17/06/2022
ARRÊT N°2022/341
N° RG 20/00799 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NPZT
MD/CD
Décision déférée du 03 Février 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ALBI ( )
G.DAUMAS-CONDOMINES
Section Encadrement
[L] [P]
C/
Caisse CREDIT MUTUEL MIDI ATLANTIQUE
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU DIX SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [L] [P]
54 RUE JULES FERRY
10430 ROSIERES
Représenté par Me Alexandrine PEREZ SALINAS, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
INTIM''E
Caisse CREDIT MUTUEL MIDI ATLANTIQUE
10 rue de la Tuilerie
31130 BALMA
Représentée par Me Sébastien HERRI de la SELARL HERRI, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S.BLUM'', présidente et M.DARIES, conseillère, chargées du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM'', présidente
M. DARIES, conseillère
N.BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par S. BLUM'', présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
FAITS ET PROCÉDURE:
M. [L] [P] a été embauché le 2 mai 1989 par le Crédit Mutuel Midi Atlantique en qualité d'attaché commercial suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de la branche du Crédit Mutuel.
À compter de 2006, M. [P] occupait le poste de Directeur d'agence.
Dès septembre 2016, le CHSCT, saisi par le personnel de problèmes que rencontre la Caisse de Saint Sulpice, a été conduit à procéder à une visite pour y rencontrer les salariés.
M. [P] a été placé en arrêt de travail à plusieurs reprises, du 13 janvier 2017 au 17 avril 2017, puis du 11 mai 2017 au 19 juillet 2017 et du 25 juillet 2017 au 19 août 2017.
Le 10 mai 2017, la médecine du travail a déclaré M. [P] inapte au poste pendant un mois, à revoir au mois d'août 2017.
M. [P] a été déclaré inapte temporaire au poste le 25 juillet 2017.
Le 19 septembre 2017, la médecine du travail a déclaré M. [P] apte à son poste.
Le 5 octobre 2017, le secrétaire du CHSCT adressait au médecin du travail un courrier confirmant la souffrance des salariés de l'agence.
Après avoir été convoqué par courrier à un entretien préalable au licenciement fixé au 19 octobre 2017, M. [P] a été licencié par courrier du 6 novembre 2017 pour cause réelle et sérieuse.
M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes d'Albi le 9 janvier 2019 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.
Le conseil de prud'hommes d'Albi, section Encadrement, par jugement du 3 février 2020, a :
-débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes,
-condamné M. [P] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 3 mars 2020, M. [P] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 6 février 2020, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
PRETENTIONS DES PARTIES:
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 3 juin 2020, M. [L] [P] demande à la cour de :
-infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a:
*débouté de l'intégralité de ses demandes,
*condamné aux dépens de l'instance,
*débouté de sa demande de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
*débouté de sa demande de condamnation de l'employeur au paiement des sommes suivantes: 75 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-et statuant à nouveau:
*juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
*condamner en conséquence l'employeur au paiement des sommes suivantes :
75000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 30 juillet 2020, le Crédit Mutuel Midi Atlantique demande à la cour de :
-confirmer le jugement contesté en l'ensemble de ses dispositions,
-débouter M. [P] de l'ensemble de ses prétentions,
-condamner M. [P] à supporter les dépens de première instance,
-et, y ajoutant,
-condamner M. [P] à payer au Crédit Mutuel la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. [P] à supporter les dépens d'appel.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance en date du 25 mars 2022.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS:
Sur le licenciement:
Aux termes de l'article L1235-1 du code du travail, pour apprécier la cause réelle et sérieuse de licenciement, le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Tout licenciement doit être fondé sur une cause à la fois réelle et sérieuse.
La lettre de licenciement est ainsi libellée:
'(..) Nous avons été informés par le CHSCT par mail du 5 octobre 2017 de la situation de vos collaborateurs au sein de la caisse mutuelle de Saint-Sulpice dans laquelle vous exercez la fonction de directeur. Le CHSCT a en effet adressé un mail au médecin du travail afin de l'alerter sur la souffrance des salariés de l'agence. Son secrétaire a été reçu par le médecin du travail. Le CHSCT nous avait déjà averti à plusieurs reprises. Les difficultés de la caisse avaient été mises également à l'ordre du jour de la réunion du CHSCT.
En outre le conseil d'administration par l'intermédiaire de son président nous a fait part de sa volonté de démissionner au vu de la situation de la Caisse qu'il juge très préoccupante.
Il s'avère que vous n'assumez plus vos fonctions de directeur de caisse. Votre comportement est totalement inadapté à votre poste. Vous n'assurez plus vos responsabilités au niveau du management notamment.
Certains collaborateurs étant novices dans leur fonction, un accompagnement personnalisé est indispensable pour qu'ils acquièrent les compétences nécessaires à leur fonction afin de satisfaire une demande dans des conditions suffisantes de sécurité. Or cet accompagnement n'a pas été fait. La traduction immédiate est l'apparition de risques opérationnels et règlementaires.
Votre équipe se plaint du fait que vous prenez des délais excessivement longs pour étudier les dossiers dont ils vous font part et très souvent nous ne prenez pas de décisions. Vous n'avez pas intégré votre rôle de superviseur.
Vos collaborateurs doivent même pallier à votre retard.
Votre comportement a des conséquences sur les conditions de travail de votre équipe. Leurs conditions de travail se sont au quotidien dégradées. Au vu de la situation, les salariés pourraient se trouver dans l'incapacité de poursuivre leur mission au sein de la Caisse.
Il est du rôle de l'employeur de préserver la santé physique et morale de ses salariés.
En outre la Caisse de Saint-Sulpice a un potentiel important de développement notamment du côté des clients professionnels mais à l'heure actuelle la situation de la caisse est très préoccupante en raison en particulier d'une organisation insuffisante de la caisse.Vous n'utilisez pas la majorité des outils de suivi mis à votre disposition qui permettraient de définir les orientations de développement commercial.
Au niveau de l'animation commerciale, vous vous contentez de fixer unilatéralement des objectifs individuels alors que les préconisations fédérales prônent une réflexion commune permettant d'impliquer le collaborateur dans la définition de ses objectifs. Ces éléments avaient déjà été mis en exergue lors du rapport de révision de la caisse en août 2016, révision qui portait sur l'exercice septembre 2012à mai 2016. Le compte rendu du droit d'expression du 15 septembre 2016 mentionnait aussi des plaintes de clients concernant des délais de réponse trop longs.
Au vu de la situation tant du côté commercial que managérial vous n'assurez plus votre fonction de directeur. Votre attitude met en souffrance votre équipe. J'ai eu l'occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises notamment en avril et juillet 2017 pour vous faire part de ces problèmes et dysfonctionnements. (..)
De telles pratiques ne peuvent être tolérées. De plus votre comportement n'est pas en accord avec l'image de l'entreprise.
Nous considérons que ces faits constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement. '
M. [P] soutient que des griefs ne sont pas fondés et que l'employeur, connaissant ses problèmes de santé souhaitait son départ et s'est retranché derrière un prétendu respect de son obligation de sécurité à l'égard des salariés de l'Agence.
Il considère que son état de santé et ses absences répétées ont motivé son licenciement outre le fait que le Président du Conseil d'Administration aurait menacé de démissionner au vu de la situation de la Caisse.
Alors qu'il allait être déclaré apte en septembre 2017, l'employeur a contacté la médecine du Travail pour la convaincre de ce qu'il ne pouvait plus occuper son poste de travail et lorsqu'il a été accédé à sa demande, l'employeur l'a licencié pour cause réelle et sérieuse sans attendre l'avis d'inaptitude.
M. [P] expose que s'il a rencontré des difficultés ponctuelles, il a toujours été un excellent élément ce qui a justifié son évolution de carrière avec perception de nombreuses primes.
Il allègue que le licenciement est abusif.
Sur ce:
M. [P] a été confronté à de graves problèmes de santé ( dépression) dès 2016, ce qui a eu de fait une incidence sur la gestion de l'agence de Saint Sulpice et les conditions de travail de ses collaborateurs en raison de son absence lors des arrêts-maladie ou de son comportement lorsqu'il était présent, tel qu'il a été relevé lors de l'enquête du CHSCT.
A la suite de sa reprise en mai 2017, l'employeur a alerté le médecin du travail au motif que M. [P] présentait une santé psychologique dégradée qui constituait un risque tant pour lui que pour ses collaborateurs.
Lors des visites de reprise des 10 mai 2017 et 25 juillet 2017, la médecine du travail a déclaré M. [P] inapte, à revoir dans un mois puis inapte temporaire, avant de le déclarer apte le 19 septembre 2017.
Il s'évince du courrier du 04 octobre 2017 du médecin du travail adressé au médecin psychiatre à la suite d'une nouvelle alerte de l'employeur, que M. [P] n'était pas prêt à accepter une inaptitude, puisque le médecin du travail demande au médecin psychiatre de lui faire comprendre qu'il doit l'accepter et à défaut qu'il sera licencié. Il préconise également un passage en invalidité 2.
Aucune décision d'inaptitude n'est intervenue et l'employeur a engagé une procédure de licenciement le 17 octobre en invoquant des griefs suivants:
. La souffrance au travail des collaborateurs dénoncée par le CHSCT, conséquence du comportement de Mr [P] et qui induit une obligation de sécurité de la part de l'employeur,
. La volonté du Conseil d'Administration de la Caisse de démissionner, face à ses attitudes,
. L'absence d'accompagnement par l'intéressé de ses collaborateurs,
. Les délais très longs pris pour examiner un dossier, souvent sans qu'une décision n'intervienne,
. Les nombreux retards à la prise de poste.
La volonté de démission du conseil d'administration n'est pas étayée et en tout état de cause, elle ne peut justifier un licenciement qui ne serait pas fondé sur des causes avérées et objectives, même s'il ne peut être occulté que le comportement de M. [P] a été impacté par ses difficultés personnelles.
Il ressort de l'enquête du CHSCT établie le 28 septembre 2016 que, outre la souffrance constatée des collaborateurs impactés par les absences et les retours de leur directeur, celui-ci n'assurait pas l'accompagnement des collègues débutants, ne donnait pas de réponses sur les dossiers alors qu'il n'existait pas de délégation et qu'il devait être pallié à ses retards.
Le CHSCT mentionne que M. [P] a été confronté à sa mission de 'révision' et à ses conséquences mais qu'il n'a pas l'air de prendre conscience de l'état moral de ses salariés.
A son retour d'arrêt maladie (du 25 juillet au 19 septembre 2017), l'employeur a mis en place une mesure d'accompagnement pour une mise à jour informatique tel qu'il ressort d'un mail du 25 septembre 2017.
Peu de temps après, le CHSCT interpellait le médecin du travail début octobre 2017 pour lui confirmer la dégradation de la situation.
Par mail du 05 octobre 2017, son secrétaire écrivait:
'J'espère que j'ai réussi à vous faire comprendre la souffrance des salariés de l'agence du Crédit Mutuel de Saint-Sulpice. En effet le directeur est en mal-être depuis plus d'un an, absent 7 mois depuis le début de l'année (..).
Quand il est présent, il a un comportement complètement inadapté à son poste, qui plus est, il n'assume plus du tout ses responsabilités. De ce fait ce sont ses collaboratrices qui doivent gérer l'agence sans en avoir les compétences.
Au delà de la fonction qu'il n'assume plus, c'est l'image dégradée de l'entreprise qu'il véhicule à l'extérieur. J'attire votre attention sur la situation des salariés de cette agence qui subissent au quotidien des conditions de travail largement dégradées. Il est aussi de votre compétence de préserver leur santé physique et psychique'.
Ainsi malgré les entretiens et accompagnement mis en oeuvre, les dysfonctionnements de sa gestion ont perduré sur plusieurs mois, Monsieur [P] n'assumant plus ses missions et le personnel demeurant en souffrance.
Le licenciement est donc justifié par des causes objectives et l'obligation de sécurité de l'employeur envers ses salariés au regard d'une situation obérée sur la durée, des alertes répétées du CHSCT et de l'absence de décision d'inaptitude par le médecin du travail, qui, nonobstant les difficultés constatées souhaitait que l'intéressé parvienne à accepter une telle décision.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé.
Sur les demandes annexes:
M. [P], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant:
Condamne Monsieur [L] [P] aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par S.BLUM'', présidente et C.DELVER, greffière.
LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE
C.DELVER S.BLUM''
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