La SA ALAIN MANOUKIAN a pour activité la création et la diffusion d'articles de prêt à porter sous la marque du même nom.
Arguant de la distribution par la SA ETAM dans le courant du mois de mai 1994 d'un modèle de pull identique à celui qu'elle avait créé au début de l'année 1993, la société ALAIN MANOUKIAN a fait pratiquer le 23 juin 1994 une saisie contrefaçon de ces vêtements dans le magasin de la société ETAM situé à SAINT GERMAIN EN LAYE, puis l'a assignée devant le Tribunal de Commerce de VERSAILLES aux fins de voir constater les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale prétendument commis à son détriment et obtenir la réparation de son préjudice.
Par jugement du 04 octobre 1995, cette juridiction a débouté la société Alain MANOUKIAN de toutes ses prétentions et l'a condamnée à verser à la société ETAM 50.000 francs de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi qu'une indemnité de 10.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile outre aux dépens.
Appelante de cette décision, la société ALAIN MANOUKIAN soutient que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, elle possédait des droits sur le modèle en cause dès le 26 mars 1993, date à laquelle elle a requis sa fabrication et antérieurement à son dépôt en l'étude d'un notaire le 22 septembre 1993.
Elle soutient que son modèle est original compte-tenu des divers éléments le composant et que celui diffusé par la société ETAM qui en constitue une copie servile réalisée dans une qualité moindre et vendu meilleur marché est caractéristique d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique commis en violation du protocole d'accord intervenu entre les parties les 03 et 10 mars 1993 comportant l'engagement par la société ETAM de ne plus porter atteinte dans l'avenir aux modèles de ses collections.
Elle considère la demande indemnitaire de la société ETAM résultant de l'échec de ses ventes non fondée.
Elle sollicite, en conséquence, une mesure d'expertise aux fins d'évaluer l'étendue de son préjudice, une provision de 2 millions de francs à valoir sur celui-ci, la publication de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux de son choix aux frais de la société ETAM, l'interdiction faite à cette dernière d'utiliser sous quelque forme que ce soit, des pulls en litige sous astreinte de 20.000 francs par article contrefait, la confiscation et la destruction de tous les articles contrefaits détenus par la société ETAM en quelque endroit du territoire français qu'ils se trouvent, la désignation à cette fin d'un mandataire de justice, l'octroi d'une somme de 2 millions de francs au titre du préjudice résultant de la concurrence déloyale et d'une indemnité de 30.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société ETAM oppose que le modèle en question ne présente pas suffisamment d'originalité et de nouveauté pour conférer à la société ALAIN MANOUKIAN la protection du droit d'auteur, en soulignant que le pull est banal et relève d'une tendance permanente de la mode.
Elle ajoute que si la Cour devait néanmoins le considérer comme une oeuvre originale, elle serait alors titulaire de ce droit, l'antériorité de la création lui en revenant au vu du calendrier de sa réalisation et de l'incertitude de certaines dates avancées par la société appelante.
Elle en déduit que le modèle "excursion" commercialisé par ses soins ne constitue aucun des actes qui lui sont reprochés en indiquant disposer depuis la création de ses magasins "1.2.3.", d'un bureau de style composé de 4 salariés.
Elle fait valoir qu'en toute hypothèse, sa diffusion réduite n'a nullement affecté les ventes de la société ALAIN MANOUKIAN, et
prétend avoir subi un préjudice en raison de la contrefaçon dont elle a été elle-même victime de la part de cette dernière à l'origine d'un important manque à gagner outre de son acharnement procédurier.
Elle conclut donc à la confirmation du jugement déféré des chefs du rejet de toutes les prétentions de la société ALAIN MANOUKIAN et de l'allocation de 50.000 francs de dommages et intérêts, mais forme appel incident pour réclamer la somme de 3.098.765,50 francs en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de son modèle "excursion" et de 200.000 francs de dommages et intérêts complémentaires pour procédure abusive, outre l'octroi d'une indemnité supplémentaire de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 08 janvier 1998.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant que la société ALAIN MANOUKIAN revendique la protection conférée par les articles L.111.1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit telles que les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure visées à l'article L.112.2 alinéa 14 du même code, en prétendant être le créateur du modèle en cause, selon elle nouveau ; Considérant à cet égard, que le pull-over, objet du litige, présente les caractéristiques d'une encolure en V soulignée de chaque côté par une bande de cinq torsades se prolongeant sur l'ensemble du devant, séparées par une bande centrale de 7 côtes une à une ainsi que deux autres bandes de cinq torsades de chaque côté du dos ;
Que si chacun de ces éléments est certes connu, l'originalité du modèle tient à leur combinaison dans le même article, à l'interprétation personnelle qui leur en a été donnée, notamment dans le choix de l'emplacement spécifique sur le vêtement des deux bandes
torsadées situées sur le devant comme de leur association avec le col ayant pour effet d'accentuer la forme de l'encolure en V ainsi que de leur prolongement en rappel dans le dos, dans le contraste des différents points de tricot utilisés - côtes une à une et torsades complétées au bord par du jersey et dans leur importance respective dans la composition du vêtement, qui se distingue dans son ensemble, des autres pull-overs de style comparable existant sur le marché ;
Que la réalisation de ce modèle nouveau et original est donc susceptible d'être protégée par le droit d'auteur ;
Considérant que le dépôt d'un modèle ne constituant pas une formalité nécessaire à la protection de l'oeuvre, seule la date de sa création doit être prise en compte pour l'accorder ;
Considérant que le calendrier des opérations commerciales de la société ETAM attesté par les pièces produites révèle qu'elle a adressé le 20 janvier 1993 à son agent de HONG KONG, la société ZEE KING TRADING, les croquis et les spécifications techniques, lui a annoncé le 29 juin 1993 l'envoi des prototypes et des éléments nécessaires à la fabrication du modèle en cause, a passé une première commande en juillet 1993, avant de poursuivre avec lui la mise au point du produit jusqu'à l'automne suivant, puis l'a confirmée le 17 janvier 1993, a été livrée en janvier 1994 et indique l'avoir distribué à partir de mars 1994 ;
Que pour sa part, la société ALAIN MANOUKIAN prétend avoir commandé à son fournisseur la société SOUTH ENTERPRISE à HONG KONG le 26 mars 1993, la fabrication de son modèle et reçu les premiers articles le 31 mai 1993 lui ayant permis de procéder à d'autres commandes en grande quantité le 19 août 1993, dont elle a reçu livraison les 21 janvier 1994 et 15 février 1994, avant d'opérer sa diffusion en février 1994 ; que toutefois, les deux factures en date des 26 mars 1993 et 31 mai 1993 versées aux débats par la société ALAIN MANOUKIAN
portent, la première, sur un modèle de cardigan pour femmes, torsadé sur le devant 100 % coton et non d'un pull-over, et la seconde, sur un modèle de pull-over pour femme en 100 % coton sans que ne soient précisées ses caractéristiques ;
Que de surcroît, ces deux documents ne sont assortis d'aucun croquis, ni d'aucune description du produit qui en est l'objet , en sorte qu'ils ne permettent pas d'établir qu'ils ont réellement trait au modèle de pull-over litigieux et que les seules pièces concernant de manière certaine le modèle constituées d'un bon de commande et de la "situation des commandes fournisseurs" sont en date du 19 août 1993 laquelle s'avère postérieure à la création du vêtement par la société ETAM en janvier 1993 et à sa commande en juillet 1993 ;
Qu'il suit de là que la société ETAM détient l'antériorité des droits sur le modèle en question et qu'aucun acte de contrefaçon, de concurrence déloyale ou de parasitisme économique à son sujet ne peut lui être imputé ;
Que la société ALAIN MANOUKIAN doit donc être déboutée de toutes ses prétentions ;
Considérant en revanche, que les deux modèles présentés à la Cour comportent des similitudes entières ;
Qu'en effet, la forme, l'ampleur et les points de tricot sont strictement identiques, les bandes de torsades sont aussi reprises et placées aux mêmes endroits, le bord en jersey est similaire, la bande du milieu comprend dans les deux cas 7 côtes tandis que la finition de l'encolure et le montage des manches sont aussi totalement conformes ;
Que la seule différence résidant dans l'emploi de matières différentes n'est pas de nature à modifier l'apparence, ni le style de l'ensemble du modèle dont la réalisation, hormis cet élément, est en tous points semblable dans les deux versions en sorte que la
seconde exécutée constitue la copie servile de la première ;
Que la société ETAM est donc en droit d'obtenir réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de son modèle ;
Considérant que si la commercialisation par la société ALAIN MANOUKIAN d'un pull-over identique à celui qu'elle a créé a nécessairement eu une incidence sur les ventes réalisées par la société ETAM puisqu'une partie de sa clientèle potentielle et sensiblement semblable à celle de l'appelante a pu trouver et acquérir le modèle contrefaisant chez son concurrent ;
Que néanmoins, la société ETAM n'a fourni aucun justificatif sur le nombre effectif de ventes du pull-over "excursion" opérées dans ses magasins et ne peut donc se contenter d'affirmer qu'il aurait été faible et en imputer la cause exclusive à la diffusion antérieure du modèle similaire par la société ALAIN MANOUKIAN, alors même que la commercialisation de chacun des produits a été, selon leurs propres dires, pratiquement concomitante et que celui de la société appelante l'a été à un prix supérieur de 54 francs au sien ;
Que par ailleurs, ce préjudice qui s'analyse, en réalité, en une perte de chance de bénéfices, ne peut correspondre à un manque à gagner évalué en fonction d'une marge bénéficiaire au demeurant non justifiée par des documents comptables certifiés et du nombre de modèles vendus par la société ALAIN MANOUKIAN ;
Qu'en définitive et au vu de l'ensemble des éléments d'appréciation dont la Cour dispose suffisamment pour se prononcer, le préjudice de la société ETAM doit être fixé à la somme de 350.000 francs ;
Considérant que la société ETAM ne démontrant pas que le droit d'ester en justice de la société ALAIN MANOUKIAN ait dégénéré en abus, sa demande en dommages et intérêts sera rejetée ;
Que l'équité commande en revanche, de lui allouer une indemnité supplémentaire de 20.000 francs en vertu de l'article 700 du Nouveau
Code de Procédure Civile ;
Que la société ALAIN MANOUKIAN qui succombe en son appel et supportera les dépens, n'est pas fondée en sa prétention au même titre. PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
- Infirme le jugement déféré hormis en ses dispositions concernant l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que les dépens ;
Et statuant à nouveau,
- Dit que le pull-over vendu sous la référence 42804 par la SA ALAIN MANOUKIAN est la contrefaçon du modèle "excursion" de la SA ETAM ;
- Déboute en conséquence, la SA ALAIN MANOUKIAN de toutes ses prétentions ;
- La condamne à verser à la SA ETAM la somme de 350.000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;
- Rejette la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive de la société ETAM ;
- Condamne la SA ALAIN MANOUKIAN à payer à la SA ETAM une indemnité supplémentaire de 20.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
- Rejette sa prétention sur le même fondement ;
- La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP LISSARRAGUE-DUPUIS etamp; Associés, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. ARRET REDIGE PAR MADAME LAPORTE, CONSEILLER PRONONCE PAR MONSIEUR ASSIÉ, PRESIDENT ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET LE GREFFIER DIVISIONNAIRE
LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL
F. X...