17/06/2022
ARRÊT N°2022/272
N° RG 19/05472 - N° Portalis DBVI-V-B7D-NLVA
CB/AR
Décision déférée du 20 Novembre 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 17/00942)
MAYET J
SARL AUDIT, ACCOUNTING & MANAGEMENT (AAM)
C/
[S] [O]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le 17 06 22
à Me Pauline LE BOURGEOIS, Me C. VAYSSE-LACOSTE
ccc à Pole emploi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 2
***
ARRÊT DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
SARL AUDIT, ACCOUNTING & MANAGEMENT (AAM) prise en la personne de son gérant, représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1] / FRANCE
Représentée par Me Pauline LE BOURGEOIS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Madame [S] [O]
[Adresse 2]
Représentée par Me Christine VAYSSE-LACOSTE de la SCP VAYSSE-LACOSTE-AXISA, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. BRISSET, Présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C. BRISSET, présidente
A. PIERRE-BLANCHARD, conseillère
F. CROISILLE-CABROL, conseillère
Greffier, lors des débats : A. RAVEANE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [O] a été embauchée à compter du 28 septembre 2016 par la SARL Audit Accounting Management (ci-après AAM) en qualité d'assistante experte comptable stagiaire, suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des cabinets d'expertises comptables et de commissaires aux comptes.
L'embauche de Mme [O] était encadrée par une convention tripartite de formation professionnelle complémentaire en commissariat aux comptes signée le 30 septembre 2016.
Mme [O] a été placée en arrêt de travail du 3 au 24 mars 2017.
Mme [O] a été convoquée par la société AAM par courrier du 24 mars 2017 à un entretien préalable au licenciement initialement fixé au 31 mars 2017.
Son arrêt de travail a été prolongé jusqu'au 27 mars suivant inclus.
Par courrier du même jour et courriel du 28 mars suivant, la société a demandé à la salariée de prendre des congés les 28,29 et 30 mars 2017.
À l'issue de son arrêt de travail, soit le 28 mars 2017, Mme [O], s'est présentée à son poste de travail. Par courrier du même jour, la société AAM a notifié à Mme [O] une 'mesure conservatoire' au motif que la salariée refusait de quitter les locaux de la société.
L'entretien préalable a finalement eu lieu le 3 avril 2017.
Par courrier du 13 avril 2017, la société AAM a notifié à Mme [O] son licenciement.
La salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse le 12 juin 2017 pour contester le bien fondé de son licenciement aux motifs que celui-ci est discriminatoire et prononcé dans des conditions vexatoires, et solliciter le versement de dommages et intérêts pour licenciement nul et absence de visite médicale. Elle a également sollicité le paiement de rappel de salaires correspondant à la mise à pied à titre conservatoire.
Par jugement du 20 novembre 2019, le conseil de prud'hommes, a :
- jugé que le licenciement de Mme [O] était frappé de nullité,
- en conséquence, condamné la société AAM à payer à Mme [O] les sommes de :
- 888,50 euros en paiement des rappels de salaire concernant la mise à pied conservatoire,
- 2 000 euros au titre du préavis ainsi que 200 euros de congés payés afférents,
- 15 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 500 euros de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l'absence de visite médicale d'embauche,
- condamné la société AAM à reverser aux ASSEDIC (sic) le montant perçu par Mme [O] depuis son licenciement, soit 32,41 € par jour du 18 avril 2017 au 9 juin 2017 et 32,49 euros par jour du 10 septembre 2017 au 2 novembre 2017,
- ordonné à la société AAM de fournir à Mme [O] les documents sociaux rectifiés,
- condamné la société AAM à payer à Mme [O] 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société AAM a régulièrement relevé appel de ce jugement le 19 décembre 2019, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués du jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, la société AAM demande à la cour :
d'infirmer le jugement du 20 novembre 2019 dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- juger que le licenciement notifié le 13 avril 2017 repose sur une faute grave;
- En conséquence, débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes tenant à la nullité du licenciement;
- juger que la société AAM n'a pas manqué à son obligation d'organiser la visite médicale;
En conséquence, rejeter toutes demandes d'indemnité de Mme [O] de ce chef,
- débouter Mme [O] de toutes autres demandes comme injustes et injustifiées,
- condamner Mme [O] à payer à la société AAM la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, s'y ajoutant les entiers dépens.
La société soutient que le licenciement de Mme [O] est bien fondé sur une faute grave et que les motifs invoqués à l'appui de ce licenciement ont un caractère disciplinaire. Elle conteste les allégations de la salariée selon lesquelles son licenciement est en réalité fondé sur son état de grossesse.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 novembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [O] demande à la cour de :
- en application des articles 802 et suivant du code de procédure civile révoquer l'ordonnance de clôture,
- rejetant toutes conclusions contraires,
- confirmer le jugement dont appel, dire le licenciement de Mme [O] nul,
- réformer et condamner la société AAM au paiement de la somme de (sic):
- 1 500,00 € de dommages et intérêts pour absence de visite médicale,
- 888,50 € de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire,
- 2 000,00 € au titre du préavis,
- 200,00 € de congés payés sur préavis,
- 62 000,00 € de dommages et intérêts pour licenciement nul et discriminatoire et vexatoire,
- et à la remise d'une attestation Pôle Emploi conforme, sous astreinte définitive de 200 € par jour de retard,
- condamner la même au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Mme [O] réplique que son licenciement est nul car celui-ci est fondé sur l'annonce de sa grossesse, le comportement de l'employeur ayant changé depuis cette annonce. Elle conteste la matérialité des griefs reprochés et rappelle qu'elle est expert comptable stagiaire depuis six mois seulement.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 3 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de report de clôture,
Aux termes du dispositif de ses écritures du 26 novembre 2021, Mme [O] demande à la cour le report de clôture de cette affaire sans fournir d'explication.
En tout état de cause, il n'y a pas lieu de reporter la clôture de cette affaire en ce que celle-ci est intervenue à une date postérieure à la notification des dernières écritures de la salariée. De sorte que la demande de report de clôture formée par Mme [O] est sans objet.
Sur la nature du licenciement,
La lettre de licenciement du 13 avril 2017 reproche à Mme [O] les griefs suivants :
- son refus de quitter le cabinet le 28 mars 2017 et d'avoir fait preuve à cette date d'insubordination,
- d'avoir commis des erreurs et un manque de rigueur dans les dossiers des sociétés d'Arcole, Lascrosses et Sapiens,
- d'avoir déclaré un dossier sur vingt-huit pour le versement de la taxe d'apprentissage.
Les termes de la lettre de licenciement qui déterminent les limites du litige mentionnent ces manquements, erreurs, manque de rigueur et la mise en cause de la réputation de notre société et la perte de client ainsi que des honoraires (15 330 euros) (...)constituent une faute grave. (...) Votre licenciement sera effectif à la réception de ce courrier.
Cette lettre invoque de manière claire et précise la nécessité et le motif de procéder immédiatement à la rupture de la relation contractuelle.
La cour relève que l'employeur lui demande aux termes de son dispositif de juger que le licenciement notifié le 13 avril 2017 repose sur une faute grave.
Ainsi, si la lettre de licenciement vise également un licenciement pour cause réelle et sérieuse, le licenciement a bien été prononcé pour faute grave par l'employeur de sorte que celui-ci ne peut s'être placé, sauf à se contredire, que sur un terrain exclusivement disciplinaire. C'est d'ailleurs sur un tel fondement disciplinaire que s'explique l'employeur dans le cadre du débat judiciaire en demandant à la cour de juger le licenciement pour faute grave fondé.
Sur le bien fondé du licenciement,
Il résulte des dispositions de l'article L 1225-4 du code du travail dans sa version applicable aux faits de l'espèce qu'aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes.
Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d'une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l'entreprise, d'une gravité telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise.
Lorsque l'employeur retient la qualification de faute grave dans la lettre de licenciement, il lui incombe de rapporter la preuve matérielle des faits reprochés à son salarié.
Aux termes de la lettre de licenciement du 13 avril 2017, la société AAM reproche à Mme [O] deux séries de griefs, l'une concernant des erreurs commises dans l'exécution de sa prestation de travail et l'autre visant une insubordination le 28 mars 2017.
Sur la première série de grief, la société AAM reproche plus précisément à Mme [O] d'avoir commis des erreurs et un manque de rigueur dans les dossiers des sociétés D'Arcole, Lascrosses et Sapiens et sur le versement de la taxe d'apprentissage.
Les pièces produites par la société AAM ne permettent pas d'établir la matérialité de ce grief. En effet, le compte-rendu du contrôle qualité, qui avait été effectué par le conseil régional de Toulouse Midi-Pyrénées le 9 novembre 2017, soit plusieurs mois après le licenciement de la salariée, fait uniquement état de préconisations relatives aux mises à jour de lettres de mission ; il ne relève aucunement les manquements tels que mentionnés dans la lettre de licenciement. En tout état de cause, il n'est ni démontré, ni même allégué que Mme [O] avait pour mission de procéder aux mises à jour des lettres de mission.
En outre, si la production du manuel des procédures permet d'établir que des règles spécifiques en matière d'organisation, de déontologie et en gestion des ressources humaines sont applicables au sein du cabinet, la seule production de cette pièce ne démontre pas la matérialité des manquements reprochés à Mme [O] dans l'exécution de sa prestation de travail.
Enfin, Mme [O] produit l'attestation établie par Mme [K], gérante des sociétés D'Arcole et Lascrosses, qui expose que sa décision de mettre un terme à la collaboration avec la société AAM n'a strictement aucun lien avec la salariée.
Dans ces conditions, la cour considère que ce grief n'est pas établi.
Sur le grief comportemental, l'employeur produit le témoignage de Mme [Y], salariée, qui expose que M. [G], gérant, a demandé à plusieurs reprises à Mme [O] de quitter les locaux de la société le 28 mars 2017 dans l'attente de la tenue de l'entretien préalable ; que celle-ci refusait, utilisant son ordinateur et imprimant des documents. Elle indique qu'un client s'est présenté et que Mme [O] l'a pris à partie dans ces termes vous tombez bien, vous allez voir comment M. [G] traite ses employés ; ce témoin précise que le client s'est retrouvé mal à l'aise, tout comme elle. Elle expose que M. [G] a, sur un ton ferme, réitéré à Mme [O] sa demande de quitter les lieux. Devant le refus de la salariée, M. [G] a alors contacté les services de police/gendarmerie. Elle poursuit en indiquant que M. [G] a dit à Mme [O] que puisqu'elle ne voulait pas quitter les locaux de la société, il pouvait regarder ce qu'elle faisait sur l'ordinateur ; il a fini par lui prendre le clavier. À ce stade, ce témoin qualifie le comportement de Mme [O] de 'quasi-hystérique', cette dernière arguait que le gérant avait voulu la frapper, ce que Mme [Y] conteste. Ce témoin expose enfin que M. [G] n'a jamais répondu aux multiples provocations de Mme [O] et que cette dernière a fini par partir après qu'elle ait obtenu les documents qu'elle exigeait.
Cette attestation est l'unique pièce utile à l'appui de la thèse de l'employeur. En effet, s'il est constant que l'employeur a appelé les services de police, ceux-ci n'ont pas constaté de faits justifiant leur intervention. Or, cette attestation si elle justifie d'un comportement certes inadapté de Mme [O], indique également qu'elle demeurait polie tout en considérant que son ton était insolent ce qui relève davantage d'une appréciation que d'un fait. Mais, il convient également de tenir compte du contexte. En effet, alors que dès réception de la convocation à l'entretien préalable, la salariée avait indiqué à l'employeur que le délai de 5 jours n'était pas respecté, l'employeur a voulu lui imposer une prise de congés payés, sans aucun délai de prévenance. Or, c'est bien dans de telles conditions que l'employeur a voulu imposer à la salariée de quitter son poste de travail. La réaction de Mme [O] était certes excessive mais demeurait pour partie compréhensible alors que l'employeur voulait lui imposer une prise de congés payés en dehors de tout cadre légal.
Elle ne pouvait en tout cas, au regard des circonstances, caractériser une faute grave, la seule qui permette à l'employeur de rompre le contrat au regard de l'état de grossesse de la salariée, dont il avait par ailleurs connaissance.
Le licenciement de Mme [O] est donc bien entaché de nullité et le jugement sera confirmé de ce chef. Quant aux conséquences, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée le salaire pendant la mise à pied outre l'indemnité de préavis et les congés payés y afférents. Il sera infirmé sur le montant des dommages et intérêts en considération d'un salaire de référence de 2 000 euros, d'un licenciement certes nul à raison de l'état de grossesse mais sans qu'il soit justifié qu'il a été prononcé à raison de cet état de grossesse et au regard d'une ancienneté qui demeurait très limitée. Le montant des dommages et intérêts sera fixé à 12 000 euros. Le jugement sera également infirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement des indemnités chômage alors que le licenciement est nul pour un motif non visé aux dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail.
Sur l'absence de visite médicale d'embauche,
Aux termes de son dispositif, Mme [O] sollicite le paiement de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale.
Cependant Mme [O] n'explicite pas le préjudice qu'elle aurait subi à raison de ce manquement ; sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée par infirmation du jugement déféré.
Sur les frais et dépens,
L'action de Mme [O] était bien fondée en son principe de sorte que le jugement sera confirmé sur le sort des frais et dépens. Si l'appel de la société AAM est partiellement bien fondé, c'est à raison de sa non comparution en première instance que la société n'avait pu faire valoir ses arguments. Il n'y a donc pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et la société AAM supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Dit que la demande de report de clôture est dépourvue d'objet,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 20 novembre 2019 sauf en ce qu'il a condamné la SARL AAM à payer à Mme [O] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul outre celle de 500 euros pour défaut de visite médicale d'embauche et ordonné le remboursement par l'employeur des indemnités chômage,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la SARL AAM à payer à Mme [O] la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
Déboute Mme [O] de sa demande au titre de l'absence de visite médicale d'embauche,
Dit n'y avoir lieu à remboursement des indemnités chômage,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la SARL AAM aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Catherine BRISSET, présidente, et par Arielle RAVEANE, greffière.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,
Arielle RAVEANECatherine BRISSET.