COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 63B
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 10 DECEMBRE 2009
R.G. N° 08/07592
AFFAIRE :
[T] [E]
C/
[P] [W]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Juin 2008 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° chambre : 01
N° Section :
N° RG : 07/5673
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
SCP KEIME GUTTIN JARRY
SCP TUSET-CHOUTEAU
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX DECEMBRE DEUX MILLE NEUF,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Maître [T] [E]
[Adresse 2]
représenté par la SCP KEIME GUTTIN JARRY - N° du dossier 08000749
Rep/assistant : Me Barthelémy LACAN (avocat au barreau de PARIS)
APPELANTE
****************
Monsieur [P] [W]
né le [Date naissance 3] 1937 à [Localité 4] (Maroc)
[Adresse 8])
représenté par la SCP TUSET-CHOUTEAU - N° du dossier 20080479
Rep/assistant : Me HERCE Jérôme (avocat au barreau de ROUEN)
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Novembre 2009, Madame Bernadette WALLON, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT
Par jugement définitif du tribunal de grande instance de Paris en date du 5 juillet 1991, M. [A] [V] a été condamné à payer à M. [P] [W] une somme de 1 700 000 francs en principal avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 1991.
Le 20 juillet 1992, M [P] [W] a fait pratiquer une saisie sur les parts sociales de son débiteur détenues dans une société civile dénommée 'Moger', créée en 1977, propriétaire d'un appartement à [Localité 6], dans laquelle M. [A] [V] possédait 46 % des parts, son épouse 47 % et leur fils [I] les 7 % restant.
M. [A] [V] est décédé le [Date décès 1] 1993. Son épouse et ses deux enfants ont accepté la succession sous bénéfice d'inventaire et n'ont jamais procédé aux opérations de compte, liquidation et partage.
Le 14 octobre 1994, le tribunal de grande instance de Paris a validé la saisie du 20 juillet 1992 et a ordonné la vente des parts sociales de M. [A] [V] aux enchères publiques.
Par arrêt du 18 juin 1996, la cour d'appel a confirmé cette décision et le pourvoi formé par M. [I] [V] a été rejeté le 7 mars 2000.
Lors d'une assemblée générale extraordinaire du 24 février 2000, Mme [D] [M] veuve [V] et son fils [I] [V] ont conféré à ce dernier, en sa qualité de gérant, tout pouvoir pour vendre l'immeuble situé à [Localité 6].
Un acte de vente notarié a été établi le 30 mai 2000 par Maître [Y] assisté par Maître [E], notaire à [Localité 5], conseil des vendeurs, pour le prix de 5 800 000 francs.
Estimant que Maître [T] [E] avait commis une faute en omettant de vérifier la représentation du capital social de la société Moger lors de l'établissement du procès-verbal du 24 février 2000, M. [P] [W] a fait assigner cette dernière devant le tribunal de grande instance de Nanterre, qui, par jugement rendu le 26 juin 2008, a :
- condamné Maître [T] [E] à payer à M. [P] [W] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- autorisé M. [P] [W] à procéder à la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article1154 du Code civil,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné Maître [T] [E] à payer à M. [P] [W] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Appelante, Maître [T] [E], aux termes de ses dernières écritures signifiées le 1er octobre 2009 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, demande à la cour de :
- dire que M. [P] [W] ne prouve pas qu'elle aurait été la rédactrice du PV de l'assemblée générale des associés de la société Moger du 24 février 2000 ayant autorisé celle-ci à vendre son immeuble,
Réformant le jugement entrepris,
- dire qu'en tant que notaire ayant participé à l'établissement de l'acte de vente du 30 mai 2000 en qualité de conseil de la venderesse, elle ne devait ses conseils qu'à sa cliente et que M. [P] [W], qui n'était pas été son client, est mal fondé à lui reprocher un manquement quelconque,
Subsidiairement,
- dire que, sans faute de sa part, elle a ignoré la saisie des 46 parts de la société Moger, l'existence de [P] [W] ainsi que sa créance sur M. [A] [V],
- dire par ailleurs que, conseil de la société venderesse, elle n'était tenue qu'à la fourniture des documents et des renseignements utiles à la régularisation de la seule vente convenue, et que, ce faisant, elle n'encourt aucune critique,
- dire en bref qu'elle n'a pas commis de faute à l'égard de M. [P] [W],
- dire de toute façon que le préjudice allégué par M. [P] [W] est sans relation directe et certaine avec les fautes que celui-ci lui impute,
- débouter M. [P] [W] de toutes ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
M. [P] [W] , aux termes de ses dernières écritures signifiées le 14 octobre 2009 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu l'existence d'une faute imputable à Maître [E] , et en ce qu'il a condamné cette dernière à réparer les conséquences de sa faute,
- l'accueillir en son appel incident et ses conclusions,
- le déclarer recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement sur le quantum alloué à titre de réparation,
Et statuant à nouveau,
- porter à la somme de 320.000 euros le montant de son indemnisation,
- condamner Maître [T] [E] à lui payer cette somme assortie des intérêts capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à compter du jugement,
- condamner Maître [T] [E] à lui payer une somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel, soit au total sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 8.000 euros couvrant les frais irrépétibles de première instance et d'appel outre les dépens.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant que M. [W] reproche à Maître [E] d'avoir omis à l'occasion de la délibération d'assemblée générale extraordinaire de la société Moger en date du 24 février 2000, décidant de la vente de l'immeuble et donnant pouvoir à M. [I] [V] d'aliéner ledit bien, de vérifier la représentation du capital de la société ce qui lui aurait permis de se rendre compte de la disparition de l'un des associés d'origine et d'avoir transmis cet acte à son confrère chargé de la vente de l'immeuble situé à [Adresse 7], appartenant à la société civile Moger dans laquelle elle intervenait en qualité de conseil de la société venderesse, la sci Moger ;
Considérant que Maître [E] conteste avoir rédigé le procès-verbal de l'assemblée générale litigieux ;
Considérant que pour établir que Maître [E] est bien le rédacteur du procès-verbal du 24 février 2000, M. [W] se fonde sur une télécopie émanant de l'étude notariale aux termes de laquelle il est demandé à M. [I] [V] 'd'apposer les initiales au bas de chaque page et de signer la dernière page après la mention : 'certifié conforme' ;
Considérant qu'en l'absence de tout autre élément corroborant que le notaire a bien rédigé ce procès-verbal d'assemblée générale, la seule pièce produite est manifestement insuffisante pour rapporter la preuve de l'intervention du notaire en qualité de rédacteur dès lors qu'il ne peut être exclu l'hypothèse d'un retour du document à son destinataire qui aurait omis, en l'adressant au notaire, de le signer ;
Considérant qu'en tout état de cause, il est constant que ledit procès-verbal a été transmis par Maître [E] à son confrère parisien en vue de l'établissement de la vente de l'immeuble de la SCI Moger ;
Considérant que le notaire doit, avant de rédiger un acte, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer son utilité et son efficacité ;
Considérant ainsi, qu'avant de transmettre le procès-verbal d'assemblée générale du 24 février 2000 à son confrère parisien chargé de dresser l'acte de vente de l'immeuble appartenant à la société Moger, document qui était indispensable à la vente, il appartenait à Maître [E] de vérifier la représentation du capital social, ce qu'elle était parfaitement en mesure de faire puisque les statuts de la société avaient été déposés au rang des minutes de l'étude notariale dans laquelle elle instrumente ; que cette vérification lui aurait permis de découvrir que la société Moger, créée avant le 4 janvier 1978, société civile immobilière particulière, non immatriculée et non sujette à publicité, était à l'origine composée de 3 associés, dont M. [A] [V] qui détenait 46 parts sociales ; qu'elle aurait alors sollicité des explications auprès de M. [I] [V] sur ces parts sociales qui lui aurait soutenu soit que lesdites parts sociales lui avaient été cédées par son père de son vivant ce qu'elle devait vérifier soit qu'elles faisaient partie de la succession de M. [A] [V] ;
Considérant que ce manquement de la part de Maître [E] constitue manifestement une faute dont elle doit répondre sur le fondement de l'article 1382 du code civil à l'égard de M. [P] [W], créancier de M. [A] [V] ;
Considérant que pour être condamné à réparation, il faut une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage ;
Considérant qu'à cet égard, il importe de relever que par acte du 20 juillet 1992, M. [W] a fait pratiquer une saisie-arrêt sur les parts sociales détenues par M. [A] [V] dans le capital social de la société Moger ;
Que ce dernier est décédé le [Date décès 1] 1993 ; que sa veuve Mme [D] [M] et M. [I] [V] ainsi que [K] [V], sa fille, ont accepté sa succession sous bénéfice d'inventaire auquel il n'a jamais été procédé ;
Considérant que sur l'assignation de M. [W] en validité de la saisie-arrêt sus-visée, M. [I] [V] et sa mère ont défendu à l'instance en tant qu'héritiers ; qu'ils ont interjeté appel de la décision rendue et ont soutenu leurs moyens de défense également devant la cour ; que M. [I] [V] a encore formé un pourvoi qui a été rejeté par la cour de cassation ;
Considérant que M. [I] [V] et Mme [D] [M] se sont dans ces procédures judiciaires, comportés comme les héritiers purs et simples de M. [A] [V] ;
Considérant qu'ils ont ainsi tacitement renoncé au bénéfice d'inventaire ;
Considérant qu'ils ont réïtéré leur qualité en autorisant la vente de l'immeuble en cause ce qui était parfaitement régulier en leur qualité d'associé et d'héritiers de M. [A] [V] ; que seule Mme [K] [V], non associée dans la sci Moger mais héritière pour partie des parts sociales de son père pouvait valablement de se plaindre de cette vente ;
Considérant qu'il importe de retenir qu'après la vente, le prix de l'immeuble a été remis à la sci Moger ; qu'il ressort des déclarations de M. [I] [V] au juge d'instruction que 350 000 euros n'avaient pas été distribués pour couvrir la créance de M. [W] ; que ce n'est qu'à la fin du mois d'octobre 2001, lorsque Mme [D] [M] est devenue gérante de la société, que cette dernière s'est octroyé cette somme ;
Considérant qu'il s'ensuit que ce n'est pas tant la vente de l'immeuble elle-même qui a fait perdre à M. [W] toute chance de recouvrer sa créance, mais une absence de diligence manifeste de la part de ce dernier dès lors qu'il était détenteur depuis le 7 mars 2000, date de rejet du pourvoi, d'un titre exécutoire lui permettant de se faire remettre les fonds qui sont restés sur les comptes de la société Moger pendant plusieurs mois soit du 30 mai 2000 date de la vente au mois d'octobre 2001 ;
Considérant qu'il s'ensuit qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute commise par Maître [E] et que le préjudice subi par M. [W] lui est entièrement imputable et résulte du fait qu'il a négligé de poursuivre le paiement de sa créance entre les mains de la société Moger lorsque cette dernière détenait des fonds ;
Considérant que M. [W] sera donc débouté de sa demande d'indemnisation et le jugement entrepris infirmé de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris,
STATUANT À NOUVEAU,
DÉBOUTE M. [P] [W] de toutes ses demandes,
CONDAMNE M. [P] [W] à verser à Maître [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, autorisation étant accordée pour ces derniers à la SCP Keime Guttin Jarry, avoués, de les recouvrer directement conformément à l'article 699 du même code.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,