La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/09/1999 | FRANCE | N°JURITEXT000006935929

France | France, Cour d'appel de Versailles, 30 septembre 1999, JURITEXT000006935929


Le 5 avril 1991, Madame X... Y..., alors âgée de trente-trois ans, est entrée dans le service de neurochirurgie du Professeur DEROME, au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH à SURESNES, pour l'exérèse d'un adénome hypophysaire.

Elle y était adressée par le médecin spécialiste en endocrinologie du CENTRE HOSPITALIER DE NEVERS où elle était suivie, pour un diabète sévère, depuis de nombreuses années. Dans une lettre du 5 avril 1991, dont Madame X... Y... était porteuse à son entrée au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH, ce spécialiste précisait au Professeur DEROME que Madame

Y..., diabétique insulino-dépendante, était munie d'une pompe "NORDISK" dé...

Le 5 avril 1991, Madame X... Y..., alors âgée de trente-trois ans, est entrée dans le service de neurochirurgie du Professeur DEROME, au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH à SURESNES, pour l'exérèse d'un adénome hypophysaire.

Elle y était adressée par le médecin spécialiste en endocrinologie du CENTRE HOSPITALIER DE NEVERS où elle était suivie, pour un diabète sévère, depuis de nombreuses années. Dans une lettre du 5 avril 1991, dont Madame X... Y... était porteuse à son entrée au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH, ce spécialiste précisait au Professeur DEROME que Madame Y..., diabétique insulino-dépendante, était munie d'une pompe "NORDISK" délivrant l'insuline sous-cutanée ; que malgré cette insulinothérapie, le niveau glycémique demeurait souvent instable et que la malade qui venait d'être hospitalisée quelques jours à NEVERS pour équilibrage "au mieux" de son diabète était "actuellement parfaitement capable de prendre en charge son insulinothérapie".

L'opération de Madame Y... par le Professeur DEROME était prévue pour le 8 avril 1991 à 8 heures ; mais à 6 heures 30, ce 8 avril, heure habituelle de réveil des malades, le personnel du CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH la découvrait dans son lit plongée dans un profond coma ; l'infirmier présent, pratiquait, sur le champ, une "DEXTRO", mesure glycémique qui révélait une sévère hypoglycémie.

De ce coma hypoglycémique qui a duré dix jours, Madame X... Y... garde une encéphalopathie, cause de séquelles neurologiques et neuropsychiatriques majeures.

Sur plainte avec constitution de partie civile des parents de Madame X... Y..., Monsieur et Madame Jean Z..., une information judiciaire contre X a été ouverte, du chef de blessures involontaires. Au vu des expertises des Docteurs LABORDE et A...,

désignés par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de NANTERRE, ce dernier prononçait, le 14 décembre 1995, une ordonnance de non-lieu ; le magistrat instructeur constatait notamment que, si, d'après le second de ces experts, "une surveillance rapprochée du diabète" eût pu éventuellement éviter l'hypoglycémie, aucun élément du dossier ne permettait cependant de conclure qu'une mise en garde contre les risques particuliers d'hypoglycémie encourus par Madame Y... avait été signifiée à l'un quelconque des membres de l'équipe médicale, de sorte qu'aucune faute de nature pénale n'était établie, d'autant que, toujours selon le Docteur A..., la surveillance rapprochée du diabète, déjà non systématique dans un service de diabétologie, était inhabituelle dans un autre service, notamment en neurochirurgie, comme en l'espèce.

Sur le fondement de certaines conclusions du Docteur A... qui, outre l'absence de cette surveillance glycémique rapprochée, regrettait, mais à un titre moindre, le maintien, par l'HOPITAL DE NEVERS, de l'insulinothérapie par pompe de perfusion continue d'insuline, Monsieur Patrice Y... a introduit une action en responsabilité contre le CENTRE HOSPITALIER DE NEVERS devant la juridiction administrative.

Parallèlement, les époux Z... (parents de Madame X... Y...) et Monsieur Patrice Y..., ce dernier agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de représentant légal à la fois de ses deux enfants mineurs (comme étant nés, l'un le 1er octobre 1980 à NEVERS, l'autre le 30 avril 1985 à NEVERS), et de son épouse, X... Y..., placée sous le régime de la tutelle, ont, par acte initial du 24 juin 1977, saisi le tribunal de grande instance de NANTERRE d'une action en responsabilité dirigée contre le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et son assureur, la compagnie UAP (aux droits et obligations de laquelle se trouve maintenant la compagnie AXA

GLOBAL RISKS), invoquant le défaut d'organisation et de défaut de surveillance et de soins selon eux imputables à ce centre hospitalier privé.

Ont également été attraits dans la cause la MUTUELLE NATIONALE DES HOSPITALIERS ET DES PERSONNELS DE SANTE (ci-après dénommée MNH), la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE BOURGES, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CHER (ci-après dénommée CPAM DU CHER), l'HOPITAL LOCAL DE SANCERRE, la SOCIETE FRANCAISE DE COURTAGE, D'ASSURANCES DU PERSONNEL DES COLLECTIVITES TERRITORIALES (ci-après dénommée SOFCAH), la DIRECTION DE LA PREVENTION ET DU DEVELOPPEMENT SOCIAL et encore la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS.

Par jugement du 17 octobre 1997, le tribunal de grande instance de NANTERRE a :

- déclaré le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH responsable du préjudice subi par Madame X... Y... à la suite du coma hypoglycémique survenu le 8 avril 1991 ;

- condamné le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et la compagnie UAP à verser à Monsieur Patrice Y..., ès-qualités de tuteur de Madame X... Y..., la somme de 100.000 francs à titre de provision ;

- commis en qualité d'expert le Docteur B... afin de déterminer le préjudice corporel subi par Madame X... Y... ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- sursis à statuer sur les autres demandes jusqu'au dépôt du rapport de l'expert ;

- condamné le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH à payer à Monsieur Patrice Y..., ès-qualités de tuteur de Madame X... Y..., une somme de 8.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et mis à sa charge les dépens alors exposés.

Le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et la compagnie UAP ont interjeté

appel de cette décision, et la compagnie AXA GLOBAL RISKS est intervenue volontairement à l'instance, en lieu et place de la compagnie UAP.

Ils concluent aux fins suivantes, aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 15 juin 1999 :

"- dire irrecevable et en toute hypothèse débouter les consorts C... de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- prononcer la mise hors de cause du CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH, par voie de conséquence de celle de la compagnie AXA GLOBAL RISKS venant aux droits de la compagnie UAP, son assureur ;

subsidiairement, en tant que de besoin :

- nommer tel expert qu'il appartiendra aux fins de donner son avis sur les causes du coma qu'a subi Madame X... Y... et sur toutes les responsabilités envisageables pouvant être recherchées comme étant à l'origine de cet accident,

- surseoir à statuer sur la demande des consorts C... dans l'attente de la communication de la décision du tribunal administratif de NEVERS, statuant sur recours des consorts C... ;

- dire n'y avoir lieu à évocation des préjudices et renvoyer les consorts C... à saisir le juge du fond ;

très subsidiairement, en tant que de besoin :

- surseoir à statuer sur le préjudice soumis au recours des organismes sociaux subi par Madame X... Y... dans l'attente de la communication des créances définitives de l'ensemble des organismes sociaux appelés en la cause,

- enjoindre auxdits organismes de justifier de ce que les montants dont ils demandent le règlement, sont en relation directe et certaine avec l'accident ;

encore plus subsidiairement :

- réduire en tant qu'excessives les demandes des consorts D... et débouter Monsieur et Madame Z... des demandes formulées au titre du préjudice professionnel,

- faire droit à l'argumentation du CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et de la compagnie AXA GLOBAL RISKS sur les montants sollicités,

- dire que les montants revenant à Madame X... Y... et aux organismes sociaux seront réglés sous forme de rente,

- en particulier, dire et juger que l'indemnité liquidative du poste tierce personne sera réglée sous forme de rente trimestrielle, payable à terme échu qui sera suspendue en cas d'hospitalisation supérieure ou égale à trente jours,

- débouter les consorts D... de leurs plus amples demandes, fins et conclusions,

- condamner les consorts D... in solidum avec tous autres succombants aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise qui seront directement recouvrés par la SCP LAMBERT DEBRAY CHEMIN, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile."

Les époux Z..., de même que Monsieur Patrice Y... (agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de représentant de son fils mineur Benjamin et de tuteur de Madame X... Y...) et Monsieur Vincent Y... (devenu majeur et étant intervenu volontairement en reprise d'instance), demandent à la Cour de : 1°) SUR LE PLAN DE LA RESPONSABILITE DU CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH :

- confirmer la décision rendue le 17 octobre 1997 par le tribunal de grande instance de NANTERRE,

- dire mal fondés en leur appel le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et sa compagnie d'assurance ; 2°) SUR LE PLAN DE LA REPARATION DU PREJUDICE DE MADAME X... Y... ET DE SES AYANTS DROIT :

- homologuer le rapport déposé par le Docteur B... le 30 mars 1998,

- dire Madame X... Y... et ses ayants droit bien fondés en leur demande de réparation de préjudice,

- condamner le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH in solidum avec sa compagnie d'assurance AXA aux réparations suivantes :

o

les frais médicaux pharmaceutiques

et hospitaliers

créance caisse,

o

l'incapacité temporaire totale

140.400 francs,

le recours des caisses s'exerçant pour la différence

par elles versées et s'élevant également à 140.400 francs,

o

l'incapacité permanente partielle : 90 %

5.000.000 francs

au lieu de 3.000.000 de francs réclamés

dans leurs précédentes écritures,

o

l'assistance d'une tierce personne : 24 heures sur 24 :

.

arriérés de 1991 à 1998

2.018.524 francs,

à verser sous forme d'un capital,

.

versement d'une rente trimestrielle indexée

et à vie à compter de 1999,

- dire que le droit à "récupération" des organismes payeurs s'exercera à hauteur de 467.201 francs, somme venant s'ajouter aux arriérés 1991 et 1998 demandés par la requérante,

o

la répercussion professionnelle :

.

Madame X... Y... :

arriérés de 1994 à 1998

468.000 francs

sous forme d'un capital à verser ;

à compter de l'année 1999, par l'allocation

d'une rente viagère trimestrielle revalorisable

et calculée sur le montant de ses salaires

annuellement perçus s'élevant à 93.600 francs,

.

Monsieur Patrice Y... :

perte de salaire brute jusqu'en 1998 de

572.172 francs,

de 1999 à 2032, durée de son

espérance de vie, de

474.144 francs,

dont il convient également de l'indemniser,

o

les préjudices non soumis à recours des caisses :

1.

sur le pretium doloris : 4/7

200.000 francs,

2.

sur les préjudices moraux :

*

les enfants :

.

Benjamin Y...

400.000 francs,

.

Vincent Y...

400.000 francs,

[*

l'époux

800.000 francs,

*]

les parents de Madame X... Y... :

.

Monsieur Jean Z...

500.000 francs,

.

Madame Yolande Z...

500.000 francs,

- si par impossible la Cour devait surseoir à statuer sur la liquidation du préjudice de Madame X... Y..., allouer, compte tenu de l'urgence de la situation de Madame X... Y..., une provision complémentaire de 2.000.000 de francs ;

- condamner enfin le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH à payer et porter aux consorts Y... la somme de 80.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- dire la décision à venir réputée contradictoire à l'égard de ceux des défendeurs qui n'ont pas constitué avoué ;

- condamner le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH aux entiers dépens, y compris frais d'expertise, de signification et d'avoué, lesquels

seront directement recouvrés par la SCP GAS en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

La CPAM DU CHER, intimée, fait siennes les écritures des consorts Y... s'agissant des demandes formées au titre de la réparation du préjudice corporel et sollicite en indemnisation de ses débours la somme de 95.693,49 francs avec intérêts à compter de la demande, outre une somme de 5.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'HOPITAL LOCAL DE SANCERRE, intimé, dans ses conclusions signifiées le 18 mai 1999, sollicite la somme de 230.985,38 francs au titre des prestations en nature et en espèces, outre les intérêts de droit et la somme de 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS, intimée, demande à la Cour de condamner le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH à lui payer la somme de 2.154.309,56 francs avec intérêts à compter du jour de ses écritures (lesquelles ont été signifiées le 17 juin 1999).

La MNH, la DIRECTION DE LA PREVENTION ET DU DEVELOPPEMENT et la CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE BOURGES n'ont pas constitué avoué, mais ont dûment été assignées devant la Cour, selon actes des 13 janvier 1999 et 19 février 1999, remis à des personnes ayant déclaré être habilitées à les recevoir.

Il sera dans ces conditions statué par arrêt réputé contradictoire en application des dispositions de l'article 474 du nouveau code de procédure civile.

SUR CE, SUR LES CONSEQUENCES PROCEDURALES DE LA PROCEDURE ADMINISTRATIVE DILIGENTEE PAR LES EPOUX Y...

Considérant que le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et son assureur font valoir que la procédure que les consorts Y... ont reconnu avoir diligentée devant le tribunal administratif à l'encontre du

CENTRE HOSPITALIER DE NEVERS tend aux mêmes fins que l'action dont la Cour est actuellement saisie, à savoir l'indemnisation intégrale du préjudice subi par Madame X... Y... ;

Qu'ils concluent en conséquence à l'irrecevabilité de la demande des consorts Y..., et à titre subsidiaire au sursis à statuer, dans l'attente de la décision à intervenir du tribunal administratif ;

Considérant toutefois que la procédure initiée par les consorts Y... devant la juridiction administrative se fonde sur la responsabilité, de nature administrative, incombant selon eux au CENTRE HOSPITALIER DE NEVERS, auquel Madame X... Y... avait été confiée, préalablement à sa prise en charge par le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH, afin d'y subir un traitement destiné à stabiliser son diabète ;

Que se fondant sur les conclusions de l'expert A... (commis dans le cadre de l'instruction ouverte suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée par les parents de Madame Y...), qui est d'avis que le maintien d'un infuseur sous-cutané d'insuline chez Madame X... Y... ne présentait plus d'intérêt, et que la survenance d'une insuffisance anti-hypophysaire aurait dû conduire à l'abandon de cette technique de traitement, les consorts Y... imputent à faute à l'HOPITAL DE NEVERS le maintien de cette technique, et le poursuivent en conséquence en réparation du dommage subi ;

Que cependant, une telle action ne les prive pas d'un intérêt à agir aussi devant la juridiction civile, en invoquant une faute commise par le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH, propre à celui-ci, et à solliciter en conséquence la condamnation de ce centre et de son assureur à indemnisation du dommage subi par Madame X... Y... ;

Que s'il est vrai que ce dommage est le même, et que Madame X...

Y... ne saurait percevoir une double indemnisation, il apparaît que la poursuite exercée devant la juridiction administrative est actuellement suspendue, dans l'attente de la décision de la Cour de céans, de sorte que ladite procédure administrative ne constitue, ni une cause d'irrecevabilité de l'action présente, ni un motif de sursis à statuer ; SUR LES CONSEQUENCES PROCEDURALES DE L'ORDONNANCE DE NON-LIEU

Considérant que Monsieur POMET, juge d'instruction au tribunal de grande instance de NANTERRE, devant lequel les époux Z... s'étaient constitués parties civiles contre X du chef de blessures involontaires, a rendu le 14 décembre 1995 une ordonnance de non-lieu en faisant siens les motifs du réquisitoire définitif, lequel énonçait notamment (après avoir conclu qu'il ne semblait pas qu'une faute de nature pénale eut été commise dans le cadre des soins dispensés à la victime, et que l'on ne pouvait davantage affirmer avec certitude qu'un défaut de surveillance avait pu être la cause du délit) qu'"il ressortait toutefois des conclusions du médecin expert qu'un défaut d'organisation pouvait éventuellement être relevé dans le fonctionnement du service hospitalier en général", et ajoutait qu'un tel manquement ne permettant pas d'incriminer nommément l'un des membres de l'équipe médicale, les poursuites paraissaient devoir être engagées "dans un cadre quasi-délictuel excluant par là-même une responsabilité pénale au sens du texte susvisé" (à savoir l'article 320 de l'ancien code pénal) ;

Que faisant valoir que cette ordonnance de non-lieu, qui n'a pas été frappée d'appel, est motivée par l'absence de faute pénale, et excipant du principe de l'identité de la faute civile et de la faute pénale, le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et son assureur soutiennent que l'action dirigée contre eux se heurte à l'autorité de la chose jugée dont est selon eux revêtue ladite ordonnance ;

Mais considérant qu'il est de principe que l'ordonnance de non-lieu n'a qu'un caractère provisoire et se trouve révocable en cas de survenance de charges nouvelles, d'où il suit qu'elle n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et ne peut s'imposer au juge civil ;

Que dès lors, les consorts Y... doivent être déclarés recevables en leur action, peu important l'ordonnance de non-lieu intervenue et alors même que le défaut d'organisation et de surveillance reproché au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH viendrait en réalité à se confondre avec des fautes commises par l'équipe médicale ayant pris en charge Madame X... Y... ou certains de ses membres ; SUR LE FOND

Considérant que s'inspirant à l'évidence du rapport d'expertise déposé par le Professeur A..., et eu égard aux motifs précités du réquisitoire définitif adoptés par l'ordonnance de non-lieu, laissant le champ libre à des poursuites fondées sur un défaut d'organisation dans le fonctionnement du service hospitalier en général, les consorts Y... s'attachent à établir que les fautes médicales retenues par l'expert à l'encontre de l'équipe médicale du service de neurochirurgie du CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH constituent ou traduisent un défaut d'organisation ainsi qu'un défaut de surveillance dont le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH doit répondre ;

Que le défaut d'organisation dont il s'agit vient de ce que l'équipe de neurochirurgie, selon le rapport du Professeur A..., a omis de s'enquérir précisément des antécédents hypoglycémiques de la malade et d'avoir assumé la responsabilité d'un traitement par pompe dont aucun médecin de l'équipe n'avait l'habitude et dont il laissait à la malade seule la responsabilité de l'adaptation ;

Que le défaut de surveillance reproché au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH est lui-même induit du défaut d'organisation invoqué, et consiste à ne pas avoir procédé - en raison d'une mauvaise

appréciation du risque d'hypoglycémie sévère - à une surveillance glycémique rapprochée (dont le Professeur A... indique qu'elle aurait permis d'éviter une chute glycémique aussi profonde et durable que celle présentée par la malade dans la nuit précédant l'intervention prévue) ;

Considérant que les consorts Y... approuvent le tribunal d'avoir retenu - après avoir admis que le rapport d'expertise déposé par le Docteur A... n'était pas opposable au CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH - qu'il n'était pas utile de recourir à une nouvelle expertise, dès lors que les autres éléments versés aux débats (notamment les auditions recueillies dans le cadre de l'information pénale) lui permettaient de statuer, étant relevé que certains faits étaient qualifiés de constants par le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH lui-même ;

Que se prévalant en appel des éléments et pièces produits en première instance, ils s'opposent à l'institution de l'expertise sollicitée par le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et son assureur, qui excipent de l'inopposabilité du rapport d'expertise du Docteur A... ;

Mais considérant que les documents et faits sur lesquels se fondent les consorts Y... ne peuvent s'interpréter qu'à la lumière des observations et de l'analyse d'un expert, comme l'a fait en définitive le tribunal, qui s'inspire à la vérité très largement des conclusions de l'expert A..., ainsi que le font également les consorts Y... eux-mêmes ;

Qu'il apparaît bien que loin d'être un élément d'information inutile, le rapport d'expertise du Docteur A... constitue en réalité la charpente de l'argumentation des demandeurs et l'ossature de la motivation de la décision déférée ;

Que dès lors qu'il est en réalité impossible de se prononcer sur les fautes invoquées par les demandeurs sans l'avis éclairé d'un homme de

l'art dont le rapport soit opposable à l'ensemble des parties, il convient d'accueillir le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et son assureur en leur demande d'expertise, avant-dire droit sur les mérites de l'appel interjeté ;

Considérant qu'en l'état actuel du dossier, il ne peut être préjugé de l'obligation de réparation du CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH, de sorte que les consorts Y... seront déboutés de leur demande de provision complémentaire ;

Considérant que le concept de faute d'organisation du service auquel se réfèrent les demandeurs relève du régime de la responsabilité administrative, ainsi que l'observent pertinemment le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH et son assureur ;

Qu'il y a lieu d'inviter les consorts Y... à conclure sur ce point et plus généralement sur le fondement de leur action, au regard des principes de la responsabilité civile ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et avant-dire droit au fond,

DECLARE l'appel recevable ;

CONSTATE l'intervention volontaire de la compagnie AXA GLOBAL RISKS, en lieu et place de la compagnie UAP, et l'intervention en reprise d'instance de Monsieur Vincent Y..., devenu majeur ;

DECLARE les consorts Y... recevables en leur demande ;

DIT n'y avoir lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction administrative, saisie de l'action opposant les consorts Y... à l'HOPITAL DE NEVERS ;

AVANT-DIRE DROIT AU FOND :

COMMET en qualité d'expert :

Monsieur le Professeur Jacques RAUTUREAU

HOPITAL AVICIENNE

125 route de Stalingrad - 93300 BOBIGNY

Téléphone : 01.48.31.81.16 et lui donne mission de :

- prendre connaissance du dossier et se faire remettre tous éléments nécessaires,

- donner un avis sur les causes du coma subi par Madame X... Y... le 8 avril 1991 et fournir à la Cour tous éléments permettant d'apprécier les responsabilités encourues par les membres du service de neurochirurgie du CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH ou par le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH lui-même,

- dire en particulier si les usages ou les circonstances conduisaient ou non les membres de ce service à prendre connaissance du dossier médical de Madame X... Y... auprès de l'HOPITAL DE NEVERS,

- dire si des mesures spécifiques auraient permis d'éviter le coma dont a été victime Madame X... Y..., ou d'en limiter les conséquences,

- de façon plus générale, faire toute constatation utile ;

DIT que l'expert établira son rapport dans les QUATRE MOIS de la lettre qui lui sera adressée par le greffe des expertises de la Cour en vue de l'informer de la consignation de la provision prévue ci-après ;

FIXE à la somme de HUIT MILLE FRANCS (8.000 francs) le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert que le CENTRE MEDICO-CHIRURGICAL FOCH ou son assureur devra consigner au greffe des expertises de la Cour DANS LE MOIS du présent arrêt ;

DIT qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert désigné, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du Conseiller de la mise en état ;

REJETTE la demande de provision complémentaire des consorts Y... ; INVITE les consorts Y... à conclure sur le fondement de leur

action, au regard des principes de la responsabilité civile ;

SURSOIT A STATUER jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;

RESERVE les dépens.

ARRET REDIGE PAR :

Monsieur Gérard MARTIN, Conseiller,

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :

Le Greffier,

Le Président,

Catherine CONNAN

Colette GABET-SABATIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006935929
Date de la décision : 30/09/1999

Analyses

ACTION CIVILE - Préjudice - Réparation - Réparation intégrale

La réparation du dommage unique subi par un malade consécutivement à l'intervention successive de deux établissements de soins, si elle implique que le victime ne saurait percevoir une double indemnisation, ne prive pas les ayants droits de la victime, qui ont mis en cause l'un des établissements sur le fondement de la responsabilité administrative, à raison d'une faute imputée à celui-ci, d'un intérêt à agir aussi devant la juridiction civile en invoquant une faute commise par le second établissement en cause


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.versailles;arret;1999-09-30;juritext000006935929 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award