COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
12ème chambre section 2
F.L./P.G.
ARRET No Code nac : 59C
contradictoire
DU 25 OCTOBRE 2007
R.G. No 05/05179
AFFAIRE :
S.A. G3S
C/
SA AGFA GEVAERT
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Avril 2005 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
No Chambre : 3ème
No Section :
No RG : 2004F01102
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
SCP GAS
SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD E.D.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT CINQ OCTOBRE DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. G3S (et SAS selon extrait Kbis) ayant son siège 26 rue Georges Sand 75016 PARIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP GAS, avoués - No du dossier 20050591
Rep/assistant : Me Hervé LEHMAN, avocat au barreau de PARIS (P.286).
APPELANTE
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SA AGFA GEVAERT Immatriculée au registre du commerce et des sociétés 775 729 197 RCS NANTERRE, ayant son siège 274/276 Avenue Napoléon Bonaparte 92500 RUEIL MALMAISON, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD, avoués - No du dossier 0541609
Rep/assistant : Me France GUERIN et Me Stéphane COURNOT, avocats au barreau de PARIS (R.052).
INTIMEE
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Septembre 2007 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise LAPORTE, président chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise LAPORTE, président, (rédacteur)
Monsieur Denis COUPIN, conseiller,
Monsieur François DUCLAUD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,
FAITS ET PROCEDURE :
Le 09 novembre 2000, la société TECSA, aux droits de laquelle se trouve la SA AGFA GEVAERT depuis le 1er février 2003, a confié à la SAS G3S la sous-traitance de la maintenance de ses matériels d'imagerie médicale par contrat d'une durée de 14 mois renouvelable par tacite reconduction par année civile à partir du 31 décembre 2001, sauf dénonciation trois mois au moins avant la fin de chaque année civile.
Ce contrat a été tacitement reconduit en 2001 et 2002.
Consécutivement à la présentation à ses sous-traitants par la société AGFA GEVAERT de son "projet Mozaïc" visant à instaurer une nouvelle organisation de la maintenance de ses équipements à partir de 2004, il a été mis fin aux relations contractuelles entre les parties.
Arguant de la captation de son fonds de commerce par la société AGFA GEVAERT par abus de son état de dépendance économique et violation de ses obligations contractuelles notamment par débauchage de son personnel, la société G3S l'a assignée devant le tribunal de commerce de VERSAILLES, le 06 février 2004, en réparation de son préjudice évalué à 3.202.144 euros sur le fondement des articles L 442-6 et L 420-2 du code de commerce outre 1134 du code civil.
Par jugement rendu le 22 avril 2005, cette juridiction a débouté la société G3S de ses prétentions et l'a condamnée à verser à la société AGFA GEVAERT une indemnité de 6.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Parallèlement à cette action, la société G3S a saisi le conseil de la concurrence, le 1er avril 2004, aux fins d'obtenir la sanction de l'abus de dépendance économique qu'aurait commis la société AGFA GEVAERT à l'encontre de la société G3S.
Le conseil de la concurrence a rejeté sa saisine, conformément à l'article L 462-9 du code de commerce, par décision du 25 novembre 2004 confirmée par arrêt de la cour d'appel de PARIS du 17 mai 2005.
Appelante du jugement du 22 avril 2005, la société G3S dément que son action se heurterait à l'autorité de la chose jugée des décisions précitées du conseil de la concurrence et de la cour d'appel de PARIS en soutenant que celles-ci ne constituent pas des jugements au sens de l'article 480 du nouveau code de procédure civile et ne tranchent pas le litige au fond et que les deux procédures n'ont pas les mêmes cause et objet.
La société G3S indique renoncer au moyen tiré de sa prétendue situation de dépendance économique pour rechercher la responsabilité de la société AGFA GEVAERT.
Elle fait valoir que la société AGFA GEVAERT a négocié de mauvaise foi en tentant de lui imposer de nouvelles conditions contractuelles injustifiées.
Elle prétend qu'alors qu'elle travaillait avec celle-ci comme sous-traitant de manière exclusive, la nouvelle organisation du réseau de maintenance entrainait pour elle une réduction de son activité de près des deux tiers et des tarifs ne permettant pas de couvrir les coûts variables.
Elle ajoute que face à son refus, la société AGFA GEVAERT a rompu le contrat en cours, puis a débauché illicitement la quasi totalité de ses techniciens en violation de la clause de non sollicitation prévue à l'article 16-2 de cette convention, en se prévalant, comme fait nouveau, de l'aveu exprimé par l'intimée lors de l'incident de communication de pièces formé à son initiative devant le conseiller de la mise en état.
Elle allègue que le préjudice en résultant à son détriment consiste dans la disparition de son fonds de commerce ou, à tout le moins, de l'essentiel de son chiffre d'affaires.
Elle considère que son préjudice doit être évalué "conformément aux usages" à deux années de chiffre d'affaires avec le groupe AGFA soit à la somme de 3.202.144 euros, compte tenu de la moyenne au cours des trois dernières années s'élevant à 1.610.072 euros.
Elle critique l'argumentation développée par l'intimée sur ce point en estimant que celle-ci procède d'un raisonnement vicié et que, tant la perte de son chiffre d'affaires en 2004, que le résultat largement déficitaire démontrent son préjudice engendré par les fautes de la société AGFA GEVAERT.
Elle remarque que l'article 4 du contrat ne fait pas obstacle au droit des parties d'obtenir une indemnisation de leur préjudice lié aux conditions anormales de la rupture.
La société G3S sollicite donc la somme de 3.202.144 euros, majorée des intérêts légaux à compter de l'acte introductif d'instance, l'entier débouté de la société AGFA GEVAERT, outre l'octroi d'une indemnité de 10.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société GEVAERT expose que le contrat du 09 novembre 2000 était un contrat cadre définissant les tarifs et conditions d'exécution des prestations de maintenance préventive et curative sans prévision de territoire, ni d'exclusivité.
Elle poursuit avoir décidé en 2002 pour des motifs financiers, d'efficacité technique d'organisation et de satisfaction du client de mettre en place le "plan Mozaïc" destiné à la rationalisation des activités de maintenance de juin 2002 à fin 2003.
Elle en énonce les différentes étapes de précise que ce plan concernait tous les sous-traitants, lesquels l'ont accepté à l'exception de la société G3S.
Elle affirme que la demande de la société appelante est irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée s'attachant aux décisions précitées du conseil de la concurrence et de la cour d'appel de PARIS.
Elle oppose qu'en toute hypothèse, la dépendance économique suppose satisfaits cinq critères qui ne le sont pas en l'espèce en soulignant que la société G3S ne pourrait l'invoquer, en tout cas, en raison de son choix délibéré, de privilégier un courant d'affaires et de négliger des solutions alternatives.
Elle objecte, encore plus subsidiairement, qu'il n'a pas existé un abus de dépendance économique dès lors qu'elle était en droit de dénoncer le contrat sans même devoir offrir un nouveau contrat, qu'elle n'a pas tenté d'imposer des conditions commerciales injustifiées et qu'elle n'a ni récupéré un fonds de commerce, ni débauché le personnel de la société G3S.
Elle précise que la modification des relations contractuelles était motivée par des considérations économiques excluant tout abus.
Elle remarque que l'attribution des zones géographiques dans le plan Mozaïc a été effectuée selon des règles objectives et sans discrimination envers la société G3S, tandis que les nouvelles conditions de rémunération ne sont pas injustifiées.
Elle dément toute faute de sa part dans l'exécution du contrat en relevant que les démissions des techniciens de la société G3S sont dues à leur propre décision et non à sa sollicitation.
Elle invoque l'irréalité de la valeur du "fonds de commerce" allégué par la société G3S qui se caractériserait selon elle par son extrême précarité puisque l'appelante n'avait qu'un seul donneur d'ordre et aucun client propre attaché à l'activité de maintenance confiée par ses soins.
Elle ajoute que l'article 4 du contrat de sous-traitance exclut expressément que la société G3S puisse prétendre à un quelconque droit sur la clientèle.
Elle fait encore valoir relativement au préjudice réclamé par la société G3S que la perte ayant pu résulter de la fin du contrat a dû être considérablement diminuée consécutivement aux démissions ayant eu lieu et que le gain manqué ne pourrait avoir pour objet que son bénéfice et certainement pas un chiffre d'affaires.
Elle soutient que la société G3S ne démontre pas le préjudice qui serait résulté des démissions des salariés.
La société AGFA GEVAERT soulève, en conséquence, l'irrecevabilité des demandes de la société G3S sur le fondement des articles 4 et 480 du nouveau code de procédure civile et 1351 du code civil.
Elle conclut subsidiairement à leur mal fondé et à la confirmation intégrale du jugement déféré.
Elle sollicite 30.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive avec intérêts à compter de l'arrêt à intervenir et une indemnité de même montant en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRET :
Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de chose jugée
Considérant que la société G3S n'a pas cru devoir révéler l'existence de la procédure par elle diligentée devant le conseil de la concurrence et la cour d'appel de PARIS à l'encontre de la société AGFA GEVAERT qui ne l'a découverte qu'au cours de l'instance devant cette cour ;
Qu'en effet, le conseil de la concurrence a, par décision du 25 novembre 2004, rejeté sa saisine par la société G3S en application de l'article L 462-8 alinéa 2 du code de commerce pour défaut d'éléments suffisamment probants au soutien des faits invoqués, avant même d'avoir appelé en cause la société AGFA GEVAERT en tant que défendeur ;
considérant que sur ordonnance rendue, le 26 octobre 2006, par le conseiller de la mise en état, la société AGFA GEVAERT a pu avoir accès à l'ensemble du dossier de cette procédure et se fonde sur l'autorité de chose jugée des décisions précitées pour soulever l'irrecevabilité des demandes de la société G3S ;
considérant que la circonstance que les recours exercés devant la cour d'appel de PARIS contre les décisions du conseil de la concurrence soient régis par le texte spécifique du décret no 87-849 du 19 octobre 1987 ne fait pas obstacle à ce qu'un arrêt rendu par cette juridiction en ce domaine constitue "un jugement" au sens de l'article 480 du nouveau code de procédure civile, revêtu de l'autorité de chose jugée, laquelle s'avère opposable dans une procédure judiciaire ordinaire ;
considérant, en outre, que nonobstant la nature du conseil de la concurrence, la cour d'appel de PARIS lorsqu'elle se prononce sur un tel recours peut non seulement annuler ou réformer sa décision mais dispose aussi, en vertu de la combinaison des articles L 464-8 du code de commerce et 561 du nouveau code de procédure civile, du pouvoir de statuer en fait et en droit, sur les griefs notifiés ;
considérant que l'arrêt de la cour d'appel de PARIS du 17 mai 2005 confirmant la décision du conseil de la concurrence du 24 novembre 2004 constitue une décision contentieuse définitive, aucun pourvoi n'ayant été formé à son encontre ;
considérant que l'argument tiré de ce que celle-ci ne serait pas une décision au fond au motif qu'elle serait intervenue au visa de l'article L 462-8 alinéa 2 du code de commerce est inopérant dès lors que la circonstance que le rejet soit fondé sur une insuffisance de preuve n'enlève rien au caractère de décision de fond que comporte ce rejet ;
considérant qu'il suit de là, que l'arrêt de la cour d'appel de PARIS du 17 mai 2005 bénéficie de l'autorité de chose jugée opposable dans la présente procédure ;
considérant que l'identité des parties, les sociétés G3S et AGFA GEVAERT, entre les deux instances en cause n'est pas discutée ;
considérant que si la société G3S reconnait avoir soulevé le moyen relatif à l'abus de dépendance économique dans les deux procédures, elle soutient que celui tenant à la violation contractuelle au titre de la clause de non sollicitation de l'article 16-2 du contrat du 09 novembre 2000 liant les parties et de l'article 1134 du code civil n'a pas été soumis au conseil de la concurrence et à la cour d'appel de PARIS, pour en déduire une absence d'identité de cause ;
considérant qu'il importe néanmoins d'observer que la société G3S qui a produit le contrat du 09 novembre 2000 devant le conseil de la concurrence, y a fait valoir en substance que la sollicitation prétendument opérée par la société AGFA GEVAERT était fautive, même si l'article 16-2 n'a pas été cité dans la lettre de saisine et a invoqué la clause d'exclusivité de l'article 9 ainsi que sa mise en oeuvre par l'intimée ;
considérant, de surcroît, qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ;
considérant que dès lors qu'il appartenait à la société G3S d'invoquer la violation des articles 16-2 du contrat et 1134 du code civil dans la procédure originaire devant le conseil de la concurrence, comme constitutive de l'abus qu'elle dénonçait de la part de la société AGFA GEVAERT, l'appelante ne peut être admise à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'elle s'est abstenue de soulever en temps utile ;
considérant, par ailleurs, que les deux instances initiées par la société G3S tendent à voir déclarer les mêmes faits imputés à la société AGFA GEVAERT abusifs au regard de l'article L 420-2 du code de commerce ou au sens de l'article 1134 du code civil ;
considérant enfin que l'autorité de chose jugée d'un arrêt rendu sur recours contre une décision du conseil de la concurrence produit ses effets, quand bien même l'objet de l'action ultérieure ne serait plus que la réparation des conséquences dommageables des pratiques concurrentielles dénoncées dans l'instance précédente ;
considérant que les demandes actuelles de la société G3S se heurtent à l'autorité de chose jugée ;
considérant, en effet, que la société G3S allègue deux griefs à l'encontre de la société AGFA GEVAERT résultant d'une négociation de mauvaise foi d'obligations commerciales injustifiées et d'une sollicitation de ses techniciens faisant l'objet d'un fondement contractuel principal tiré de la violation de l'article 16-2 du contrat dont la preuve proviendrait du rapprochement entre la lettre de la société AGFA GEVAERT du 22 septembre 2003, des démissions de 11 techniciens et de leur embauche par l'intimée ou ses sous-traitants ou subsidiairement d'un fondement délictuel par la voie du débauchage illicite ;
considérant que l'allégation des faits et la discussion du premier grief sont identiques dans les conclusions no 3 de la société G3S devant cette cour (pages 12 et 13) à celles figurant dans les écritures de cette société devant la cour d'appel de PARIS (pages 21 et 22) sans qu'aucun fait nouveau ne soit présenté dans l'instance actuelle ;
considérant que relativement au second grief, il s'infère de l'examen des pages 6, 7, 22 et 23 des conclusions du recours de la société G3S devant la cour d'appel de PARIS, que l'argumentation développée par l'appelante dans ses écritures de la présente instance avait déjà été articulée dans la précédente ;
Que l'appelante ne peut utilement alléguer que l'aveu de l'embauche des salariés démissionnaires par la société AGFA GEVAERT et ses sous-traitants serait un fait nouveau en appel dès lors qu'il n'est nullement établi que la société AGFA GEVAERT aurait prétendu en première instance ignorer cet élément et que la société G3S le connaissait dès la procédure devant le conseil de la concurrence et la cour d'appel de PARIS puisqu'elle en fait état dans ses conclusions de recours (page 23) ;
considérant, par conséquent, que les demandes de la société G3S seront déclarées irrecevables.
Sur les prétentions accessoires
Considérant que l'intimée ne démontrant pas un abus caractérisé du droit pour la société G3S d'exercer un recours prévu par la loi, sa demande en dommages et intérêts sera rejetée ;
considérant que l'équité commande, en revanche, de lui accorder une indemnité complémentaire de 10.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
considérant que la société G3S dont les demandes sont irrecevables et qui supportera les dépens d'appel, n'est pas fondée en sa demande au même titre.
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
Vu la décision du conseil de la concurrence du 25 novembre 2004 et l'arrêt de la cour d'appel de PARIS du 17 mai 2005,
Infirme le jugement déféré du chef de l'entier débouté de la SAS G3S,
Déclare la SAS G3S irrecevable en toutes ses demandes sur le fondement des articles 122 du nouveau code de procédure civile et 1351 du code civil,
Rejette la demande en dommages et intérêts de la SA AGFA GEVAERT,
Condamne la SAS G3S à verser à la SA AGFA GEVAERT une indemnité supplémentaire de 10.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
La déboute de sa prétention sur le même fondement,
La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP LISSARRAGUE-DUPUIS-BOCCON-GIBOD, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,