Au mois d'août 1993, Monsieur X..., maraîcher qui cultive la parcelle cadastrée section ZD numéro 34, limitrophe des terres de Madame Y... a vu ses production légumières détruites par des lapins de garenne qui, selon lui, provenaient de la parcelle de Madame Y....
Ce n'est que, par acte d'huissier en date du 7 décembre 1994 que Monsieur X... a saisi le Tribunal d'Instance de CHARTRES en demandant la désignation d'un expert pour pouvoir ensuite être indemnisé de ses dommages.
Par ordonnance du 27 décembre 1994, le Président du Tribunal d'Instance de CHARTRES a désigné Monsieur Z... en qualité d'expert en application de la loi du 24 juillet 1937 ayant trait à l'indemnisation des dégâts de gibiers.
L'expert a diligenté contradictoirement sa mission et a déposé son rapport en janvier 1995.
Suite au dépôt dudit rapport, Monsieur X... a demandé au Tribunal d'Instance de CHARTRES de condamner Madame Y... à lui payer la somme de 53.400 francs en réparation de son dommage et celle de 5.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 14 novembre 1995, le Tribunal d'Instance de CHARTRES a déclaré Madame Y... responsable pour les trois quart du préjudice subi par Monsieur X... du fait de dégâts de gibiers et l'a condamnée à payer à Monsieur X... la somme de 53.600 francs avec intérêts au taux légal
à compter du jugement et les entiers dépens.
[* Madame Marcelle Y..., appelante, soutient à l'appui de ses prétentions : - que l'expert judiciaire a insinué dans son rapport que "les lapins de la décharge peuvent avoir contribué aux dégâts sur les salades en traversant la parcelle de Madame Y...", - que ni Monsieur A..., expert amiable, ni Monsieur Z..., expert judiciaire, n'ont constaté de terriers sur son terrain, - qu'il appartient à Monsieur X... d'apporter la preuve de la présence de terriers, ce qui n'est nullement le cas, - que Monsieur X... a commis plusieurs fautes, d'abord en ne l'ayant pas mise en demeure, ensuite en n'ayant pas assez rapidement alerté la mairie et en n'ayant pas fureter à la bourse en application de l'article R.227-11 du Code rural.
Elle demande donc à la Cour de : - infirmer la décision entreprise, Statuant à nouveau, constater que Monsieur X... n'établit pas que le gibier provenait du fonds de la concluante au sens de l'article R.226-24 du Code Rural, et qu'en conséquence, elle ne peut être jugée responsable des dégâts de lapins, - constater, en tout cas, que les fautes de Monsieur X... sont exonératoires de toute responsabilité de Madame Y..., - débouter Monsieur X... de toutes ses demandes, fins et conclusions, - condamner le même au paiement d'une somme de 8.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel que, pour ceux-ci, la SCP JULLIEN LECHARNY ROL sera autorisée à recouvrer directement, en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
*] Monsieur Thierry X..., intimé, soutient à l'appui de ses
prétentions : - que le dommage qu'il a subi du fait de la perte de 18000 salades est manifestement imputable aux lapins en surnombre transitant par le terrain de Madame Y..., - que Monsieur A..., expert, a annexé plusieurs photos à son constat qui permettent de s'assurer de la réalité de la présence de lapins dans la parcelle de Madame Y... et de leur responsabilité dans la commission du dommage, - que Monsieur Z..., expert judiciaire, a noté qu'un grillage, vaine tentative de Monsieur X... pour protéger sa culture, avait été soulevé en de nombreux endroits par des coulées de lapins provenant de chez Madame Y..., - que trois agriculteurs voisins, Messieurs Michel B..., Gilbert POUSSIN et André PERCEVEAUX, confirment la présence de très nombreux lapins provenant de chez Madame Y.... - qu'en s'abstenant de débroussailler son terrain, Madame Y... a laissé proliférer des lapins qui sont allés manger ses cultures, - que si Madame Y... avait chargé la Commune d'entretenir sa parcelle, il lui appartenait cependant de veiller au bon entretien de celle-ci,
Monsieur Thierry X..., demande à la Cour de : - confirmer le jugement entrepris, exceptée la disposition relative à l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile déboutant Monsieur X... de sa demande, - confirmer pour le surplus, Et, statuant à nouveau, - condamner Madame Y... à lui verser la somme de 15.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Y ajoutant : - condamner Madame Y... à lui verser la somme de 15.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, - condamner Madame Y... aux entiers dépens, tant en première instance qu'en appel, lesquels seront directement recouvrés par la SCP LAMBERT DEBRAY CHEMIN, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de
Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été signée le 15 mai 1997 et l'affaire plaidée pour les parties à l'audience du 30 mai 1997.
SUR CE, LA COUR,
I/ Considérant qu'il est constant que la loi du 24 juillet 1937 a institué devant le tribunal d'instance (article L.226-6 du Code rural) une procédure rapide -l'action en réparation devant être introduite dans un délai de six mois à compter du jour où les dégâts ont été commis- et qu'en l'espèce, il est patent que Monsieur X... aurait dû immédiatement et d'urgence saisir le juge d'instance qui aurait, comme juge des référés, vu l'urgence, désigné un ou trois experts ;
Considérant que Monsieur X... a préféré, d'abord, s'adresser, seul, à un expert (Monsieur A...) qui a mené ses opérations de manière non contradictoire en septembre 1994, et que ce n'est donc que par ordonnance du 27 décembre 1994 que le juge d'instance a désigné l'expert judiciaire Monsieur Z... ; qu'il est bien certain que ce retard dans la saisine du juge, entièrement imputable à Monsieur X..., ne pouvait qu'aboutir à un dépérissement des preuves et à des constatations de l'expert moins complètes et moins probantes ;
II/ Considérant, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L.226-4 du Code rural, exactement visé par le premier juge, Monsieur X... a bien le droit d'exercer contre celle qu'il considère comme responsable de ses dommages, une action fondée sur l'article 1382 du Code civil ; que l'application de ce texte nécessite de la part de la
victime la preuve qu'il lui incombe des fautes qu'il veut imputer à son adversaire comme étant la cause certaine et directe de ses dommages ;
Considérant que, notamment, il appartient donc à Monsieur X... de démontrer que les lapins, sur le fonds de Madame Y..., auraient été en quantité excessive ou bien encore, que l'intéressée aurait, par négligence, favorisé leur multiplication anormale ;
Considérant que les constatations de l'expert judiciaire Monsieur Z... n'ont pas été retenues, à titre principal, par le premier juge, alors qu'il a été ci-dessus motivé que Monsieur X... aurait dû faire toutes diligences utiles pour faire désigner d'urgence cet expert judiciaire ; que la Cour prendra donc en considération, en priorité, les constatations et les conclusions de l'expert judiciaire qui n'a pas constaté l'existence de terriers de lapins sur le fonds de Madame Y..., alors qu'il en a constatés sur la propriété S.N.C.F, proche, et sur une décharge qui se situe à environ 150 mètres du terrain Y... ;
Considérant que les conclusions de l'expert demeurant très dubitatives, puisque l'homme de l'art indique :
"il y a probablement eu des lapins sur les salades de Monsieur
X...
"Lors de notre visite, il n'y avait plus de lapins sur la parcelle de Madame Y.... Il nous est donc impossible de dire si les lapins
ayant commis les dégâts venaient en partie de son terrain,
"Nous ne pouvons pas donner de répartition des responsabilités,
puisqu'il n'y avait pas de lapins sur la parcelle de Madame Y...
lors de notre visite" ;
Considérant, en outre, qu'en tout état de cause, même en se référant au rapport de constat non contradictoire de Monsieur A..., que celui-ci a certes noté qu'il y avait chez Madame Y... de "très nombreuses coulées de lapins en direction des salades, des gratis frais et passages à travers le grillage de Monsieur C...", mais qu'il n'y a pas constaté la présence de terriers, ni de crottes de lapins sur le terrain de l'appelante, pouvant permettre d'admettre que ces animaux y vivaient et qu'ils y étaient en quantité excessive ; qu'enfin, les attestations produites par Monsieur X... ne permettent pas de démontrer que les dommages allégués avaient été directement causés par des lapins provenant de chez Madame Y..., en août 1993 ; que la preuve de fautes, incombant à Monsieur X... sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, n'est donc pas rapportée et que le jugement déféré est, par conséquent, infirmé ;
III/ Considérant que, compte tenu de l'équité, les deux parties sont déboutées de leurs demandes respectives en paiement de sommes, en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant que l'appel de Madame Y... est fondé et justifié et que Monsieur X... ne peut donc lui reprocher une "procédure abusive" ; qu'il est donc débouté de sa demande en paiement de 15.000 francs de dommages et intérêts de ce chef ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu l'article L.226-4 du Code rural :
Vu l'article 1382 du Code civil :
. FAIT DROIT à l'appel de Madame Y... née D... ;
. INFIRME le jugement déféré ; DEBOUTE Monsieur X... des fins de ses demandes ;
. DEBOUTE les deux parties de leurs demandes respectives en paiement de sommes, en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
. CONDAMNE Monsieur X... à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre lui par la SCP d'avoués JULLIEN LECHARNY ET ROL, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Et ont signé le présent arrêt : Le Greffier,
Le Président, Sylvie RENOULT
Alban CHAIX