COUR D'APPEL DE VERSAILLES 4ème chambre ARRÊT N° DU 21 MAI 2001 R.G. N° 00/03438 AFFAIRE : S.A. E.T.P.M BATTAIS C/ S.C.I. ... le 19 Avril 2000 par le T.G.I. NANTERRE 7ème chambre B Expédition exécutoire Expédition Copie délivrées le :
à : SCP LISSARRAGUE- DUPUIS etamp; ASSOCIES SCP FIEVET- ROCHETTE-LAFON RÉPUBLIQUE FRANOEAISE AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS LE VINGT ET UN MAI DEUX MILLE UN, La cour d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, a rendu l'arrêt suivant, prononcé en audience publique, La cause ayant été débattue à l'audience publique du 09 Mars 2001, DEVANT : Z... Bernard BUREAU, conseiller chargé du rapport, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés, en application de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, assisté de Mme Marie-Christine COLLET, greffier, Le magistrat rapporteur en a rendu compte à la cour, dans son délibéré, celle-ci étant composée de : M. Jean-Pierre MUNIER, président, Z... Bernard BUREAU, conseiller, Monsieur Etienne ALESANDRINI, conseiller, et ces mêmes magistrats en ayant délibéré conformément à la loi, DANS L'AFFAIRE, ENTRE : S.A. E.T.P.M BATTAIS ayant son siège Mercieres aux Bois ZAC de Mercieres 60610 LACROIX SAINT OUEN prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. REPRÉSENTÉE par la SCP LISSARRAGUE-DUPUIS etamp; ASSOCIES, avoués à la Cour PLAIDANT par Maître Y..., avocat au barreau de PARIS APPELANTE
ET S.C.I. ... ayant son siège ... LA REINE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. REPRÉSENTÉE par la SCP FIEVET-ROCHETTE-LAFON, avoués à la Cour PLAIDANT par Maître X..., avocat au barreau de PARIS INTIMEE ** ** ** 5 FAITS ET PROCEDURE La S.C.I. ... a fait réaliser
des travaux de rénovation sur un ensemble immobilier dont elle est propriétaire à BOURG LA REINE ; à la suite de la mise en liquidation judiciaire de l'entreprise titulaire du marché d'origine, elle a fait appel, par contrat T.C.E. du 12 février 1996 à la société E.T.P.M.- BATTAIS ; Différents incidents ont émaillé la marche du chantier, les travaux ont fait l'objet d'une réception avec réserves et, dans le cadre du conflit opposant les parties au sujet de la levée des réserves et de l'application de certaines dispositions contractuelles telles que les pénalités de retard et l'indemnisation de pertes financières, la société E.T.P.M.- BATTAIS a sollicité la délivrance, par la S.C.I. ..., sur le fondement de l'article 1799-1 du code civil, d'une garantie de paiement sous forme d'un cautionnement bancaire émanant d'un établissement notoirement solvable pour un montant de 1.139.851,19 francs et ce, sous astreinte de 10.000 francs par jour de retard à compter de la signification du jugement ; Par jugement du 19 avril 2000, le Tribunal de grande instance de NANTERRE s'est estimé insuffisamment éclairé sur les différents aspects du litige et a ordonné une expertise ; il a toutefois rejeté la demande de garantie en considérant que les dispositions de l'article 1799-1 du code civil n'étaient pas applicables à la S.C.I. ... qui avait entrepris les travaux litigieux pour la réhabilitation de son patrimoine privé et non pour la satisfaction des besoins d'une activité professionnelle et qui, au surplus, avait financé les travaux par des prêts spécifiques ; Vu les conclusions de la société E.T.P.M.-BATTAIS, appelante, du 21 février 2001, auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et demandes, et dans lesquelles elle expose qu'à tort les premiers juges ont décidé que les dispositions de l'article 1799-1 du code civil n'étaient pas applicables à la S.C.I. alors que celle-ci est un marchand de biens et un promoteur
professionnel ayant acquis pour les rénover et les louer des immeubles insalubres ; que la dispense de caution prévue à l'alinéa 4 de l'article 1799-1 ne concerne manifestement que les maîtres d'ouvrage particuliers et non les S.C.I. se livrant à des opérations spéculatives de nature professionnelle ; que son adversaire ne peut, non plus, soutenir que le décret d'application du 18 novembre 1994 ayant été annulé le 07 octobre 1998 par le Conseil d 'Etat pour n'être remplacé que par le décret du 30 juillet 1999, l'article 1799-1 du code civil serait inapplicable avant la date d'entrée en vigueur de ce dernier texte alors qu'elle a délivré une mise en demeure à la S.C.I. de fournir la garantie dès le 25 septembre 1996, date à laquelle le décret du 18 novembre 1994 était encore parfaitement valable et qu'elle disposait d'un droit acquis à bénéficier d'une telle garantie depuis cette mise en demeure ; qu'enfin, depuis l'entrée en vigueur du décret du 30 juillet 1999, elle est fondée à réclamer la mise en place de cette garantie puisque le contrat doit être considéré comme étant toujours en cours dans la mesure où le solde des travaux reste impayé et que la levée des réserves n'est pas faite ; Vu les conclusions de la S.C.I. ..., du 22 janvier 2001, auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et demandes, et dans lesquelles elle demande la confirmation du jugement par substitution de motifs car elle considère que l'article 1799-1 du code civil était inapplicable avant l'entrée en vigueur du décret d'application du 30 juillet 1999 fixant le montant des marchés pour lesquels la garantie doit être fournie ; que, désormais, la société E.T.P.M.-BATTAIS ne peut demander le bénéfice de cette garantie puisque les sommes impayées font l'objet de la mesure d'expertise et donneront lieu à compensation avec les créances qu'elle invoque tandis que, pour les travaux de levée des réserves, cette garantie n'est pas due puisque la société
E.T.P.M.-BATTAIS ne propose pas d'intervenir sur le chantier dont le marché est ainsi terminé ; que, de toutes façons, ainsi que l'a jugé le Tribunal, l'article 1799-1 du code civil lui est inapplicable puisqu'elle n'est ni promoteur, ni marchand de biens et qu'elle a fait rénover un immeuble faisant partie de son patrimoine personnel qu'elle administre elle-même à des fins strictement privées ; SUR QUOI, LA COUR : Attendu que l'article 1799-1 du code civil, issu de la loi d'ordre public du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des entreprises en difficultés, édicte un principe impératif selon lequel le maître de l'ouvrage doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues sur le marché de travaux privés ; que ce texte prévoit deux exceptions spéciales (quand le maître d'ouvrage souscrit un crédit spécifique ou prévoit dans le contrat une garantie déterminée par une stipulation particulière) et une exception générale, à l'alinéa 4, "quand le maître de l'ouvrage conclut un marché de travaux pour son propre compte et pour la satisfaction de besoins ne ressortissant pas à une activité professionnelle en rapport avec ce marché" ; Attendu qu'il appartient à la S.C.I. ..., qui soutient ne pas être astreinte à la garantie de principe, de justifier qu'elle entre dans les cas d'exception précités ; Or attendu que la S.C.I. n'apporte nullement une telle preuve ; que si l'article 1799-1 du code civil ne distingue nullement entre les maîtres d'ouvrage personnes physiques et les maîtres d'ouvrage personnes morales, il apparaît clairement que la volonté du législateur a été de placer sous le régime de protection institué par ce texte les entreprises ayant affaire avec un professionnel de l'immobilier au sens large pour des chantiers d'une certaine importance dont le seuil a été fixé par le décret du 30 juillet 1999 à la somme de 79.000 francs ; Attendu, en l'espèce, que le marché de travaux portait sur une somme de 2.200.000 francs ; que
l'opération dont s'agit est donc une opération de rénovation lourde sans commune mesure avec l'ordre de grandeur généralement traité par un non professionnel et sans commune mesure aussi avec la taille des marchés que le législateur a entendu soustraire au champ d'application du nouveau texte en raison, notamment, de l'incidence du coût de la caution bancaire sur le coût total de l'opération ; que, par ailleurs, la S.C.I., qui invoque un lourd préjudice locatif, ne cache pas tirer ses revenus de la location d'immeubles rénovés qu'elle avait acquis en état d'insalubrité ; que l'aspect spéculatif de l'opération n'est donc pas contestable ; qu'enfin, il est révélateur de remarquer que son papier à en-tête mentionne qu'elle est inscrite au registre du commerce avec un capital social de deux millions de francs ; que, dès lors c'est à tort que le Tribunal a estimé que le marché n'avait pas pour objet de satisfaire les besoins de l'activité professionnelle de l'intimée ; Attendu que le Tribunal a, par ailleurs, noté que "bien qu'aucun document précis ne soit versé sur ce point, il n'est pas contesté que les travaux ont été financés par des prêts spécifiques" ; qu'en statuant ainsi en l'absence reconnue de tout élément de preuve, alors que la notion de "crédit spécifique" telle que prévue à l'alinéa 2 de l'article 1799-1 du code civil exigeait une affectation spéciale au marché considéré, une procédure de paiement exclusif entre les mains de l'entrepreneur ou de son mandataire et une couverture intégrale du marché pour affranchir le maître de l'ouvrage de son obligation de garantie, le Tribunal n'a pas exercé le contrôle exigé par le texte et doit voir encore sa décision être réformée ; Attendu, en effet, que la S.C.I. ... n'invoque plus aujourd'hui avoir souscrit un crédit spécifique ; qu'elle ne répond nullement à la demande pressante de son adversaire qui réclame à la Cour de lui faire sommation, sous astreinte, de communiquer les contrats dont s'agit ; Attendu que
cette production serait de l'intérêt de l'intimée qui justifierait ainsi d'un moyen propre à l'exonérer de l'obligation de garantie ; que, dans ces conditions, il convient de considérer qu'aucun crédit spécifique n'a été obtenu pour le financement des travaux ; que les motifs retenus par le Tribunal pour écarter l'application des dispositions de l'article 1799-1 du code civil ne sont donc pas pertinents ; Attendu que l'application de cet article est limitée aux sommes dues à l'entrepreneur sur le marché de travaux quand ces sommes dépassent le seuil fixé par décret en Conseil d'Etat ; que, sans détermination de ce seuil, le texte est inapplicable puisqu'il ne se suffit pas à lui-même ; Attendu que le décret du 18 novembre 1994 pris pour la détermination du seuil a été annulé par un arrêt du Conseil d'Etat du 7 octobre 1998 ; que cette annulation est rétroactive, ledit décret étant censé n'avoir jamais existé ; qu'il s'ensuit que si cette annulation ne peut avoir pour effet d'anéantir une garantie qui aurait déjà été donnée en application du texte annulé, elle ne peut, en revanche, permettre à la société E.T.P.M.-BATTAIS de revendiquer le bénéfice de sa mise en demeure à la S.C.I. ... constituer la garantie alors que cette mise en demeure, donnée à un moment où le décret d'application n'avait pas été annulé, n'a été suivie d'aucun effet avant l'annulation de ce texte et ne peut conférer de droit acquis à l'entreprise ; Attendu que le décret du 30 juillet 1999 permet, de nouveau, l'application de l'article 1799-1 du code civil ; que ce décret n'a pas d'effet rétroactif mais s'applique aux contrats en cours ; Attendu que l'économie générale de l'article 1799-1 du code civil, inséré dans une loi relative à la prévention et au traitement des entreprises en difficultés, est de conférer aux entreprises une garantie automatique, supportée financièrement par le maître de l'ouvrage et facile à mettre en oeuvre lui assurant d'être payé du
montant des travaux pour les marchés d'une certaine importance ; que les seules conditions requises par le texte, tiennent à l'absence de stipulation conventionnelle instituant une autre garantie et d'affectation d'un crédit spécifique qui tendraient, eux aussi, à la protection du locateur d'ouvrage et feraient ainsi double emploi avec le mécanisme de cautionnement prévu à l'alinéa 3 ; qu'il suffit, enfin, qu'il reste des sommes dues en exécution du marché ; que ces conditions sont remplies en l'espèce ; Attendu que la créance éventuelle dont peut se prévaloir la S.C.I. ... dans le cadre de l'instance au fond n'empêche nullement que lui soit réclamée la caution bancaire ; qu'en effet, la créance dont s'agit, à déterminer après expertise, n'est ni certaine, ni liquide, ni exigible et ne peut donner lieu, en l'état, à compensation alors qu'il n'est pas contesté qu'un solde important sur les travaux reste dû à la société E.T.P.M.-BATTAIS ; que, par ailleurs, le caractère conservatoire de la mesure sollicitée permet de l'ordonner même si des comptes sont à faire entre les parties ; Attendu que la S.C.I. ... soutient que les réserves ne sont pas levées ; qu'il est incontestable que le marché n'a pas été soldé intégralement et qu'il reste dû des sommes excédant la simple retenue de garantie ; que, dans ces conditions, le contrat n'a pas été intégralement exécuté par les parties et il doit être considéré comme étant toujours en cours ; qu'il sera donc fait droit à la demande d'application de l'article 1799-1 du code civil ; que l'astreinte sera cependant limitée à la somme de 3.000 francs par jour (457,35 ) ; Attendu que, compte tenu de ce qu'il est fait droit à la demande de cautionnement présentée par la société E.T.P.M.-BATTAIS et de ce qui a été dit précédemment sur l'absence manifeste de crédit spécifique, l'appelante sera déboutée de sa demande de communication sous astreinte des contrats relatifs au prétendu crédit spécifique ;
Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser supporter à l'appelante la charge de la totalité des frais irrépétibles qu'elle a dû engager ; qu'il lui sera accordé une indemnité de huit mille francs (8.000 francs soit 1.219,59 ) à ce titre ; PAR CES MOTIFS : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : INFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ; CONDAMNE la S.C.I. ... à fournir à la société E.T.P.M.-BATTAIS, dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, le cautionnement solidaire prévu au troisième alinéa de l'article 1799-1 du code civil et ce, pour un montant de un million cent trente-neuf mille huit cent cinquante-et-un francs et dix-neuf centimes (1.139.851,19 francs soit 173.769,19 ) ; CONDAMNE, faute de constitution de ladite garantie dans le délai prescrit et à l'expiration de ce délai, la S.C.I. ... à une astreinte provisoire de trois mille francs (3.000 francs soit 457,35 ) par jour de retard apporté à la constitution de ce cautionnement ; CONDAMNE la S.C.I. ... à payer à la société E.T.P.M.-BATTAIS une somme de huit mille francs (8.000 francs soit 1.219,59 ) francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes non contraires ; CONDAMNE la S.C.I. ... aux seuls dépens d'appel dans la mesure où les dépens de première instance ont été réservés dans l'attente de la décision au fond ; ACCORDE à la S.C.P. LISSARAGUE, DUPUIS etamp; ASSOCIES, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ; Arrêt signé par Marie-Christine COLLET, greffier et Jean-Pierre MUNIER, président qui l'a prononcé. 0 Arrêt 2000-3438 1 21 mai 2001 2 CA Versailles 3 4 Présidence : M. J-P.MUNIER, Conseillers : Mrs B. Bureau et E. Alesandrini 4 1) Contrat d'entreprise, Obligations du maître d'ouvrage, Garantie de paiement
de l'entrepreneur, Exception, Conditions 2) Contrat d'entreprise, Obligations du maître d'ouvrage, Garantie de paiement de l'entrepreneur, Forme de la garantie, Cautionnement, Application 1) S'agissant de marchés de travaux privés, les dispositions de l'article 1799-1 du code civil, telles qu'issues de la loi d'ordre public du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des entreprises en difficultés, posent en principe que le maître d'ouvrage doit, au delà d'un seuil déterminé, garantir à l'entrepreneur - selon des modalités que ce texte précise - le paiement des sommes dues au titre du marché, sauf les cas où le maître de l'ouvrage a conclu le marché pour son propre compte et pour la satisfaction de besoins ne ressortissant pas à une activité professionnelle en rapport avec ce marché. Dans ce cas, il incombe au maître d'ouvrage de faire la preuve qu'il remplit les conditions cumulatives de l'exemption invoquée, sans qu'à cet égard il ait lieu de distinguer entre personnes physiques et personnes morales. 2) La circonstance qu'un maître d'ouvrage n'invoque plus les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 1799-1 du code civil, relative au recours à un crédit spécifique pour le financement d'un marché de travaux, a, certes, pour effet d'écarter l'application des mécanismes de garantie propres à ce mode de financement, mais elle ne saurait soustraire le maître de l'ouvrage à l'obligation de garantie automatique que la loi a entendu lui imposer. Par suite, dès lors que les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1799-1 précité prescrivent qu'en l'absence de recours à un crédit spécifique et à défaut de garantie conventionnelle, la garantie doit être constituée par la souscription d'un cautionnement auprès d'un établissement de crédit ou un organisme de garantie, il convient d'enjoindre au maître d'ouvrage de fournir à l'entrepreneur le cautionnement requis, peu important que la créance de celui-ci ne soit qu'éventuelle.