombait selon elle au salarié qui était présent à l'ouverture. Aucun des éléments produits par l'employeur ne déterminant les attributions de chacun des salariés dans ces circonstances, il en résulte un doute sur l'imputabilité à Mme [M] de ce reproche. En tout état de cause la négligence reprochée, fut-elle établie, n'a été que ponctuelle.
Par ailleurs le manquement tenant à l'absence de mention sur le document prévu à cet effet de la pause repas est isolé et ne s'inscrit pas dans une volonté délibérée et habituelle de la salariée de fausser la saisie de son temps de travail , d'autant qu'aucun décompte du temps de travail la concernant n'est produit par l'employeur.
Il ne ressort pas des débats que la salariée ait fait l'objet de sanctions disciplinaires durant ses 6 années d'activité au sein de la société ALDI Marché. Les promotions successives dont elle a bénéficié en qualité de responsable de magasin en février 2013 tout d'abord, puis de manager de magasin en mai 2016, sont au contraire le signe d'une reconnaissance de ses compétences par l'employeur .
La salariée justifie du reste des bons résultats obtenus à raison de la progression significative du chiffre d'affaires réalisé par le magasin en 2017 , et ce suivant un tableau des résultats (pièce 4) qui ne donne lieu à aucune remise en cause de l'employeur, ce dont il se déduit que les manquements relevés par l'employeur n'ont pas eu d'incidence objective sur le chiffre d'affaires.
Dans ce contexte les reproches ponctuels formés à l'encontre de la salariée à l'occasion d'un contrôle impromptu du magasin par son directeur de secteur le 25 juillet 2017 ne sauraient présenter un caractère de gravité et de sérieux de nature à justifier la rupture du contrat de travail.
Mme [M] est donc fondée à prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 6 406,94 euros correspondant à deux mois de salaire, outre une indemnité de congés payés correspondante.
Ayant été licenciée sans cause réelle et sérieuse d'une entreprise employant plus de onze salariés, à l'âge de 44 ans et à l'issue de plus de six ans d'ancienneté, elle a droit à des dommages et intérêts qui en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, ne peuvent être inférieurs aux salaires des six derniers mois et qu'en considération des circonstances de la rupture, la cour fixe à la somme de 23 000 euros.
Sur les frais et dépens
La SARL ALDI Marché Toulouse, partie principalement perdante supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Mme [M] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer à l'occasion de cette procédure. La SARL ALDI Marché Toulouse sera donc tenues de lui payer la somme globale de 3000 € euros en application des dispositions de l'article 700 al.1er 1° du code de procédure civile.
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions concernant les frais et dépens de première instance.
La SARL ALDI Marché Toulouse est déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile .
Il sera ordonné à la SARL ALDI Marché Toulouse de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [M] du jour du licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort
Confirme le jugement déféré en ses dispositions ayant débouté Mme [M] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et nullité de son licenciement
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de Mme [G] [M] est sans cause réelle et sérieuse
Déclare irrecevable la demande en paiement d'un rappel de salaire formée par Mme [M] sur la période du 1er mars 2013 au 30 juillet 2014
Condamne la SARL ALDI Marché Toulouse à payer à Mme [G] [M]:
-12 813,54 euros à titre de rappel de salaire
-1281,35 euros à titre d'indemnité de congés payés correspondante
- 6 406,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 640,70 euros d'indemnité de congés payés correspondante
- 23 000 euros à titre de dommages et intérêts à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 3000 euros au titre de l'article 700 alinéa 1 du code de procédure civile
Condamne Mme [G] [M] à payer à la SARL ALDI Marché Toulouse la somme de 2771,23 euros
Ordonne la compensation entre les créances respectives des parties à due concurrence
Ordonne à la SARL ALDI Marché Toulouse de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [M] du jour du licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités
Condamne la SARL ALDI Marché Toulouse aux entiers dépens de première instance et d'appel
Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C.DELVER S.BLUMÉ
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