03/09/2024
ARRÊT N° 303
N° RG 22/02526 - N° Portalis DBVI-V-B7G-O4BG
SM AC
Décision déférée du 07 Juin 2022 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MONTAUBAN - 22/00233
M REDON
S.A.R.L. LE GRAND HOTEL
C/
[J] [E]
[T] [V]
[Y] [D] [N]
Confirmation
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
S.A.R.L. LE GRAND HOTEL
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Arnaud GONZALEZ de l'ASSOCIATION CABINET DECHARME, avocat au barreau de TARN-ET-GARONNE
INTIMES
Monsieur [J] [E] à titre personnel et en sa qualité d'héritier de [P] [K] épouse [E]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Olivier LERIDON de la SCP SCP LERIDON LACAMP, avocat au barreau de TOULOUSE
Madame [T] [V]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier LERIDON de la SCP SCP LERIDON LACAMP, avocat au barreau de TOULOUSE
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE :
Monsieur [Y] [D] [N]
Intervenant volontairement à l'instance en qualité d'héritier de Madame [P] [K] épouse [E]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Olivier LERIDON de la SCP SCP LERIDON LACAMP, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant S.MOULAYES, Conseillèrechargée du rapport et V.SALMERON, présidente.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
S.MOULAYES, conseillère
M. NORGUET, conseillère
Greffier, lors des débats : M. POZZOBON
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par S.MOULAYES, Conseillère substituant V.SALMERON présidente empêchée, et par A. CAVAN, greffier de chambre.
Faits et procédure
Madame [T] [V], Monsieur [J] [E] et Madame [P] [E] sont respectivement nus-propriétaires et usufruitière d'un immeuble situé à [Adresse 7] et à l'angle de la [Adresse 8], comprenant un bâtiment principal de trois étages à usage d'hôtel et un bâtiment annexe situé à une centaine de mètres de l'immeuble principal.
En vertu d'un contrat signé le 6 juillet 1954, les lieux ont été donnés à bail commercial à la Sa Hôtel du Midi. Le bail commercial a été à plusieurs reprises renouvelé.
Par acte sous seing privé en date du 30 septembre 2019, la Sa Hôtel du Midi a vendu son fonds de commerce d'hôtel-restaurant sous l'enseigne Hôtel du Midi à la société Grand Hôtel.
En 2019, le bailleur et le locataire ont décidé d'entreprendre d'importants travaux de restructuration de l'hôtel.
Le 26 novembre 2019, un diagnostic technique a été réalisé et a relevé la nécessité d'une reprise du gros-oeuvre, de la charpente et de la toiture du bâtiment principal.
Le 15 janvier 2020, les parties se sont entendues sur une convention de procédure participative en vue de l'exécution des travaux permettant l'ouverture de l'établissement ; la convention a été signée le 12 février 2020.
Le 8 mars 2021, la commission municipale de sécurité a émis un avis défavorable à l'ouverture de l'établissement, en raison d'un risque d'effondrement de la verrière surplombant la salle de restaurant. L'établissement est ainsi demeuré fermé.
Par une ordonnance du 1er avril 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Montauban a ordonné une expertise judiciaire, autorisé la suspension du paiement des loyers à compter du mois de mars 2021 et pendant 6 mois, et rejeté la demande de provision formée par les bailleurs.
La Cour d'Appel de Toulouse, par arrêt du 2 mars 2022, a confirmé l'ordonnance déférée, a prolongé l'autorisation de suspension du paiement des loyers jusqu'à la décision d'autorisation administrative de réouverture de l'établissement, et a condamné le preneur au paiement d'une provision à valoir sur le montant des arriérés de loyer.
Par acte d'huissier de justice du 11 mars 2022 et selon la procédure à jour fixe en vertu d'une ordonnance du 10 mars 2022, la société Grand Hôtel a fait assigner [P] [E], [J] [E] et [T] [V] devant le tribunal judiciaire de Montauban aux fins de suppression de la totalité des loyers, de diminution du loyer après ouverture, et d'indemnisation de ses préjudices.
Les bailleurs ont été, à leur tour, autorisés par ordonnance du Président du Tribunal judiciaire de Montauban en date du 17 mars 2022 à assigner à jour fixe en intervention forcée les entrepreneurs ayant procédé à la rénovation de l'hôtel, afin d'être intégralement relevés et garantis des condamnations susceptibles d'être prononcées à leur encontre et du coût des travaux de remise en état.
Cette procédure n'a pas été jointe à l'instance principale, objet du présent arrêt.
Par jugement du 7 juin 2022, le tribunal judiciaire de Montauban, après avoir motivé un refus de jonction entre les deux procédures dans les motifs de son jugement, a :
- réservé la demande tendant à la suppression du loyer jusqu'au mois de mars 2021,
- ordonné la suppression de l'obligation de la société Le Grand Hôtel de payer le loyer à compter du 8 mars 2021 jusqu'à la décision administrative autorisant la réouverture au public,
- rejeté la demande de diminution du loyer après réouverture,
- condamné les consorts [P] [E], [J] [E] et [T] [V] à payer à la société Le Grand Hôtel la somme de 72.409,66 euros au titre des travaux de sécurité,
- rejeté la demande d'indemnisation d'un préjudice autonome par perte d'image,
- réservé les demandes relatives à l'indemnisation des conséquences financières de la fermeture depuis le 8 mars 2021,
- renvoyé la société Le Grand Hôtel à agir comme elle avisera devant le juge de la mise en état au titre des postes réservés,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700,1° du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conserve la charge de ses propres frais et dépens et accorde le droit de recouvrement direct à l'association Cabinet Decharme qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration en date du 5 juillet 2022, la Sarl Le Grand Hôtel a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :
- rejeté la demande de diminution du loyer après réouverture
- omis de statuer sur la demande de désignation d'un expert avant dire droit sur la mise en conformité du bâtiment de la [Adresse 8] en vue de sa réouverture au public
- condamné les consorts [P] [E], [J] [E] et [T] [V] à payer à la société Le Grand Hotel la somme de 72 409, 66 euros au titre des travaux de sécurité,
- rejeté la demande d'indemnisation d'un préjudice autonome par perte d'image,
- omis de statuer sur la demande d'indemnisation formulée au titre de la perte de chance de réaliser un résultat bénéficiaire sur le projet Hotel de la Poste à hauteur de 572 736 euros,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700-1° du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conserverait à sa charge ses propres frais et dépens d'instance.
Le 31 août 2022, le conseiller de la mise en état a adressé aux parties une proposition de médiation.
Par courrier en date du 5 septembre 2022, les consorts [E] [V] ont informé la Cour qu'ils acceptaient le principe d'une médiation.
La Sarl Le Grand Hôtel n'a pas répondu concernant la possibilité d'une médiation.
Dans le cadre du litige continuant à opposer les parties en première instance, le juge de la mise en état a ordonné deux expertises complémentaires le 25 octobre 2022 :
- une confiée à Monsieur [I], avec pour mission « d'éclairer le Tribunal sur les raisons du retard apporté aux travaux des bailleurs et des locataires dans la période du mois de juin 2020 à mars 2021 en indiquant si ces retards proviennent de faits imprévus ou de la faute d'une quelconque des parties » ;
- la seconde, confiée à Monsieur [Z] [F], avec pour mission de « déterminer quel a pu et peut être le préjudice économique de la société Le Grand Hôtel résultant de la fermeture administrative de son établissement [Adresse 9] à [Localité 5] depuis le 8 mars 2021 jusqu'à sa réouverture ».
Madame [P] [E] est décédée le 25 avril 2023.
La clôture est intervenue le 15 avril 2024 ; à l'audience du 14 mai 2024, l'ordonnance de clôture a été révoquée par mention au dossier avec l'accord des parties, afin de recevoir les conclusions de régularisation des parties suite au décès de Madame [E].
Prétentions et moyens
Vu les conclusions récapitulatives notifiées le 3 mai 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Le Grand Hôtel demandant de :
- révoquer l'ordonnance de clôture intervenue le 15 avril 2024 ;
- débouter les consorts [E], [V] et [N] de l'intégralité de leurs prétentions ;
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Montauban en date du 7 juin 2022 en ce qu'il a :
- rejeté la demande de diminution du loyer mensuel dû par la société Le Grand Hôtel aux consorts [E] et [V] à hauteur de 20 %, soit d'un montant de 2.290,94 euros ttc, à compter de la décision favorable de la commission de sécurité pour l'ouverture au public de l'établissement principal jusqu'à la date de levée de l'interdiction de recevoir du public de l'annexe située [Adresse 8] ;
- omis de statuer sur la demande de désignation d'un expert, présentée à titre subsidiaire avant-dire droit sur la mise en conformité du bâtiment de la [Adresse 8] en vue de sa réouverture au public;
- condamné les consorts [P] [E], [J] [E] et [T] [V] à payer à la société Le Grand Hôtel la somme de 72.409,66 euros au titre des travaux de sécurité au lieu de celle de 144 819,32 euros demandée ;
- rejeté la demande d'indemnisation d'un préjudice autonome par perte d'image à hauteur de 200.000 euros ;
- omis de statuer sur la demande d'indemnisation formulée au titre de la perte de chance de réaliser un résultat bénéficiaire sur le projet Hôtel De La Poste à hauteur de 572.736 euros;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 1° du code de procédure civile ;
- dit que chaque partie conserverait à sa charge ses propres frais et dépens d'instance ;
Statuant à nouveau de ces chefs et remédiant aux omissions de statuer du premier jugement,
- condamner in solidum Monsieur [J] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [Y] [N] à payer à la société Le Grand Hôtel les sommes principales suivantes :
- 144.819,32 euros en remboursement des impenses exposées dans l'intérêt du bailleur ;
- 200.000 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte d'image;
- 572.736 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance de réaliser un résultat bénéficiaire sur le projet Hôtel de la Poste ;
- 34 001,94 euros au titre des frais irrépétibles dont 4.401,94 euros pour les frais de constat, 9.600 euros pour les honoraires de l'expert et 20.000 pour ceux de ses conseils ;
- les dépens de l'instance qui seront recouvrés par son conseil selon les modalités de l'article 699 du cpc ;
- les intérêts au taux légal de ces sommes à compter de l'assignation du 11 mars 2022, avec capitalisation des intérêts échus annuellement ;
- à titre subsidiaire sur la mise en conformité du bâtiment de la [Adresse 8],
- désigner tel expert en bâtiment qu'il plaira à l'effet de d'indiquer au tribunal les travaux propres à lever l'interdiction de recevoir du public de l'établissement sis [Adresse 8] et plus généralement ceux nécessaires à utiliser ce local dans des conditions conformes à sa destination ;
- dans l'attente du dépôt de son rapport, sursoir sur la demande en condamnation des bailleurs à faire réaliser ces travaux sous astreinte ;
- ajoutant au jugement,
- condamner in solidum Monsieur [J] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [Y] [N] à payer à la société Le Grand Hôtel la somme de de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700, alinéa 1er du code de procédure civile au titre des sommes exposées en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens d'appel qui seront recouvrés par son conseil selon les modalités de l'article 699 du même code.
Elle reproche aux bailleurs un manquement à leur obligation de délivrance s'agissant du bâtiment annexe, rendant impossible l'exploitation de 14 chambres ; elle conteste avoir renoncé à l'exploitation de cette partie du bâtiment, comprise dans le bail, et estime qu'il appartient aux bailleurs de faire en sorte de lui donner la jouissance de l'intégralité du bien visé au bail, et ce bien que l'état dégradé du bien ait préexisté au contrat.
Elle sollicite ainsi une réduction du loyer proportionnelle à l'impossibilité d'exploiter ces chambres ; à titre subsidiaire, elle sollicite une expertise judiciaire afin de déterminer les travaux nécessaires.
Elle estime par ailleurs qu'il appartenait aux bailleurs de financer les travaux de sécurité incendie, de lutte contre la légionellose, et d'accessibilité ; ces travaux étaient nécessaires et urgents, et le preneur a été contraint de faire l'avance des frais en l'état de la passivité des bailleurs ; elle demande le remboursement intégral de ces travaux.
Elle réclame ensuite l'indemnisation de son préjudice résultant de la perte d'image, et de l'atteinte à la réputation résultant de l'impossibilité de mener ce chantier à terme ; elle expose qu'une fermeture aussi longue ne peut que nuire à son image dans un secteur aussi concurrentiel.
Elle invoque également une perte de chance relative à l'impossibilité de mener à bien un autre projet d'hôtel, du fait de l'épuisement de ses ressources financières.
Vu les conclusions d'intimés avec appel incident notifiées le 3 mai 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Monsieur [J] [E] à titre personnel et en sa qualité d'héritier de Madame [P] [K] épouse [E], Madame [T] [V], et Monsieur [Y] [N] intervenant volontairement en sa qualité d'héritier de Madame [P] [K] épouse [E] demandant de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné le bailleur à payer la somme de 72.409,66 euros au titre des travaux de sécurité incendie ;
- fixer le montant total de ces travaux à la somme de 63.984,03 euros;
- limiter l'obligation du bailleur à la moitié de cette dépense, soit 31.992 euros ;
- débouter la Sarl Le Grand Hotel de toutes ses demandes à l'encontre de Madame [P] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [J] [E] ;
- condamner la Sarl Le Grand Hotel à payer à Madame [P] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [J] [E] une indemnité de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de l'instance.
Ils estiment que la demande en diminution du loyer commercial formée par le preneur, non seulement n'est pas dirigée devant la juridiction compétente, mais se heurte par ailleurs à l'autorité de la chose jugée, dans la mesure où le loyer commercial a été judiciairement fixé en tenant compte de l'état de l'annexe.
Par ailleurs, l'acte de cession du fonds de commerce précise explicitement que l'annexe est utilisée comme local de stockage et ne peut pas être exploitée en tant qu'hôtel du fait de non-conformités ; ils contestent ainsi tout manquement à leur obligation de délivrance, et concluent au débouté de la demande subsidiaire d'expertise.
S'agissant des frais avancés par le preneur pour les travaux de sécurité et d'accessibilité, ils ne contestent pas le premier jugement mettant la moitié à leur charge, à défaut d'accord préalable mettant ces travaux à la charge de l'une ou l'autre des parties ; en revanche, ils soutiennent qu'une partie des demandes indemnitaires de ce chef n'est pas justifiée et concluent à la diminution du coût de ces travaux.
Les bailleurs concluent par ailleurs au débouté des demandes indemnitaires du preneur, rappelant qu'une entreprise sans activité ne peut pas subir de préjudice d'image, et qu'il n'est pas justifié d'un quelconque lien entre le présent dossier et l'impossibilité alléguée de mener à bien un projet distinct
MOTIFS
Sur l'étendue de la saisine de la Cour
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
En l'espèce, la Sarl Le Grand Hôtel a relevé appel du chef du premier jugement ayant rejeté la demande de diminution du loyer après réouverture.
Pourtant, en dépit de ses développements en ce sens dans le corps de ses conclusions, elle ne formule aucune demande dans son dispositif relative à la demande en diminution du loyer du fait de l'impossibilité d'exploiter l'annexe à usage d'hôtel.
Elle ne reprend que sa demande subsidiaire relative à la réalisation d'une expertise destinée à évaluer la nature et l'étendue des travaux nécessaires à la réouverture de l'annexe.
Dès lors, la Cour n'est pas saisie d'une demande en diminution du loyer, et les dispositions du premier jugement de ce chef seront tenues pour acquises.
Sur la demande d'expertise relative à l'exploitation du bâtiment annexe
La Sarl Le Grand Hôtel reproche au bailleur de ne pas avoir satisfait à son obligation de délivrance, en ne faisant pas réaliser les travaux nécessaires à la mise en conformité du bâtiment annexe, afin de permettre son exploitation à usage d'hôtel.
Selon les dispositions de l'article 1719 du code civil, applicables aux baux commerciaux, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, et de lui assurer une jouissance paisible pendant la durée du bail.
Cette obligation légale lui impose de délivrer un local conforme à la destination contractuelle.
La Sarl Le Grand Hôtel fait valoir que dans le bail initial signé le 6 juillet 1954 entre Monsieur [A], bailleur, et Madame veuve [H], preneur, aux droits de laquelle est ultérieurement intervenue la Sa Hôtel du Midi, l'annexe objet du litige était désignée comme « aménagé en hôtel meublé et chambres individuelles indépendantes munies de tout le confort, le tout d'une surface cadastrale paraissant être de 142 mètres carrés ».
Toutefois, dans l'acte de vente de fonds de commerce du 30 septembre 2019 entre la société Hôtel du Midi et la Sarl Le Grand Hôtel, ces termes de description de l'annexe sont repris, mais uniquement à titre de rappel des dispositions du bail initial.
Il est expressément mentionné en pages 7 et 8 que le cessionnaire se reconnaît informé du fait que : « l'annexe de l'hôtel, sise [Adresse 8], est à ce jour utilisée en tant que local de stockage ; celle-ci ne pouvant être exploitée en tant qu'hôtel pour des raisons de non-conformité ».
La Sarl Le Grand Hôtel a en outre reçu dans ces mêmes pages l'information selon laquelle, par arrêt du 1er février 2017, la Cour d'Appel a refusé de prendre en considération le fait que l'annexe de l'hôtel située [Adresse 8], ne pouvait plus être exploitée en tant qu'hôtel en raison de sa non-conformité, pour minorer le loyer.
Il est par ailleurs indiqué que la copie de l'arrêté municipal de fermeture est jointe à l'acte de cession en annexe 16.
La société appelante verse d'ailleurs aux débats l'arrêt de la Cour d'Appel de Toulouse du 1er février 2017, visé et annexé à l'acte de cession du fonds de commerce, qui affirme que l'essentiel des travaux préconisés par la commission de sécurité n'est que d'un coût assez faible, mais que la véritable difficulté réside dans l'exigence d'un personnel permanent sur le site et donc du coût salarial qui en résulte ; la Cour en a déduit que le preneur (la Sa Hôtel du Midi à cette date) était mal fondé à soutenir que la perte d'usage du bâtiment annexe était imputable à la bailleresse.
En conséquence de ces éléments, la Sarl Le Grand Hôtel n'est pas fondée à invoquer l'obligation de délivrance du bailleur s'agissant de l'annexe ; le cessionnaire a reçu une information complète sur l'impossibilité d'exploiter cette annexe en tant qu'hôtel, et sur les motifs et conséquences d'une telle impossibilité.
Il n'a alors manifesté aucune volonté d'exploiter l'annexe selon une autre destination que celle de stockage visée à l'acte, et a accepté de recevoir les locaux en l'état.
La Sarl Le Grand Hôtel ne peut en effet pas exiger du bailleur qu'il délivre un local conforme à sa description dans un contrat de bail auquel elle n'était pas partie ; la Cour constate à la lecture de l'acte de cession que la société appelante a accepté de prendre les lieux en l'état en signant l'acte de cession avec le précédent preneur, cet acte décrivant désormais l'annexe comme impossible à exploiter autrement qu'en local de stockage.
Le bailleur n'a pris aucun engagement envers le preneur, de nature à remettre en cause les conditions dans lesquelles la Sarl Le Grand Hôtel a accepté de prendre les locaux en location.
Dans ces conditions, la Cour ne fera pas droit à la demande d'expertise destinée à évaluer la nature et l'étendue nécessaire à permettre l'exploitation de l'annexe en tant qu'hôtel ; le premier jugement ayant omis ce chef de décision, il conviendra de débouter la Sarl Le Grand Hôtel de sa demande de ce chef.
Sur la répartition des frais de travaux de sécurité et d'accessibilité
La Sarl Le Grand Hôtel affirme avoir financé des travaux nécessaires à la sécurité incendie, à l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, et à la lutte contre la légionellose ; elle soutient qu'il appartient au bailleur d'assumer le coût de ces travaux, et en sollicite le remboursement.
Il ressort des dispositions de l'article 1719 2° du code civil que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée
Il est de jurisprudence constante, en application de ce texte, que les travaux prescrits par l'autorité administrative sont, sauf stipulation contraire expresse, à la charge du bailleur.
Les clauses du bail pré-citées ne mettent pas à la charge du preneur les travaux d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite ; ainsi à défaut de clause contraire expresse, ces travaux nécessaires à l'exploitation des locaux conformément à leur destination, sont à la charge du bailleur.
S'agissant des travaux de sécurité incendie et de lutte contre la légionellose, aux termes de l'article 1720 code civil, le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.
Ces dispositions, qui mettent à la charge du bailleur toutes les réparations autres que locatives de la chose louée qui peuvent devenir nécessaires, ne sont pas d'ordre public et il peut y être dérogé par des conventions particulières.
Toutefois en l'espèce, aucune clause du bail ne vient mettre ces travaux à la charge du preneur ; il appartient donc au bailleur de prendre à sa charge les travaux de sécurité incendie et de lutte contre la légionellose.
Les bailleurs opposent à ce principe, les dispositions combinées des articles L122-3, L141-2 et L143-2 du code de la construction et de l'habitation, pour affirmer que ces charges doivent être partagées entre les propriétaires et les exploitants des établissements recevant du public.
La Cour s'en tiendra toutefois à une analyse plus stricte de ces dispositions, les intimés procédant à une interprétation particulièrement extensive de ces textes.
Il ressort en effet des dispositions de l'article L143-2 du code de la construction et de l'habitation que des mesures complémentaires de sauvegarde et de sécurité et des moyens d'évacuation et de défense contre l'incendie peuvent être imposés par décret aux propriétaires, aux constructeurs et aux exploitants de bâtiments et établissements ouverts au public. Ces mesures complémentaires doivent prendre en compte l'accessibilité.
Le fait de pouvoir imposer la réalisation de ces travaux aux propriétaires et aux exploitants ne signifie pas qu'ils doivent en partager la charge, et ne déroge pas aux textes pré-cités applicables en matière de bail commercial.
Par ailleurs, les deux autres textes cités par les intimés n'évoquent pas le preneur ou l'exploitant.
Il est de jurisprudence constante qu'à défaut de clause expresse contraire, le bailleur est tenu d'assurer la charge des travaux de sécurité ou de mise en conformité prescrits par l'administration, ainsi que les travaux de réfection de l'installation électrique.
Les bailleurs doivent donc remboursement au preneur des travaux réalisés de ce chef.
La Sarl Le Grand Hôtel verse aux débats un tableau récapitulatif des dépenses engagées au titre des lots :
- lot 1 : déplombage : 9 900 €
- lot 6 : plomberie, sanitaire, climatisation, ventilation : 48 690,78 €
- lot 7 : électricité, courants forts : 19 408,51 €
- lot 8 : électricité, courants faibles, SSI : 63 984,03 €.
Il n'est pas démontré par le preneur un lien entre le lot n°1 (déplombage sans autre précision), et la nécessité de procéder à des travaux relevant de l'obligation de délivrance du bailleur, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de ce chef.
En revanche, il ressort du rapport Apave réalisé le 10 décembre 2019 quant à l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, que des non-conformités sérieuses ont pu être relevées, notamment quant à des accès non-règlementaires à l'établissement, relatif à l'éclairage des couloirs, au dispositif d'accès par un signal, aux différents escaliers.
Des inaccessibilités totales ont par ailleurs été relevées, notamment par l'inexistence de chambres adaptées aux personnes handicapées, et l'absence de sanitaires communs accessibles.
Par ailleurs, un autre rapport réalisé par l'Apave le 8 mars 2021 vise de nombreuses non-conformités s'agissant du système de sécurité incendie (SSI).
Les travaux réalisés dans le cadre du lot n°6 ont permis de rénover les canalisations et d'adapter les sanitaires aux personnes à mobilité réduite, de prévenir la légionellose, et de rendre l'arrivée d'air en cuisine conforme aux normes du code du travail.
Dans le lot n°7, ont été réalisés des travaux relatifs à l'éclairage de sécurité.
Enfin, les travaux réalisés dans le lot n°8 ont permis la mise aux normes du système de sécurité incendie.
Ces travaux étaient nécessaires, et il est justifié de leur réalisation effective par une attestation du 11 mai 2022, du maître d''uvre chargé de l'ensemble des travaux de rénovation, qui a lui-même dressé le tableau récapitulatif des travaux dont il est sollicité le remboursement.
Le preneur verse par ailleurs aux débats la facture de la société chargée du lot n°8.
Ces éléments suffisent à rapporter la preuve de la réalité des travaux et de leur facturation ; en l'état des développements qui précèdent, ces travaux doivent être mis intégralement à la charge du bailleur.
Le premier jugement, qui a opéré un partage égal de cette charge entre le preneur et les bailleurs, sera en conséquence infirmé, et Monsieur [J] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [Y] [N] seront condamnés in solidum à payer au preneur la somme de 134 919,32 euros de ce chef (144 819,32 ' 9 900 pour le lot n°1).
Sur les demandes indemnitaires du preneur
La société appelante demande à la Cour de l'indemniser de son préjudice d'image résultant de l'impossibilité d'exploiter l'établissement, et de sa perte de chance de réaliser les résultats escomptés.
Elle ne propose toutefois aucun fondement juridique à ses demandes.
L'article 12 du code de procédure civile fait obligation au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, et de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Cette obligation de qualification du litige ne peut s'exercer que dans la limite des dispositions de l'article 16 du même code, selon lesquelles le juge doit, en toute circonstance, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, explications et documents invoqués ou produits par les parties, que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
La Cour constate que les bailleurs se sont défendus en arguant de l'absence de préjudice.
Dans la mesure où les parties sont contractuellement liées, il convient d'appliquer les dispositions de l'article 1231-1 du code civil, selon lequel le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
L'application de ce texte en l'espèce nécessite que la société appelante démontre l'existence de son préjudice, et d'un lien de causalité avec une faute commise par les bailleurs.
Sur le préjudice d'image
La Sarl Le Grand Hôtel se prévaut d'un préjudice d'image lié à la fermeture de l'établissement exploité depuis plusieurs années ; elle affirme que son affiliation au réseau « Mercure » est mise à mal par cette longue fermeture, tout comme ses partenariats avec des sociétés en vue d'organiser des séminaires, et que sa situation financière critique obère durablement le crédit qu'elle avait auprès de ses partenaires, rappelant notamment que son indicateur de performance Infogreffe est fixé à 9/100 ce qui signifie un risque de défaillance « très élevé ».
Ainsi, la société appelante se prévaut d'un préjudice résultant du retard pris dans l'exécution des travaux de rénovation de l'établissement, sans pour autant démontrer, ni même évoquer, la responsabilité des bailleurs dans ce retard.
Or, la mise en 'uvre d'une indemnisation nécessite la démonstration préalable d'une faute ou d'une inexécution de la part des bailleurs.
En l'espèce, la Cour ne peut que constater que la question de la responsabilité des bailleurs dans le retard pris dans l'exécution des travaux de rénovation n'est pas discutée entre les parties, dans la mesure où elle n'a pas été mise dans le débat par le preneur, et que les bailleurs ne se sont pas défendus de ce chef.
Les seules questions juridiques soumises à la Cour par le preneur sont celles de l'obligation de délivrance relative à l'annexe, et de la charge des travaux relatifs à la sécurité et à l'accessibilité.
En se limitant à caractériser son préjudice, sans donner d'explication sur la faute qui en serait à l'origine, la Sarl Le Grand Hôtel ne rapporte pas la preuve de la responsabilité des bailleurs.
Elle ne peut donc qu'être déboutée de sa demande ; le premier jugement, qui a rejeté l'indemnisation de ce préjudice sur d'autres moyens, sera confirmé.
Sur la perte de chance
La Sarl Le Grand Hôtel évoque ensuite un préjudice de perte de chance ; elle explique avoir été créée en vue de mener un projet d'ouverture d'un établissement hôtelier sur la ville de [Localité 5] ; lorsque l'opportunité s'est présentée d'acquérir le fonds objet du présent litige, elle a souhaité développer l'exploitation de ces deux établissements en même temps.
Toutefois, le premier projet a été interrompu par la réalisation des travaux de rénovation de l'hôtel exploité sous l'enseigne Mercure, et n'a pas pu reprendre du fait de l'épuisement des capacités d'endettement de la société appelante.
Elle estime ainsi subir une perte de chance d'exploiter ces deux établissements, et de faire les résultats escomptés.
Une nouvelle fois, ce préjudice exposé par la Sarl Le Grand Hôtel résulte selon ses explications, du retard pris dans la réalisation des travaux, n'ayant pas permis la réouverture de l'établissement objet du litige, et ayant épuisé ses capacités financières.
La responsabilité des bailleurs dans ce retard n'étant ni discutée ni démontrée, la société appelante ne pourra qu'être déboutée de sa demande de ce chef ; le premier jugement ayant omis ce chef de décision dans son dispositif, il conviendra de l'ajouter.
Sur les demandes accessoires
Il convient de confirmer les dispositions du premier jugement qui ont dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et laissé à chaque partie la charge de ses propres frais et dépens.
Par ailleurs, chaque partie conservera la charge de ses propres frais et dépens engagés en cause d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Constate que la Cour n'est pas saisie d'une demande en diminution du loyer du fait de l'impossibilité d'exploiter l'annexe à usage d'hôtel ;
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné les consorts [P] [E], [J] [E] et [T] [V] à payer à la société Le Grand Hôtel la somme de 72.409,66 euros au titre des travaux de sécurité ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la Sarl Le Grand Hôtel de sa demande de désignation d'un expert afin de déterminer les travaux propres à lever l'interdiction de recevoir du public dans le bâtiment annexe, et à l'exploiter à usage d'hôtel ;
Condamne in solidum Monsieur [J] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [Y] [N] à payer à la Sarl Le Grand Hôtel la somme de 134 919,32 euros en remboursement des travaux réalisés au titre de la sécurité incendie, de la lutte contre la légionellose, et de l'accessibilité ;
Déboute la Sarl Le Grand Hôtel de sa demande d'indemnisation d'un préjudice de perte de chance ;
Déboute la Sarl Le Grand Hôtel, Monsieur [J] [E], Madame [T] [V] et Monsieur [Y] [N], de leurs demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres frais et dépens, engagés en cause d'appel ;
Le Greffier La Conseillère subsituant
la présidente empêchée,.