COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
12ème chambre section 2
F.L./P.G.
ARRET No Code nac : 30F
contradictoire
DU 29 NOVEMBRE 2007
R.G. No 06/05913
AFFAIRE :
S.A.S. LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE anciennement dénommée Laboratoires Pharmygiène SCAT
C/
S.N.C. LA B2
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Juin 2006 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No Chambre : 7
No Section :
No RG : 05/02446
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
SCP KEIME GUTTIN JARRY
Me Jean-Pierre BINOCHE E.D.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S. LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE anciennement dénommée Laboratoires Pharmygiène SCAT Immatriculée au registre du commerce et des sociétés 542 044 656 RCS NANTERRE, ayant son siège 2/4 rue Chaintron 92120 MONTROUGE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués - No du dossier 06000706
Rep/assistant : la SCP BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, avocats au barreau de NANTERRE.
APPELANTE
****************
S.N.C. LA B2 ayant son siège 22 place Vendôme 75001 PARIS, ayant pour gestionnaire la société des Centres Commerciaux, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par Me Jean-Pierre BINOCHE, avoué - No du dossier 559/06
Rep/assistant : la SCP JACQUIN-MARUANI, avocats au barreau de PARIS.
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Octobre 2007 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise LAPORTE, Président chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise LAPORTE, président, (rédacteur)
Monsieur Denis COUPIN, conseiller,
Monsieur François DUCLAUD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Thérèse GENISSEL,
FAITS ET PROCEDURE :
Suivant acte sous seing privé en date du 09 avril 1992, la SNC LA B2 a consenti à la société PHARMYGIENE, qui dit être aux droits de la SAS LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE, un bail commercial sur des locaux à usage de bureaux situés dans le centre d'affaires la Boursidière au PLESSIS ROBINSON (92) pour une durée de neuf ans à effet au 1er mai 1992.
Plusieurs avenants sont intervenus portant, en définitive, la surface à environ 1480 m², outre 48 places de parking.
Par acte extrajudiciaire du 30 avril 2001, le bailleur a signifié au locataire un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour le 31 octobre 2001.
Le preneur a conclu, le 19 juillet 2001, un autre bail portant sur des locaux implantés à Montrouge et a déménagé des anciens en octobre et novembre 2001.
Le 10 avril 2002, la société LABORATOIRES OMEGA a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de NANTERRE, lequel, par ordonnance rendue le 07 juin 2002, a désigné Monsieur Y... en qualité d'expert, aux fins de recueillir un avis sur l'indemnité d'éviction.
Le rapport d'expertise a été déposé, le 23 juillet 2004.
La société LABORATOIRES OMEGA a assigné, le 11 février 2005, la société LA B2 devant le tribunal de grande instance de NANTERRE en paiement d'une indemnité d'éviction de 1.979.195 euros.
Par jugement rendu, le 13 juin 2006, cette juridiction a constaté que la société LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE, venait aux droits de la société PHARMYGIENE, déclaré irrecevable comme prescrite son action et l'a condamnée aux dépens.
Appelante de cette décision, la société LABORATOIRES OMEGA confirme venir bien aux droits de la société PHARMYGIENE originairement titulaire du bail.
Elle soutient que la prescription admise par le tribunal ne correspond pas à l'état du droit positif, ni à la position de la doctrine.
Elle fait valoir que le délai de forclusion prévu aux articles L 145-9 et L 145-10 du code de commerce est inapplicable à l'action introduite, comme en l'espèce, sur le fondement d'un congé offrant le paiement d'une indemnité d'éviction.
Elle prétend que l'action fondée sur l'exécution d'un congé offrant le paiement d'une indemnité d'éviction en contrepartie du non renouvellement du bail n'est pas soumise à la prescription de deux ans édictée par l'article L 145-60 du code de commerce selon la jurisprudence.
Elle estime qu'il serait choquant que le bailleur puisse être libéré de toute obligation en raison de l'inertie du locataire à rechercher la fixation du montant de l'indemnité d'éviction.
Elle précise que pour la doctrine, dès lors que le paiement d'une indemnité d'éviction a été offert par le bailleur au locataire qui l'a accepté, celle-ci lui est acquise, seul son montant restant à fixer dans le délai trentenaire de droit commun conformément à la protection d'ordre public du locataire évincé, issue du droit au renouvellement dont le corollaire est le paiement de cette indemnité.
Elle considère que la société LA B2 s'étant reconnue débitrice à l'égard de la société locataire lors de la signification du congé, puis, devant le juge, en cours de procédure de fixation de l'indemnité d'éviction, la prescription a bien été interrompue en application de l'article 2248 du code civil.
Elle en déduit qu'en toute hypothèse, l'action n'est pas prescrite.
Relativement à l'évaluation de l'indemnité principale, la société LABORATOIRES OMEGA observe que la valeur du droit au bail de locaux à usage exclusif de bureaux n'est pas nulle et résulte d'éléments de valorisation tels que la qualité de l'emplacement ou la rareté des locaux en cause.
Elle fait valoir que la détermination de la valeur du droit au bail doit être déterminée selon le différentiel entre le loyer renouvelé et le loyer du marché en se référant aux données fournies par l'expert aboutissant à 137 m² par m² et de 205.637 euros par an et à 1.233.822 euros après application d'un coefficient d'emplacement de 6.
Elle souligne que les indemnités accessoires concernent au titre de l'indemnité de remploi les frais d'intermédiaire immobilier (9.146,41 euros HT), les frais d'avocat (4.444 euros HT), les frais d'enregistrement du bail (85,37 euros HT).
Elle fait aussi état de ses frais de déménagement (29.966,04 euros HT), de travaux de remise en état des locaux délaissés (9.738,14 euros HT).
Elle revendique aussi des travaux et agencements non amortis (9.838,43 euros HT), des frais de réinstallations (120.375 euros HT) ainsi que la réparation d'un trouble commercial correspondant à la mise à contribution à temps complet d'un cadre supérieur et d'une collaboratrice pour permettre le déménagement et la réinstallation pendant respectivement un mois et trois mois (24.536,67 euros HT), outre à 15 jours de la masse salariale réduite du personnel concerné (103.968,41 euros).
Elle invoque encore des frais divers à hauteur d'un montant total de 371.834,07 euros HT.
La société LABORATOIRES OMEGA demande donc à la cour de la déclarer recevable en sa demande et de condamner la société LA B2 à lui verser une indemnité d'éviction globale de 1.979.195 euros HT majorée des intérêts légaux, de dire que le paiement devra intervenir dans les 15 jours du prononcé du "jugement" à venir et "d'ordonner l'exécution provisoire".
Elle sollicite aussi une indemnité de 5.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société LA B2 oppose que le lien juridique entre les sociétés OMEGA PHARMA et LABORATOIRES PHARMYGIENE n'est pas démontré en l'espèce, et s'en remet à justice sur le point tenant à ce que la première vienne bien aux droits de la seconde.
Elle se prévaut de l'arrêt de la cour suprême du 31 mai 2007 pour estimer que la prescription biennale édictée par l'article L 145-60 du code de commerce s'applique à la demande de paiement d'une indemnité d'éviction.
Elle soutient que la société appelante a délivré, le 11 février 2005, son assignation introductive d'instance bien au-delà du délai de prescription expirant le 31 octobre 2003.
Elle objecte qu'en tout état de cause et compte tenu des réserves et du mode conditionnel adopté dans le congé avec refus de renouvellement, il n'y a aucun droit acquis non prescriptif qui ait pu jouer au profit de l'appelante.
Elle estime qu'admettre l'existence d'un délai de trente ans pour permettre au locataire de réclamer la fixation d'une indemnité d'éviction constitue une aberration en matière commerciale et ne repose sur aucun fondement juridique alors surtout qu'en l'espèce, la locataire a quitté les lieux avant même l'expiration de la date d'effet du congé.
La société LA B2 en déduit que les premiers juges n'ont commis aucune erreur d'appréciation.
A titre infiniment subsidiaire, elle indique que l'indemnité principale doit correspondre au préjudice causé par le bailleur en raison de l'éviction à l'exclusion de tout autre et en cas de transfert, à la valeur du droit au bail des locaux dont le preneur est évincé et que les indemnités annexes doivent être directement liées au congé.
Elle prétend que la valeur du droit au bail est nulle eu égard au déplafonnement automatique en vertu des dispositions de l'article 23-9 du décret du 30 septembre 1953.
Elle relève que la société LABORATOIRES OMEGA s'est empressée de quitter les locaux sans même chercher à négocier avec son bailleur le prix du loyer de renouvellement pour se réinstaller avec 8 autres sociétés de son groupe dans un immeuble entier à Montrouge.
Elle estime que si le différentiel devait être pris en compte, il ne serait que de 18 euros le m² soit au total de 26.172 euros (18 x 1.484) auquel un coefficient de situation de 3 devrait être appliqué en sorte que l'indemnité principale devrait être déterminée à la somme de 80.136 euros (26.712 x 3).
Elle considère que les indemnités accessoires réclamées sont totalement exagérées et que toutes les sommes devront être affectées d'un prorata compte tenu des surfaces délaissées et nouvellement louées et du nombre de sociétés bénéficiant de l'immeuble à Montrouge.
Elle souligne que tous les postes de l'indemnité de remploi sont excessifs et qu'il n'est pas justifié que la société appelante ait honoré les frais d'enregistrement.
Elle remarque que les frais de déménagement sont inséparables de la valeur du fonds et en tout cas ne correspondent pas exclusivement à l'éviction.
Elle soutient que les demandes concernant les travaux de remise en état et les travaux et agencements non amortis doivent être écartées tout comme celle afférente aux frais de réinstallation puisqu'ils correspondent à l'exercice d'une nouvelle activité.
Elle considère que la réalité du trouble commercial n'est pas démontrée et que la réinstallation concerne 8 autres sociétés.
Elle ajoute que l'évaluation des frais divers doit être réduite notoirement ou rejetée à défaut de preuve en invoquant, notamment, l'absence d'obligation légale à la destruction des étiquetages anciens.
La société B2 conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrite l'action en paiement de l'indemnité d'éviction sur le fondement de l'article L 145 du code de commerce.
Elle réclame très subsidiairement le rejet de la demande d'indemnité principale et infiniment subsidiaire la détermination de l'indemnité d'éviction ainsi :
- indemnité principale : 80.136,00 euros,
- indemnités accessoires :
* frais d'agence, d'enregistrement : 10.085,37 euros,
* trouble commercial : 13.557,00 euros.
Elle sollicite aussi une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les droits de la société appelante
Considérant qu'il s'infère des extraits Kbis produits aux débats par l'appelante, que la société ayant conclu, le 09 avril 1992, le bail expiré était la SA PHARMYGIENE dont le siège social était à Amiens et immatriculée sous le numéro B 324.445.543, laquelle a changé de dénomination sociale au profit de "LABORATOIRES PHARMYGIENE" ;
considérant que cette dernière a été absorbée par la société MEDGENIX PHARMA, nouvellement dénommée LABORATOIRES PHARMYGIENE, immatriculée à Nanterre sous le numéro B 682.019.229 par fusion en date du 29 juillet 1994 ;
que la société LABORATOIRES PHARMYGIENE (B.682.019.229) a elle-même été absorbée, le 29 août 1997, par la société SCAT, immatriculée à Marseille sous le numéro B 542.044.656 ;
qu'enfin, par décision des actionnaires du 31 octobre 2005, la société LABORATOIRES PHARMYGIENE SCAT a adopté la nouvelle dénomination sociale de LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE ;
considérant qu'il résulte de la chaîne des fusions-aborptions et par application de l'article L 145-16 alinéa 2 du code de commerce, que la société LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE est bien aux droits de la société PHARMYGIENE originairement titulaire du bail, comme l'a constaté, à juste titre, le tribunal.
Sur la prescription de l'action introduite par l'appelante
Considérant qu'aux termes de l'article L 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du chapitre V du titre IV du livre premier du code de commerce, se prescrivent par deux ans ;
considérant que la prescription biennale édictée par l'article L 145-60 du code de commerce n'est pas soumise à la condition que le droit du preneur une indemnité d'éviction soit contesté ;
considérant que tel est le cas, en l'espèce, puisque la société LA B2 a offert à la locataire une indemnité d'éviction dans son congé signifié, le 30 avril 2001, à effet au 31 octobre 2001 avec refus de renouvellement ;
considérant qu'il appartenait donc au preneur de saisir la juridiction du fond par le placement de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction dans un délai de deux ans à compter de la date d'effet du congé à laquelle il lui était loisible de solliciter toute mesure d'instruction utile ;
considérant que la prescription a été interrompue par l'assignation en référé du 10 avril 2002 de la société locataire aux fins d'obtenir une expertise ;
que cette interruption a cessé lors du prononcé, le 07 juin 2002, de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de NANTERRE désignant Monsieur Y... en qualité d'expert, sans pouvoir être prolongé, ni pendant le cours de l'expertise, ni par le dépôt du rapport de l'expert ;
que de même, la reconnaissance par la société LA B2 du droit de la société LABORATOIRES OMEGA à une indemnité d'éviction en contrepartie du non renouvellement du bail s'étant exprimée dès le congé délivré par la bailleresse le 30 avril 2001, la société LABORATOIRES OMEGA n'est plus fondée à s'en prévaloir en tant que cause interruptive ultérieure ;
considérant, par conséquent, que l'action introduite par la société LABORATOIRES OMEGA seulement, le 11 février 2005, après l'expiration le 07 juin 2004 du délai de deux ans suivant la fin de l'interruption du 07 juin 2002, s'avère prescrite ;
que le jugement déféré doit dès lors être entièrement confirmé.
Sur les prétentions accessoires
Considérant que l'équité commande d'allouer une indemnité de 4.000 euros à la société LA B2 en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
que la société LABORATOIRES OMEGA qui succombe et supportera les dépens d'appel, n'est pas fondée en sa demande au même titre ;
Considérant que le caractère exécutoire d'un arrêt étant de droit la demande d'exécution provisoire de l'appelante est sans objet.
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Condamne la SAS LABORATOIRES OMEGA PHARMA FRANCE à verser à la SNC LA B2 une indemnité de 4.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Rejette sa demande sur le même fondement,
La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître BINOCHE, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Arrêt prononcé par Madame Françoise LAPORTE, président, et signé par Madame Françoise LAPORTE, président et par Madame Marie-Thérèse GENISSEL, greffier, présent lors du prononcé
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,