L'hebdomadaire FRANCE DIMANCHE, édité par la société EDI 7, aux droits de laquelle se trouve la société HACHETTE FILIPACCHI Associés, a fait paraître dans son numéro 2623 daté du 7 au 13 décembre 1996, un article consacré au litige opposant la famille du comédien feu M à X... D, qui prétendait en être la fille. Annoncé en couverture du magazine par des photographies, notamment de l'acteur, et par le titre : "M, sa tombe peut livrer son dernier secret ", l'article est illustré par diverses photographies et occupe une page et demi. Rappelant l'instance en paternité engagée par X... D, le rédacteur de l'article indique qu'il a été procédé à l'examen comparatif des sangs ordonné le 4 juillet 1996 par la cour d'appel de PARIS et s'interroge sur l'issue de cette mesure, en commentant les résultats auxquels elle peut conduire et en n'excluant pas la nécessité d'avoir ultérieurement à pratiquer sur le défunt lui-même "le test de l'empreinte génétique", après exhumation. Se prévalant d'une atteinte à leur vie privée et aux droits dont elles disposent sur leur image, ainsi que d'une exploitation commerciale illicite de l'image de M et d'une faute commise du fait des commentaires mettant en cause la fiabilité des résultats de l'expertise sanguine ordonnée en justice, Madame C X..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administratrice légale de l'enfant mineur LV (fils de M) et Madame Y... épouse Z... (soeur de l'acteur) ont fait assigner la société EDI 7 devant le tribunal de grande instance de NANTERRE, selon acte d'huissier du 27 janvier 1997, afin d'obtenir la réparation de leur préjudice. Par jugement du 19 mars 1997, le tribunal a dit que, par la publication litigieuse, la société EDI 7 : - a porté atteinte à la vie privée de LV, A... et Madame Y... épouse Z..., - a porté atteinte au droit à l'image de Lydia Y... épouse Z..., - s'est livré à une exploitation commerciale fautive de l'image du comédien M, - a fautivement diffusé des informations erronées et déformées, - a condamné la société EDI 7
à payer : * à A..., en qualité de représentante légale de son fils mineur, la somme de 40.000 francs pour l'atteinte à sa vie privée et la faute commise par la diffusion d'informations erronées relatives à l'expertise, et celle de 30.000 francs pour l'exploitation commerciale de l'image de son père, * à A..., à titre personnel, une somme de 20.000 francs pour l'atteinte à sa vie privée et la faute commise par la diffusion d'informations erronées relatives à l'expertise, * à Madame Y... épouse Z..., la somme de 50.000 francs pour les atteintes à sa vie privée et à son droit à l'image et pour la faute commise par la diffusion d'informations erronées relatives à l'expertise, - ordonné la publication sous astreinte d'un communiqué dans le journal FRANCE DIMANCHE, - ordonné l'exécution provisoire de ces chefs, - condamné la société EDI 7 à payer à A... et à Lydia Y... épouse Z... la somme de 5.000 francs chacune, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, - rejeté toute autre demande, - condamné la société EDI 7 aux dépens. Il a été procédé à la publication du communiqué dont il s'agit dans le numéro 2641 du magazine FRANCE DIMANCHE du 12 au 18 avril 1997. Appelante de cette décision, la société HACHETTE FILIPACCHI Associés, venant aux droits de la société EDI 7, demande à la Cour, en l'infirmant et en statuant à nouveau, de débouter les consorts X... de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 20.000 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile. Madame A..., en son nom personnel et ès-qualités d'administratrice légale de l'enfant LV, et Madame Y... épouse Z..., intimées et appelantes incidemment, concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a constaté les atteintes apportées à la vie privée et au droit à l'image, outre la publication d'informations fautives préjudiciables à leur égard, et en ce qu'il a ordonné la publication d'un communiqué judiciaire. Sollicitant la réformation du
jugement entrepris pour le surplus, elles demandent à la Cour de condamner la société HACHETTE FILIPACCHI Associés à payer : - à Madame A..., à titre personnel, une indemnité de 200.000 francs, et en qualité d'administratrice légale de son fils mineur LV une somme de 300.000 francs en réparation de l'atteinte à la vie privée et au droit à l'image, - à Madame Y... épouse Z..., une somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts, - à Madame A..., ès-qualités, une somme de 100.000 francs en réparation du préjudice patrimonial résultant de la diffusion et de l'utilisation sans autorisation de l'image de M à des fins purement commerciales. Elles sollicitent encore la publication d'un nouveau communiqué, aux frais de la société HACHETTE FILIPACCHI Associés et sous astreinte, outre une somme de 10.000 francs chacune, en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile. SUR CE, Sur l'atteinte à la vie privée Considérant que les consorts X... font valoir en substance que l'article litigieux ne se borne pas au rappel de la procédure qui oppose les héritiers de M à AD, laquelle revendique la qualité de fille naturelle du comédien, mais divulgue des informations précises sur les conditions d'exécution de l'examen comparatif des sangs ordonné par la Cour d'appel de PARIS (dans son arrêt en date du 4 juillet 1996, rendu sur appel du jugement rendu le 6 septembre par le tribunal de grande instance de PARIS, qui avait déclaré la paternité posthume de M à l'égard d'AD), et révèle en particulier le jour où la mesure d'instruction a eu lieu, en mentionnant en outre des propos prétendument tenus par l'expert aux parties "avant le test "; Qu'ils concluent dans ces conditions à une atteinte apportée à leur vie privée, d'autant plus que selon eux, les énonciations dudit article contreviennent aux dispositions de l'article 1149 du Nouveau Code de procédure civile, prévoyant que les actions relatives à la filiation et aux subsides sont instruites et débattues en chambre du conseil ;
Considérant toutefois que s'il est vrai que toute personne, fût-elle célèbre, a droit au respect de sa vie privée et tire communément de ce droit, reconnu par l'article 9 du Code civil, le pouvoir de fixer elle-même les limites de ce qui peut être diffusé à ce sujet, les besoins de la légitime information du public autorisent néanmoins la presse à faire état de faits qui relèvent normalement de la sphère de l'intimité de la vie privée, mais se trouvent étroitement associés à un événement d'actualité ; Qu'en l'occurrence, l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée en audience publique par la Cour d'appel de PARIS s'inscrivait bien dans l'actualité du moment, s'agissant d'une affaire judiciaire qui concernait un comédien de grande notoriété, dont les démêlés avec sa fille naturelle prétendue avaient été de longue date mis sur la place publique, notamment par Madame A... elle-même, dans une interview rapportée par le magazine PARIS MATCH dans son numéro du 22 septembre 1994, à la suite du jugement qui venait d'être rendu par le tribunal de grande instance de PARIS ; Qu'il n'était donc pas illégitime de faire connaître aux lecteurs l'évolution de la procédure, en faisant état de ses développements les plus récents, tels que concrétisés par la mise en oeuvre de la mesure d'instruction ordonnée par la Cour d'appel de PARIS ; Qu'il apparaît encore que les propos litigieux, situés dans le prolongement factuel de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de PARIS, ne contiennent aucune révélation sur le fond de l'affaire judiciaire qui était en cours, tel qu'il était connu du grand public, et s'en tiennent en définitive à des spéculations sur l'issue de la mesure d'instruction ordonnée par la Cour d'appel, tout au plus agrémentées de remarques banales sur les états d'âme des parties à l'action poursuivie par AD ; Que s'il est vrai qu'ils mentionnent le jour et le lieu où ont été diligentées les opérations d'expertise, et s'ils font état de la participation de Madame Y... épouse Z... à la mesure
d'instruction dont il s'agit, de telles indications ne permettent pas de caractériser une atteinte à la vie privée des personnes concernées ; Qu'en outre, la transgression prétendue à l'article 1149 du nouveau code de procédure civile n'est pas établie, ce texte se bornant à régir la tenue des débats devant le tribunal et n'interdisant pas en lui-même la relation et le commentaire d'un litige qui relève du champ d'application de ses dispositions ; Qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une atteinte à la vie privée des intimées et en ce qu'il est entré en voie de condamnation de ce chef ; Sur l'atteinte au droit à l'image et le préjudice commercial Considérant que l'article litigieux est illustré d'une petite photographie représentant Madame Y... épouse Z..., qui précise sans être contredite avoir été photographiée à l'aide d'un télé-objectif, alors qu'elle sortait de l'institut dans lequel s'est déroulée l'expertise judiciaire ; Qu'il est annoncé par une photographie de M, occupant la quasi-totalité de la page de couverture, et tenant lieu de fond, accompagnée d'une photographie plus petite, dans laquelle l'artiste apparaît sur un portrait tenu par une jeune femme ; Qu'il comporte encore notamment à l'intérieur de la revue une photographie de l'acteur, pris de profil, occupant toute la hauteur du côté gauche de la page 22 ; Que Madame Y... épouse Z... conclut en conséquence à une atteinte au droit dont elle dispose sur son image, et sollicite en conséquence une indemnité de 200.000 francs ; Que Madame A..., ès-qualités, fait valoir que la reproduction sans autorisation des trois photographies de M n'a eu d'autre but que d'exploiter la notoriété de l'artiste afin d'attirer l'attention des lecteurs, et sollicite une somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice patrimonial subi par l'enfant LV du fait de la diffusion et de l'utilisation de ces images ; Considérant que toute personne dispose sur son image et sur
l'utilisation de celle-ci d'un droit qui lui permet de s'opposer à sa fixation, sa reproduction et à sa diffusion sans autorisation de sa part, mais que des motifs légitimes permettent d'écarter l'application de cette règle, notamment le besoin légitime de l'information du public et, dans certaines conditions, ceux de l'illustration d'un article de presse ; Qu'en l'occurrence, la photographie de Madame Y... épouse Z... n'était d'aucune utilité à l'illustration de l'article litigieux, étant donné qu'elle n'est pas connue du grand public et que l'article ne lui est pas consacré, de sorte que la publication de cette photographie ne pouvait intervenir que du consentement de Madame Y... épouse Z... et que celle-ci est fondée à réclamer la réparation du préjudice subi du fait de la publication de son image sans son autorisation ; Qu'il lui sera alloué de ce chef une indemnité que la Cour est en mesure de fixer à la somme de 25.000 francs ; Considérant qu'en revanche, les photographies relatives à M - au demeurant réalisées dans le cadre des activités professionnelles du comédien et acquises auprès d'agences spécialisées, ainsi qu'il est constant - ont une vocation indéniable à illustrer l'article dont il s'agit, se rapportant à un fait d'actualité qui implique directement le comédien ; Qu'il en résulte que ces photographies pouvaient être publiées sans l'autorisation des héritiers de l'artiste, et que leur exploitation pour les besoins de l'illustration de l'article ne saurait donner lieu à indemnisation au profit de l'enfant L Y..., étant observé que l'utilisation de photographies comme "accroche publicitaire ", n'est pas en elle-même caractéristique d'une exploitation commerciale illicite, ce caractère dépendant de la finalité de leur utilisation ; Que dès lors, il convient de débouter Madame A..., ès-qualités, de sa demande de dommages-intérêts corrélative ; Sur le caractère fautif des informations données Considérant que les consorts X... reprochent à
l'auteur de l'article litigieux de mettre ouvertement en cause la fiabilité d'une mesure d'instruction ordonnée judiciairement, sans étayer cette thèse par des éléments scientifiques et indiscutables, et lui font en particulier grief d'avoir écrit : "Attention cependant ! .... Il n'y a en fait qu'une chance sur huit pour obtenir une appréciation fiable de ce test ...", ou encore : "l'expert lui-même a tenu à préciser cette très large marge d'erreur avant le test "; Qu'ils soutiennent qu'en réalité, les expertises génétiques réalisées en l'absence du père présumé sont parfaitement fiables, et se prévalent à cet égard d'un rapport établi le 31 mai 1996 par l'expert JANOT, d'où il résulte qu'une telle expertise est probante, dès lors que l'on dispose d'une famille biologique du père prétendu ; Qu'ils concluent que la société appelante, en mettant injustement en doute la fiabilité des résultats de l'expertise génétique ordonnée le 4 juillet 1996, a manifestement livré au public des informations erronées, traduisant une négligence grave dans leur vérification, constitutive d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil ; Qu'alléguant que cette dénaturation est délibérée, et résulte de la volonté du journal d'accréditer dans l'esprit du public la certitude du "lien de filiation imaginaire revendiqué par AD", ils sollicitent la réparation du préjudice consécutif ; Considérant toutefois que les propos reprochés sont contenus dans un article et dans un journal dépourvus de toutes prétentions en matière scientifique, et s'analysent comme une simple réflexion du journaliste sur les mérites de l'expertise mise en oeuvre dans le cadre de l'instance en recherche de paternité naturelle poursuivie à l'égard de M ; Que l'avis émis par ce journaliste en la matière se rattache à sa liberté d'opinion et d'expression, et ne saurait avoir engagé sa responsabilité, dans la mesure où rien ne permet de retenir qu'il aurait été donné dans une intention du nuire à l'une ou l'autre des
parties à l'instance en recherche de paternité naturelle, étant ajouté surabondamment qu'il n'est pas interdit à un journaliste de se livrer à un pronostic sur l'issue d'une instance et que les mesures d'investigation mises communément en oeuvre par les tribunaux ne sont pas choses sacrées qui ne puissent être discutées en dehors du prétoire ; Qu'il suit de là que le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a dit retenu la faute du journal du fait de la diffusion d'informations erronées, relatives à l'expertise ; Sur la publication d'un nouveau communiqué Considérant que le rejet des prétentions élevées à l'encontre de la société HACHETTE FILIPACCHI Associés par Madame A..., tant en son nom personnel qu'ès-qualités, prive de tout fondement sa demande aux fins de publication d'un nouveau communiqué judiciaire ; Que l'atteinte apportée au droit à l'image de Madame Y... épouse Z... ne justifiant pas la publication d'un tel communiqué, il convient de débouter les intimées de ce chef ; Sur les mesures accessoires Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; Que les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de Madame A..., à titre personnel et ès qualités, à l'exception de ceux qui concernent Madame Y... épouse Z... et qui seront supportés par la société HACHETTE FILIPACCHI Associés ; PAR CES MOTIFS, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, RECOIT la société HACHETTE FILIPACCHI Associés, venant aux droits de la société EDI 7, en son appel principal, RECOIT Madame A..., en son nom personnel et en qualité de représentante de l'enfant mineur LV, ainsi que Madame Lydia Y... épouse Z..., en leur appel incident, CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit que la publication litigieuse a porté atteinte au droit à l'image de Madame Y... épouse Z..., L'INFIRME pour le surplus, STATUANT X... NOUVEAU ET Y AJOUTANT, CONDAMNE la société HACHETTE FILIPACCHI Associés à payer à Madame Y... épouse Z... une somme de 25.000 francs
(VINGT CINQ MILLE FRANCS) à titre de dommages-intérêts, REJETTE les autres demandes formées à l'encontre de la société HACHETTE FILIPACCHI Associés, DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, CONDAMNE Madame A..., en son nom personnel et ès-qualités, aux dépens de première instance et d'appel, à l'exception de ceux afférents à Madame Y... épouse Z..., lesquels seront supportés par la société HACHETTE FILIPACCHI Associés, et dit que lesdits dépens pourront, dans cette limite, être directement recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile. ET ONT SIGNE LE PRÉSENT ARRÊT : Le Greffier ayant
Le Président, assisté au prononcé,
Laurent LABUDA
Colette GABET-SABATIER