COUR D'APPEL DE VERSAILLES
Code nac : 80B
15ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 27 OCTOBRE 2010
R. G. No 09/ 03833
AFFAIRE :
Sylvie X... C/ S. A. R. L. CESSOT DECORATION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 28 Août 2009 par le Conseil de Prud'hommes de CHARTRES Section : Encadrement No RG : 08/ 00030
Copies exécutoires délivrées à :
Me Jacqueline CORTES Me Isabelle GRELIN
Copies certifiées conformes délivrées à :
Sylvie X...
S. A. R. L. CESSOT DECORATION
le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE DIX, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame Sylvie X... ... 75007 PARIS
comparant en personne, assistée de Me Jacqueline CORTES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G51
APPELANT ****************
S. A. R. L. CESSOT DECORATION 14 rue Croix la Comtesse 28400 NOGENT LE RETROU
représentée par Me Isabelle GRELIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1930
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2010, en audience publique, devant la cour composé (e) de :
Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président, Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller, Madame Nicole BURKEL, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Pierre-Louis LANE
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Madame Sylvie X... a été engagée par la société SAM LABIGNE EQUIPEMENT le 27 juillet 1999 et avait en charge la gestion d'un portefeuille de clientèle et de son développement.
Le 21 novembre 2002, lui était proposée une mutation au sein de la société CESSOT DECORATION (CD) appartenant au même groupe et ce à compter du 1er décembre 2002.
Par courrier du 25 octobre 2007, Madame Sylvie X... était convoquée à un entretien préalable.
Le 16 novembre suivant, elle faisait l'objet d'un licenciement pour motif économique. La lettre de rupture était libellée dans les termes suivants :
" A la suite de l'entretien préalable qui s'est déroulé le 7 novembre 2007, auquel vous avez été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 octobre 2007, nous vous informons que nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour motif économique.
En effet, ainsi que nous l'avons exposé aux instances représentatives du personnel lors des consultations des 23 octobre 2007 et 5 novembre 2007 ainsi que lors de votre entretien individuel, la situation économique de CESSOT DECORATION n'a cessé de se détériorer depuis 2004 en raison de la baisse continue des marges comme le montrent les chiffres clés ci-dessous au point de menacer gravement la pérennité de l'entreprise. 2004 2005 2006 2007 extrapolation ventes de marchandises 18. 449. 108 € 18. 300. 930 € 16. 788. 015 € 16. 223. 000 € prestations de services 239. 890 € 306. 553 € 547. 973 € 110. 000 € soit chiffres d'affaires H. T. 18. 688. 998 € 18. 607. 484 € 17. 335. 988 € 16. 333. 000 € charges exploitation 18. 440. 542 € 18. 480. 774 € 17. 740. 109 € 17. 129. 000 € dont achats de marchandises 7. 297. 586 € 7. 434. 213 € 8. 107. 572 € 9. 090. 000 € résultat exploitation 443. 092 € 264. 307 €-352. 769 €-796. 000 € résultat courant 172. 833 € 5. 820 €-648. 309 €-1. 147. 000 € résultat 83. 988 € 24475 € 127 €-1. 064. 000 €
Nota : Entre 2005 et 2006, la société mère et ses actionnaires ont consenti des efforts financiers à hauteur de 867. 276 €
Sans ces efforts les résultats de l'entreprise auraient été les suivants : 2004 2005 2006 résultat d'exploitation 443. 092 € 144. 127 €-458. 547 € résultat courant 172. 833 €-114. 360 €-754. 087 € résultat 83. 988 €-95. 705 €-746. 969 €
Ces difficultés économiques rencontrées par CESSOT DECORATION ont plusieurs origines :
1/ Après avoir annoncé plus de 27M € de pertes entre 2004 et 2005, EURODIF, le client le plus important de CESSOT DECORATION, a dû se résoudre à la liquidation judiciaire de sa filiale MAXI LIVRES en 2005 et à la cession des murs d'une vingtaine de magasins EURODIF/ BOUCHARA situés en centre villes.
Ce client, qui représentait 40 % du CA de la société CESSOT DECORATION à la fin des années 90, est passé de 3. 400 k € en 2002 à 1. 800 K € en 2006 et ne devrait pas dépasser 1. 000 K € en 2007.
2/ a) Le référencement auprès d'une enseigne de la GSB demande un investissement initial important. Tout nouveau référencement est conditionné par la reprise automatique des stocks des produits concurrents déréférencés. Il peut même s'agir de nos propres produits dont une enseigne souhaite arrêter le référencement.
En 2007, les dernières reprises de stocks concurrents des nouveaux référencements réalisés courant 2006 ont ainsi coûté plus de 300 K € dont une faible partie revendable.
2/ b) Les GSB centralisent tous leurs achats à travers des centrales d'achats au sein desquels les acheteurs sollicitent en permanence les entreprises concurrentes au moyen d'appels d'offre et exercent par conséquent une pression constante sur les prix.
3/ La société réalise presque 50 % de ses ventes avec des tubes et accessoires en laiton, Or, entre 2005 et 2007, le prix des matières premières n'a cessé d'augmenter ; le prix du laiton a connu une augmentation de plus de 200 % dont seulement 30 à 40 % en 2005 et le reste, soit plus de 160 %, en 2006.
La baisse des cours mondiaux du laiton, observée au 1er trimestre 2007 ne s'est pas confirmée ; à ce jour les marchés n'excluent pas que le cuivre composant le laiton puisse atteindre 8. 000 € la tonne dans les mois qui viennent.
La plupart des contrats clients étant annuels ou pluriannuels, nous n'avons pu représenter ni immédiatement ni intégralement ces augmentations des matières sur les prix de ventes.
Cela a entraîné une diminution des marges de plus de 1. 100 K € entre 2004 et 2006.
4/ Dans le but de compenser au moins partiellement les augmentations de matières premières, la société a recherché à remplacer ses fournisseurs CEE (Espagne, Allemagne, Portugal) par des fournisseurs chinois (main d'oeuvre de 30 à 50 % moins chère qu'en Europe).
A ce jour, le grand import n'a pas rapporté les résultats escomptés, en raison de la difficulté de mise en place de circuits fiables, dans des délais raisonnables. Les coûts d'approche (fret et acheminement) sont plus importants que prévus (12 à 25 % du prix d'achat) tandis que les délais de livraison sont plus longs nécessitant une anticipation des approvisionnements d'environ 3 mois. Ces délais sont également un frein à la réactivité demandé par nos clients. Enfin, le taux de non-conformité des produits sur chaque container peut aller jusqu'à 10 %.
La conjugaison de l'augmentation considérable des matières premières et de la demande constante de baisse de prix de la part des acheteurs des grandes surfaces de bricolage a entraîné une diminution des marges. Le résultat d'exploitation qui représentait un bénéfice de 2, 4 % du CA en 2004 affiche une perte de 2 % du CA en 2006 et de près de 5 % prévue en 2007.
Cette évolution de l'activité de notre société aurait comme conséquence une perte en 2007 de l'ordre de 1060 K € soit pratiquement la totalité des fonds propres de la société, de lui faire perdre à la fois des clients rentables et fournisseurs stratégiques et de porter une grave atteinte à son image de marque, ce qui serait particulièrement fatale dans ce contexte.
Afin d'assurer sa pérennité, la société doit donc prendre des mesures nécessaires et urgentes :
- une augmentation générale des tarifs, parfois importante (entre 6 à 20 €) selon les produits et/ ou les enseignes comprenant la nécessité d'assumer le non renouvellement des contrats avec les clients qui n'accepteront pas l'augmentation. Ceci devrait avoir pour conséquence une baisse du CA global 2008 (entre 15 et 15, 5 M € EN 2008 contre 16-16, 3 M € en 2007) en raison de la perte globale d'un certain nombre de contrats peu rentables et non stratégique (LEROY MERLIN Italie, Espagne, Portugal, Grèce, divers tissus voilages, grossistes, quincailliers) ;
- l'augmentation des marges et l'amélioration du taux de service au détriment du dévloppement de nouvaux produits et de l'augmentation du portefeuille clients qui ne sont plus prioritaires aujourd'hui.
Ces mesures entraînent nécessairement :
- un recentrage de l'activité sur les productions classiques ;
- une meilleure maîtrise des fournisseurs actuels CEE et grand import, par réduction de leur nombre et la négociation de vrais contrats de partenariat ;
- un suivi plus systématique et cohérent de la clientèle actuelle,
- l'arrêt du développement en volume au détriment de la compétitivité amène notre société à devoir adapter ses services administratifs et commerciaux au nouveau périmètre d'activité réduite et rend inévitable la nécessité de procéder à la suppression de plusieurs postes pour adapter les effectifs de la société à ses besoins de fonctionnement.
Dans ces conditions, la société va recentrer ses approvisionnements auprès des fournisseurs actuels CEE et grand import. Nous sommes donc contraints de supprimer votre poste d'acheteuse qui ne justifie plus.
Malgré nos recherches, votre reclasement à l'intérieur de l'entreprise s'avère impossible, compte tenu de son effectif réduit et de l'absence de toute perspectif de recrutement dans le conteste précédemment décrit.
Nous avons cherché un reclasement externe en prenant contact par lettres auprès de sociétés susceptibles d'être intéressées par votre candidature à ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse positive mais nons ne manquerons pas de vous transmettre toute information sur un emploi possible. "
Madame Sylvie X... bénéficiait de plus de 2 ans d'ancienneté et percevait en dernier lieu un salaire mensuel de 3. 889 €.
La convention collective régissant la relation de travail est celle de la métallurgie d'Eure et Loir.
Elle devait saisir le Conseil de Prud'hommes de CHATRES de demandes tendant à voir déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé à son encontre et condamner son employeur à lui verser diverses sommes à ce titre.
Par jugement rendu le 28 août 2009, le Conseil de Prud'hommes de CHARTRES (section encadrement) a :
- dit le licenciement reposant bien sur un motif économique,
- dit la société CD ayant bien respecté son obligation de reclassement à l'égard de Madame Sylvie X...
En conséquence,
- débouté Madame Sylvie X... de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société CD de sa demande reconventionnelle,
- dit que chaque partie conserverait la charge des dépens.
Madame Sylvie X... a régulièrement relevé appel de cette décision.
Par conclusions déposées au Greffe de la Cour soutenues oralement à l'audience Madame Sylvie X... a demandé l'infirmation du jugement déféré et la condamnation de son ex-employeur à lui payer la somme de 95. 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre celle de 3. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
En réplique la société CESSOT DECORATION a fait conclure et soutenir oralement la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que le licenciement économique, cause réelle et sérieuse de rupture et en ce qu'il a débouté Madame Sylvie X... de toutes ses demandes.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que l'article 1233-3 du Code du travail dispose :
" Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'un suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ;
Considérant que la dégradation économique de la société CESSOT DECORATION a été rigoureusement décrite dans la lettre de licenciement que ces difficultés sont suffisamment établies par les pièces versées au débat ; qu'elles sont récurrentes depuis 2005 et apparaissent dans les procès-verbaux des différentes réunion du Comité d'entreprises et délégué du personnel à intervalle régulier ; que la suppression du poste de Madame Sylvie X... était justifié ; que toutefois pour parfaire la légitimité d'un licenciement économique il résulte de l'article 1233-4 du Code du travail qu'un tel licenciement " ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ;
Que le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord express du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposé au salarié sont écrite et précises " ;
Considérant que la salariée a soutenu qu'aucune recherche n'a été effectuée dans le cadre du groupe notamment au niveau de la SAS CESSOT et des autres sociétés du groupe ; qu'elle fait valoir qu'il est reconnu explicitement dans la lettre de licenciement que les recherches de reclassement ont été limitées à la seule société de NOGENT LE RETROU, CESSOT DECORATION ;
Que Si cette obligation de reclassement interne qui incombe à l'employeur est effectivement une obligation de moyen, l'employeur doit néanmoins rapporter la preuve qu'il a fait toutes les démarches ci-avant rappelées ; que dans le cas présent il a été établi par les pièces versées au débat que la société CESSOT DECORATION s'intégrait dans un groupe, que la salariée a exposé que les sociétés C METAL et CESSOT AGENCEMENT, propriété de la SAS CESSOT, a procédé à des embauches concomitantes à son licenciement sans que la société appelante ne produise les documents tels que livre d'entrée et de sortie du personnel qui auraient été de nature à rapporter la preuve contraire ; que dans la lettre de rupture la recherche de reclassement est limitée à l'entreprise de NOGENT LE RETROU ; que l'employeur dès lors n'a pas rapporté la preuve qu'il a satisfait sérieusement à l'obligation de reclassement qui lui incombe ; que dès lors le jugement entrepris sera infirmé et le licenciement économique de Madame Sylvie X... sera déclaré sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que cette salariée est en droit de prétendre à une indemnité minimum correspondant à ses six derniers mois de salaire ; qu'elle avait une grande ancienneté sans avoir démérité dans son activité professionnelle ; qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 38. 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que les dommages-intérêts pour inobservation de l'ordre des licenciements ne se cumulent pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Que le salarié sera débouté de sa demande à ce titre ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la salariée la totalité des frais qu'elles ont dû exposer en appel, qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement économique de Madame Sylvie X... fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau,
Dit le licenciement économique de Madame Sylvie X... sans cause réelle et sérieuse,
Condamne en conséquence la société CESSOT DECORATION à payer à Madame Sylvie X... la somme de 38. 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute Madame Sylvie X... de ses autres demandes,
Condamne en outre la société SARL CESSOT DECORATION à verser la somme de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Madame Sylvie X... aux dépens,
Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
et signé par Monsieur Jean-Michel LIMOUJOUX, Président, et par Monsieur Pierre-Louis LANE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,