COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 2AA
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 31 MARS 2011
R.G. N° 10/01624
11/00001
AFFAIRE :
[D] [R] [K]
C/
[E] [Z] [O]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Février 2010 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° chambre : 4
N° Section :
N° RG : 07/5473
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- Me Claire RICARD
- Me Farid SEBA
- MINISTERE PUBLIC
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TRENTE ET UN MARS DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [R] [K]
né le [Date naissance 2] 1929 à [Localité 8] (Algérie)
[Adresse 3]
représenté par Me Claire RICARD - N° du dossier 2010143
Rep/assistant : Me CATONI (avocats au barreau de PARIS)
APPELANT (RG 10/01624)
DEMANDEUR à la question prioritaire de constitutionnalité (RG 11/0001)
****************
Mademoiselle [E] [Z] [O]
née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 7] (Australie)
[Adresse 5] - ROYAUME UNI
représentée par Me Farid SEBA - N° du dossier 0012850
Rep/assistant : Me Dominique TRICAUD (avocat au barreau de PARIS)
INTIMEE (RG 10/01624)
DEFENDERESSE à la question prioritaire de constitutionnalité (RG 11/0001)
EN PRESENCE DE MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL
représenté par Madame SCHLANGER, substitut général, à qui la présente cause a été communiquée
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue en chambre du conseil le 17 Février 2011, Madame Bernadette WALLON, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT
Les parties ont été informées par le président de la date de délibéré fixée au 31 mars 2011.
Le 7 juillet 1978, Mme [H] [Z] [O] a donné naissance à Mme [E] [Z] [O] qui a été inscrite le 25 juillet 1978 sur les registres de l'état civil de l'état de Victoria (Australie). L'enfant n'a pas été reconnue par son père.
Par jugement du 13 juin 2008, le tribunal de grande instance de Nanterre, saisi à la requête de Mme [O] née le [Date naissance 6] 1978 à [Localité 7] (Australie) d'une action en recherche de paternité à l'encontre de M.[D] [K], a déclaré l'action recevable et avant dire droit au fond a ordonné un examen comparatif des sangs. M.[D] [K] a interjeté appel de cette décision le 4 août 2008. Par ordonnance d'incident du 5 février 2009, confirmée par la cour d'appel de Versailles par arrêt du 18 juin 2009, le conseiller de la mise en état a déclaré M.[K] irrecevable en son appel immédiat.
Par jugement du 12 février 2010, le tribunal, statuant après dépôt par l'expert judiciaire d'un rapport de carence, a rejeté les exceptions soulevées par M.[K], a dit que M.[D] [K] né le [Date naissance 4] 1929 à [Localité 8] (Algérie) est le père de [E] [Z] [O] née le [Date naissance 6] 1978 à [Localité 7] (Australie), ordonné la mention du jugement sur l'acte de naissance de la demanderesse et condamné M.[K] à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 2 mars 2010, M.[D] [K] a interjeté appel du jugement rendu le 12 février 2010 '(ou à toute autre date)' par le tribunal de grande instance de Nanterre.
Par conclusions signifiées le 31 mars 2010 et déposées au greffe le même jour, puis par conclusions signifiées le 12 mai 2010, M.[K] a soutenu que l'article 20-IV de l'ordonnance n°2005-750 du 4 juillet 2005 ne saurait recevoir application étant entachée d'inconstitutionnalité et comportant des dispositions contradictoires qui le rendent inapplicable. Il a en conséquence demandé à la cour de dire et juger que l'action engagée par Mme [E] [Z] [O] le 5 avril 2007 était prescrite, ayant été engagée plus de dix ans après que celle-ci ait atteint sa majorité le 7 juillet 1996, débouter Mme [O] de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens. La cour a rejeté la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par arrêt du 27 mai 2010.
Par conclusions signifiées le 31 décembre 2010 puis par conclusions signifiées le 2 février 2011, M.[D] [K] a de nouveau demandé à la cour de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité, de dire et juger que l'article 20-IV de l'ordonnance n°2005-750 du 4 juillet 2005 ne saurait recevoir application étant entachée d'inconstitutionnalité, ne présentant aucun caractère d'urgence ou de nécessité de modification immédiate des délais de prescription, dire et juger que l'action engagée par Mme [E] [O] le 5 avril 2007 est prescrite, ayant été engagée plus de dix ans après que celle-ci ait atteint sa majorité le 7 juillet 1996, débouter Mme [O] de ses demandes, la condamner au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par conclusions en réponse signifiées le 24 janvier 2011, Mme [E] [O] demande à la cour de rejeter la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, de condamner M.[D] [K] à lui payer la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions au fond signifiées le 2 février 2011 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, M.[D] [K] demande à la cour de :
- dire et juger que la nullité des conclusions adverses s'impose car les pièces 1 à 26 de première instance ne sont pas identifiées ni communiquées à nouveau,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 12 février 2010,
- écarter des débats les attestations qui ne répondent aux conditions de validité des articles 200 et suivants du code de procédure civile,
- dire et juger que l'intimée doit rapporter la preuve qu'elle n'a fait l'objet d'aucune reconnaissance de paternité ou de légitimation alors qu'elle ne produit aucun acte d'état civil ayant un caractère probant à ce sujet,
Considérant que l'intimée ne rapporte pas la preuve de la teneur exacte de la loi australienne qu'elle invoque, ni de la jurisprudence actuelle relevant de l'application de cette loi,
Considérant qu'elle n'établit pas non plus la réalité de la cohabitation qu'elle invoque et qui se rapporte à une période très ancienne qui normalement doit être couverte par la prescription,
Qu'à cet égard, il ne saurait être considéré comme ayant acquiescé à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 27 mai 2010 intervenu sur la formulation par lui de la question prioritaire de constitutionnalité,
- débouter Mme [E] [O] en toutes ses demandes,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de maître Claire Ricard, avoué, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme [E] [O], aux termes de ses dernières conclusions au fond signifiées le 24 janvier 2011 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, demande à la cour de :
Vu les articles 310-3, 311-14 et 327 du code civil,
- confirmer le jugement du 12 février 2010 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner M. [D] [K] à lui payer la somme de 3 500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile'
- condamner M. [D] [K] aux dépens d'appel dont distraction au profit de maître Farid Seba, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le ministère public, par écritures signifiées le 19 janvier 2011 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé , demande à la cour de rejeter la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité et de confirmer le jugement entrepris.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2011.
M.[D] [K] a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture et sa demande a été rejetée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 16 février 2011.
MOTIFS
La demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité pouvant être débattue et examinée en même temps que le fond de l'affaire puisque l'affaire est en état d'être jugée, un ultime renvoi ayant été accordé pour permettre à l'intimée de répondre aux derniers moyens, il convient d'ordonner la jonction des dossiers n°10/1624 et n° 11/01.
sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité
Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 31 décembre 2010 dans un écrit distinct des conclusions de M.[D] [K], et motivé.
En application de l'article 126-6 du code de procédure civile, le refus de transmettre la question dessaisit la juridiction du moyen tiré de la question prioritaire de constitutionnalité . Toutefois, lorsque ce refus a été exclusivement motivé par la constatation que la disposition législative contestée n'était pas applicable au litige ou à la procédure en cause, la juridiction peut, si elle entend à l'occasion de l'examen de l'affaire faire application de cette disposition, rétracter le refus et transmettre la question.
Par arrêt du 27 mai 2010, la cour a refusé de transmettre de la question prioritaire de constitutionnalité au motif que la déclaration d'appel du 2 mars 2010, qui ne vise que le jugement au fond rendu le 12 février 2010, ne défère pas à la cour le jugement avant dire droit rendu le 13 juin 2008, que l'arrêt de la cour du 18 juin 2009, en confirmant l'ordonnance du conseiller de la mise en état, a définitivement déclaré irrecevable l'appel immédiat portant sur le jugement du 13 juin 2008 et ainsi mis fin à cette instance d'appel, que dans la mesure où la cour ne demeure saisie que du litige au fond, la question de la recevabilité de la demande ayant été définitivement tranchée, les dispositions de l'article 20-IV de l'ordonnance n°2005-759 du 4 juillet 2005 ratifiée par la loi n°2009-61 du 16 janvier 2009 ne sont pas applicables au présent litige.
Le moyen est donc recevable.
Conformément aux dispositions de l'article 545 du code de procédure civile, l'appel du jugement avant dire droit et l'appel du jugement sur le fond doivent être formés en un seul acte ou par deux actes du même jour. Une déclaration d'appel qui ne contient que l'indication du jugement rendu sur le fond du litige ne défère pas à la cour d'appel le jugement antérieur qui, dans la même instance et sans y mettre fin , a statué sur une fin de non recevoir.
Il s'ensuit que la cour qui n'est pas saisie d'un appel contre le jugement avant-dire droit formé en même temps que l'appel du jugement sur le fond, ne peut statuer sur la question de la recevabilité de la demande de sorte que les dispositions de l'article 20-IV de l'ordonnance n°2005-759 du 4 juillet 2005 ratifiée par la loi n°2009-61 du 16 janvier 2009 ne sont pas applicables au litige.
Il n'y a donc pas lieu de rétracter le refus et de transmettre la question.
Sur la nullité des conclusions signifiées
M.[D] [K] soutient que les conclusions de l'intimée sont nulles car le bordereau de communication des pièces ne vise que 26 pièces non détaillées communiquées en première instance.
Aux termes de l'article 112 du code de procédure civile, la nullité pour vice de forme des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement; mais elle est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité.
Mme [E] [O] a conclu au fond pour la première fois le 5 juillet 2010 et a mentionné en dernière page de ses écritures sous l'intitulé 'Liste des pièces',
Pièces 1 à 26 : pièces de première instance
- 27: extraits du rapport de M.[I] [M]
- 28:décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 2004.
Elle a présenté de façon identique ses conclusions en réponse du 24 janvier 2011, l'article 132 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable, n'exigeant pas une nouvelle communication des pièces de première instance en cause d'appel.
M.[D] [K] a conclu en réponse le 31 décembre 2010 faisant valoir ses moyens au fond sans soulever la prétendue nullité des conclusions ne comportant pas le détail des pièces de première instance.
L'exception de nullité soulevée par l'appelant ne peut être accueillie car elle a été couverte par celui qui l'invoque.
sur le fond du litige
Selon l'article 311-14 du code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant. Conformément à l'article 3 du même code, il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en application la règle de conflit de lois et de rechercher le droit étranger compétent.
Mme [E] [O], qui est née en Australie d'une mère née en Australie, justifie par la production aux débats d'une copie du passeport de Mme [H] [Z] [O] de la nationalité australienne de cette dernière qui demeurait dans l'état de Victoria au moment de la naissance de sa fille. Il convient donc de faire application de la loi australienne.
Selon la loi australienne, 'Family Law Act 1975 partie VII division 12 et partie VII A des règlements du droit de la famille , en cas de litige sur la filiation d'un enfant, le tribunal peut ordonner une procédure de test de lignée afin d'obtenir des informations en vue de déterminer la filiation et enjoindre à la personne concernée de s'y soumettre (articles 69V et 69W). S'agissant d'une personne de plus de 18 ans, le tribunal peut tirer les conclusions, qui lui paraissent justes compte tenu des circonstances, d'un refus de se soumettre au test (article 69Y). Un enfant né d'une femme qui a cohabité à tout moment pendant une période ne commençant pas plus tôt que 44 semaines et pas moins que 20 semaines avant la naissance avec un homme auquel elle n'était pas mariée, est présumé être celui de cet homme (article 69Q) ; la présomption peut être combattue par l'homme à qui incombe la charge de la preuve qu'il n'est pas le père de l'enfant (article 69U).
Ainsi, conformément à la loi australienne, il suffit à Mme [E] [O] de démontrer que sa mère a cohabité avec M.[D] [K] pendant la période légale de conception qui se situe entre la 44 ème et la 20ème semaine avant la naissance pour que celui-ci soit présumé être son père.
Il ressort des attestations produites aux débats, lesquelles, bien qu'elles ne soient pas toutes conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, ne seront pas écartées des débats dès lors qu'elles présentent des garanties suffisantes pour emporter la conviction et que M.[K] n'indique pas en quoi l'irrégularité constatée lui fait grief , que durant l'été 1977 et jusque fin octobre 1977, Mme [H] [Z] [O] a travaillé sur le bateau de croisière Castalia sur lequel elle a rencontré M.[D] [K], alors accompagnateur de groupes de voyageurs, et qu'ils ont entretenu des relations intimes. Quelques mois plus tard, Mme [O] a confié à M.[T], à Mme [U] et Mme [N] [X], personnes qui ont travaillé avec elle sur le navire, que l'enfant attendu avait pour père M.[D] [K]. Elle espérait alors qu'une relation pourrait s'instaurer entre l'enfant et son père, qui était informé de la naissance et auquel elle envoyait des photos sans toutefois obtenir la moindre réponse.
Mme [H] [Z] [O] confirme par un écrit que le père de sa fille [E] est M.[D] [K].
Il s'ensuit que Mme [E] [O], qui n'a aucune filiation paternelle établie comme le démontre la copie de son acte de naissance, rapporte suffisamment la preuve des relations intimes ayant existé entre sa mère et M.[K], caractérisant ainsi la cohabitation visée par la loi australienne qui n'exige pas une communauté de vie stable mais fait seulement référence à une cohabitation à tout moment pendant la période légale de conception.
M.[D] [K], qui n'a pas accepté de se prêter à l'examen comparatif des sangs sans motif valable puisqu'il a été convoqué par l'expert à six reprises y compris à proximité de son lieu de séjour temporaire, ne rapporte pas la preuve qu'il n'est pas le père de Mme [E] [O].
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant après débats en chambre du conseil, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,
ORDONNE la jonction des dossiers n°10/1624 et 11/01 et dit que l'instance se poursuit sous le n° 10/1624,
DIT n'y avoir lieu à rétractation de la décision de refus de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité,
REJETTE l'exception de nullité des conclusions de l'intimée,
REJETTE la demande tendant à voir écarter des débats les attestations non conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
CONDAMNE M.[D] [K] à payer à Mme [E] [O] la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel,
DÉBOUTE M.[D] [K] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code susvisé
CONDAMNE M.[D] [K] aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de maître Seba, avoué, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président, par Madame Sylvie RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,