COUR D'APPEL DE VERSAILLES 12ème chambre section 2 J.F.F./P.G. ARRET Nä Code nac : 59B contradictoire DU 16 SEPTEMBRE 2004 R.G. Nä 03/01025 AFFAIRE : S.A. HEINEKEN ENTREPRISE nouvelle dénomination de la société BRASSERIES HEINEKEN C/ S.N.C. GLOBE TROTTER (LE) Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Décembre 2002 par le Tribunal de Commerce NANTERRE Nä de chambre : 3ème chambre RG nä :
2002F01639 Expéditions exécutoires Expéditions délivrées le : à :
représentée par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL représentée par la SCP LEFEVRE TARDY etamp; HONGRE BOYELDIEU E.D. REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LE SEIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATRE, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
APPELANTE S.A. HEINEKEN ENTREPRISE nouvelle dénomination de la société BRASSERIES HEINEKEN ayant son siège ..., agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d'Administration domicilié en cette qualité audit siège. représentée par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL, avoués. assistée de Me Marie Claude Y..., avocat au barreau de PARIS (E.1353). ** ** ** ** ** ** ** ** INTIMEE S.N.C. GLOBE TROTTER (LE) ayant son siège ..., agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège. représentée par la SCP LEFEVRE TARDY etamp; HONGRE BOYELDIEU, avoués. assistée de Me Dominique X..., avocat au barreau de PARIS (E.1256). ** ** ** ** ** ** ** ** Composition de la cour : En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Mai 2004 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé de : Madame Françoise LAPORTE, Président, Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller, Monsieur Denis COUPIN, conseiller, Greffier, lors des
débats : Mme Marie-Thérèse GENISSEL, 5FAITS ET PROCEDURE : Par acte sous seing privé du 14 février 1990, la SNC LE GLOBE TROTTER, qui exploite un fonds de commerce de café-bar au TOUQUET (Pas-de-Calais), a souscrit auprès de la Société BRASSERIES HEINEKEN une obligation de fourniture exclusive portant sur la vente annuelle moyenne de 220 hectolitres de bières pour une durée de sept ans. En contrepartie de cet engagement d'approvisionnement exclusif, la Société BRASSERIES HEINEKEN s'est obligée à apporter sa caution à concurrence de 50 % du capital pouvant rester dû sur un prêt de 823.200 F (125.496,03 ) consenti le 06 avril1999 par le CREDIT MARITIME MUTUEL à la Société LE GLOBE TROTTER, ainsi que sa participation à hauteur de 50 % du coût d'installation d'un store d'une valeur totale de 7.500 F (1.143,37 )TTC. Au motif que la Société LE GLOBE TROTTER a cessé de s'approvisionner en produits de la marque HEINEKEN à compter du mois de mai 2001, la Société BRASSERIES HEINEKEN l'a, consécutivement à une mise en demeure restée infructueuse, assignée aux fins de constatation de la résiliation du contrat d'exclusivité et de versement de l'indemnité de rupture prévue à ce contrat. Par jugement du 11 décembre 2002, le Tribunal de Commerce de NANTERRE a : - débouté la Société BRASSERIES HEINEKEN de ses demandes ; - débouté la SNC LE GLOBE TROTTER de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts ; - condamné la Société BRASSERIES HEINEKEN au versement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. La Société BRASSERIES HEINEKEN, désormais dénommée HEINEKEN ENTREPRISE, a interjeté appel de cette décision. Elle fait valoir qu'aucune disposition légale n'impose que le cautionnement, pour être valable, soit consenti concomitamment à l'engagement garanti, de telle sorte que la circonstance qu'elle se soit portée caution plusieurs mois après la conclusion du contrat de prêt n'affecte
nullement la validité de son engagement. Elle soutient que la convention d'approvisionnement en bières ne saurait être dépourvue de cause, au seul motif que le CREDIT MARITIME, qui disposait de garanties suffisantes, a finalement renoncé, un an après la souscription du prêt, au cautionnement de la société appelante. Elle relève que c'est à la date de l'acte du 14 février 2000 que doivent s'apprécier les engagements réciproques des parties au contrat de fourniture de bières ainsi que la cause de ces engagements. Elle constate qu'à cette date, elle était considérée par le CREDIT MARITIME comme une caution qui était susceptible d'être actionnée si les incidents de paiement du débiteur principal devaient se confirmer. Elle souligne qu'aucun événement intervenu postérieurement ne peut avoir fait disparaître la cause de l'engagement de la partie adverse. Elle estime que cette dernière a conclu cette convention de fourniture parce qu'elle avait un intérêt à apporter au CREDIT MARITIME la caution de la Société BRASSERIES HEINEKEN, caution que cet organisme lui a retournée le 25 septembre 2000 en la refusant purement et simplement. Par voie de conséquence, elle demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré, et, statuant à nouveau, à titre principal, de dire que le contrat de fourniture de bières doit recevoir application, et de condamner la SNC GLOBE TROTTER au paiement de la somme de 43.315,36 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 18 décembre 2001, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil. Subsidiairement, au cas où la décision entreprise serait confirmée en ce qu'elle a annulé la convention d'approvisionnement exclusif, elle sollicite la condamnation de la société intimée au paiement de la somme de 43.315,36 euros, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en réparation du préjudice qui a résulté pour elle du refus de la partie adverse de continuer à
s'approvisionner auprès d'elle. Elle réclame en outre 1.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La SNC LE GLOBE TROTTER conclut à la confirmation du jugement. Elle explique que le prêt qui lui a été consenti par le CREDIT MARITIME MUTUEL a été octroyé sans le cautionnement de la Société BRASSERIES HEINEKEN, de telle sorte que l'acte de cautionnement signé par cette dernière le 10 novembre 1999, soit sept mois après la signature de l'acte de prêt, est sans objet. Elle soutient que l'engagement de caution de la partie adverse n'a aucunement été "retenu" par le CREDIT MARITIME, les lettres annuelles adressées par ce dernier aux cautions postérieurement à la renonciation à ce cautionnement notifiée par lettre du 25 septembre 2000 constituant tout au plus des lettres types d'information expédiées de façon automatique. Elle relève que, même s'il avait été retenu par la banque, l'acte de caution ne présentait aucun intérêt pour la société emprunteuse, l'engagement souscrit le 10 novembre 1999 étant en réalité insignifiant puisque cet engagement ne pouvait être mis en oeuvre qu'après que l'organisme prêteur eut démontré avoir vainement tenté de recouvrer sa créance auprès des sept autres cautions. Elle allègue qu'en toute hypothèse, cet acte de prêt n'a pas été consenti grâce à l'intervention et à la caution de la Société BRASSERIES HEINEKEN, le prêt ayant été accordé avant l'intervention de cette dernière et indépendamment de celle-ci. Elle observe que la société appelante n'a pas participé à hauteur de 50 % à l'installation d'un store d'une valeur de 7.500 F (1.143,37 ) HT., de telle sorte l'engagement d'approvisionnement exclusif est dépourvu de contrepartie. Elle en déduit que les premiers juges ont à bon droit estimé que la convention litigieuse est nulle et de nul effet, et qu'ils ont débouté la société appelante de toutes ses demandes. Elle réclame en outre les sommes de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 4.000 euros sur le
fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 février 2004. MOTIFS DE LA DECISION : SUR LA NULLITE DE LA CONVENTION POUR ABSENCE DE CAUSE :
Considérant qu'en application de l'article 1131 du Code civil, l'obligation doit être réputée sans cause en l'absence de contrepartie réelle de la part de l'un des cocontractants; Considérant que c'est à la date de la formation du contrat qu'il convient d'apprécier l'existence de la cause de l'engagement ; Considérant qu'en l'occurrence, il résulte de la convention conclue entre les parties le 14 février 2000 que la SNC LE GLOBE TROTTER s'est engagée à s'approvisionner exclusivement auprès de la Société BRASSERIES HEINEKEN en contrepartie des avantages économiques ou financiers qui lui ont été accordés par cette dernière, à savoir : - un prêt de 823.200 F (125.496,03 ) procuré par le CREDIT MARITIME à BOULOGNE-SUR-MER "grâce à l'intervention et la caution de la Société BRASSERIES HEINEKEN à concurrence de 50 % du capital restant dû" ; - une participation à hauteur de 50 % du coût d'une installation d'un store d'une valeur totale de 7.500 F (1.143,37 ) TTC ; Considérant que, pour conclure à l'existence d'une contrepartie réelle à l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par sa cocontractante, la Société HEINEKEN ENTREPRISE se prévaut de l'acte sous seing privé régularisé par elle le 10 novembre 1999, aux termes duquel elle a déclaré se porter caution simple de la SNC LE GLOBE TROTTER vis-à-vis du CREDIT MARITIME, pour une durée limitée à sept années, à concurrence de 50 % du capital pouvant rester dû à la banque au titre du crédit consenti par cette dernière ; Considérant que la société appelante relève à bon droit que, si le prêt est antérieur de plusieurs mois à la signature de l'acte de caution, aucune disposition n'impose que le cautionnement, pour être valable, soit consenti concomitamment à l'engagement garanti; Mais considérant
que le cautionnement souscrit par elle ne peut constituer une contrepartie réelle à l'engagement d'approvisionnement exclusif mis à la charge du débitant de boissons que si la preuve est rapportée qu'il aurait pu être effectivement mis en oeuvre en cas de défaillance de ce dernier ; Or considérant que, dans un courrier en date du 25 septembre 2000, le CREDIT MARITIME a informé la Société BRASSERIES HEINEKEN qu'elle lui faisait retour de l'acte de cautionnement simple souscrit en sa faveur, puisqu'elle n'avait "jamais retenu cette garantie", l'acte de prêt du 06 avril 1999 ayant été signé par l'ensemble des parties, et que, dès lors, cet acte est "en tout état de cause sans objet" ; Considérant que la société appelante allègue vainement que l'organisme de crédit avait en réalité dès l'origine accepté cette garantie supplémentaire, au motif que, dans une correspondance du 10 février 2000, contemporaine de la signature le 14 février 2000 du contrat de fourniture litigieux, cet organisme lui a fait savoir que le prêt, au titre duquel elle s'est portée caution, accusait un retard dans le remboursement des échéances ; Considérant qu'en effet, dans des correspondances datées des 18 novembre 2002 et 08 janvier 2004, régulièrement versées aux débats, et dont rien n'autorise à contester la sincérité, le CREDIT MARITIME réitère que la Société BRASSERIES HEINEKEN n'est pas partie prenante au prêt du 6 avril 1999, lequel ne prévoyait aucunement l'intervention de ce brasseur, et précise que c'est par erreur que cette société a réceptionné une "lettre type d'information caution" qui lui a été adressée le 10 février 2000, puis à nouveau les 12 juin 2002 et 03 juillet 2003 ; Considérant qu'en l'état de ces éléments, mettant en évidence que la banque prêteuse n'a jamais retenu la garantie consentie par la société appelante, les premiers juges ont à bon droit énoncé que le cautionnement apporté par cette dernière ne peut s'analyser en un "avantage économique et financier" de nature à
avoir constitué, à la date de la signature de la convention litigieuse, la contrepartie de l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par sa cocontractante ; Considérant qu'en toute hypothèse, il résulte des stipulations de cette convention que l'avantage économique et financier accordé au débitant par les BRASSERIES HEINEKEN devait consister en un prêt de 823.200 F (125.496,03 ) procuré par le CREDIT MARITIME de BOULOGNE-SUR-MER "grâce à l'intervention et la caution de la Société BRASSERIES HEINEKEN..." ; Considérant que, toutefois, il apparaît, à l'examen des documents susvisés, que ce prêt a été octroyé par acte du 06 avril 1999 en dehors de toute intervention de la Société BRASSERIES HEINEKEN, fût-ce en qualité de caution; Considérant qu'il s'ensuit que l'avantage dont la société appelante prétend avoir fait bénéficier la SNC LE GLOBE TROTTER, en contrepartie de l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par celle-ci, ne répond pas aux prévisions contractuellement prévues ; Considérant qu'à titre surabondant, il s'infère des mentions de l'acte de cautionnement du 10 novembre 1999 dont se prévaut la Société HEINEKEN ENTREPRISE que cet engagement n'aurait eu vocation à s'appliquer en cas de défaillance du débiteur principal qu'après que le CREDIT MARITIME aurait démontré avoir vainement tenté de recouvrer sa créance auprès des sept autres cautions expressément visées dans l'acte ; Considérant que, dans la mesure où un tel avantage apparaît manifestement dérisoire au regard de l'engagement souscrit par le distributeur, la convention liant les parties doit être déclarée sans cause pour absence de contrepartie réelle offerte par la société appelante ; Considérant que, par voie de conséquence, il convient, en confirmant le jugement déféré, de déclarer nulle et de nul effet cette convention comme étant dépourvue de cause, et de débouter la Société BRASSERIES HEINEKEN de sa demande en paiement de l'indemnité
contractuelle de rupture. SUR LES DEMANDES COMPLEMENTAIRES ET ANNEXES : Considérant que, dès lors que l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par la SNC LE GLOBE TROTTER est nul et de nul effet, cette dernière ne peut se voir imputer un comportement fautif pour avoir cessé de se fournir en bières auprès de la Société BRASSERIES HEINEKEN, désormais dénommée HEINEKEN ENTREPRISE ; Considérant qu'il y a donc lieu de débouter la société appelante de sa demande de dommages-intérêts, présentée à titre subsidiaire sur un fondement délictuel, du chef de cessation prétendument fautive par la société intimée de ses approvisionnements ; Considérant que l'action dont la Société BRASSERIES HEINEKEN a pris l'initiative, même si elle n'a pas prospéré pour les motifs de droit et de fait ci-dessus explicités, ne caractérise pas un abus du droit d'ester en justice de nature à justifier l'allocation d'une indemnité en faveur de la société intimée ; Considérant que, dès lors, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté cette dernière de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive; Considérant que l'équité commande d'allouer à la SNC LE GLOBE TROTTER une indemnité complémentaire de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de la présente instance ; Considérant que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a condamné la Société BRASSERIES HEINEKEN aux dépens de première instance ; Considérant que cette dernière, qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel. PAR CES MOTIFS Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, DECLARE recevable l'appel interjeté par la Société BRASSERIES HEINEKEN, nouvellement désignée HEINEKEN ENTREPRISE, le dit mal fondé ; CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement
déféré ; Y ajoutant : DEBOUTE la Société HEINEKEN ENTREPRISE de toutes ses demandes, présentées tant à titre principal qu'à titre subsidiaire ; CONDAMNE la Société HEINEKEN ENTREPRISE à payer à la SNC LE GLOBE TROTTER la somme complémentaire de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; CONDAMNE la Société HEINEKEN ENTREPRISE aux dépens d'appel, et AUTORISE la SCP LEFEVRE TARDY HONGRE-BOYELDIEU, Société d'Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, Président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, Président et par Mme Marie-Thérèse GENISSEL, greffier présent lors du prononcé Le GREFFIER,
Le PRESIDENT,