COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 10B
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 MAI 2011
R.G. N° 10/01693
AFFAIRE :
MINISTERE PUBLIC
C/
[L] [N]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Janvier 2010 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 1
N° Section :
N° RG : 08/7116
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- MINISTERE PUBLIC
- SCP BOMMART MINAULT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ MAI DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
MINISTERE PUBLIC
représenté par Madame SCHLANGER, Substitut Général près la Cour d'Appel de Versailles
APPELANT
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Monsieur [L] [N]
né le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 6] - Province de Kovancilar (Turquie)
[Adresse 3]
représenté par la SCP BOMMART MINAULT - N° du dossier 00038202
Rep/assistant : Me Jean-Louis MALTERRE (avocat au barreau de PARIS)
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mars 2011 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Dominique LONNE, conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
M. [L] [N] a contracté mariage le [Date mariage 2] 1993 avec Mme [D] [C] par devant l'officier d'état civil de [Localité 5] (Allemagne) avec déclaration au consulat de France. Les époux ont adopté le régime de la séparation de biens.
Le 16 septembre 1998, M. [L] [N] a procédé à la déclaration en vue d'acquérir la qualité de ressortissant français au tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris. La déclaration de M. [L] [N] a été enregistrée le 30 juillet 1999.
Le divorce de M. [L] [N] avec Mme [D] [C] a été prononcé par jugement du 15 mars 2005.
Le 20 janvier 2006, M. [L] [N] s'est marié en seconde noce avec Mme [R] [E] dont il a reconnu les trois enfants.
La transcription de l'acte de mariage et des actes de naissances sur les registres d'état civil français a eu lieu le 19 avril 2009 à la demande de M. [L] [N].
Par acte d'huissier en date du 30 juillet 2008, le procureur de la République du tribunal de grande instance de Versailles a assigné M. [L] [N] aux fins de constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, d'annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite et constater l'extranéité de M. [L] [N], d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et statuer sur les dépens.
Par jugement en date du 27 janvier 2010, le tribunal de grande instance de Versailles a :
- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action du procureur de la République,
- rejeté la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de M. [L] [N],
- laissé les dépens à la charge du trésor public.
.Le ministère public a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses écritures signifiées le 5 juillet 2010, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens, il demande à la cour de :
- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- infirmer le jugement entrepris et constater l'extranéïté de l'intéressé,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
M. [L] [N], aux termes de ses conclusions signifiées le 18 janvier 2011 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens, demande à la cour de :
A titre principal,
- s'assurer que les formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile ont été effectuées,
- confirmer la décision entreprise,
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action de M. le procureur de la République,
A titre subsidiaire,
- dire mal fondée l'action de M. le procureur général, l'en débouter,
En toute hypothèse,
- condamner l'appelant à verser à M. [L] [N] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- mettre les dépens à la charge du trésor public, dont distraction au profit de la SCP Bommart Minault, avoués, et ce, selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2011.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civil a été délivré ;
Sur la recevabilité de l'action introduite par le Ministère pubic
Considérant que M. [L] [N] soulève la prescription de l'action du parquet en l'absence de toute présomption de fraude avérée ; qu'il expose qu'il était marié à une française depuis 1993 et que la communauté de vie n'a cessé qu'en 2004 puisque c'est postérieurement à l'ordonnance de non conciliation du 24 février 2004 qu'il a quitté le domicile conjugal et que le divorce des époux a été prononcé le 15 mars 2005 ; que l'existence d'une relation adultère ne saurait laisser présumer d'une fraude ;
Que le ministère public fait état de sa volonté de s'approprier la fortune de son épouse et d'un prétendu abus l'état de faiblesse de son épouse alors que cette dernière a fait l'objet d'une mesure de curatelle selon jugement du 7 septembre 2007 sans que soit caractérisé un état de faiblesse antérieur à cette date de sorte que l'appelant ne peut se prévaloir d'aucune fraude ;
Considérant que selon l'article 26-4 alinéa 3 du code civil : 'L'enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte';
Considérant que comme le soutient le ministère public, ce n'est pas le jugement de divorce qui pouvait permettre de détecter la fraude organisée par M. [L] [N] mais le fait qu'il ait abusé de l'état de faiblesse de Mme [D] [N] révélé par le jugement du 7 septembre 2007 plaçant cette dernière sous curatelle simple au regard de son besoin d'être assistée et contrôlée dans tous les actes de la vie civile ;
Considérant que cette situation a été portée à la connaissance du Ministère de la Justice par l'envoi d'un dossier constitué par le Ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, sous direction de l'accès à la nationalité française selon bordereau daté du 30 mai 2008, faisant suite à un courrier de la préfecture de police au Ministère de l'immigration en date du 13 mars 2008 ;
Considérant en conséquence que l'assignation délivrée à M. [L] [N] par le ministère public par acte du 30 juillet 2008 l'a manifestement été dans le délai de deux ans prévu par l'article 26-4 du code civil ;
Considérant que le moyen tiré de la prescription de l'action introduite par le ministère public n'est donc pas fondé ;
Considérant qu'il convient de déclarer l'action du ministère public recevable ;
Sur le fond
Considérant que pour acquérir la nationalité française l'étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française, l'article 21-2 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 16 mars 1998 applicable en la cause, prévoit que la déclaration ne peut être souscrite qu'après un délai d'un an à compter du mariage et à la condition que la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux ;
Considérant que la communauté de vie comporte un élément matériel mais aussi intentionnel, la volonté de vivre en union ; que ceci suppose le respect des obligations légales nées du mariage et notamment des dispositions de l'article 212 du code civil ;
Considérant qu'il ressort des circonstances que M. [L] [N] n'était manifestement pas animé d'une réelle volonté de vivre durablement en union avec Mme [C] lors de sa déclaration acquisitive de nationalité le 16 septembre 1998 enregistrée le 30 juillet 1999 ;
Considérant qu'il est avéré que parallèlement à la constitution d'un patrimoine en son nom propre par l'achat de biens en Turquie, M. [L] [N] a entretenu une relation stable avec Mme [R] [E] et que trois enfants sont nés de cette union entre 1999 et 2004 ; que le 20 janvier 2006, il a épousé en Turquie Mme [E] et qu'un quatrième enfant est né le [Date naissance 1] 2006 ; que le 19 avril 2006, il a reconnu les trois premiers enfants nés hors mariage de son épouse et que depuis 2007 toute la famille réside en France ;
Qu'il s'ensuit la preuve de l'existence d'une communauté de vie n'est pas établie alors qu'au contraire M. [L] [N] n'a pas respecté ses obligations tant familiales que financières à l'égard de Mme [C] entretenant une double vie et n'ayant jamais contribué à l'entretien du ménage, comme il le reconnaît lui-même ;
Considérant que les éléments du dossier mettent en évidence que M. [L] [N] a abusé de Mme [C] pour détourner des sommes d'argent à son profit et celui de sa véritable famille pour acquérir des biens en Turquie et qu'il s'est empressé, après son divorce, d'épouser Mme [E] après avoir obtenu la nationalité française pour lui-même et en faire bénéficier ses enfants et sa nouvelle épouse ;
Considérant qu'en présence d'une telle fraude parfaitement démontrée, il y a lieu d'annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite par M. [L] [N] le 16 septembre 1998 et de constater son extranéïté ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONSTATE que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civil a été délivré,
INFIRME le jugement entrepris,
REJETTE la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action introduite par le ministère public,
CONSTATE l'extranéïté de M. [L] [N] né le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 6] - Province de Kovancilar (Turquie),
ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil,
CONDAMNE M. [L] [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,