COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
17ème chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 JUIN 2012
R.G. N° 10/05325
AFFAIRE :
[I] [A]
C/
Société ETDE, prise en la personne de son Directeur des Ressources Humaines Mr [U]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 18 Octobre 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
Section : Encadrement
N° RG : 09/00809
Copies exécutoires délivrées à :
Me Jean GERARD
Me Charles PHILIP
Copies certifiées conformes délivrées à :
[I] [A]
Société ETDE, prise en la personne de son Directeur des Ressources Humaines Mr [U]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE JUIN DEUX MILLE DOUZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [I] [A]
[Adresse 3]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Jean GERARD, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
Société ETDE, prise en la personne de son Directeur des Ressources Humaines Mr [U]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Charles PHILIP, avocat au barreau de NANTES
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Janvier 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Agnès TAPIN, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé de :
Madame Isabelle LACABARATS, Président,
Madame Clotilde MAUGENDRE, Conseiller,
Madame Agnès TAPIN, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SPECHT,
EXPOSE DU LITIGE
Suivant un contrat à durée indéterminée en date du 30 août 2006, monsieur [I] [A] a été embauché à compter du 4 septembre 2006 par la société ETDE, filiale du groupe Bouygues,en qualité de directeur commercial.
Les relations contractuelles entre les parties étaient régies par la convention collective des cadres des travaux publics.
M.[A] a été convoqué par courrier recommandé en date du 26 juin 2009 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 3 juillet, et mis à pied à titre conservatoire ; dans les mêmes formes en date du 20 juillet 2009, il a été licencié pour faute grave.
L'entreprise comptait au moins 11 salariés au moment du licenciement, en fait 12.000.
Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M.[A] a saisi le 3 août 2009 le conseil de prud'hommes de Versailles qui dans, son jugement du 18 octobre 2010, l'a débouté de toutes ses demandes, l'a condamné à payer à la société ETDE la somme de 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
M.[A] qui a régulièrement interjeté appel le 17 novembre 2010, demande à la cour, dans ses dernières écritures soutenues oralement à l'audience par son conseil, d'infirmer le jugement et de condamner la société ETDE à lui payer les sommes suivantes :
5.957 € de rappel de salaires de la mise à pied conservatoire,
595,70 € de congés payés afférents,
25.530 € d'indemnité de préavis (trois mois),
2.553 € de congés payés afférents,
2.623,92 € de prorata de 13 ème mois,
9.484,092 € d'indemnité conventionnelle de licenciement,
9.267 € de dommages et intérêts pour irrégularité de procédure,
220.840 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
83.730 € de dommages et intérêts pour rupture vexatoire,
3.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il réclame également la remise de divers documents sociaux sous astreinte de 50 € par jour de retard, rectifiés conformément à l'arrêt à intervenir.
La société ETDE demande, dans ses dernières écritures reprises oralement à l'audience par son avocat, la confirmation du jugement et la condamnation de M.[A] à lui verser la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
MOTIFS
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, contient trois griefs :
manquement à l'obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi du contrat de travail,
mauvaise exécution du contrat de travail,
non atteinte des résultats depuis l'embauche.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur qui l'invoque.
Sur le premier grief, l'employeur explique dans la lettre de licenciement qu'il a découvert fortuitement le 16 juin 2009 la prise de participation de M.[A] et sa prise de fonction d'administrateur dans une société dont l'objet social est en concurrence avec les activités d'ETDE, principalement celle d'intégrateur de solutions multi techniques et de services dans le domaine de l'énergie.
La société ETDE reproche à M.[A] cette prise de participation et de fonction sans qu'il ait informé au préalable sa hiérarchie, et au mépris de son obligation de fidélité, de loyauté et d'exécution de bonne foi de son contrat de travail.
Au soutien de son appel, M.[A] nie l'existence d'une exclusivité professionnelle contractuelle, et d'une concurrence de la société ETDE par la société SAREC ne produisant pas d'énergie et n'effectuant pas la maintenance ou la réparation du système de production d'énergie. M.[A] ajoute que la société ETDE ne communique aucune pièce accréditant sa thèse selon laquelle la société SAREC a réalisé une opération susceptible de la concurrencer.
La société ETDE n'invoque pas une clause contractuelle d'exclusivité professionnelle, mais fonde son action d'une part sur une clause du contrat de travail qui indique que l'engagement de M.[A] implique formellement qu'il ne soit lié à aucune entreprise, et qu'il a quitté le cas échéant, son précédent employeur, libre de tout engagement le jour de son entrée chez ETDE, et d'autre part sur l'obligation générale de loyauté et de fidélité à laquelle est soumis tout salarié pendant l'exécution de son contrat de travail.
Cette obligation interdit à tout salarié de se livrer à une activité concurrente de celle de son employeur et sa violation constitue une faute pouvant justifier un licenciement.
En l'espèce, il n'est pas sérieusement contesté par M.[A] et justifié notamment par les statuts de la société anonyme SAREC qu'il a participé à sa constitution le 30 janvier 2009 en souscrivant 5.625 actions sur 150.000 et en a été un des quatre premiers administrateurs, alors qu'il était salarié de la société ETDE.
L'activité déclarée de la société SAREC, inscrite au BODAC le 10 mars 2009 avec un début d'activité le 1er février précédent, est certes selon les extraits K bis, « la conception, l'expérimentation, la création, la production, la commercialisation d'énergies renouvelables et plus particulièrement dans le secteur solaire thermodynamique et photovoltaïque ». Mais, ces généralités sont précisées de la manière suivante à l'article 2 des statuts consacré à l'objet de la société après reprise de la citation des extraits K bis :
« ' Le conseil et l'assistance pour la recherche et la mise en place de partenariats techniques, industriels ou financiers en France, dans la communauté européenne, ou sur les marchés mondiaux.
La création de centre de recherches, de banques de données, vidéo-banques, bibliothèques, sur tout support existant et futur, relatifs notamment aux procédés actuels et futurs dans le secteur solaire thermodynamique et photovoltaïque. »
Contrairement à ce que soutient le salarié, ces activités sont en concurrence directe avec celles de la société ETDE comme cela résulte de l'extrait Kbis et de plusieurs documents publicitaires de l'employeur dont le salarié ne remet pas en cause le contenu.
En effet, si l'extrait K bis de la société ETDE du 21 juillet 2009 indique qu'elle exerce les activités suivantes :
« Etude, conception, maintenance, construction de lignes électriques et de postes de transformation et tous réseaux, achat, vente, installation, maintenance de tous appareils et systèmes à courant faible de télécommunication et de radiocommunication, prestations de services et transactions immobilières pour le compte de tiers, directement ou indirectement utiles à la réalisation de l'objet de la société, la gestion technique et administrative, l'exploitation, l'entretien, l'étude, le conseil, l'assistance technique, l'ingenierie, la maintenance portant sur des immeubles ou ensembles immobiliers tertiaires ou industriels quelque soit leur destination publics ou privés ainsi que toutes prestations de services et notamment les services techniques et généraux en faveur de tous tiers propriétaires ou locataires de ces immeubles ».
elles sont précisées par les autres documents.
Il en ressort que la société ETDE propose des solutions multitechniques et de services associés pour des clients publics et privés dans le domaine de l'énergie, de l'industrie, du tertiaire, des transports, du nucléaire et des télécommunications.
Plus particulièrement, elle a deux pôles d'activités « ingénierie et travaux » concernant les réseaux extérieurs dans lesquels elle est un acteur pour la conception, l'ingénierie financière, la réalisation et la construction, l'installation et la mise en service, la maintenance et l'exploitation des réseaux de production et de distribution d'énergies : électricité, eau et gaz. Elle fournit plusieurs exemples de mise en service, dans ce cadre, de raccordements en réseau ou en sites isolés de projets photovoltaïques : stations du tramway de [Localité 7], centrale photovoltaïque de l'hôtel communautaire du [Localité 7] de novembre 2007 à mai 2008, centrale photovoltaïque de l'école de [Localité 9] de février 2008 à juin 2009, installation de façades photovoltaïques à [Localité 8] en 2009 '
Enfin, la société ETDE justifie avoir présenté un « plan de stratégie énergie » de vingt pages en mars 2008.
Certes M.[A] qui avait été embauché en qualité de directeur commercial Moyen Orient dépendant de la direction internationale de ETDE et directement rattaché au directeur général adjoint, monsieur [J] [H], avait pour mission, selon les précisions apportées par ce dernier dans une note de service du 4 septembre 2006, d'assurer le développement commercial « prioritairement de la zone Arabie Saoudite, Qatar, Koweit et Lybie » pour y effectuer « le montage de grandes affaires ».
Il n'est pas cité dans ces documents le marché de l'énergie et plus particulièrement de l'énergie photovoltaïque, mais la concurrence s'apprécie entre les activités de la société ETDE pour laquelle M.[A] travaillait sans exclusive sur le contenu des marchés, et celles de la société SAREC. En effet, M.[A] qui était un « apporteur d'affaires », pouvait « monter », uniquement sur le plan commercial, des projets comportant la production d'énergie photovoltaïque même s'il n'avait aucune compétence technique en la matière.
Non seulement, M.[A] détenait des parts dans la société concurrente de son employeur, et avait participé à sa création, mais il est également établi qu'il collaborait étroitement avec le président directeur général de la société SAREC, également membre fondateur et administrateur de cette société, monsieur [Z] [W] et qui avait été directeur de l'unité opérationnelle de la société ETDE, chargé de la direction de l'énergie, depuis son embauche le 4 septembre 2006 jusqu'à son licenciement le 20 mars 2008 pour insuffisance professionnelle.
L'extrait K bis de la société SAREC du 21 décembre 2010 établit que monsieur [C] [S] est devenu administrateur au même titre que M.[A]. Les nombreux échanges mails produits par le salarié démontrent que M.[S], qui présidait un groupe de construction des Emirats Arabes Unis « Al Hamed Group » était un de ses interlocuteurs privilégiés pour obtenir le marché de conception et de construction d'un immeuble commercial de luxe dénommé Al Masdar aux Emirats Arabes Unis. M.[S] correspondait non seulement avec M.[A] pour lequel il décrit dans un courrier du 21 mars 2011 la manière avec laquelle celui-ci a permis à la société ETDE d'être introduite pour tenter d'obtenir le marché Al Masdar, mais également avec monsieur [P] [G], directeur international de la société ETDE depuis avril 2008 après le départ de M.[H], avec lequel M.[S] organisait directement des rendez vous pour le développement du projet Al Masdar (cf mails des 15, 17 août, 2, 28 septembre 2008, 4, 6 janvier 2009).
Enfin, il est démontré par les attestations de monsieur [R] [D], cadre financier au sein de la société ETDE, et de M.[G] que le premier a découvert fortuitement le 16 juin 2009, en faisant des recherches sur le site « societe.com », l'existence de la société SAREC et la participation de messieurs [W] et [A] à sa création, et que le second a appris cette découverte le 19 juin 2009 par un mail de monsieur [E] [X] et en a informé immédiatement le directeur général.
Ces éléments établissent ainsi qu'alors que M.[A] était au service de la société ETDE, et sans en informer son employeur, il a participé à la création de la société SAREC et a pris des participations dans celle-ci dont l'activité est directement concurrente avec celle de la société ETDE, le tout en violation de son contrat de travail.
Ces manquements de M.[A] à son obligation de loyauté et de fidélité qui empêchaient son maintien dans l'entreprise pendant la durée de son préavis, constituent une faute grave.
Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, il convient de confirmer le jugement qui a dit le licenciement fondé sur une faute grave et a débouté le salarié de toutes ses demandes fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En revanche, il est justifié d'indemniser M.[A] du non-respect de la procédure de licenciement constitué par l'absence de respect du délai de 5 jours entre la date de réception par le salarié du courrier recommandé de convocation à l'entretien préalable, le 29 juin 2009, et l'entretien préalable qui a eu lieu le 3 juillet.
Aucune remise en mains propres de la lettre de convocation le 24 juin 2009 n'est justifiée puisque la signature du salarié ne figure pas sur cette lettre.
Infirmant le jugement, il convient d'allouer à M.[A] une indemnité d'un montant de 3.000 € en réparation de l'irrégularité de la procédure de licenciement.
M.[A] ne justifiant pas de circonstances vexatoires ayant entouré la rupture de son contrat de travail, le salarié est débouté de sa demande de dommages et intérêts présentée de ce chef.
Enfin, M.[A] succombant sur l'essentiel de ses demandes, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
statuant publiquement, par arrêt CONTRADICTOIRE,
INFIRMANT partiellement le jugement,
condamne la société ETDE à payer à monsieur [I] [A] la somme de 3.000 € à titre d'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,
CONFIRME pour le surplus,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens et dit n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Madame Isabelle Lacabarats, président et Madame Christine Leclerc, greffier.
Le greffier Le président