COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 07 DECEMBRE 2011
R.G. No 10/03412
AFFAIRE :
S.A. ALTI
C/
Emmanuel X...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 08 Avril 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : Activités diverses
No RG : 07/03416
Copies exécutoires délivrées à :
Me Ruth CARDOSO-EZVAN
Me Isabelle MARCUS MANDEL
Copies certifiées conformes délivrées à :
S.A. ALTI
Emmanuel X...
LE SEPT DECEMBRE DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. ALTI
8 Rue Collange
92300 LEVALLOIS PERRET
représentée par Me Ruth CARDOSO-EZVAN, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
Monsieur Emmanuel X...
né en à
...
94360 BRY SUR MARNE
comparant en personne, assisté de Me Isabelle MARCUS MANDEL, avocat au barreau de PARIS
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 17 Octobre 2011, en audience publique, devant la cour composé(e) de :
Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Présidente,
Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller,
Monsieur Hubert DE BECDELIÈVRE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Pierre-Louis LANE
Par contrat de travail à durée indéterminée, Monsieur Emmanuel X... a été engagé à compter du 4 septembre 1995 par la société IDEO en qualité de directeur de département.
La convention collective applicable au contrat de travail était la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils et société de conseils, dite SYNTEC.
Le 31 mars 1998, la société ALTI reprenait la société IDEO dans le cadre d'une fusion-absorption, et l'ensemble des contrats de travail étaient transférés selon les dispositions de l'article L.1224-1 du Code du travail).
Monsieur X... a occupé divers postes à responsabilités : directeur des opérations, directeur d'agence ou directeur de centre de profit.
La moyenne des salaires bruts des douze derniers mois, primes incluses, était de 8.333,00 euros.
Après un entretien avec le président de la société en février 2007, Monsieur X... recevait le 21 mars 2007 une lettre de remarques en recommandée de trois pages, dans laquelle son employeur relatait une série de carences qualifiées de graves dans l'accomplissement des fonctions ; ces carences étaient décrites en trois sections : commercial, management, financier. Ce courrier se concluait d'une proposition de modification de sa qualification et de ses fonctions, avec maintien de sa rémunération et des avantages qui y étaient attachés. Il lui était donné un délai de quinze jours pour accepter cette modification et à défaut, la rupture du contrat de travail était envisagée.
Le 6 avril 2007, Monsieur X... faisait savoir à son employeur qu'il considérait qu'il s'agissait d'une rétrogradation et rejetait la proposition de modification de ses fonctions.
Le 13 avril 2007, la société ALTI apportait à son salarié des réponses à certaines de ses interrogations, persistait dans l'analyse qu'elle formulait sur son inadaptation dans ses fonctions de responsable d'agence, et lui demandait soit de revenir sur son refus de la modification antérieurement proposée, soit de se présenter le 25 avril 2007 pour un entretien préalable à un licenciement.
Persistant dans sa décision de refus, Monsieur X... se présentait à l'entretien préalable le 25 avril 2007, et était licencié le 14 mai 2007 pour insuffisance professionnelle et refus de toute affectation à de nouvelles fonctions. Il était dispensé d'effectuer son préavis de trois mois qui lui était payé.
C'est dans ces conditions que contestant son licenciement, il saisissait le Conseil de prud'hommes de Nanterre
Par jugement en date du 8 avril 2010, le conseil de prud'hommes de Nanterre a considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et il a retenu que la clause de non concurrence était illicite faute de contrepartie financière mais qu'elle avait été respectée.
Il a alloué à M. X... les sommes suivantes :
- 65 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 24 000 euros au titre de la rémunération de la clause de non concurrence.
Il a fixé la moyenne de la rémunération mensuelle à 8 333 euros.
Il a condamné la société ALTI à verser à Pole Emploi, les indemnités avancées pour le compte de M. X..., au titre du chômage et il a condamné la société à verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 1 000 euros.
Il a débouté M. X... de ses demandes de primes.
La société ALTI a régulièrement relevé appel du jugement.
Par conclusions déposées le 15 septembre 2011, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, elle demande la réformation du jugement, de débouter M. X... de toutes ses demandes et de condamner le salarié à des dommages-intérêts ainsi qu'à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 20 septembre 2011, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, M. A... demande confirmation du jugement en son principe et forme appel incident en demandant les sommes suivantes :
- 200 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 16 324 euros au titre du rappel de salaire de l'année 2007
- 8 769 euros au titre des dommages-intérêts dus pour le préjudice causé par la perte d'allocations chômage
- 29 988 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non concurrence
- 2 988 euros au titre des congés payés afférents
- 4 000 euros au titre de l'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
La lettre de licenciement adressée le 14 mai 2007 à M. X..., dont les termes fixent les limites du litige est longuement motivée et s'appuie surtout sur les motifs suivants
- non atteinte des objectifs,
- défaut de négociation tarifaire avec AXA
- carences dans le management.
Pour estimer que ce licenciement n'était pas justifié, le premier juge a considéré que les faits allégués n'étaient pas établis et qu'il n'y avait aucune doléance de clients extérieurs et notamment de AXA.
La société ALTI pour démontrer que le licenciement de M. X... est justifié, rappelle que M. X... en sa qualité de "directeur d'agence", devait animer une unité opérationnelle dans le secteur d'activités banque assurance et avait notamment la charge de développer les relations commerciales avec AXA, un des plus gros clients de la société, en gérant au mieux son équipe de consultants en charge des dossiers AXA.
Elle soutient que devant la stagnation des résultats de M. X..., elle lui a proposé d'autres postes en lui garantissant la même rémunération et la même qualification, ce qu'il a refusé.
C'est dans ce contexte qu'elle a été contrainte de le licencier sans qu'il soit fait référence à une notion de sanction. Il ne peut donc soutenir qu'il y aurait eu une double sanction.
Elle dénonce le fait que M. X... ait produit aux débats un document intitulé "RBI B&A Mars 2007" auquel il n'avait pas normalement accès et qu'il s'est procuré en juin, soit après la fin de sa prestation de travail. En outre, elle fait valoir que ce document a été falsifié en sa page 14 car il n'a jamais été question du départ de M. X... de la société.
Elle estime que M. X... n'a pas atteint les objectifs contractuellement définis en octobre 2006 et elle fait remarquer que le seuil de déclenchement de sa rémunération variable n'avait pas été atteint. Contrairement à ce qu'allègue M. X..., la plupart des nouvelles affaires apportées l'ont été en avril et mai 2007.
Elle insiste sur le fait que M. X... a ignoré les procédures habituelles sur la négociation des tarifs avec AXA, obligeant le président de ALTI à faire lui même une démarche auprès D'AXA.
Il lui est reproché également une augmentation injustifiée d'un ingénieur d'affaires et des oublis dans la transmission d'informations importantes sur la situation des salariés de son service.
En dernier lieu, la société constate que M. X... par son refus d'accepter un changement dans ses conditions de travail n'a pas permis à son employeur de trouver une autre solution que le licenciement.
M. X... de son côté, rappelle qu'il occupait les mêmes fonctions depuis octobre 2004, sans qu'il y ait la moindre difficulté.
Il lui était brutalement proposé une modification de ses fonctions entraînant une diminution de ses responsabilités, du fait d'une insuffisance professionnelle.
Il estime démontrer par la production du document interne "RBI B&A Mars 2007" que son départ était organisé avant que ne lui soit proposée une modification de ses fonctions.
Il rappelle que compte tenu de ses responsabilités, il avait accès à ce type de document.
Il fait valoir que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, se bornant à faire référence au courrier du 21 mars 2007 et il estime qu'elle constitue une deuxième sanction pour les mêmes faits.
Il reprend ensuite les diverses carences qui sont mises en avant par son employeur et estime qu'elles ne sont nullement démontrées par la société ALTI.
Contrairement à ce que soutient M. X... , si certains paragraphes de la lettre de licenciement font effectivement uniquement référence à la lettre de proposition de modification de poste du 21 mars 2007, des motifs sont clairement exposés dans la lettre de licenciement et la rupture du contrat de travail de M. X... ne peut être considérée comme dénuée de cause réelle et sérieuse du fait de la seule rédaction du courrier de licenciement.
De même, il apparaît clairement au vu de cette lettre que la société ALTI a entendu se situer sur le domaine de l'insuffisance professionnelle et non sur le plan disciplinaire.
Dès lors, les arguments tendant à dire qu'il y aurait double sanction du fait d'une première lettre proposant à M. X... de changer de fonctions, sont inopérants.
En réalité, comme l'a effectivement retenu le conseil de prud'hommes de Nanterre, l'employeur a entendu licencier M. X... pour une insuffisance professionnelle qu'il estimait caractérisée par une non atteinte des objectifs, une mauvaise négociation des tarifs avec AXA, client le plus important de l'entreprise et des carences dans le management de son personnel.
Il a ajouté un autre motif de licenciement à savoir le refus d'accepter une modification de ses fonctions, proposition induite par l'insuffisance professionnelle de M. X... dans le poste de directeur d'agence.
Il sera rappelé qu'une insuffisance de résultats exige que des objectifs réalisables aient été définis contractuellement et acceptés par le salarié et que ce dernier ait été doté des moyens nécessaires pour y parvenir.
Quant à l'insuffisance professionnelle, elle doit reposer sur des éléments objectifs et matéreillement vérifiables imputables au salarié.
Sur la non atteinte des objectifs, les documents produits par la société ALTI ne permettent pas de vérifier que M. X... ait été en dessous des objectifs fixés. En effet, ceux ci étaient fixés sur une année et la note de M. B... indiquant que M. X... ne peut prétendre à une partie de sa rémunération variable du fait de la non atteinte des objectifs à la fin de l'été 2007 lui est inopposable puisque licencié en mai 2007, il a été dispensé d'exécuter son préavis et n'est pas responsable d'une non atteinte des objectifs au mois de septembre 2007.
Un courriel de Mme C..., sa supérieure hiérarchique dénonce une baisse de résultats en février 2007 mais, à supposer cette baisse démontrée, elle serait insuffisante pour fonder le licenciement d'un salarié ayant l'ancienneté et le parcours professionnel de M. X....
En outre, il ressort clairement de l'avenant contractuel signé le 24 octobre 2006 avec M. X... que la projection des objectifs est bien une durée d'un an.
Ce dernier produisant de son côté, des tableaux comparatifs dont il ressort qu'il était au moment de son licenciement en capacité d'atteindre les objectifs fixés, il sera retenu, comme l'a décidé le conseil de prud'hommes de Nanterre que le non respect des objectifs n'est pas caractérisé.
les carences dans la négociation avec AXA d'une augmentation de tarifs, si dans ses conclusions, la société ALTI développe un certain nombre d'arguments pour faire peser sur M. X..., la responsabilité des difficultés avec AXA au moment de l'établissement du coût de la prestation d'ALTI, les seules pièces produites à savoir des courriels de Mme C..., supérieure hiérarchique de M. X..., témoignent d'une négociation difficile avec ce client mais ne permettent d'imputer cette situation à une insuffisance de M. X....
Enfin, sur les erreurs de management qu'aurait commis M. X..., il lui est reproché une augmentation du salaire de M. D... qui peut apparaître comme trop importante mais ce seul fait ne peut justifier une mesure de licenciement, étant observé d'ailleurs que le salaire nouvellement fixé à ce salarié était cohérent avec sa qualification et ses fonctions.
Les autres éléments retenus par l'employeur, un contrat rompu en période d'essai et un retard de huit jours dans l'information sur l'état de grossesse d'une salariée qui ne devait partir en congé maternité que cinq mois plus tard, ne peuvent suffire à caractériser une insuffisance professionnelle.
La société ALTI ne démontrant pas l'existence d'une insuffisance professionnelle, n'avait donc pas de raison de proposer à M. X... une modification de ses fonctions et dès lors ne pouvait invoquer son refus pour fonder un licenciement.
Il s'en déduit que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes de Nanterre a dit le licenciement de M. X... dénué de cause réelle et sérieuse.
M. X... a produit un document interne de l'entreprise destiné aux cadres dirigeants intitulé RBI B&A Mars 2007. Ce document de travail qui ne porte aucune mention de confidentialité, fait état d'une certaine stagnation de M. X... au mois de février 2007, prévoit son départ et son remplacement au moins pour partie par une autre salariée qui serait moins ancienne dans l'entreprise. En dépit de ses allégations, la société ALTI n'apporte aucun élément pour démontrer que M. X... n'aurait pas eu normalement accès à ce document par l'exercice de ses fonctions et que le document aurait été falsifié.
S'il n'apporte pas d'informations précises sur les motifs du licenciement de M X..., il permet de vérifier que celui ci était effectivement envisagé dès le mois de mars.
Le jugement qui a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse sera confirmé. En revanche, en allouant à M. X... une indemnité de 65 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , dans le cadre des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, le premier juge a sous évalué la réalité du préjudice subi et la cour dispose des éléments suffisants pour élever à 100 000 euros l'indemnité due à M. X... de ce chef.
Sur la clause de non concurrence
Le premier juge a estimé que la clause de non concurrence était respectée et que M. X... devait percevoir des dommages-intérêts car la contrepartie financière n'était pas prévue. Il lui a alloué 24 000 euros de dommages-intérêts en retenant l'indemnité qu'il aurait du recevoir mensuellement si une contrepartie financière avait été prévue.
La société ALTI demande réformation du jugement en soutenant que cette clause liait le salarié à son premier employeur, la société IDEO mais n'était pas connue de la société ALTI.
En outre, elle estime que les activités interdites sont tellement limitées que M. X... n'en a subi aucun préjudice.
De son côté, M. X... forme appel incident et réclame 29 988 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non concurrence et 2 998,80 au titre des congés payés afférents
Le contrat de travail initial de M. X... avec la société Idéo prévoyait effectivement une clause de non concurrence sans rémunération sur une durée d'un an limitée géographiquement et sans contrepartie financière.
Le contrat de travail de M. X... ayant été repris par la société ALTI, cette clause est donc parfaitement opposable à la société ALTI.
L'argumentation de M. X... tendant à faire recalculer une contrepartie financière qui ne figure pas au contrat ne peut être retenue. En réalité, M. X... ne peut que percevoir des dommages-intérêts liés au préjudice que lui a causé le fait de respecter une clause de non concurrence illicite.
Dès lors, en lui allouant une somme de 24 000 euros au titre de dommages-intérêts de ce chef, le premier juge a fait une exacte appréciation des éléments de fait et de droit qui lui étaient soumis, la notion de congés payés afférents devant être écartée puisque ne trouvant à s'appliquer que sur des salaires.
Sur les demandes de rappels de primes de l'année 2007 et de dommages-intérêts complémentaires liés à une perte partielle de ses indemnités chômage
M. X... a par voie d'appel incident demandé que lui soit alloué un rappel de prime sur l'année 2007 d'un montant de 16 324 euros.
Il se fonde pour cela sur la note de M. B... et sur le contenu du document interne RBI B&A Mars 2007.
Comme l'a retenu le premier juge, il ressort de la note de M. B... que partie de la rémunération variable lui a été effectivement versée.
En outre, les développements que fait M. X... à partir du document interne sus visé ne sont pas suffisamment précis et étayés pour qu'il soit fait droit à sa demande. Le jugement qui a débouté M. X... de sa demande de ce chef sera confirmé. De même, la demande de dommages-intérêts complémentaires sera rejetée, comme dénuée de fondement.
L'équité commande d'allouer 1 500 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile à M. X....
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé à 65 000 euros l'indemnité due pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Réforme sur ce point et statuant à nouveau, condamne la société ALTI à verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à M. X... d'un montant de 100 000 euros
Condamne la société ALTI à verser à M. X... une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 1 500 euros.
La condamne aux dépens de la procédure d'appel.
Statuant, par arrêt CONTRADICTOIRE,
Arrêt - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Présidente et par Monsieur LANE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, La PRÉSIDENTE,