FAITS ET PROCEDURE
Dans son numéro 2579 du 5 juin 1995, le magazine "ELLE", édité par la société EDI 7, a publié un article sous le titre : "VINCENT, RAINIER, ALBERT ET LES AUTRES", à l'occasion du cinquante-troisième Grand Prix de MONACO, faisant état de la présence, dans la tribune officielle, aux côtés de la famille princière, de Monsieur Vincent X..., décrivant l'acteur se promenant avec Andréa et Pierre, les fils de Madame Caroline Y..., tandis que Charlotte, la fille de la Princesse, assistait à la compétition, un casque sur les oreilles.
Cet article était illustré par quatre photos, dont trois ayant pour sujet la Princesse Caroline de MONACO, ses enfants et Monsieur Vincent X....
Madame Caroline Y..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs, a fait assigner le 7 août 1995 la société EDI 7 pour atteinte à l'image, et a demandé, outre la publication de la décision, la somme de 80.000 francs pour elle-même et celle de 40.000 francs pour chacun de ses trois enfants.
Par le jugement déféré rendu le 6 mars 1996, le tribunal de grande instance de NANTERRE a dit que l'article incriminé portait atteinte à la vie privée et à l'image de Madame Caroline Y... et de ses enfants, a ordonné la publication de la décision dans deux numéros de la revue "ELLE" et a alloué à Madame Caroline Y... la somme de 50.000 francs pour elle-même et celle de 10.000 francs pour chacun de ses enfants, une indemnité de 10.000 francs étant accordée au titre des frais irrépétibles.
Appelante de cette décision, la société EDI 7 prie la Cour d'infirmer le jugement, de débouter la Princesse de MONACO de toutes ses demandes et de lui allouer la somme de 25.000 francs au titre de ses frais irrépétibles.
Elle développe l'argumentation suivante :
- l'article, à l'occasion de la très importante manifestation que constitue le Grand Prix de MONACO pour la Principauté, se borne à relater de manière très factuelle que "Vincent X... est apparu pour la première fois à la tribune officielle aux côtés de la famille princière. Avant le départ de la course, l'acteur se promenait avec Andréa et Pierre, les fils de Caroline. Charlotte, la fille de la Princesse, assistait à la compétition, un casque anti-bruit sur les oreilles",
- de tels propos ne sauraient constituer une violation de l'article 9 du code civil sauf à vider de toute signification le principe de liberté d'expression,
- le tribunal a retenu, à tort, que la manifestation ne fournissait qu'un "support d'actualité artificiel" à l'article qui ne répondait pas à un besoin d'information des lecteurs et que la mise en évidence de Vincent X... tendait à "accréditer l'idée qu'il entretient une relation sentimentale" avec la Princesse,
- l'aspect médiatique et mondain de ce genre de manifestation publique ne peut être occulté et participait du droit d'information du lecteur,
- l'auteur se borne à relater ce qu'il a vu sans le moindre commentaire personnel,
- les propos incriminés ne font nulle référence à l'intimité de la Princesse ou de l'acteur,
- la sphère d'intimité d'une Princesse appartenant à une famille régnante ne saurait être la même que celle d'un particulier anonyme, étant observé que l'intéressée a, pendant des années, fait preuve d'une large tolérance, voire de complaisance à l'égard de la presse en ce qui concerne sa vie privée,
- les photographies ont été prises lors de la manifestation publique
et représentent les intéressés dans des attitudes banales dénuées de tout caractère intime,
- à titre subsidiaire, la mesure de publication, en elle-même et telle qu'organisée par le tribunal, est démesurée et constitue une véritable censure inacceptable.
Madame Caroline Y... demande à la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu le principe d'une atteinte à la vie privée et en ce qui concerne les mesures de publication ordonnées,
- formant appel incident du chef des dommages-intérêts, elle sollicite la somme de 80.000 francs pour elle-même et la somme de 40.000 francs pour chacun de ses enfants mineurs, outre la somme de 15.000 francs au titre des frais irrépétibles.
La Princesse Caroline de MONACO rappelle que la société EDI 7, qui édite plusieurs revues, n'a cessé de porter atteinte aux droits fondamentaux protègeant sa vie privée et celle de ses enfants, ce que le tribunal a justement relevé et que, condamnée à plusieurs reprises, ladite société se refuse à exécuter les décisions de justice.
En ce qui concerne la présente décision, elle insiste sur le fait que Monsieur le Premier Président de la présente Cour a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire et que, nonobstant, la décision n'avait toujours pas été exécutée.
L'appelante fait encore valoir que les photos n'ont nullement été prises à la tribune officielle mais alors qu'elle se trouvait, avec ses enfants, sur le balcon d'un appartement privé, et que ces photos ont forcément été prises au téléobjectif, et à son insu.
Madame Caroline Y... insiste encore sur le fait que l'article et les photographies n'ont pas eu pour but de rendre compte du Grand Prix de MONACO mais uniquement d'attirer l'attention des lecteurs sur
sa vie privée et la présence à ses côtés de Vincent X... et qu'aucune prétendue tolérance ne saurait atténuer l'ampleur de la faute.
En ce qui concerne le préjudice, Madame Caroline Y... fait valoir que celui-ci est d'autant plus important que la société EDI 7 n'agit qu'à des fins mercantiles et de manière délibérément réitérée.
Par conclusions complémentaires et interruptives de prescription, la société EDI 7 demande la somme de 5.000 francs à titre de dommages intérêts et la somme de 25.000 francs HT au titre des frais irrépétibles.
Le 29 janvier 1999, la SCP BOMMART etamp; MINAULT s'est constituée aux lieu et place de Maître BOMMART en qualité d'avoué de la société EDI 7.
DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION SUR L'ATTEINTE A LA VIE PRIVEE
Considérant que le tribunal rappelle justement que toute personne, fût-elle membre d'une famille princière, a droit au respect de sa vie privée et a le pouvoir de déterminer de façon discrétionnaire les divulgations qu'elle entend autoriser ;
Considérant que si l'article incriminé se veut être purement factuel, il ne concerne que la parution de la Princesse de MONACO et de ceux qui l'entouraient, lors du Grand Prix de MONACO, et ne contient aucune information concernant l'événement lui-même ; que cette volonté de l'auteur de l'article de centrer l'information délivrée au public essentiellement sur la présence de Monsieur Vincent X... aux côtés de la Princesse, non à la tribune officielle mais alors qu'ils se trouvaient au balcon d'un appartement privé, ainsi qu'aux côtés des enfants de la Princesse, traduit à l'évidence son souci unique qui était de révéler aux lecteurs un élément de la vie privée de la Princesse de MONACO et la place que Monsieur Vincent X... pouvait tenir dans celle-ci ;
Considérant que l'appelante n'invoque, ni ne démontre le consentement donné par l'appelante tant en ce qui concerne l'article que la prise des clichés photographiques la représentant, elle-même ou ses enfants mineurs, consentement qui ne saurait être déduit du caractère public des lieux où certaines d'entre elles ont été prises ; que l'atteinte au droit à l'image est établie ;
Considérant que pareillement la société appelante invoque vainement une prétendue tolérance de Madame Caroline Y... alors qu'il est établi et non contesté que cette dernière a initié plusieurs procédures, au fil des dernières années, à l'encontre de la société EDI 7, ayant toujours pour fondement la protection de sa vie privée et de celle de ses enfants ;
Considérant que la société EDI 7 ne saurait tirer argument, pour tenter de légitimer la parution litigieuse, du principe de la liberté d'expression, liberté de traduire par le langage une idée, une pensée, une opinion, ce qui n'est nullement en cause présentement, pas plus que celui de la liberté d'information, dès lors que la prétendue information concerne précisément la vie privée d'une personne, fût-elle connue du public, sans son consentement et ne répond à aucune nécessité d'une légitime information du public ;
Considérant que l'atteinte à la vie privée et à l'image de la Princesse Caroline de MONACO et de ses enfants mineurs est constituée et que le jugement doit être confirmé sur ce point ; SUR LA REPARATION DES PREJUDICES CAUSÉS
Considérant que la faute imputable à la société EDI 7 cause un préjudice certain à l'appelante en tant que femme et en tant que mère, comme elle cause un préjudice personnel à chacun de ses enfants ; que le tribunal a justement retenu la volonté délibérée de la société EDI 7 de renouveler pareille attitude fautive nonobstant des décisions antérieures la censurant clairement ;
Considérant que les sommes allouées par les premiers juges réparent justement les préjudices établis sans que l'appel incident formé à ce titre soit fondé par les éléments exposés et établis ;
Considérant, en ce qui concerne la mesure de publication ordonnée par le tribunal, qu'elle doit être confirmée tant en son principe qu'en ses modalités, dès lors que le principe de la publication participe à la réparation du préjudice et que les modalités fixées par le tribunal, en assure la réelle efficacité ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES Considérant que l'équité commande d'accorder à l'intimée la somme de 10.000 francs, la SOCIETE EDI 7 succombant pour sa part en son appel, étant irrecevable en ce chef de demande comme en celui tendant à l'allocation de dommages-intérêts ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
RECOIT la société EDI 7 en son appel principal et Madame Caroline Y..., Princesse de MONACO, en son appel incident ;
LES DEBOUTE,
CONFIRME en toutes ses dispositions la décision déférée et dit qu'il sera procédé à la publication de la présente décision suivant les modalités fixées par le jugement ;
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société EDI 7 à payer à Madame Caroline Y... la somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 francs) au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
CONDAMNE la société EDI 7 aux dépens et dit que la SCP JULLIEN LECHARNY ROL pourra recouvrer directement contre elle les frais exposés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
ARRET REDIGE PAR :
Madame Colette GABET-SABATIER, Président,
ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :
Le Greffier,
Le Président,
Catherine CONNAN
Colette GABET-SABATIER