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04/04/2023 | FRANCE | N°21/01974

France | France, Cour d'appel de Toulouse, 1ere chambre section 1, 04 avril 2023, 21/01974


04/04/2023



ARRÊT N°



N° RG 21/01974

N° Portalis DBVI-V-B7F-OEJ3

MD / RC



Décision déférée du 15 Février 2021

Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE 19/00857

M. [I]

















Compagnie d'assurance MMA IARD

Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES





C/



[E] [M] [O]































































CONFIRMATION







Grosse délivrée



le



à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS

***



APPELANTES



Compagnie d'assurance MMA IARD

Société anonyme inscrite ...

04/04/2023

ARRÊT N°

N° RG 21/01974

N° Portalis DBVI-V-B7F-OEJ3

MD / RC

Décision déférée du 15 Février 2021

Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE 19/00857

M. [I]

Compagnie d'assurance MMA IARD

Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

C/

[E] [M] [O]

CONFIRMATION

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

1ere Chambre Section 1

***

ARRÊT DU QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTES

Compagnie d'assurance MMA IARD

Société anonyme inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés LE MANS sous le n° 440 048 882, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Damien DE LAFORCADE de la SELARL CLF, avocat postulant, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Jacques HUILLIER, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS

Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES Société anonyme inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés LE MANS sous le n° 775 652 126, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Damien DE LAFORCADE de la SELARL CLF, avocat postulant, avocat au barreau de TOULOUSE

Représentée par Me Jacques HUILLIER, avocat plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [E] [M] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Saida MAHNI, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

M. DEFIX, président

J.C. GARRIGUES, conseiller

S. LECLERCQ, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : R. CHRISTINE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par M. DEFIX, président, et par N. DIABY, greffier de chambre.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [R] [O] est l'auteur d'un concept commercial consistant à identifier un vin par référence à certains mets que ce vin doit accompagner. Les dessins à apposer sur les bouteilles de vins ont été déposés à titre de marques françaises et communautaires.

La société [V] venant aux droits de la société Vinival, titulaire d'une licence d'exploitation exclusive de ces marques, a cessé d'exécuter son contrat envers M. [R] [O] tout en continuant à commercialiser les bouteilles.

M. [R] [O] a saisi le tribunal de grande instance de Toulouse par acte du 28 avril 2008 d'une action à l'encontre de la société [V]. Par arrêt du 20 mars 2012, la cour d'appel de Toulouse a dit que ledit tribunal était incompétent pour connaître de cette action et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris.

Le 29 décembre 2011, M. [O] a parallèlement fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris la Sas Carrefour France et la Snc Interdis en réparation de la contrefaçon de ses droits de marques et de droits d'auteur, lesquelles ont elles-mêmes fait assigner en intervention forcée et en garantie son fournisseur, la société [V]. Le conseil de M. [O] était Maître Quitterie Chabaud, avocate au barreau de Paris.

Par arrêt rendu le 12 mars 2014, la cour d'appel de Paris a notamment :

- infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il avait prononcé la résiliation du contrat de licence à effet du 1er juillet 2004, écarté la déchéance des droits de marques d'[R] [O], retenu des faits de contrefaçon de marques pour la période postérieure au 27 décembre 2004 et des actes de parasitisme, ordonné une mesure d'interdiction, condamné la société [V] à payer à M. [R] [O] la somme de 300.000 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice définitif, 20.000 euros au titre de la liquidation d'astreinte et 15.000 euros au titre du préjudice moral, et ordonné une mesure d'expertise,

- débouté M. [R] [O] de ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- condamné la société [V] à payer à M. [R] [O] la somme totale de 400.000 euros, incluant l'indemnité provisionnelle précitée, à titre de réparation de son préjudice économique pour contrefaçon de marques et parasitisme ;

Par arrêt du 22 juin 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé cet arrêt en ce qu'il condamnait la société [V] pour parasitisme à payer à M. [O] la somme totale de 400 000 euros incluant l'indemnité provisionnelle de 300 000 euros en réparation de son préjudice économique ainsi que la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral pour contrefaçon et parasitisme.

La première chambre civile a renvoyé la cause et les parties dans l'état devant la cour d'appel de Paris autrement composée qui, par arrêt du 10 septembre 2019, a :

- constaté que l'arrêt rendu le 12 mars 2014 par la cour d'appel de Paris était définitif en ce qu'il a notamment, dans la limite de sa saisine, infirmé le jugement et a :

- déclaré M. [R] [O] mal fondé en son action en parasitisme et l'en a débouté;

- s'agissant de la contrefaçon de marque, condamné la société [V] à payer à [E] [M] [O] la somme de 187 000 euros au titre de son préjudice matériel et de 15.000 euros au titre de son préjudice moral.

Par arrêt du 4 février 2020 et sur requête en interprétation, la cour d'appel de Paris a :

- dit que l'arrêt du 10 septembre 2019 doit être interprété comme octroyant à M. [R] [O] une indemnité de 187 000 euros au titre de son préjudice matériel définitif venant s'imputer sur la somme de 300 000 euros précédemment alloués à titre de provision ;

- dit, en conséquence, que le dispositif de la décision sera complété en précisant que l'indemnité de 187 000 euros alloués au titre du préjudice matériel définitif d'[R] [O] s'imputera sur la somme de 300 000 euros mis à la charge de la société [V] à titre de provision ;

- dit, en tant que de besoin, que le différentiel entre ces deux sommes devra être restitué à la société [V].

Par ordonnance du 22 février 2013, le juge de la mise en état de la 3ème chambre du tribunal de grande instance de Paris avait prononcé un sursis à statuer de la procédure engagée contre les sociétés Carrefour et Interdis jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel de Paris à intervenir dans l'instance enregistrée contre la société [V].

Le juge de la mise en état, par ordonnance du 8 juillet 2016, a déclaré éteinte par l'effet de la péremption, l'instance enregistrée contre ces sociétés, décision confirmée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 27 octobre 2017. Il était relevé qu'un nouveau délai de péremption avait couru à compter du prononcé de l'arrêt du 12 mars 2014 auquel était suspendue la procédure frappée de sursis à statuer.

-:-:-:-:-:-

Par acte d'huissier du 5 février 2019, M. [R] [O] a fait assigner la compagnie d'assurance Mma, assureur de Maître Quitterie Chabaud, en garantie de la responsabilité civile professionnelle de cette dernière et en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 15 février 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse a :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée,

- dit que Maître Quitterie Chabaud a commis une faute et qu'il en résulte une perte de chance de 75 %,

- condamné la Société Mma Iard Assurances Mutuelles et la Sa Mma Iard à verser à M. [R] [O] la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral résultant de la faute commise 'par le conseil',

Avant-dire-droit sur l'indemnisation de M. [R] [O] du fait de cette perte de chance,

- ordonné une expertise confiée à M. [G] [J],

- réservé les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que l'exception d'incompétence avait été tardivement présentée contrairement aux prescriptions de l'article 74 du code de procédure civile. Il a ensuite jugé sur le fond que Maître Chabaud, avocate chargée d'un mandat de représentation en justice de M. [O] avait manqué à son obligation de diligence en n'effectuant aucun acte interruptif du délai de péremption de l'instance engagée contre la société Carrefour, commettant ainsi une faute.

Le tribunal a, sur le préjudice, considéré qu'en l'état des éléments de nature à établir la contrefaçon des produits vendus par Carrefour, M. [O] était fondé à faire valoir qu'il avait perdu une chance réelle et sérieuse que le premier juge a évaluée à 75 % de voir juger que les actes de contrefaçon étaient caractérisés s'agissant des ventes réalisées, et obtenir l'indemnisation de son préjudice par cette société.

-:-:-:-:-:-

Par déclaration du 29 avril 2021, les sociétés d'assurance Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles ont relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée,

- dit que Maître Quitterie Chabaud a commis une faute et qu'il en résulte une perte de chance de 75%,

- avant dire droit sur l'indemnisation de M. [E] [O] du fait de cette perte de chance, ordonné une expertise confiée à M. [G] [J]

- condamné Mma Iard Assurances Mutuelles et Mma Iard Sa à verser à M. [E] [O] la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral résultant de la faute commise par le conseil,

- ordonné l'exécution provisoire.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 2 décembre 2022, les sociétés d'assurance Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, appelantes, demandent à la cour, au visa des articles 1103 et suivants et 1231-1 du code civil, d'infirmer le jugement dont appel et en conséquence de débouter M. [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement de,

- 'dire et juger' que la somme qui serait allouée à M. [O] serait tout au plus de : 35 898 euros x 75% = 26 923 euros,

- 'dire et juger' que toute condamnation qui viendrait à être prononcée sera minorée de la somme de 98 000 euros,

- rejeter, en tout état de cause, les demandes formées par M. [O] au titre de son appel incident,

- condamner M. [O] à verser à Maître Quitterie Chabaud la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [O] aux dépens.

Dans ses dernières écritures transmises par voie électronique le 8 octobre 2021, M. [R] [O], intimé, demande à la cour, au visa des articles 907, 910 et suivants, 954 et 542 du code de procédure civile, et des articles L124-3 du code des assurances et 1240 du code civil, de :

Statuant sur l'appel principal de Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles,

'Demeurant la rédaction du dispositif des conclusions des sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles',

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a retenu une perte de chance résultant de la faute de Maître Quitterie Chabaud à hauteur de 75% et omis de statuer sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civil,

- subsidiairement, juger mal fondés les moyens invoqués par les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles,

- les débouter en conséquence de leur appel principal et confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a retenu une perte de chance résultant de la faute de Maître Quitterie Chabaud à hauteur de 75% et omis de statuer sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant sur son appel incident,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu une perte de chance résultant de la faute de Maître Quitterie Chabaud à hauteur de 75%,

- en conséquence, juger que Maître Quitterie Chabaud a commis une faute, et qu'il en résulte un préjudice tenant à la perte de chance qu'il avait de gagner son procès contre Carrefour,

- condamner Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à l'indemniser de l'entier préjudice en découlant,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a omis de statuer sur les dispositions de l'article 700 du code procédure civile et condamner par conséquent Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles au paiement des frais irrépétibles de première instance à hauteur de 6 000 euros,

En tout état de cause,

- condamner Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles au paiement de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles aux entiers dépens.

-:-:-:-:-:-

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 décembre 2022 et l'affaire a été examinée à l'audience du 9 janvier 2023.

MOTIVATION DE LA DÉCISION

1. Par conclusions 'de procédure' déposées le 12 décembre 2022, M. [H] [O] a soulevé l'irrecevabilité, en raison de leur tardiveté, des conclusions des sociétés appelantes notifiées le 2 décembre 2022 ainsi que des pièces n° 5, 6, 7 et 8 également notifiées le 2 décembre 2022.

À l'audience, le conseil des sociétés appelantes s'est opposé à l'irrecevabilité.

Certes, il y a bien lieu de constater que les sociétés appelantes ont déposé des conclusions le dernier jour ouvrable avant la date de la clôture qui avait été annoncée dans l'avis de fixation de l'affaire qui avait été donné aux parties le 19 juin 2022 soit six mois auparavant.

Si le dispositif des dernières conclusions a été modifié, celles-ci ne demandent plus l'évocation du rapport d'expertise judiciaire et le sursis à statuer dans cette attente, maintiennent les prétentions initiales sur la base des mêmes moyens et apportent un baisse de la demande subsidiaire de minoration de la condamnation qui viendrait à être prononcée.

Les pièces nouvelles produites ne peuvent être ignorées de l'intimé s'agissant de l'ordonnance de retrait du rôle du 22 février 2013 et de la note à l'expert judiciaire. La pièce n°5 en la forme d'une attestation non datée de l'avocat de la société [V] portant sur la non restitution de sommes versées à M. [O] et rappelant les dispositifs de diverses décisions rendues durant la longue procédure ayant opposé ces parties ne constitue pas un élément dont la production, même tardive, serait de nature à faire grief à l'intimé.

La demande tendant à voir prononcer l'irrecevabilité des conclusions et des pièces déposées le 2 décembre 2022 sera donc rejetée.

2. Il convient ensuite de constater que l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence qui avait été soulevée par les sociétés Mma, figurant parmi les chefs de jugement critiqués dans l'acte d'appel, ne fait l'objet d'aucun développement dans les conclusions des sociétés appelantes devant la cour qui tendent toutefois principalement à l'infirmation du jugement entrepris sans plus de précision dans le dispositif. La décision entreprise sera confirmée sur ce point par adoption des motifs du jugement concernant cette irrecevabilité.

3. Il sera pareillement constaté que le chef de jugement critiqué portant sur la faute professionnelle de l'avocat ne fait plus l'objet de développements dans la motivation des dernières conclusions d'appel, le dispositif de celles-ci sollicitant toutefois principalement l'infirmation du jugement entrepris sans plus de précision.

3.1 Le principe de la faute dans l'exécution de son mandat n'est pas formellement contesté par l'assureur de Maître Quitterie Chabaud étant rappelé que l'avocat est tenu dans le cadre de l'exercice de son mandat de représentation en justice d'accomplir efficacement les actes nécessaires à la conduite de la procédure dans l'intérêt de son client.

3.2 Lorsque la suspension du délai de péremption est la conséquence d'une décision de sursis à statuer jusqu'à la survenance d'un événement déterminé, un nouveau délai court à compter de la réalisation de cet événement.

3.3 En l'espèce, l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris, rendue le 22 février 2013 et produite par les deux parties à leurs dossiers respectifs, a ordonné le sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel de Paris dans l'instance enregistrée sous le RG n° 12/05996 et a retiré l'affaire du rôle.

Il est constant que par courrier du 18 juin 2014, le conseil toulousain de M. [O] a écrit au conseil parisien de celui-ci en invitant ce dernier à reprendre l'instance et en joignant un chèque couvrant des diligences non précisées. Il a définitivement été jugé par la cour d'appel de Paris qu'entre le 12 mars 2014 et le 11 mars 2016 aucune diligence à l'initiative des parties n'avait été de nature à interrompre le délai de péremption de sorte que celle-ci, constatée par le juge de la mise en état le 8 juillet 2016, a éteint l'action entreprise par M. [O] à l'encontre de la société Carrefour et de la société Interdis.

Il n'est soutenu aucun moyen ni allégué le moindre fait de nature à expliquer la carence du conseil de M. [O] expressément chargé de reprendre l'instance dans l'intérêt de ce dernier.

Il convient en conséquence de relever que le premier juge a, à bon droit, retenu l'existence d'une faute de Maître Quitterie Chabaud au détriment de M. [R] [O].

4. Sur le préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et la faute de son conseil, il convient de vérifier l'existence et l'étendue d'une perte de chance liée à la disparition actuelle et certaine de l'éventualité favorable de l'action engagée par M. [O] à l'endroit de la société Carrefour et de la société Interdis, désormais irrémédiablement éteinte sans examen de sa recevabilité ou de son bien fondé.

4.1 Il est constant que M. [O] avait fait assigner les sociétés Carrefour France et Interdis devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marques et droits d'auteur et en concurrence parasitaire pour obtenir outre des mesures d'interdiction et une mesure d'expertise, une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices. Ces sociétés ont fait appeler en garantie la société [V]. Ayant constaté que M. [O] fondait son action en contrefaçon sur les mêmes marques et droits d'auteur que ceux invoqués dans le cadre de l'action qui l'oppose dans une instance distincte à la société [V], le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer.

4.2 Considérant que chaque société mise en cause est responsable de son propre fait personnel, M. [O] soutient que le préjudice découlant des faits imputés à la société [V] découle de la résolution du contrat de licence passé avec cette dernière et de la privation injuste des redevances dont il a souffert, évaluée par expert et ayant donné lieu à une condamnation par le cour d'appel de Paris à laquelle s'ajoutent les bénéfices réalisés par cette même société en raison de la contrefaçon dont elle a été jugée coupable. Envers 'Carrefour' sous le vocable duquel sont indistinctement visées les sociétés Carrefour et Interdis, M. [O] soutient que celles-ci sont intervenues pour la diffusion des produits contrefaits en fraude de ses droits, constituant ainsi la plus grande partie de son préjudice, reprochant à cet égard au premier juge d'avoir limité l'indemnisation de celui-ci à 75 % en l'absence d'aléa, portant atteinte au principe de la réparation intégrale du dommage.

4.3 L'assureur de Maître Chabaud soutient, sur la base de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris, que la violation d'un contrat de licence n'est pas un acte de contrefaçon et que l'action de M. [O] ne pouvait être fondée que sur le fondement contractuel pour défaut de paiement de redevances de licence de marque mais qu'en l'espèce, il n'existait aucun contrat liant ce dernier à Carrefour à la différence de la société [V] qui a été condamnée par la cour de renvoi à indemniser cette perte de redevances et le préjudice moral qui lui est lié. Les sociétés appelantes considèrent que le préjudice subi du fait de la vente des bouteilles par la société [V] à la société Carrefour est identique à celui du fait de la distribution de ces mêmes bouteilles par la société Carrefour et que l'intimé réclame en réalité deux fois l'indemnisation du même préjudice, M. [O] restant par ailleurs débiteur d'une restitution ordonnée par la cour d'appel de Paris au titre du trop-perçu compte tenu de la provision déjà versée par la société [V].

4.4 La cour rappelle que la société [V] a été définitivement condamnée pour contrefaçon de marques pour la période postérieure au 27 décembre 2004 et à payer à ce titre à M. [O] une somme de 187 000 euros en réparation du préjudice matériel et celle de 15.000 euros en réparation du préjudice moral. La décision définitive ayant prononcé cette condamnation a motivé celle-ci en déterminant le montant de la réparation du préjudice économique par référence aux dispositions de l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle et prenant ainsi en compte les conséquences négatives de la contrefaçon dont le manque à gagner représenté par les redevances que M. [O] aurait dû percevoir sur la vente des produits contrefaits, évaluées par l'expert à 121 894 euros auquel la cour a ajouté le bénéfice retiré par le contrefacteur de la revente de ces produits évalué par l'expert à la somme de 67 389 euros, soit un montant total arbitré par la cour d'appel de Paris à 187 000 euros.

Dans le courrier adressé aux sociétés Mma, le nouveau conseil de M. [O] a rappelé que celui-ci sollicitait la condamnation de Carrefour, distributeur des produits vendus par la société [V], à lui payer la somme de 1 200 000 euros en réparation de son préjudice pour avoir continué à distribuer les bouteilles litigieuses et en encaisser les bénéfices malgré le fait qu'elle a été alertée à plusieurs reprises par M. [O] de la contrefaçon dénoncée et pour avoir méconnu les diverses interdictions judiciaires.

En substance, M. [O] reprochait à Carrefour de s'être rendu complice de la contrefaçon en tirant profit, en connaissance de cause, de l'écoulement des produits affectés de la contrefaçon de marque. Il avait introduit son action en évoquant l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle visant l'usage de la marque contrefaite (pièce n° 7 de son dossier) étant précisé que cette incrimination permet de poursuivre ceux qui, sans avoir eux-mêmes reproduit la marque, se sont bornés à commercialiser ou à utiliser des produits revêtus d'une marque contrefaite par un autre. Il dénonçait dans l'assignation visant la société Carrefour l'existence d'accords de partenariat confidentiels entre la société [V] et la société Interdis agissant pour son compte et/ou pour le compte de toute entité juridique exploitant un magasin à l'enseigne Carrefour, Champion et diverses autres enseignes du Groupe Carrefour, et qui, selon M. [O], 'avaient pour objet de développer 'une commercialisation dynamique et des mises en avant promotionnelles efficaces tout au long de l'année' pour la catégorie de produits commercialisés par [V] et en particulier ceux de la gamme contrefaisante BOIRE ET MANGER, de promouvoir la notoriété des marques et la commercialisation des produits du fournisseur auprès des consommateurs et d'optimiser le recours aux techniques de promotion en fonction des spécialités les plus adaptées à ses besoins et de bénéficier de conseils sur les choix pouvant être effectués par le fournisseur en fonction de sa stratégie commerciale et de marques'.

En l'état des éléments de faits produits au présent dossier et des condamnations définitives prononcées à l'endroit de la société contrefaisante, le principe d'une condamnation de la société Carrefour et de la société Interdis était donc sérieusement envisageable.

La défense opposée à M. [O] réside en fait sur l'allégation d'une identité de préjudice intégralement réparé par les condamnations déjà prononcées à l'endroit de la société [V].

En l'espèce, l'action civile était dirigée selon deux procédures distinctes, l'une contre le contrefacteur et l'autre contre le distributeur des produits vendus sous la marque contrefaite.

Le préjudice est déterminé au regard des modalités prévues par l'article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle. La décision ayant ordonné le sursis à statuer relevait que M. [O] fondait 'son action en contrefaçon sur les mêmes marques et droits d'auteur que ceux invoqués dans l'action qui l'oppose à la société [V]'.

L'article L. 716-14 précité dispose en effet que 'pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte'.

Il n'est certes pas discuté que la société [V] était l'unique fournisseur des sociétés Carrefour et Interdis pour les produits litigieux et que l'objet de la redevance éludée était la contrepartie d'un droit concédé au licencié de commercialiser les produits sous la marque faisant l'objet de la licence et n'était due que par ce dernier et non par les distributeurs.

Il sera toutefois constaté que l'objet de la procédure engagée devant le tribunal de grande instance de Paris visait à retenir dans le cadre de la responsabilité délictuelle des débiteurs supplémentaires en la personne des distributeurs à charge pour la victime de caractériser un préjudice imputable à ces derniers et distinct de celui réparé par la société [V] . M. [O] avait donc un intérêt légitime à engager cette action à leur endroit et à obtenir une réparation complémentaire, en vertu des mêmes textes, dès lors que la qualité de contrefacteur était susceptible de leur être personnellement attribuée à compter du moment où ils ont sciemment poursuivi la commercialisation au mépris des mises en demeure les informant de manière pertinente sur l'illécéité de la poursuite de ces ventes.

Compte tenu de l'aléa inhérent à toute action judiciaire, dans le cadre de cette procédure qui en était en son début quand elle a été suspendue et qui n'a jamais été reprise par la faute de l'avocat de la victime de la contrefaçon, la perte de chance de voir prospérer les demandes de condamnation de débiteurs supplémentaires de l'indemnisation à laquelle M. [O] pouvait prétendre à l'égard du contrefacteur était réelle mais n'était pas totale.

Le premier juge a fait une juste appréciation du taux de perte de chance en la fixant à 75 %. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que Maître Quitterie Chabaud a commis une faute et qu'il en résultait une perte de chance de 75 % pour M. [O] d'obtenir une condamnation de la société Carrefour et de la société Interdis.

5. L'évaluation du préjudice subi par M. [O] n'a donné lieu qu'à une condamnation des sociétés Mma à verser à ce dernier une indemnité de 1 500 euros au titre du préjudice moral résultant de la faute commise par l'avocat et, avant dire droit sur la réparation du préjudice subi 'du fait de cette perte de chance', à la désignation d'un expert.

Il sera relevé que M. [O] sollicite la confirmation du jugement sauf uniquement en ce qui concerne la perte de chance arrêtée à 75 % et que les Mma ont demandé l'infirmation totale du jugement entrepris.

5.1 Il sera d'abord jugé que le premier juge a fait une exacte évaluation du préjudice moral subi par M. [O] et résultant directement de la faute commise par son avocat n'ayant pas rempli à son égard les obligations découlant du mandat de représentation que Maître Chabaud avait reçu de ce dernier. La décision entreprise sera donc également confirmée sur ce point.

5.2 Il sera ensuite constaté que le premier juge ne s'est pas prononcé dans le dispositif de sa décision sur l'existence et l'étendue du préjudice effectivement imputable aux distributeurs et réparable dans le cadre de la responsabilité délictuelle encourue, sur lequel devra être appliqué le taux de perte de chance qu'il a défini.

Seul ne peut donc être discuté devant la cour que le principe de la mesure d'instruction ordonnée par le tribunal qui entre dans sa saisine. Cette mesure doit être utile et légitime et suppose notamment l'existence d'un préjudice à évaluer par la voie d'une expertise.

Étant le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle qu'il n'exploitait pas personnellement mais ayant concédé celui-ci dans le cadre d'une licence, M. [O] était certes en droit de voir indemniser son préjudice en recevant l'équivalent des redevances éludées par le titulaire de la licence de sorte que cet aspect du préjudice ne peut être indemnisé deux fois.

Toutefois, demeure l'évaluation du préjudice lié à la poursuite de la commercialisation par les distributeurs malgré les injonctions reçues et de l'usage que le distributeur a pu faire sciemment de la contrefaçon de marque.

Le recours à une mesure d'instruction n'apparaît pas à cet égard inutile ou illégitime. Le jugement sera donc confirmé également sur ce point.

Il appartiendra donc à la juridiction de première instance de trancher la question du préjudice qui n'a pas encore été vidée et que la cour ne peut évoquer en l'absence d'infirmation même partielle des dispositions entrant dans sa saisine.

6. Les sociétés MMA, parties principalement perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, seront tenues aux dépens de l'instance d'appel.

5. M. [R] [O] est en droit de réclamer l'indemnisation des frais non compris dans les dépens. Les sociétés MMA seront tenues de lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Tenues aux entiers dépens, les sociétés MMA ne peuvent prétendre au bénéfice d'une indemnité à ce titre.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans la limite de sa saisine, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Rejette l'exception d'irrecevabilité des conclusions ainsi que des pièces n° 5, 6, 7 et 8 notifiées le 2 décembre 2022 par les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles.

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 février 2021 par le tribunal judiciaire de Toulouse.

Y ajoutant,

Condamne les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles aux dépens de l'instance d'appel.

Condamne les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à M. [R] [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

N. DIABY M. DEFIX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Toulouse
Formation : 1ere chambre section 1
Numéro d'arrêt : 21/01974
Date de la décision : 04/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-04;21.01974 ?
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