Le 1er décembre 1992, Madame N X..., née le 9 février 1968, a donné naissance à une enfant par elle reconnue, prénommée Marie-Anne.
Le 18 juillet 1994 elle a introduit une action en recherche de paternité à l'encontre de Monsieur W Y..., né le 20 février 1936.
Par jugement en date du 6 juillet 1995, le tribunal de grande instance de NANTERRE a déclaré l'action recevable et, avant-dire droit, a ordonné une expertise.
Monsieur W Y... a refusé de se rendre aux convocations de l'expert.
En cet état, le tribunal de grande instance de NANTERRE, par jugement en date du 14 novembre 1996 a, retenant les indices graves et concordants invoqués par la mère, dit que la filiation paternelle de l'enfant était établie à l'égard de Monsieur W Y...
Par jugement rectificatif en date du 30 janvier 1997 le tribunal a rectifié le jugement du 14 novembre 1996 et précisé que la demanderesse était Marie-Anne X..., représentée par sa mère N X...
Monsieur W Y... a interjeté appel de ces trois jugements.
Au soutien de son appel il soulève les moyens suivants :
- le défaut de qualité à agir de Madame N X... alors que l'action doit être introduite par l'enfant exclusivement, et s'il est mineur, par son représentant légal, en son nom alors qu'en l'espèce Madame N X... a diligenté l'action en son nom propre,
- l'assignation rectificative délivrée n'est pas intervenue dans le délai de la forclusion et n'a pu régulariser la procédure dans les termes de l'article 126 alinéa 2 du Code civil,
- l'action est frappée de déchéance pour n'avoir pas été intentée dans le délai de deux années qui suivent la naissance, prévu à l'article 340.4 alinéa 1 du Code civil,
- Madame N X... ne peut invoquer les dispositions de l'article 340.4 alinéa 1 dans la mesure où elle ne rapporte pas la preuve de la
participation de Monsieur W Y... à l'entretien de l'enfant.
L'appelant prie en conséquence la Cour d'infirmer le jugement, de dire Madame N X... irrecevable en son action et en tout état de cause déchue.
Par conclusions en réplique Mademoiselle Marie-Anne X..., représentée par sa mère, Madame N X..., a rappelé qu'une assignation a été signifiée le 4 avril 1995, à son nom, et que Monsieur W Y... a déclaré se constituer sur ladite assignation en reprenant ses conclusions antérieures, qu'il a ainsi implicitement renoncé au moyen tiré de l'irrecevabilité, lequel en outre n'est pas fondé dès lors que la mère est, de droit constant, réputée agir au nom de l'enfant.
Elle fait encore valoir que l'action a, en tout état de cause, été introduite dans les deux années qui ont suivi la cessation de la participation de l'appelant à l'entretien de l'enfant, en sa qualité de père.
Elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit établie la filiation du père et sollicite l'allocation de la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 30.000 francs au titre des frais irrépétibles.
Elle demande, en outre, à la Cour, de dire qu'elle portera désormais le nom de Y...
Le MINISTERE PUBLIC, à qui la présente cause a été communiquée, s'en rapporte à justice. SUR CE, SUR LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE
Considérant qu'aux termes de l'article 340-2 du Code civil, l'action en recherche de paternité naturelle "n'appartient qu'à l'enfant. Pendant la minorité de l'enfant, la mère, même mineure, a seule qualité pour l'exercer ..." ;
Qu'il est de droit constant que la mère est réputée agir au nom de l'enfant mineur même si elle ne l'a pas indiqué expressément dans son assignation ;
Que si l'assignation introductive d'instance portait la seule mention de la mère, Madame Z... a délivré, le 4 avril 1995, une nouvelle assignation aux termes de laquelle elle a expressément déclaré agir au nom de l'enfant mineure ;
Que Monsieur W Y... s'est constitué sur cette seconde assignation et a déclaré reprendre ses conclusions initiales ;
Qu'ainsi Monsieur W Y... n'est pas fondé à soulever l'irrecevabilité de l'action ; SUR LA DECHEANCE
Considérant que Monsieur W Y... invoque la déchéance de l'action sur le fondement des dispositions de l'article 340-1 du Code civil qui énonce que "l'action doit, à peine de déchéance, être exercée dans les deux années qui suivent la naissance" alors que l'enfant étant née le 1er décembre 1992, l'action devait être valablement intentée avant le 1er décembre 1994 ; que si la première assignation a été délivrée le 18 juillet 1994, la seconde, seule régulière, l'a été le 4 avril 1995, soit hors le délai de deux années ;
Mais considérant qu'il vient d'être rappelé et dit que la mère était, de droit constant, réputée agir au nom de l'enfant même si elle ne l'a pas expressément indiqué ; que dès lors l'action a été valablement introduite dès le 18 juillet 1994 ; que le moyen tiré de la déchéance est tout aussi inopérant que celui tiré de l'irrecevabilité de l'action ;
Qu'en tout état de cause, Madame N X... invoque, à bon droit, les dispositions de l'article 340-4, deuxième alinéa, qui rendent l'action en recherche de paternité naturelle recevable dans les deux années qui suivent la contribution du père, lorsque celui-ci a "participé à l'entretien, à l'éducation ou à l'établissement de l'enfant" ;
Que de nombreuses attestations confortées par les messages adressés par Monsieur W Y..., par minitel, à Madame N X..., établissent clairement
la présence du père auprès de l'enfant, lequel allait avec la mère à la consultation en P.M.I., pour l'enfant, ou bien encore indiquait, par minitel, à la mère "je suis passé à la BNP et fait un dépôt de 30.000 francs en espèces sur le compte de N X... ce matin", ledit message étant en date du 10 juin 1994 ; que ces éléments établissent avec certitude la participation de Monsieur N X... à l'éducation et à l'entretien de l'enfant, à la date du 10 juin 1994 ; que ces éléments surabondants rendent indiscutablement recevable l'action en recherche de paternité naturelle ; SUR LA FILIATION PATERNELLE
Considérant que Monsieur W Y..., dans ses conclusions, développe longuement les moyens d'irrecevabilité et de déchéance mais ne formule aucune réplique précise en ce qui concerne la filiation paternelle de l'enfant, se bornant à contester l'existence de relations stables avec la mère de l'enfant et sa participation ;
Mais considérant que les pièces produites et non contestées par l'appelant, constituent des indices graves et concordants de nature à établir la filiation paternelle de l'enfant, malgré le refus réitéré de Monsieur W Y... de se soumette à une expertise sanguine ;
Que Madame N X... produit des photographies sur lesquelles l'enfant figure dans les bras de Monsieur W Y..., avec ou sans la mère ; que les attestations produites établissent la présence de Monsieur W Y... auprès de l'enfant, qui venait chaque jour la voir, à plusieurs reprises, et l'attention qu'il portait à son éducation ; que les messages adressés à la mère par minitel, non contestés, sont sans aucun ambigu'té tant à l'égard des liens affectifs très forts qui unissaient Monsieur W Y... à Madame N X... et à l'enfant, qu'en ce qui concerne la paternité de celui-ci ; qu'il s'y exprime notamment en ces termes : "je viens de recevoir une lettre de Maître Linda WEIL-CURIEL que tu sembles avoir consultée à propos de la reconnaissance de la paternité de Marie. Te rends-tu compte, Nahiba, que tu adoptes une voie particulièrement
grave pour obtenir ce que je ne peux pas faire, en l'état actuel des choses ä Et quand je dis que je ne peux pas, c'est vrai et je ne le ferai donc pas ..." ; que par un autre message il précise "Je rappelle qu'il ne m'est pas possible de reconnaître Marie en l'état actuel des choses. Un jour viendra, je l'espère, où ce bonheur me sera possible ..." ; qu'enfin Monsieur W Y... indiquait encore "... je n'ai besoin de personne pour l'aimer ou me rappeler que je suis son père ..." ; Que l'ensemble de ces messages sont datés de juin 1994 ;
Considérant que la paternité de Monsieur W Y... est incontestablement établie et que le jugement doit être confirmé ; SUR LE NOM DE L'ENFANT
Considérant qu'en cause d'appel, l'enfant demande à se voir attribuer le nom patronymique de son père ;
Que l'article 334-3 du Code civil énonce que "le tribunal de grande instance saisi d'une requête en modification de l'état de l'enfant naturel peut dans un seul et même jugement statuer sur celle-ci et sur la demande de changement de nom de l'enfant qui lui serait présentée" ; que la demande est recevable et fondée, compte-tenu de l'attachement très fort manifesté par le père pour son enfant et de l'intérêt par lui porté à son éducation, ainsi que cela ressort des pièces produites ; que la demande est conforme à l'intérêt de l'enfant ; SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES-INTERETS
Considérant que Madame N X... demande la somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts en invoquant l'état de dépression nerveuse dans lequel elle a "sombré" à la suite de l'attitude de Monsieur W Y... depuis l'introduction de la procédure ; qu'elle invoque son état d'invalidité et son absence de ressources ;
Mais considérant que présentement Madame N X... agit en qualité de représentante légale de son enfant, et non en son nom personnel, et
qu'elle n'établit ni son état dépressif ni la causalité certaine de celui-ci avec l'attitude de Monsieur W Y... dont elle n'ignorait pas la situation familiale, lors de ses relations avec lui ;
Que ce chef de demande doit être rejeté ; SUR LES FRAIS IRREPETIBLES Considérant qu'en perdurant dans sa contestation, Monsieur W Y... a exposé Madame N X... à des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ; que la somme de 20.000 francs doit lui être allouée pour l'ensemble de la procédure ; PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
RECOIT Monsieur W Y... en son appel,
L'EN DEBOUTE,
CONFIRME en toutes leurs dispositions les jugements déférés,
Y AJOUTANT,
DIT que l'enfant Marie-Anne Hirsa Yamina X... portera désormais le nom patronymique de Y...,
ORDONNE mention du dispositif du présent arrêt en marge de l'acte de naissance de l'enfant née le 1er décembre 1992 à PARIS, 12ème arrondissement,
DEBOUTE Madame N X... de sa demande de dommages-intérêts,
CONDAMNE Monsieur W Y... à lui payer la somme de VINGT MILLE FRANCS (20.000 francs) au titre des frais irrépétibles,
LE CONDAMNE aux entiers dépens et dit que la SCP LISSARRAGUE-DUPUIS et Associés, pourra recouvrer directement contre lui les frais exposés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
ARRET REDIGE PAR :
Madame Colette GABET-SABATIER, Président
ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET :
Le Greffier,
Le Président,
Catherine CONNAN,
Colette GABET-SABATIER.