COUR D'APPELDE VERSAILLES
Code nac : 53L
13ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 18 FEVRIER 2010
R.G. No 08/06086
AFFAIRE :
LICORNE GESTION
C/
SUEZ CANAL BANK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Juin 2008 par le Tribunal de Commerce de NANTERRENo chambre : 8No Section : No RG : 05/F02677
Expéditions exécutoiresExpéditionsCopiesdélivrées le : à :
SCP JUPIN-ALGRIN
SCP FIEVET-LAFON
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX HUIT FEVRIER DEUX MILLE DIX,La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. LICORNE GESTION1 place des Degrés92800 PUTEAUX LA DEFENSE 8représentée par la SCP JUPIN-ALGRIN, avoués - No du dossier 0024743assistée de Maître GRISONI, avocat au barreau de Paris
APPELANTE
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S.A. SUEZ CANAL BANK11 Mohamed SabriEGYPTEreprésentée par la SCP FIEVET-LAFON, avoués - No du dossier 290097assistée de Maître HOSMALIN, avocat au barreau de Paris
INTIMEE
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Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Décembre 2009, Monsieur Jean BESSE, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Jean BESSE, président,Madame Nicole BOUCLY-GIRERD, conseiller,Madame Annie DABOSVILLE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER Les 29 mars et 2 avril 1983, l'organisme de droit public égyptien ESTRAM, a retenu, dans le cadre de deux appels d'offre, la société de droit français I.P.I. TRADE INTERNATIONAL, pour lui livrer deux fois 5.000 tonnes de volailles congelées, d'origine française.
Les livraisons ont eu lieu au mois de juin 1983, mais n'ont pas donné satisfaction à ESTRAM.
La bonne fin des livraisons a été garantie au profit d'ESTRAM par la SA SUEZ CANAL BANK, à hauteur de 484.000 US $.
La banque WORMS aux droits de laquelle se trouve la SA LICORNE GESTION, a contre-garanti la SA SUEZ CANAL BANK pour le même montant, dans des termes identiques.
Se fondant sur la garantie dont elle bénéficiait, ESTRAM a réclamé à la SA SUEZ CANAL BANK le paiement de la somme de 484.000 US $. Le 9 avril 1994, la SA SUEZ CANAL BANK a avisé la SA LICORNE GESTION de l'appel en garantie d' ESTRAM et lui a réclamé le paiement de la somme de 484.000 US $ au titre de la contre-garantie.
N'obtenant pas le paiement réclamé, ESTRAM a fait assigner la SA SUEZ CANAL BANK devant le Tribunal de première instance du Caire-Sud en paiement de la somme de 484.000 US $, et de dommages et intérêts pour le retard dans le paiement. Cette assignation délivrée à une date non précisée a donné lieu à la procédure suivante :- le 20 mai 1987, SA SUEZ CANAL BANK a obtenu l'autorisation d'attraire la SA LICORNE GESTION en la cause,- le 18 novembe 1987 la SA SUEZ CANAL BANK a fait délivrer à la SA LICORNE GESTION une assignation en intervention forcée,- le 24 février 1993, le Tribunal de première instance du Caire-Sud a condamné la SA SUEZ CANAL BANK à payer à ESTRAM la somme de 484.000 US $, mais a rejeté la demande en garantie contre la SA LICORNE GESTION,- le 26 avril 1994, la Cour d'appel du Caire a confirmé la condamnation de la SA SUEZ CANAL BANK et a condamné la SA LICORNE GESTION à garantir cette dernière,- le 12 mars 1999 l'arrêt a été signifié à la SA LICORNE GESTION,- le 7 juin 1994 la SA SUEZ CANAL BANK a formé un pourvoi contre l'arrêt en date du 26 avril 1994,- le 26 décembre 1994, le pourvoi a été signifié à la SA LICORNE GESTION afin de suspendre l'exécution de l'arrêt dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation,- le 15 novembre 1995 la SA SUEZ CANAL BANK a été contrainte d'exécuter l'arrêt en date du 26 avril 1994, et a versé à ESTRAM la somme de 484.000 US $,- par arrêt en date du 18 juin 2001, la Cour de cassation d'Egypte a rejeté le pourvoi,- le 31 décembre 2001, la SA SUEZ CANAL BANK a fait assigner la SA LICORNE GESTION devant le Tribunal de grande instance de Paris en demandant l'exequatur de l'arrêt en date du 26 avril 1994,- par jugement en date du 5 mai 2004, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande d'exequatur de l'arrêt- ce jugement, signifié le 17 juin 2004 à la SA SUEZ CANAL BANK a acquis force de chose jugée.
La présente instance a été introduite par l'assignation que la SA SUEZ CANAL BANK a fait délivrer à la SA LICORNE GESTION le 20 mai 2005.
Par jugement en date du 26 juin 2008, le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription décennale que la SA LICORNE GESTION a soulevée,- condamné la SA LICORNE GESTION à payer à la SA SUEZ CANAL BANK l'équivalent en euros de la somme de 484.000 US $ augmentée des intérêts au taux légal français à compter du 5 novembre 1995,- débouté implicitement la SA SUEZ CANAL BANK de sa demande en paiement de la somme de 1.225.000 € à titre de dommages et intérêts,- condamné la SA LICORNE GESTION à payer à la SA SUEZ CANAL BANK la somme de 12.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA LICORNE GESTION a interjeté appel de ce jugement, et par conclusions signifiées le 29 octobre 2009, demande à la cour :
- d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté la SA SUEZ CANAL BANK de sa demande en paiement de dommages et intérêts,- de déclarer l'action de la SA SUEZ CANAL BANK irrrecevable comme prescrite,- subsidiairement,- de dire que la garantie émise par la SA LICORNE GESTION constitue une garantie "sui generis" imposant au bénéficiaire d'établir la réalité et le quantum de sa créance,- de dire que la créance indemnitaire d'ESTRAM sur la Société I.P.I. est éteinte, faute d'avoir été déclarée au passif de la liquidation judiciaire de cette dernière,- plus subsidiairement,- de dire que la garantie émise par la SA LICORNE GESTION est un cautionnement et ne peut être mise en jeu qu'à la condition qu'il soit démontré que la Société I.P.I. a manqué à son obligation de livraison, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,- plus subsidiairement,- de dire que l'appel de la contre-garantie par la SA SUEZ CANAL BANK est abusif,- en toute hypothèse,- de débouter la SA SUEZ CANAL BANK de sa demande en paiement de dommages et intérêts,- de débouter la SA SUEZ CANAL BANK de sa demande en paiement d'intérêts moratoires,- de condamner la SA SUEZ CANAL BANK à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA SUEZ CANAL BANK, par conclusions signifiées le 4 novembre 2009, forme appel incident et demande à la cour :
- de confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de dommages et intérêts,- de condamner la SA LICORNE GESTION à lui payer la somme de 1.255.000 € à titre de dommages et intérêts,- de débouter la SA LICORNE GESTION de toutes ses prétentions,- de condamner la SA LICORNE GESTION à lui payer la somme de 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la demande de rejet des conclusions
Considérant que par conclusions signifiées le 5 novembre 2009, la SA LICORNE GESTION a demandé le rejet des conclusions signifiées par la SA SUEZ CANAL BANK le 4 novembre 2009, jour de l'ordonnance de clôture ;
Considérant qu'à l'audience du 12 novembre 2009, la clôture de la procédure a été reportée au 2 décembre 2009, et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 10 décembre 2009 ;
Considérant que la SA LICORNE GESTION a ainsi été mis en mesure de répondre aux conclusions signifiées par la SA SUEZ CANAL BANK le 4 novembre 2009 ; que ces conclusions seront déclarées recevables ;
Sur la nature de la garantie et de la contre-garantie
La SA LICORNE GESTION soutient que la nature juridique de la contre-garantie n'a aucune incidence sur le point de départ de la prescription qui se situe dans les deux cas le jour où la garantie donnée par la SA SUEZ CANAL BANK est elle-même devenue exigible. Elle fait observer que si la contre-garantie est un cautionnement, cette règle découle de son caractère accessoire, et subsidiairement que si la contre-garantie est une garantie autonome à première demande, la prescription court à compter du jour où la garantie de la SA SUEZ CANAL BANK a été elle-même mise en oeuvre par ESTRAM.
La SA SUEZ CANAL BANK soutient que la garantie et la contre-garantie ne sont pas des cautionnements, et qu'en conséquence le caractère accessoire avec l'obligation principale n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce. Elle prétend que s'agissant de garanties autonomes à première demande, elle n'a pu agir contre la SA LICORNE GESTION qu'après avoir payé l'ESTRAM, le 15 novembre 1995.
Sur ce :
Considérant qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la garantie, et la contre-garantie donnée dans les mêmes termes, sont des garanties autonomes à première demande, et non des cautionnements, après avoir relevé :
- que les garanties ne sont pas subordonnées à l'inexécution par le débiteur de son obligation, mais font seulement référence au contrat passé entre ESTRAM et la Société I.P.I.,- que la somme, d'un montant déterminé à l'avance sera payée, à la demande du bénéficiaire, de manière inconditionnelle,- que le garant ne peut différer le paiement, ni soulever d'exception
Sur la prescription
La SA LICORNE GESTION soutient que lorsque la SA SUEZ CANAL BANK a intenté l'action en paiement contre elle, le 20 mai 2005, la prescription décennale de l'article L.110-4 du Code de commerce était acquise. Elle fait notamment valoir à ce propos :
- que le régime de la prescription de l'action intentée sur le fondement de la contre-garantie qu'elle a donnée le 25 avril 1983 est celui du droit français,- que la prescription décennale de l'article L.110-4 est donc applicable,- que la SA SUEZ CANAL BANK ne conteste pas l'application de cette prescription, mais seulement la date de son point de départ,- que la prescription court à compter du jour où son obligation de contre-garantie est devenue exigible,- que son obligation de contre-garantie est devenue exigible le 9 avril 1984, date à laquelle la SA SUEZ CANAL BANK lui a demandé d'exécuter sa contre-garantie en lui précisant que l'ESTRAM avait elle-même réclamé le paiement de la garantie,- qu'ainsi la SA SUEZ CANAL BANK a reconnu le caractère exigible, tant de sa garantie que de la contre-garantie qui lui a été donnée,- qu'en outre, en matière de garantie à durée déterminée, comme de cautionnement à durée déterminée, le point de départ de la prescription est le terme extinctif de la garantie, soit en l'espèce le 4 mai 1984 pour la contre-garantie qu'elle a donnée à la SA SUEZ CANAL BANK.
La SA LICORNE GESTION soutient que le délai de 10 ans qui a commencé à courir le 9 avril 1984, et au plus tard le 4 mai 1984, n'a pas été interrompu. Elle fait notamment valoir à ce propos :
- qu'il résulte des dispositions de l'article 2247 du Code civil que l'interruption est regardée comme non avenue si l'action intentée dans le délai est déclarée mal fondée,- que la SA SUEZ CANAL BANK a été déboutée, par le jugement rendu le 24 février 1993 par le Tribunal de première instance du Caire, de l'action intentée contre elle par l'assignation en garantie qui lui a été délivrée le 18 novembre 1987,- que n'ayant pas été avisée de l'appel formé contre ce jugement, l'arrêt rendu le 26 avril 1994 n'a pas eu d'effet interruptif à son égard,- que par jugement en date du 5 mai 2004, devenu définitif, la demande d'exequatur de l'arrêt du 26 avril 1994 a été rejetée par le Tribunal de grande instance de Nanterre.
Subsidiairement, pour le cas où il serait retenu que la prescription a été interrompue jusqu'à l'arrêt de la Cour d'appel du Caire en date du 26 avril 1994, la SA LICORNE GESTION soutient que le point de départ de la prescription de 10 ans devrait être fixée à cette date, et non comme le voudrait la SA SUEZ CANAL BANK à la date du 15 novembre 1995, date du paiement effectué en exécution de cet arrêt.
La SA SUEZ CANAL BANK rappelle que les règles du cautionnement ne sont pas applicables en l'espèce, et soutient que la prescription de l'action du premier garant, à l'encontre de celui qui le garantit, court à compter du jour du paiement effectué au profit du créancier. Elle en déduit qu'elle n'a pu mettre en jeu la contre-garantie de la SA LICORNE GESTION qu'après avoir payé la somme de 484.000 US $ à ESTRAM, le 15 novembre 1995, et qu'en conséquence l'action qu'elle a intentée le 20 mai 2005 n'est pas prescrite.
Sur ce :
Considérant que l'action ayant été introduite le 20 mai 2005, les règles applicables à la prescription de cette action sont celles dans leur rédaction antérieure à la loi 2008-561 du 17 juin 2008
Considérant que la SA SUEZ CANAL BANK et la SA LICORNE GESTION n'ont accordé leur garantie et contre-garantie à ESTRAM que jusqu'au 4 mai 1984 ;
Considérant que la SA SUEZ CANAL BANK ne peut donc prétendre que la garantie qu'elle a donnée n'est devenue exigible que le 15 novembre 1995, sauf à devoir constater que le paiement est intervenu bien après le terme de la garantie ;
Considérant que la date d'exigibilité d'une créance ne se confond pas avec la date de son paiement ;
Considérant qu'en l'espèce la garantie donnée par la SA SUEZ CANAL BANK est devenue exigible lorsque ESTRAM l'a mise en jeu, tandis que la contre-garantie donnée par la SA LICORNE GESTION est devenue exigible le 9 avril 1984, lorsque la SA SUEZ CANAL BANK l'a avisée de l'appel de garantie formé par ESTRAM et lui a demandé de la contre-garantir ;
Considérant que le délai de prescription de l'action de la SA SUEZ CANAL BANK contre la SA LICORNE GESTION a donc commencé à courir le 9 avril 1984 ;
Considérant que ce délai s'est trouvé interrompu par l'assignation que la SA SUEZ CANAL BANK a fait délivrer le 18 novembre 1987 à la SA LICORNE GESTION pour l'attraire devant le Tribunal de première instance du Caire-Sud ;
Considérant cependant que par application des dispositions de l'article 2247 du Code civil l'interruption de la prescription doit être regardée comme non avenue lorsque la demande est rejetée ;
Considérant que l'instance introduite le 18 novembre 1987 par la SA SUEZ CANAL BANK à l'encontre de la SA LICORNE GESTION a donné lieu au jugement du Tribunal de première instance du Caire-Sud en date du 24 février 1993 et à l'arrêt de la Cour d'appel du Caire en date du 26 avril 1994 ; que l'exequatur de cet arrêt a été refusé par jugement rendu le 5 mai 2004 par le Tribunal de grande instance de Nanterrre ; qu'il en résulte que l'arrêt du 26 avril 1994 est privé d'effet vis à vis de la SA LICORNE GESTION, et que l'effet interruptif de cette instance doit être déclaré non avenu ;Considérant que la SA SUEZ CANAL BANK ne peut pas fonder son action sur l'arrêt du 26 avril 1994 qui est inopposable à la SA LICORNE GESTION, à défaut d'exequatur ; qu'elle ne peut se fonder sur aucun autre titre exécutoire ; que son action est en réalité fondée sur la contre-garantie donnée aux mois d'avril et mai 1983 et sur la mise en oeuvre de cette contre-garantie le 9 avril 1984, date de son exigibilité, et date du point de départ de la prescription ;
Considérant que cette action était prescrite lorsque la SA SUEZ CANAL BANK a fait assigner la SA LICORNE GESTION devant le Tribunal de commerce de Nanterre, le 20 mai 2005 ;
Considérant qu'il convient en conséquence de déclarer l'action de la SA SUEZ CANAL BANK irrecevable car prescrite, et d'infirmer le jugement ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,
Déclare recevables les conclusions signifiées le 4 novembre 2009 par la SA SUEZ CANAL BANK,
Infirme le jugement rendu le 26 juin 2008 par le Tribunal de commerce de Nanterre,
Statuant à nouveau,
Déclare l'action intentée par la SA SUEZ CANAL BANK contre la SA LICORNE GESTION irrecevable car prescrite,
Condamne la SA SUEZ CANAL BANK à payer à la SA LICORNE GESTION la somme de 1.500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette la demande que la SA SUEZ CANAL BANK a formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la SA SUEZ CANAL BANK aux dépens de première instance et d'appel, et accorde aux avoués à la cause qui peuvent y prétendre, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean BESSE, président et par Monsieur Jean-François MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,