COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 91A
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 MAI 2011
R.G. N° 10/00458
AFFAIRE :
LA DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
C/
S.N.C. SPV CERGY
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Novembre 2009 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE
N° chambre : 3
N° Section :
N° RG : 08/1564
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD
- SCP FIEVET LAFON
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DOUZE MAI DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
LA DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
représentée par le chef des services fiscaux chargé de la DIRCOFI d'Ile de France Ouest élisant domicile en ses bureaux [Adresse 3]
représenté par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD - N° du dossier 1047352
APPELANT
****************
S.N.C. SPV CERGY
société en nom collectif inscrite au RCS de PARIS sous le numéro 438 821 878 ayant son siège [Adresse 2] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP FIEVET LAFON - N° du dossier 20100149
rep/assistant : selarl HUET et ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS)
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Mars 2011, Madame Bernadette WALLON, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT
La SNC SPV Cergy, dont l'objet social, selon ses statuts du 2 août 2001, est l'acquisition, la détention et l'exploitation par voie de location de tous biens immobiliers ou droits réels, et généralement toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à l'objet social et susceptibles d'en favoriser l'exploitation ou le développement, a acquis par acte du 14 novembre 2001 un immeuble à usage de bureaux et locaux annexes situé [Adresse 1] moyennant le prix de 20 588 239,78 euros.
S'étant placée sous le régime de l'article 1115 du code général des impôts, elle s'est engagée à revendre le bien dans un délai de 4 ans et a bénéficié de la seule taxation au titre des droits de mutation au taux de 0,60% puisqu'elle avait le 21 août 2001 adressé au centre des impôts la déclaration d'existence prévue par l'article 852 du même code relative à l'activité de marchand de biens.
L'objet social de la société SNC SPV Cergy a été modifié par décision de l'assemblée générale du 20 septembre 2002 et étendu à l'activité de marchand de biens.
Par acte du 18 décembre 2003, la SNC SPV Cergy a revendu à la SNC NATIONCREDIMURS l'immeuble situé [Adresse 1] pour le prix de 21.200.000 euros , étant précisé que cette vente constituait le premier terme d'une opération de cession-bail à intervenir. Cette vente a été soumise exclusivement à la taxe de 0,60% .
La SNC SPV Cergy a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a donné lieu à la contestation, par la direction générale des impôts, de sa qualité de marchands de biens et, en conséquence, de son droit au bénéfice du régime favorable de l'article 1115 du code général des impôts.
L'administration fiscale a procédé au rappel des droits de mutation et notifié un redressement le 20 novembre 2006 à hauteur de 880 076 euros au titre des droits et de 342 829 euros au titre des intérêts. Les diverses réclamations de la SNC SPV Cergy n'ont pas abouti et un avis de mise en recouvrement a été notifié le 10 mai 2007, lequel a été annulé et remplacé par un nouvel avis de mise en recouvrement du 6 mars 2008 pour un montant identique.
Par acte signifié le 6 février 2008, la SNC SPV Cergy a fait assigner la direction générale des finances publiques devant le tribunal de grande instance de Pontoise qui, par jugement du 4 novembre 2009, a :
- rejeté l'exception de prescription,
- prononcé la décharge de l'intégralité des impositions, pénalités et intérêts de retard mis à la charge de la SNC SPV Cergy au titre de l'avis de mise en recouvrement n° 07045059 M du 6 mars 2008, faisant suite à la décision de rejet du 6 décembre 2007 et à l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007,
- condamné la direction générale des impôts à payer à la SNC SPV Cergy la somme de 1 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la direction générale des impôts aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article L 207 du livre des procédures fiscales.
Appelante, la direction générale des impôts, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 18 octobre 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
- remettre à la charge de la SNC SPV Cergy l'intégralité des impositions, pénalités et intérêts de retard établies par l'avis de mise en recouvrement n° 07045059 du 6 mars 2008, faisant suite à la décision de rejet du 6 décembre 2007 et à l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007,
- d'annuler la décision du tribunal de grande instance de Pontoise condamnant l'administration fiscale à payer à la SNC SPV Cergy la somme de 1 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- annuler la décision du tribunal de grande instance condamnant l'administration fiscale aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article L 207 du livre des procédures fiscales,
- débouter la SNC SPV Cergy de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner l'intimé aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, par la SCP Lissarrague, Dupuis Boccon Gibod, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SNC SPV Cergy, par conclusions signifiées en dernier lieu le 21 janvier 2011 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription,
Statuant à nouveau,
- faire droit à sa demande d'exception de prescription,
- prendre acte de l'avis de dégrèvement intervenu le 1er avril 2010,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
prononcé la décharge de l'intégralité des impositions, pénalités et intérêts de retard mis à la charge de la SNC SPV Cergy au titre de l'avis de mise en recouvrement n° 07045059 M du 6 mars 2008, faisant suite à la décision de rejet du 6 décembre 2007 et à l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007,
condamné la direction générale de impôts à payer à la SNC SPV Cergy la somme de 1000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la direction générale de impôts aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article L 207 du livre des procédures fiscales.
En conséquence,
- constater que la SNC SPV Cergy exerçait une activité de marchand de biens et qu' elle pouvait bénéficier du régime de faveur tel que prévu par l'article 1115 du code général des impôts,
- annuler la décision de rejet en date du 6 décembre 2007,
- annuler l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007,
- annuler l'avis de mise en recouvrement n° 07045059 M du 6 mars 2008 qui remplace et annule l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007,
En conséquence,
- prononcer la décharge des impositions contestées, des pénalités et intérêts de retards afférents
En tout état de cause,
- condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge de l'Etat dont distraction au profit de la SCP Fievet Lafon, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- il est rappelé à toutes fins utiles à la cour de céans que la SNC SPV Cergy avait sollicité, dans sa réclamation contentieuse du 5 juin 2007, le sursis au paiement des sommes mises en recouvrement en application de l'article L 277 du livre des procédures fiscales et qu'elle a fournit aux services fiscaux à titre de garanties, le cautionnement de l'un de ses associés et le nantissement de son fonds de commerce.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 février 2011.
MOTIFS
sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
Conformément à l'article L 186 du livre des procédures fiscales, le droit de reprise de l'administration s'exerce pendant dix ans à partir du jour du fait générateur de l'impôt sauf s'il est prévu un délai de prescription plus court.
Selon l'article L 180 du livre des procédures fiscales, pour les droits d'enregistrement, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration. Toutefois ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures.
La prescription abrégée n'est donc applicable que si la déclaration établit complètement l'exigibilité certaine des droits omis et si l'administration peut constater, au vu du document et sans recherche extérieure, l'existence du fait juridique imposable.
Si la vérification par l'administration fiscale du respect par la SNC SPV Cergy des conditions de forme édictées par l'article 1115 du CGI, soit d'une part la conformité aux obligations particulières prévues par l'article 290 du même code portant sur les obligations en matière d'enregistrement (article 852 du CGI) et en matière de communication (article 88 du code de procédure fiscale), d'autre part la manifestation de l'intention de revendre dans un délai de quatre ans, pouvait être effectuée à partir du document de déclaration sans recherche particulière, en revanche, l'appréciation de la qualité de marchand de biens définie par l'article 35-I 1er impose des recherches postérieures à l'acte d'acquisition pour s'assurer que la condition d'habitude édictée par ce dernier texte est remplie, sachant qu'elle peut être appréciée au regard de l'activité de la société dans les années suivant l'achat ainsi que de celle de ses associés. Le contrôle ne peut donc être qu'a posteriori sur la base d'éléments extérieurs à la déclaration éventuellement survenus après l'opération .
Il s'ensuit que la prescription triennale n'est pas applicable en l'espèce comme l'a exactement jugé le tribunal.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
sur le fond
Selon l'article 1115 du code général des impôts, sous réserve des dispositions de l'article 1020, les achats effectués par les personnes qui réalisent des affaires définies au 6° de l'article 257 sont exonérés des droits et taxes de mutation à condition d'une part qu'elles se conforment aux obligations particulières qui leur sont faites par l'article 290, d'autre part qu'elles fassent connaître leur intention de revendre dans un délai de quatre ans.
L'article 257- 6° vise les opérations qui portent sur des immeubles et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels ou commerciaux. Il est de jurisprudence constante que ces dispositions concernent les opérations d'achat et de revente en l'état qui procurent aux personnes s'y livrant à titre habituel des profits auxquels l'article 35-I-1° al1 attribue le caractère de bénéfices industriels ou commerciaux.
L'article 35-I-1° dispose que présentent le caractère de bénéfices industriels et commerciaux pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles.
Ainsi, il ressort de l'application combinée des dispositions des trois articles susvisés, que le régime de faveur prévu par l'article 1115 du CGI ne peut bénéficier qu'à des marchands de biens définis comme des personnes, physiques ou morales, qui réalisent à titre habituel des achats en vue de leur revente.
Dès lors, il convient de rechercher si la société SPV Cergy remplit, non seulement les conditions de forme édictées par l'article 1115, d'une part la conformité aux obligations particulières prévues par l'article 290 du même code portant sur les obligations en matière d'enregistrement (article 852 du CGI) et en matière de communication (article 88 du code de procédure fiscale), d'autre part la manifestation de l'intention de revendre dans un délai de quatre ans, mais également si elle peut être considérée comme marchand de biens, qualité qui suppose qu'elle se livre habituellement à des opérations d'achats-reventes de biens immobiliers avec une intention spéculative.
Il n'est pas contesté par l'administration que la société SPV Cergy a respecté les obligations édictées par l'article 290 du CGI en matière d'enregistrement (articles 634 et 852 du CGI) ainsi que celles concernant le droit de communication de l'article 88 du code de procédure fiscale et qu'elle a revendu le bien immobilier dans les quatre ans de l'acquisition, comme elle s'y était engagée, même s'il s'agit d'une convention de 'lease-back' et que le bien a été immédiatement remis à sa disposition dans le cadre d'une location assortie d'une promesse de vente.
Contrairement à ce que soutient l'intimée, la condition d'habitude est essentielle pour bénéficier du régime édicté par l'article 1115 puisque cet article renvoie à l'article 257 -6° lequel renvoie nécessairement à l'article 35-I-1°pour déterminer quels résultats d'opérations portant sur des immeubles doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels ou commerciaux.
Or, en l'espèce, il est établi qu'au moment de l'achat intervenu le 14 novembre 2001, l'objet social de la SPV Cergy, selon ses statuts du 2 août 2001, ne comportait pas l'activité de marchand de biens, qui ne fut ajoutée que par décision de l'assemblée générale du 30 septembre 2002, que la SNC SPV Cergy n'a effectué depuis sa création jusqu'en novembre 2006 qu'une seule opération d'achat-revente, laquelle est insuffisante pour caractériser le critère d'habitude même s'il s'agissait d'une opération importante. En outre, la revente s'est effectuée dans des conditions particulières puisque la société venderesse a continué à avoir la jouissance de l'immeuble dans le cadre d'un bail avec promesse de vente ce qui, sans remettre en cause la réalité de la vente, confirme qu'elle a voulu réaliser une transaction patrimoniale sans pour autant se livrer de façon habituelle à une activité de marchand de biens.
Quant aux associés, ils ne se livrent pas davantage de façon habituelle à des opérations d'achat et de revente de biens immobiliers. En effet, selon les statuts, sont associées les sociétés Nabucco I et Nabucco II, dont l'objet social est la prise de participation par voie de souscription d'achat ou d'échange au capital de toutes sociétés, la souscription d'emprunt auprès d'établissements financiers en vue de financer ses activités ou l'activité des sociétés dans lesquelles elle détient une participation suivant les dispositions de l'article L233-2 du code de commerce, et généralement toutes opérations industrielles, commerciales ou financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à l'objet social et susceptibles d'en favoriser l'exploitation ou le développement. Ces sociétés n'exercent pas une activité de marchands de biens et aucune pièce du dossier n'établit que ces deux sociétés seraient elles-mêmes associées d'autres sociétés exerçant une activité de marchand de biens. L'existence au sein du groupe de sociétés exerçant une activité de marchand de biens ne peut être retenue dès lors que ces sociétés ne sont pas associées de la société SPV Cergy .
Il s'ensuit que ni la société SPV Cergy ni ses associés, les sociétés Nabucco I et Nabucco II, ne peuvent bénéficier de la qualité de marchand de biens qui suppose que les opérations d'achat et de revente soient réalisées de manière habituelle et revêtent un caractère spéculatif , une opération unique sur une durée de cinq ans étant insuffisante pour caractériser l'exercice effectif de cette activité.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a prononcé la décharge des impositions, pénalités et intérêts de retard mis à la charge de la société SPV Cergy au titre de l'avis de mise en recouvrement n° 07045059 M du 6 mars 2008, faisant suite à la décision de rejet du 6 décembre 2007 et à l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007 et condamné la direction générale de impôts à payer à la SNC SPV Cergy la somme de 1000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription,
L'INFIRME pour le surplus,
STATUANT À NOUVEAU,
DÉBOUTE la SNC SPV Cergy de ses demande d'annulation de la décision de rejet du 6 décembre 2007 et des avis de mise en recouvrement , et de décharge des impositions contestées et des pénalités encourues,
DIT que la société SPV Cergy est redevable envers l'administration fiscale des impositions, pénalités et intérêts de retard établies par l'avis de mise en recouvrement n° 07045059 du 6 mars 2008, faisant suite à la décision de rejet du 6 décembre 2007 et à l'avis de mise en recouvrement n° 070405059 du 10 mai 2007,
DÉBOUTE la SNC SPV Cergy de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SNC SPV Cergy aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct par la SCP Lissarague, Dupuis Boccon Gibod, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,