COUR D'APPEL DE VERSAILLES 14ème chambre ARRET Nä DU 14 JANVIER 2004 R.G. Nä 03/07604 AFFAIRE : SA EURODIF C/ La CAISSE DE DEPOTS ET CONSIGNATIONS Appel d'une ordonnance de référé rendue le 24 Septembre 2003 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES Expédition exécutoire Expédition Copie délivrées le : à : SCP DEBRAY-CHEMIN SCP JULLIEN LECHARNY ROL REPUBLIQUE FRANCAISE E.D. AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LE QUATORZE JANVIER DEUX MILLE QUATRE, La cour d'appel de VERSAILLES, 14ème chambre, a rendu l'arrêt suivant, prononcé en audience publique, La cause ayant été débattue, à l'audience publique du 03 Décembre 2003 La cour étant composée de : Monsieur Michel FALCONE, Président, Madame Geneviève LAMBLING, Conseiller, Madame Chantal LOMBARD, conseiller, assistés de Madame Hélène X..., Greffier, et ces mêmes magistrats en ayant délibéré conformément à la loi, DANS L'AFFAIRE ENTRE : SA EURODIF - dont le siège est 4 rue Paul Dautier BP35 - 78142 VELIZY, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité. CONCLUANT par la SCP DEBRAY-CHEMIN, avoués près la Cour d'Appel de VERSAILLES PLAIDANT par Me Emmanuel ESLAMI, avocat au barreau de PARIS APPELANTE ET LA CAISSE DE DEPOTS ET CONSIGNATIONS dont le siège est 56 rue de Lille 75007 PARIS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité. CONCLUANT par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL, avoués près la Cour d'Appel de VERSAILLES PLAIDANT par Me Emmanuel ESLAMI, avocat au barreau de PARIS INTIMEE FAITS ET PROCEDURE 5 Saisi par la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS d'une demande en paiement des sommes de 1 532 333,26 avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2002 à titre provisionnel ainsi que 3 000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile le juge des référés du tribunal de commerce de VERSAILLES , par ordonnance du 24 septembre 2003 : - s'est déclaré compétent, - a condamné la société EURODIF à payer à la CAISSE DES
DEPOTS ET CONSIGNATIONS la somme de 750 000 à titre provisionnel avec intérêts au taux légal à compter du 5 février 2003, - a dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus et condamné la société EURODIF à payer à la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS la somme de 1 500 TTC au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens. Appelante et autorisée à assigner la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS à jour fixe, la société EURODIF demande à la cour d'infirmer cette décision et de : - à titre principal, au visa de l'article 96 du nouveau code de procédure civile, constater l'incompétence du tribunal de commerce et renvoyer la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS à se pourvoir devant la juridiction administrative, - en tout état de cause, constater l'existence d'une contestation sérieuse ainsi que d'un différend existant entre les parties et renvoyer la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS à mieux se pourvoir, - la condamner à lui payer la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle fait valoir essentiellement que la loi du 10 février 2000 qui a instauré un service public de l'électricité et prévu que le Fonds du Service Public Pour la Production d'Electricité - FSPPE - doit être alimenté par des contributions dues notamment par les clients finals importateurs d'électricité ou qui effectuent des acquisitions intra-communautaires d'électricité, n'a pas prévu le taux de contribution ni la date à laquelle celle-ci deviendra exigible. Qu'un décret du 6 décembre 2001 a précisé la définition des contributeurs et de l'assiette de la contribution au FSPPE ainsi que les modalités de traitement des défauts de déclaration et des défaillances de paiement. Qu'un arrêté du 25 janvier 2002, pris en application de l'article 20 du décret, a fixé pour l'année 2002 le montant prévisionnel des charges imputables aux missions de service public et le taux prévisionnel de la contribution au FSPPE, le dispositif de
celui-ci ayant été remanié par la loi du 3 janvier 2003. Que par une décision du 15 janvier 2003, la Commission de Régulation de l'Energie l'a mise en demeure de se conformer aux obligations de déclaration prévues par l'article 12 du décret du 6 décembre 2001 pour la quantité d'électricité s'élevant à 510 777 754 Kwh et de verser à la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS la somme de 1 532 333,26 au titre de la contribution au FSPPS dont elle serait redevable. Qu'elle a déposé une requête pour excès de pouvoir contre cette décision devant le Conseil d' Etat le 24 mars 2003 et proposé à la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS de constituer des garanties comme il est d'usage en cas de sursis à paiement en matière fiscales, celle-ci ne lui ayant répondu que par l'assignation en référé devant le tribunal de commerce. Elle soutient que contrairement à ce qu'a estimé le président du tribunal de commerce, le contentieux opposant les parties ne porte pas sur le recouvrement d'une consommation d'électricité mais sur l'assiette et le recouvrement de la contribution au Fonds du Service Public de l'Electricité qui est un impôt, tout comme la contribution au service universel des télécommunications, et relève de la compétence du tribunal administratif, s'agissant en l'espèce, d'un établissement public agissant dans le cadre d'une mission de service public pour le recouvrement d'un impôt. Elle fait également état du caractère sérieusement contestable de son obligation à paiement, eu égard aux différents contentieux en cours, au fait que l'imposition ainsi mise à sa charge est contraire aux dispositions impératives du Traité instituant la Communauté européenne, le législateur en ayant d'ailleurs pris conscience puisqu'il a corrigé cette anomalie par la loi du 3 janvier 2003, soutenant au surplus que la décision de la Commission de Régulation de l'Energie ne pouvait mettre à sa charge une contribution du FSPPE dès l'année 2002 en l'absence de
dispositions législatives fixant ou encadrant le taux d'imposition pour l'année en cause. La CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS conclut au débouté et à l'infirmation partielle du "jugement" entrepris, demandant à la Cour, au visa de l'article 873 du nouveau code de procédure civile, de condamner à titre provisionnel la société EURODIF à lui payer la somme de 1 532 333,56 avec intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2002 ainsi que celle de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle rappelle être chargée de la gestion comptable et financière du Fonds de Service Public de la Production d'Electricité -FSPPE- en application de la loi du 10 février 2000 et du décret d'application du 6 décembre 2001. Que la société EURODIF PRODUCTION a consommé de l'électricité fournie par sa société mère EURODIF qui s'est abstenue de procéder à la déclaration prévue par l'article 12 du décret du 6 décembre 2001 et au paiement de la contribution y afférente soit la somme de 1 532 333,26 . Elle soutient que l'appelante opère une confusion entre le contentieux de l'assiette qui relève incontestablement du juge administratif ainsi qu'en atteste le recours pendant devant le Conseil d'Etat et la procédure de recouvrement qui ne dépend que d'elle. Qu'elle est tenue de procéder au recouvrement des sommes litigieuses comme elle le ferait pour ses propres créances (loyers, remboursements de prêts...). Que la Commission de Recouvrement de l'Energie rendant certes des décisions immédiatement exécutoires mais n'ayant pas reçu du législateur le privilège de s'octroyer un titre exécutoire, la mission de la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS est d'obtenir un tel titre comme elle le ferait pour son propre compte, ce qui constitue une différence fondamentale avec les prérogatives exorbitantes du droit commun de l'administration fiscale. Elle soutient, au surplus, que sa demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse, notamment au regard des
normes communautaires. MOTIFS DE L'ARRÊT Considérant qu'il convient d'ordonner la jonction des procédures enrôlées au greffe de la cour sous les numéros 03/7558 et 03/7604 ; Considérant que la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS, établissement public, est chargée, en application de l'article 1 du décret du 6 décembre 2001, d'assurer la gestion comptable et financière du Fonds de Service Public de la Production d'Electricité, institué par l'article 5 de la loi du 10 février 2000, dans un compte spécifique créé à cet effet et ainsi d'effectuer les opérations de recouvrement, de reversement, de tenir la comptabilité les retraçant, de constater les retards ou les défaillances de paiement des opérateurs et d'engager les actions contentieuses nécessaires au recouvrement ; Que la société EURODIF, elle-même filiale de la COGEMA, est propriétaire de l'usine George BESSE située dans la Drôme, l'exploitation de cette usine ayant été confiée à sa filiale la société EURODIF PRODUCTION, usine ayant pour objet de procéder à l'enrichissement à l'uranium destinée aux réacteurs nucléaires ; Que la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS expose que EURODIF PRODUCTION a consommé de l'électricité fournie par sa société mère EURODIF, laquelle s'est abstenue, à hauteur d'une consommation de 510 777.754 kwh pour la période du premier semestre 2002, de procéder à la déclaration prévue par l'article 12 du décret du 6 décembre 2001 et au paiement de la contribution y afférente soit la somme de 1 532 333,26 qui auraient du être réalisées pour le 31 juillet 2002 ; Que la Commission de Régulation de l'Energie ayant décidé le 15 janvier 2003 que devait être envoyée à la société EURODIF une mise en demeure de payer la somme de 1 532 333,26 , elle a procédé à cette mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception du 5 février 2003 qu'elle a réitérée le 27 février ; Que saisi d'une réclamation par la société EURODIF, la Commission de Régulation de l'Energie a rejeté celle-ci par décision du 6 mars
2003, ce qui l'a conduite à l'assigner devant le tribunal de commerce en référé ; Que contrairement à ce que soutient la société EURODIF, le tribunal de commerce était bien compétent pour connaître de cette demande en paiement puisque l'article 5-1 2ä OE 7 de la loi du 10 février 2000 dispose que les contributions sont recouvrées par la Caisse des Dépôts et Consignations selon les modalités prévues pour les créances de cet établissement et qu'ainsi le droit commun est applicable ; Qu'elle souligne que la société EURODIF se garde bien de produire le moindre texte en sens contraire, la Commission de Régulation de l'Energie rendant des décisions, certes exécutoires, mais n'ayant pas reçu du législateur le privilège de s'octroyer un titre exécutoire ; Mais considérant qu'ainsi que l'objecte la société EURODIF à l'appui de son exception d'incompétence sur le fondement de l'article 92 du nouveau code de procédure civile, la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS gère d'ores et déjà le fonds de service universel des télécommunications qui fonctionne dans des conditions analogues (rapport établi par Monsieur Y..., sénateur, au nom de la commission des Affaires économiques et du plan sur le projet de loi adopté par l'Assemblée Nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité) ; Que par arrêt du 18 juin 2003, le Conseil d'Etat, saisi par la société TISCALI TELECOM, a notamment jugé que "les contributions réclamées au titre du financement du service universel des télécommunications constituent un impôt dont le contentieux, compris parmi le contentieux général des actes et des opérations de service public, relève de la compétence de la juridiction administrative...." ; Qu'ainsi et contrairement à ce que soutient la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS, aucune confusion n'est opérée par l'appelante entre le contentieux de l'assiette et la procédure de recouvrement ; Que la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS,
établissement public agissant dans le cadre d'une mission de service public dévolue par l'article 5 précité de la loi du 10 février 2000 pour recouvrer un impôt ne pouvait que saisir le tribunal administratif, étant rappelé qu'en matière de recouvrement des créances des organismes publics, le critère du choix entre les deux ordres juridictionnels est commandé par la nature de la créance qui se trouve à l'origine du litige ; Qu'il s'ensuit que l'ordonnance entreprise doit être infirmée, le tribunal de commerce de NANTERRE ayant, à tort, retenu sa compétence et la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS renvoyée à mieux se pourvoir ; Considérant que l'équité appelle d'allouer à la société EURODIF la somme de 1 500 au titre des frais irrépétibles exposés, la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS, qui succombe en ses prétentions, étant déboutée de ce même chef et condamnée aux dépens de première instance et d'appel. PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Joint les procédures enrôlées au greffe de la cour sous les numéros 03/7558 et 03/7604, Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de VERSAILLES du 24 septembre 2003, Statuant à nouveau, Se déclare incompétent et renvoie la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS à mieux se pourvoir, La condamne à payer à la société EURODIF la somme de 1 500 (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et la déboute de ce même chef, Condamne la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS aux dépens de première instance et d'appel, la SCP DEBRAY-CHEMIN, avoués, pouvant recouvrer la part la concernant dans les conditions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. Et ont signé le présent arrêt : Monsieur Michel FALCONE, Président, qui l'a prononcé, Madame Hélène X..., Greffier, qui a assisté à son prononcé, Le GREFFIER,
Le PRESIDENT,