COUR D'APPEL DE VERSAILLES 12ème chambre section 2 J.F.F./P.G. ARRET No Code nac : 56B contradictoire DU 21 SEPTEMBRE 2006 R.G. No 05/03442 AFFAIRE : SA REICO venant aux droits de la SARL ADDELUB C/ S.A.R.L. BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES ... Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Mars 2005 par le Tribunal de Commerce de DREUX No Chambre : No Section : No RG : 34/04 Expéditions exécutoires Expéditions délivrées le : à : SCP FIEVET-LAFON SCP BOMMART MINAULT SCP GAS REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LE VINGT ET UN SEPTEMBRE DEUX MILLE SIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre : SA REICO venant aux droits de la SARL ADDELUB immatriculée au registre du commerce et des sociétés 318 746 732 RCS DREUX ayant son siège 13 rue de la Libération 28210 VILLEMEUX, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. représentée par la SCP FIEVET-LAFON, avoués - N du dossier 250465 Rep/assistant : Me Anne ROBERT CASANOVA, avocat au barreau de CHARTRES. APPELANTE ****************S.A.R.L. BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES immatriculée au registre du commerce et des sociétés 382 115 970 RCS LA ROCHE SUR YON ayant son siège La Raisinière 85560 LONGEVILLE SUR MER, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. Appelante incidemment représentée par la SCP BOMMART MINAULT, avoués - N du dossier 00031869 Rep/assistant : la SCP GIBIER-SOUCHON-FESTIVI-RIVIERE, avocats au barreau de CHARTRES. S.A. LUBRO immatriculée au registre du commerce et des sociétés 393 229 588 RCS BOBIGNY ayant son siège 3 rue Henri Becquerel 93270 SEVRAN, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. représentée par la SCP GAS, avoués - N du dossier 20050856 Rep/assistant : la SCP MERCIER - PIERRAT - RIVIERE-DUPUY, avocats au barreau de CHARTRES INTIMES **************** Composition de la cour : En application des
dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Juin 2006 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise LAPORTE, président,
Monsieur Jean-François FEDOU, conseiller,
Monsieur Denis COUPIN, conseiller, Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,
FAITS ET PROCEDURE :
La SARL BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES possède plusieurs matériels de marque John DEERE dont deux tracteurs de type LR 8200 et 6910 et utilisait une huile moteur ADDELUB 15W40 achetée auprès de la société ADDELUB et fabriquée par la SAS LUBRO.
Le 16 septembre 1999, la société BRIDONNEAU a constaté la détérioration anormale du moteur du tracteur type LR 8200 alors qu'il exécutait un épandage.
La société BRIDONNEAU a procédé à une expertise amiable, le 31 mars 2000 menée par le cabinet Vendéen d'expertises, puis obtenu la désignation de Monsieur X..., en qualité d'expert en référé, le 20 mars 2001, lequel a déposé son rapport le 14 octobre 2002.
La société BRIDONNEAU a assigné la société de Recherche Industrielle Chimique de France -REICO- SA, venant aux droits de la société ADDELUB, à la suite d'une fusion absorption en date du 31 mars 2000 en paiement de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de conseil devant le tribunal de commerce de DREUX et cette dernière
a appelé en garantie la SAS LUBRO.
Par jugement rendu, le 10 mars 2005, cette juridiction a condamné la société REICO à payer à la société BRIDONNEAU la somme de 16.025,71 euros majorée des intérêts légaux à compter du 05 mai 2003 et des indemnités en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile de 3.500 euros à cette dernière et de 1.000 euros à la société LUBRO en la déboutant de son appel en garantie à son égard, ordonné l'exécution provisoire, et partagé les dépens comprenant les frais d'expertise à concurrence de 75 % à la charge de la société REICO et de 25 % à celle de la société BRIDONNEAU.
Appelante de cette décision, la société REICO soutient que l'huile qu'elle a vendue ne comportait aucun vice caché ainsi que les experts amiable et judiciaire l'ont indiqué.
Elle prétend que la décision de changer le filtre à l'origine du dommage incombait à la société BRIDONNEAU qui entretient le véhicule. Elle estime ne pas avoir failli à son obligation de renseignement.
Elle fait grief au tribunal de lui avoir reproché d'avoir usé un argumentaire de vente basé sur la durée d'utilisation de l'huile sans tenir compte des conditions d'utilisation spécifiques du matériel, en ajoutant une condition supplémentaire à celles exigées par la jurisprudence en la matière.
Elle fait valoir que la société BRIDONNEAU était seule maître de la durée d'espacement de ses vidanges et qu'il lui appartenait de spécifier, en tant qu'acquéreur professionnel, les éventuelles modalités spécifiques de son matériel.
Elle affirme que la société BRIDONNEAU n'a pas une activité agricole mais de service proposant à ses clients notamment des tracteurs pour effectuer des travaux.
Elle remarque que même si elle devait être déclarée responsable des
désordres survenus, la société BRIDONNEAU, déjà entièrement indemnisée par ses soins, ne pourrait lui réclamer à nouveau paiement.
Elle allègue la mauvaise foi de la société BRIDONNEAU qui, sous couvert de relations commerciales, a obtenu la prise en charge par son fournisseur d'une somme de 120.600 francs TTC (18.385,35 euros) en octobre 1999, sans évoquer la seconde avarie, alors que son assureur lui déniait sa garantie.
Elle se considère fondée à rechercher, en tout cas, la garantie de la société LUBRO.
Elle sollicite donc l'entier débouté de la société BRIDONNEAU, 15.000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1134 du code civil et une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile outre subsidiairement son entière garantie par la société LUBRO.
La société BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES se prévaut des conclusions de l'expert judiciaire pour faire état du manquement à l'obligation de conseil commis par la société REICO.
Elle expose avoir opté pour l'huile ADDELUB en raison des espaces importants entre chaque vidange permis par celle-ci et mis en avant par le fournisseur.
Elle objecte qu'aucune responsabilité ne peut lui être imputée dès lors qu'elle ignorait les caractéristiques et les conséquences de l'huile en cause sur les tracteurs John DEERE.
Elle oppose que l'intégralité de son préjudice n'a pas été réparé.
Elle dénie toute mauvaise foi de sa part en soulignant que la société REICO ne peut prétendre avoir honoré une somme aussi importante que celle de 18.385,35 euros uniquement à titre commercial.
Elle forme appel incident pour voir déclarer la société REICO
pleinement responsable des désordres par elle subis et obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 17.412,05 euros représentant les frais de remise en état du moteur, assortie des intérêts à compter du 05 mai 2003 et leur capitalisation outre une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société LUBRO s'associe à l'argumentation de la société REICO sur l'origine des dommages résultant de la faute exclusive de la société BRIDONNEAU qui n'a pas procédé au changement du filtre lui incombant exclusivement.
Elle oppose, en toute hypothèse, à devoir garantir la société BRIDONNEAU dans la mesure où son huile ne comporte aucun vice caché et où la société REICO était le seul interlocuteur de l'acquéreur.
Elle conclut à la confirmation du jugement déféré du rejet de l'appel en garantie de la société REICO à son encontre sauf à y ajouter une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à son profit.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande indemnitaire de la société BRIDONNEAU :
Considérant qu'il s'infère des énonciations du rapport d'expertise de Monsieur X... que les caractéristiques intrinsèques de l'huile utilisée par la société BRIDONNEAU, fabriquée par la société LUBRO, ne pouvaient pas être mises en cause dans la survenance du sinistre ; Que le technicien a estimé, en fonction de la nature particulière des défaillances sur les groupes moto-propulseur et de leurs localisations similaires, que celles-ci provenaient d'une rupture du film d'huile consécutive à un colmatage d'un trou de graissage au niveau du palier d'arrivée d'huile, le bouchon ayant empêché durant quelques instants la libre circulation d'huile sur la ligne de
vilebrequin ce qui a entraîné l'arrachement des matières au niveau du coussinet et les destructions induites ;
que l'expert a précisé que ce colmatage résultant d'un espacement des vidanges et d'échange de filtres à huile trop important ;
considérant, en effet, que Monsieur X... a relevé que la spécificité dans le type d'usage d'un matériel d'une entreprise à un autre pouvait être différente, le tracteur agricole ayant des périodes d'usage très intenses, puis des temps de repos longs, alors que ce n'est pas du tout le cas pour un moteur de tracteur routier ; qu'il a indiqué que si les qualités de l'huile litigieuse permettait un espacement allongé des opérations d'entretien tout en conservant à ce lubrifiant ses caractéristiques d'origine, il a été oublié que dans un circuit de graissage le filtre à huile tient un rôle primordial et que l'allongement des entretiens provoque un défaut de filtration de l'huile à l'origine des avaries constatées ;
considérant qu'il ressort de ces éléments que l'huile en question ne présentait aucun vice de fabrication en sorte que la responsabilité de la société LUBRO ne peut être engagée à cet égard ;
mais considérant que la société REICO, selon ses propres dires, était le fournisseur de la société BRIDONNEAU depuis plusieurs années au moment des faits et qui, connaissait donc pleinement l'activité exercée par ce client, aurait dû lui donner, en qualité de vendeur professionnel spécialisé en la matière, tous les conseils nécessaires sur les risques encourus sur la vie des moteurs utilisés dans des tracteurs agricoles et le cas échéant, les précautions à prendre compte tenu de la longévité de l'huile ;
considérant toutefois, que la société BRIDONNEAU admet posséder un parc important de tracteurs qu'elle met à la disposition de ses propres clients et en assure l'entretien courant dans ses ateliers en
procédant notamment aux vidanges et graissages, même si elle ne peut être qualifiée de garagiste ;
qu'en tant que telle, la société BRIDONNEAU qui était parfaitement informée des préconisations du constructeur de tracteurs, la société JOHN DEERE, sur l'espacement des vidanges et qui était en mesure de pouvoir s'assurer de l'état du filtre lors de la maintenance régulière des véhicules qu'elle assumait ainsi que de procéder à son changement, a aussi une part de responsabilité dans la réalisation des dommages qui, en fonction de l'ensemble des éléments d'appréciation sera fixée à 50 % en réformant le jugement déféré de ce chef ;
que sa demande indemnitaire ne sera dès lors accueillie qu'à concurrence de la somme de 8.706,03 euros (17.412,05 : 2) au titre des frais de remise en état du moteur, laquelle représentant le solde du préjudice matériel évalué par Monsieur X..., n'a pas contrairement aux dires de la société REICO été acquittée par ses soins puisque n'étant pas comprise dans celle de 18.385,35 euros par elle réglée ;
considérant que les intérêts légaux sur cette indemnité courront à compter du présent arrêt conformément à l'article 1153-1-2o alinéa du code civil ;
qu'il suit de là qu'il n'y a pas lieu à leur capitalisation, les conditions de l'article 1154 du même code n'étant pas réunies.
Sur l'appel en garantie de la société REICO :
Considérant que l'expert n'a, à aucun moment, mis en cause la qualité de l'huile fabriquée par la société LUBRO ;
que le technicien a, au contraire, relevé que ses spécifications répondaient aux normes européennes et internationales et indiqué que ce lubrifiant était recommandé par de grands et divers constructeurs, tels que Renault, Volvo, Mercedes ;
considérant, en outre, que la société REICO, en sa qualité de revendeur de l'huile litigieuse, était le seul et unique interlocuteur de la société BRIDONNEAU ;
qu'ayant ainsi un lien privilégié avec son client entretenu depuis plusieurs années, dont elle connaissait l'activité, il lui appartenait de lui fournir les conseils supplémentaires nécessaires en sollicitant, le cas échéant, des informations supplémentaires auprès de la société LUBRO au cas où certains éléments lui auraient manqué aux fins de renseigner utilement la société BRIDONNEAU ;
que, dans ces conditions, la société REICO n'est pas fondée à rechercher la garantie de la société LUBRO.
Sur la demande en dommages et intérêts de la société REICO :
Considérant que
Considérant que la société REICO ne démontre pas la mauvaise foi imputée à la société BRIDONNEAU pour obtenir le paiement des dommages subis ses deux tracteurs ;
considérant, en effet, que contrairement à ses affirmations, la société REICO était informée de l'existence du second sinistre lorsqu'elle a effectué le règlement de la somme de 120.600 francs (18.385,35 euros), le 20 janvier 2000, dès lors que le courrier adressé, le 19 janvier 2000, par la société BRIDONNEAU à la société ADDELUB, aux droits desquels elle est, évoque l'existence de plusieurs litiges et que l'expert judiciaire relève la transmission, le 02 décembre 1999, par la société BRIDONNEAU à la société ADDELUB, de la photocopie des factures des travaux afférentes aux deux sinistres ;
considérant, en outre, que l'expert amiable a bien tenu une réunion le 31 mars 2000 en présence d'un membre de la société ADDELUB ;
considérant enfin que la société REICO, qui a procédé au règlement en question sans émettre une quelconque observation ou réserve, a donc
estimé devoir se reconnaître redevable de cette somme envers la société BRIDONNEAU;
que sa demande en dommages et intérêts sera rejetée.
Sur les autres prétentions des parties :
Considérant que l'équité commande d'accorder à la société LUBRO une indemnité complémentaire de 2.000 euros en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à la charge de la société REICO qui l'a vainement appelé en garantie ;
considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser aux autres parties de supporter le coût de leurs frais irrépétibles ;
considérant que les sociétés REICO et BRIDONNEAU seront condamnées aux dépens des deux instances dans les mêmes proportions que leur part respective de responsabilité. PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré sous réserve de ses dispositions concernant le rejet de l'appel en garantie de la SA REICO à l'encontre de la SA LUBRO et de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Et statuant à nouveau des autres chefs,
Condamne la SA REICO, aux droits de la SARL ADDELUB, à payer à la SARL BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES, une indemnité de 8.706,03 euros en réparation de son préjudice avec intérêts légaux à compter du présent arrêt,
Dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts,
Déboute la SA REICO de ses demandes en garantie et en dommages et intérêts et la SARL BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES du surplus de ses prétentions,
Condamne la SA REICO à verser à la SA LUBRO une indemnité supplémentaire de 2.000 euros en application de l'article 700 du
nouveau code de procédure civile,
Rejette sa demande et celle de la SARL BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES sur le même fondement,
Condamne la SA REICO et la SARL BRIDONNEAU TRAVAUX AGRICOLES aux dépens des deux instances chacune pour moitié et autorise les avoués des parties à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé
Le GREFFIER,
Le PRESIDENT,