18/07/2024
ARRÊT N° 235/24
N° RG 22/04422 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PFDM
NA/MP
Décision déférée du 18 Novembre 2022 - Pole social du TJ de MONTAUBAN (22/00003)
P. COLSON
CLINIQUE DU [6]
C/
[X] [C]
CPAM TARN-ET-GARONNE
INFIRMATION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 3 - Chambre sociale
***
ARRÊT DU DIX HUIT JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
CLINIQUE DU [6]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée à l'audience par :
- Me NOBLET Tim du cabinet substituant Me Yannick LIBERI de BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de Toulouse (plaidant)
- Me Julia BONNAUD-CHABIRAND, avocate au barreau de Toulouse substituant Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE (postulant)
INTIMEES
Madame [X] [C]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Frédérique BELLINZONA, avocat au barreau de TOULOUSE
CPAM TARN-ET-GARONNE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Anthony PEILLET, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mai 2024, en audience publique, devant N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente chargée d'instruire l'affaire, les parties ne s'y étant pas opposées.
Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente
M. SEVILLA, conseillère
M. DARIES, conseillère
Greffière : lors des débats M. POZZOBON
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- signé par N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par M. POZZOBON, greffière
Mme [X] [C] travaille en qualité d'agent de service hospitalier la clinique du [6] depuis le 28 décembre 1985.
En 2009, Mme [X] [C] a été victime d'un accident durant ses vacances et a été opérée de l'épaule droite.
En avril 2010, Mme [X] [C] se voit reconnaître la qualité de travailleur handicapée.
Le 11 juillet 2011 elle est victime d'un accident du travail en manipulant un patient.
Le 21 janvier 2015 elle déclare une maladie professionnelle concernant son épaule gauche, prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie(CPAM) du Tarn-et-Garonne.
Le 30 mai 2018, Mme [X] [C] a formulé auprès de la CPAM du Tarn-et-Garonne, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite.
Le 5 février 2019, la CPAM a notifié à Mme [X] [C] la prise en charge de sa maladie au titre de la maladie professionnelle considérant qu'elle remplissait les conditions du tableau 57 des maladies professionnelles.
Mme [X] [C] a été placée en arrêt de travail le 26 avril 2019 jusqu'au 11 octobre 2020.
L'état de santé de Mme [X] [C] a été déclaré consolidé le 11 octobre 2020 et le taux d'incapacité après recours de Mme [X] [C] a été fixé par la commission médicale de recours amiable à 5% dont 2% au titre de l'incidence professionnelle.
Le 27 octobre 2020, Mme [X] [C] a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail.
Mme [X] [C] a été licenciée pour impossibilité de reclassement et inaptitude le 17 décembre 2020.
Mme [X] [C] a saisi la CPAM d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur par courrier du 5 octobre 2020.
Par jugement du 18 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Montauban a dit que la maladie professionnelle de Mme [X] [C] était imputable à la faute inexcusable de son employeur, fixé la majoration de l'indemnité en capital servie à Mme [X] [C] et ordonné avant dire droit une expertise médicale.
La société Clinique du [6] a relevé appel de la décision.
Dans ses dernières écritures reprises oralement elle demande à la cour d'infirmer le jugement, de juger qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable, de rejeter la demande d'expertise et de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner Mme [X] [C] à lui payer 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient que contrairement à ce qu'a affirmé le tribunal, elle conteste le caractère professionnel de la maladie prise en charge, et ajoute que les conditions du tableau 57 A ne sont pas remplies, le délai de prise en charge datant de plus de 8 ans et les travaux visés au tableau n'étant pas établis.
Elle considère en toute hypothèse que la maladie a une cause totalement étrangère au travail pour avoir été causée par l'accident de quad de 2009.
Sur la preuve de la faute inexcusable, elle affirme que le conseil de prud'hommes de Cahors a déjà jugé que la clinique n'avait pas manqué à son obligation de sécurité.
L'employeur rappelle que le médecin du travail a déclaré Mme [C] apte à son poste, que la seule restriction apportée concernait le port de charges lourdes.
Elle soutient ajoute avoir changé Mme [C] de service pour diminuer sa charge de travail et rappelle que lors de son dernier entretien la salariée s'est déclarée parfaitement satisfaite de ses conditions de travail.
Dans ses dernières écritures reprises oralement, Mme [X] [C] demande confirmation du jugement outre la condamnation de la Clinique à lui payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle affirme que les travaux prévus au tableau 57 A sont bien caractérisés et ajoute que son employeur a refusé ses demandes de changements de poste qui lui aurait permis d'alléger les mouvements des épaules et a ainsi manqué à son obligation légale de sécurité.
La CPAM dans ses dernières écritures reprises oralement, s'en rapporte concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Motifs
Sur le caractère professionnel de la maladie de Mme [X] [C]
La cour n'est saisie que d'une demande de faute inexcusable concernant l'épaule droite de Mme [C], l'intimée précisant dans le dispositif de ses conclusions qu'elle recherche la faute inexcusable de son employeur pour la maldie déclarée le 30 mai 2018.
Même si l'employeur n'a pas contesté la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie professionnelle déclarée, il peut en contester l'imputabilité si une faute inexcusable lui est reprochée.
La clinique soutient que Mme [X] [C] a sollicité la prise en charge de la maladie plus de 8 ans après la première constatation médicale de la maladie, qu'elle n'a pas effectué les mouvements visés au tableau 57A et qu'en toute hypothèse sa maladie a une cause totalement étrangère au travail.
Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau .
Le tableau N° 57 A des maladies professionnelles, désigne la tendinopathie aigüe non rompue non calcifiante, prévoit un délai de prise en charge de 30 jours (sous réserve d'une durée d'exposition d'un an), et liste limitativement les travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction, avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins 3h30 par jour en cumulé.
Il n'est pas contesté que Mme [X] [C] a subi plusieurs arrêts de travail et a vu reconnaître par la CPAM une maladie professionnelle concernant son épaule gauche.
Les nombreux éléments qu'elle produit concernant son épaule gauche ne peuvent être pris en compte par la Cour qui est saisie d'une demande de faute inexcusable concernant exclusivement la tendinopathie de l'épaule droite.
Mme [X] [C] produit un certificat médical du 11 juin 2019 qui mentionne qu'elle présente une tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite opérée en 2009 mais avec récidive clinique et échographie avec de nouveau une fissure du sus épineux et une bursite sous acromiale. Le médecin précise que le traitement médical est en cours et que cette tendinopathie est favorisée par ses activités professionnelles.
Aux termes de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident, la date de prise en charge au titre de la législation professionnelle est celle de sa première constatation médicale, laquelle doit intervenir dans le délai de prise en charge prévu par l'article L.461-2 du même code.
L' article L.461-2 du même code prévoit également qu'à partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d'être exposé à l'action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse primaire et la caisse régionale ne prennent en charge, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L.461-1, les maladies correspondant à ces travaux que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau.
Le délai de prise en charge de la maladie professionnelle est donc parfaitement respecté, la première constatation de la récidive de Mme [X] [C] datant du 11 juin 2018, et la date de fin d'exposition au risque étant postérieure, Mme [X] [C] n'ayant été en arrêt de travail qu'à compter du 26 avril 2019.
La condition de délai de prise en charge mentionnée au tableau est donc parfaitement remplie.
Concernant la contestation relative aux travaux figurant aux tableau, il ressort des propres déclarations de l'employeur que les tâches confiées à Mme [X] [C] consistaient en des tâches de nettoyage , de port de plateaux repas, de tri et de manipulation des déchets.
La fiche de poste de l'agent de service hospitalier produite aux débats par la salariée démontre que les taches qui lui ont été confiées, telles que la distribution des petits déjeuners, le débarassage des plateaux, le bionettoyage des locaux communs et WC communs, la distribution des déjeuners, le bionettoyage des chambres, le nettoyage des locaux de service, du vidoir, des locaux de déchets, entraînent des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins 3h30 par jour en cumulé.
Enfin le certificat médical du 11 juin 2018 , joint à la déclaration de la maladie, exclut explicitement l'hypothèse d'une cause totalement étrangère en indiquant que l'activité professionnelle de Mme [X] [C] favorisait la pathologie.
Le caractère professionnel de la maladie est donc parfaitement établi au regard des conditions figurant au tableau 57 A.
Les moyens soulevés par la Clinique du [6] à ce titre ne sauraient prospérer.
Il convient par conséquent d'étudier si la faute inexcusable de celle-ci peut être recherchée.
Sur la reconnaissance de la faute inexcusable
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et maladies professionnelles. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident ou la maladie survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Pour déterminer si l'employeur a commis une faute inexcusable , seule l'attitude de l'employeur préalable à l'accident du travail ou à l'apparition de la maladie doit être examinée, peu important son attitude ultérieure, tout manquement postérieur à la survenue de cet accident ou de cette maladie ne pouvant être sanctionné que sur le fondement du droit commun prud'homal du manquement à l'obligation de sécurité au travail .
Il appartient enfin au salarié, demandeur à l'instance en reconnaissance de faute inexcusable , de rapporter la preuve que son employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La conscience du danger auquel était exposé la salariée n'est pas véritablement contestée puisque l'employeur connaissait les antécédents médicaux ayant affecté l'épaule droite de Mme [X] [C].
Toutefois et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, Mme [X] [C] n'établit pas que son employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour la préserver de sa maladie.
La Clinique du [6] démontre avoir changé Mme [X] [C] de service et il n'est pas contesté qu'elle est passée d'un service de 40 lits à un service de 8 lits à compter du 6 juin 2018.
La Clinique ajoute sans être démentie , que Mme [X] [C] disposait d'un matériel ergonomique pour amener les plateaux jusqu'aux chambres et réaliser les missions de nettoyage.
Elle relève enfin que lors de son entretien professionnel du 7 novembre 2018, Mme [X] [C] a indiqué ne pas souhaiter changer de service être très satisfaite et bénéficier d'excellentes conditions de travail.
Le conseil des prud'hommes de Cahors a retenu par jugement du 23 novembre 2022 que la Clinique du [6] démontrait objectivement avoir pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de Mme [X] [C] et avoir suivi les préconisations du médecin du travail.
Mme [X] [C] affirme que la société a reçu un signalement du médecin du travail le 22 février 2010.
Toutefois, ce signalement concernait son épaule gauche.
Mme [C] ne démontre pas que son employeur ait été alerté sur la nécessité d'un changement de poste.
L'avis du médecin du travail du 9 juin 2017 (compte rendu de visite de reprise après arrêt de travail) adressé à l'employeur indique que la salariée est apte à son poste avec restrictions du port de charges lourdes.
Or il n'est pas établi que les missions confiées à Mme [X] [C] comportaient du port de charges lourdes.
Mme [C] établit qu'elle a postulé sur un poste d'agent de boutique le 29 janvier 2016.
Le descriptif du poste démontre que cette fonction comprenait également des opérations de nettoyage et d'achalandage mobilisant les épaules.
En outre aucun élément ne permet de considérer que le refus de changement de poste était fautif, Mme [X] [C] n'ayant pas mentionné de motifs médicaux lors de sa candidature.
Enfin, le tribunal a considéré que l'employeur qui connaissait les problèmes d'épaule de Mme [X] [C] n'a pas proposé à Mme [X] [C] de formation destinée à lui inculquer les bons gestes et les bonnes postures permettant de limiter la mobilisation des épaules de Mme [X] [C].
Mme [C] ne produit toutefois aucun élément et aucune explication concernant la posture qu'elle aurait dû avoir pour éviter la maladie ou celle que la société aurait dû lui inculquer par une formation .
Les autres pièces produites par Mme [X] [C] concernent toutes la demande de prise en charge de la maladie professionnelle affectant son épaule gauche et sont donc sans lien avec celle soumise à l'appréciation de la cour.
Dans ses conditions, Mme [C] ne démontrant pas que son employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour la préserver de la tendinopathie de son épaule droite, il y a lieu d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes
Succombant à l'instance Mme [C] sera condamnée aux dépens.
Par souci d'équité les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
Par ces motifs
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Montauban du 18 novembre 2022 en toutes ses dispositions,
Statuant sur les chefs de jugements infirmés
Dit que la faute inexcusable de la société Clinique du [6] n'est pas établie
Rejette les demandes de Mme [X] [C]
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [X] [C] aux dépens d'appel,
Le présent arrêt a été signé par N. ASSELAIN, conseillère faisant fonction de présidente et par M. POZZOBON, greffière,
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
M. POZZOBON N. ASSELAIN.