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19/06/2014 | FRANCE | N°12/02676

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 19 juin 2014, 12/02676


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 79C



1ère chambre 1ère section



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 19 JUIN 2014



R.G. N° 12/02676



AFFAIRE :



[P] [N]





C/

SA HACHETTE FILIPACCHI PRESSE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Février 2012 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 01

N° Section :

N° RG : 09/00041



Exp

éditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :





Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES





Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'Association AARPI AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES






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COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 79C

1ère chambre 1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 JUIN 2014

R.G. N° 12/02676

AFFAIRE :

[P] [N]

C/

SA HACHETTE FILIPACCHI PRESSE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Février 2012 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 01

N° Section :

N° RG : 09/00041

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'Association AARPI AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DIX NEUF JUIN DEUX MILLE QUATORZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [N]

né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 3] (92)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 12/02715 (Fond)

Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20120269

- Représentant : Maître Jean-Philippe HUGOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2501

APPELANT

****************

SA HACHETTE FILIPACCHI PRESSE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

inscrite au RCS de PARIS sous le numéro B 582 101 424

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'Association AARPI AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 000300

Plaidant par Me Marie-Christine DE PERCIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1301 -

et par Me Christophe CARON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0500

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mai 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président,

Madame Dominique LONNE, Conseiller,

Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,

Vu l'appel interjeté par [P] [N] du jugement rendu le 23 février 2012 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et a condamné [P] [N] à payer à la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE la somme de 8.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu les ordonnances d'incident des 9 juillet 2013 et 9 janvier 2014 ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 avril 2014 par lesquelles [P] [N], poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour, au terme d'une série de «juger...et constater », qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, de  :

- à titre principal, condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à lui payer la somme de 4.832.580 € en réparation de son préjudice patrimonial et de 500.000 € en réparation de son préjudice moral pour détenir sans droit, ni titre, l'intégralité des photographies originales lui appartenant, remises entre 1973 et 1984, dont il identifie a minima 168 dans un inventaire joint, provenant de 18 reportages publiées dans la version française du magazine LUI et 71 photographies différentes mais provenant des mêmes reportages ont été publiées dans des versions étrangères du magazine LUI, - condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à lui restituer, dans un délai de quinze jours suivant la signification du jugement à intervenir, l'ensemble des photographies qu'elle détient, soit les 239 photographies publiées dans les versions françaises et étrangères du magazine LUI et les 77.436 photographies non publiées issues des mêmes reportages, dans un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 20.000 € par photographie non restituée passé ce délai, - à titre subsidiaire, condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à lui payer la somme de 4.832.580 € en réparation de son préjudice patrimonial et de 500.000 € en réparation de son préjudice moral pour abus notoire résultant de la privation de son droit d'exploiter et de divulguer les photographies dont il est l'auteur, - condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à mettre à sa disposition, dans un délai de quinze jours suivant la signification du jugement à intervenir, une copie exploitable de l'ensemble des photographies qu'elle détient, soit les 239 photographies publiées dans les versions françaises et étrangères du magazine LUI et les 77.436 photographies non publiées issues des mêmes reportages, dans un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 20.000 € par photographie non restituée passé ce délai,

- en tout état de cause, condamner la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à lui verser la somme de 100.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu les dernières écritures signifiées le 5 mai 2014 aux termes desquelles la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE conclut, à titre principal, à la confirmation du jugement déféré, à l'irrecevabilité de la demande nouvelle formée en appel de restitution des clichés, à la prescription de l'action de [P] [N] pour les clichés réalisés avant le 27 novembre 1978, prie la cour, à titre subsidiaire, de débouter [P] [N] de l'ensemble de ses demandes, en tout état de cause, de le condamner à lui verser la somme de 15.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, celle de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi qu'à une amende civile de 3.000 € et aux dépens  ;

SUR QUOI, LA COUR

Considérant que [P] [N], photographe indépendant, a réalisé à partir de 1974 des reportages pour le magazine LUI édité par la société FILIPACCHI, aux droits de laquelle vient la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE, ci-après HFP, qui a reproduit des photographies érotiques issues de ces reportages ;

Qu'estimant que les photographies qu'il a réalisées jusqu'en 1984 au cours de 18 reportages, dont il a remis les négatifs à l'éditeur aux fins qu'ils soient reproduits dans le magazine, sans lui céder la propriété corporelle, ne lui ont pas été restituées, [P] [N] a assigné la société HFP devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 13.000.000 €, élevé dans ses dernières écritures à 27.950.000 €, à titre de dommages-intérêts et celle de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que par le jugement entrepris, le tribunal l'a débouté de ses demandes ; que les premiers juges ont retenu que s'agissant de clichés photographiques, la propriété corporelle de l'oeuvre appartient à celui qui a acheté les pellicules et assuré le développement et le tirage et ont conclu qu'il incombait à [P] [N] de rapporter la preuve de ce qu'il assurait le financement des supports photographiques litigieux ; que pour retenir que l'éditeur a acquis la propriété corporelle des clichés, ils ont relevé que tous les frais relatifs aux reportages photographiques étaient assumés par l'éditeur, ce qui est reconnu par [P] [N], qui se faisait rembourser l'ensemble des frais techniques exposés ; qu'ils ont écarté l'abus notoire invoqué par [P] [N] en relevant qu'il ne recherche pas la restitution des photographies en vue de leur divulgation mais l'indemnisation correspondant à leur valeur ;

*************************

Considérant qu'au soutien de son recours, pour conclure que la société HFP détient les photographies publiées dans la version française du magazine LUI entre 1973 et 1984, [P] [N] expose que la remise des clichés résulte de la publication des photographies, de l'indication dans l'ours que les photographies étaient conservées et fait valoir qu'à cette époque, il était nécessaire de disposer des ektas originaux pour réaliser le journal, que la société HFP a publié des photographies issues des reportages plusieurs années après la première publication, que des photographies dont il est l'auteur ont été remises à un autre photographe dans le cadre d'une autre procédure ; qu'il ajoute qu'il ne se contentait pas de remettre les seules photographies destinées à être publiées mais l'ensemble des photographies réalisées lors des reportages ; que la société HFP n'a pas signé de lettres de décharge de nature à établir qu'elle aurait restitué les clichés ;

Qu'il soutient que les photographies litigieuses publiées l'ont été sous son nom en sorte qu'il a la qualité d'auteur, qu'elles sont originales et qu'il est propriétaire des supports photographiques, faute d'acte de cession de la propriété des supports matériels et qu'en outre, la société HFP ne rapporte pas la preuve qu'elle a financé le matériel photographique justifiant son appropriation des supports ; qu'il ajoute que la remise des négatifs, supports corporels de l'oeuvre, s'analyse en un contrat de dépôt qui met à la charge du dépositaire une obligation de restitution à l'identique ou en valeur des photographies, conformément à l'article 1932 du code civil, que la société HFP ne peut opposer la prescription acquisitive en sa qualité de simple dépositaire des supports matériels et qu'elle engage sa responsabilité contractuelle en ne restituant pas les négatifs ;

Que la société HFP réplique qu'elle est propriétaire des supports corporels des photographies réalisées par son salarié, pour les avoir financés, qu'elle n'a donc aucune obligation de les restituer et ajoute que la demande de restitution est une demande nouvelle, irrecevable au visa de l'article 564 du code de procédure civile ; que subsidiairement, elle s'oppose à la demande de restitution, ni la preuve de la remise des clichés, ni l'existence d'un contrat de dépôt n'étant rapportée ; qu'elle ajoute que [P] [N] ne peut se prévaloir d'un abus notoire au sens de l'article L.111-3 du CPI, alors que les photographies litigieuses ne sont pas identifiées, qu'elles ne sont pas originales et que l'appelant ne justifie pas qu'il entend exercer son droit de divulgation ;

Sur la propriété des supports matériels des photographies

Sur la qualité de photographe salarié de [P] [N]

Considérant que pour la première fois en cause d'appel, la société HFP invoque la qualité de salarié de [P] [N] en se fondant sur les articles 7112-1 et 7111-4 du code du travail, pour en déduire qu'en tant qu'employeur, elle est propriétaire des supports matériels des photographies réalisées par son salarié dans le cadre de son contrat de travail ;

Que si les parties ne peuvent, en application de l'article 564 du code de procédure civile, soumettre à la cour de nouvelles prétentions, l'article 565 dispose qu'elles ne sont pas considérées comme telles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ;

Que l'invocation de la qualité de salarié de [P] [N] n'est donc pas nouvelle en ce qu'elle tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir établir la propriété de la société HFP sur les supports matériels des photographies ;

Mais considérant que l'appelant relève à juste titre que la société HFP a mentionné, dans ses conclusions signifiées le 23 mai 2011, que [P] [N] est et était un photographe indépendant, puis dans ses conclusions d'incident du 20 novembre 2013, [Y] [E] bénéficiant d'un statut très différent puisque salarié et non indépendant ;

Que la société HFP ne peut, sans se contredire, au détriment de l'appelant lui opposer dans la même procédure sa qualité de photographe salarié qu'elle avait déniée jusqu'à la signification de ses dernières écritures ; qu'en application du principe de l'estoppel, afin de respecter les règles de cohérence et de loyauté procédurale, ce moyen doit être déclaré irrecevable;

Sur la propriété des supports des photographies

Considérant que selon les articles L.111-1 et L.111-3 du CPI, la propriété incorporelle, dont jouit l'auteur sur son 'uvre du seul fait de sa création, est indépendante de la propriété de l'objet matériel et les droits de propriété intellectuelle subsistent en la personne de l'auteur qui ne pourra exiger du propriétaire de l'élément matériel la mise à disposition de cet objet qu'en cas d'abus notoire du propriétaire empêchant l'exercice du droit de divulgation ;

Considérant que la société HFP se prévaut de la propriété des clichés réalisés pour le magazine LUI pour les avoir financés et invoque, à cet effet, les attestations établies par [U] [V] et [S] [I] ainsi que l'aveu de [P] [N] dans une attestation rédigée, le 2 mars 2008, dans le cadre d'un autre litige ;

Considérant que [U] [V], anciennement secrétaire générale du groupe HACHETTE FILIPACCHI MEDIAS, certifie que tous les frais correspondant à la production des photographies du magazine LUI réalisées par les différents photographes du journal, dont [P] [N], étaient pris en charge par l'éditeur quel que soit le statut salarié ou non du photographe, en précisant que cela concernait le prix des pellicules, le développement des tirages et duplicata, les frais de studio, de modèles, de voyage et de séjour ;

Que [S] [I], responsable juridique au sein du groupe FILIPACCHI entre 1974 et 2008, confirme que tous les frais de prise en charge des photographes du magazine en relation avec les photos, quel que soit leur statut, étaient financés par l'éditeur ;

Que dans une attestation datée du 2 mars 2008, [P] [N] affirme que la rédaction du magazine LUI mettait à sa disposition le matériel nécessaire et s'occupait du développement du film dont le prix était inclus ;

Mais considérant que le seul financement des supports vierges et des frais techniques de développement n'emporte pas, sauf convention expresse, le transfert au profit de la société éditrice de la propriété matérielle des clichés originaux ; qu'au vu des éléments versés aux débats, la société HFP ne rapporte pas la preuve qu'elle a acquis les supports transformés par l'intervention du photographe ;

Sur la remise des supports des photographies

Considérant qu'il appartient donc à [P] [N] qui invoque la remise à la société HFP des supports des photographies prises au cours des reportages qu'elle a commandés et publiées dans le magazine LUI d'en rapporter la preuve ;

Considérant qu'il est établi par les extraits des revues produits aux débats et par l'expertise amiable réalisée par M. [M] que la société HFP a publiés dans 18 numéros de la version française du magazine LUI dont elle est l'éditrice, parus entre le mois de septembre 1973 et le mois de novembre 1984, 157 photographies sous le nom de [P] [N], et dans les versions étrangères du magazine, 71 photographies de ce photographe ;

Que [P] [N] fait valoir pertinemment que la publication dans les versions étrangères du magazine LUI, plusieurs années après la première publication dans la version française, de photographies issues des mêmes reportages, confirme la détention par l'éditeur de supports matériels de ses 'uvres ;

Qu'il convient donc de rechercher la nature des supports dont devait disposer l'éditeur pour procéder à la publication de ces clichés photographiques ;

Considérant que dans un rapport daté du 15 avril 2014, M. [M], expert mandaté par l'appelant, décrit le procédé de photogravure, utilisé au cours de la période 1973-1984, en rappelant que pour pouvoir imprimer sur une rotative, il est nécessaire de produire des plaques d'impression en métal réalisées à partir de films obtenus par la technique du flashage, que pour imprimer en couleur, l'imprimeur doit réaliser 4 films différents et 4 plaques d'impression et poursuit que l'éditeur fournissait à la photocomposition les textes et images pour être mis en page, le photograveur réalisait les films et l'imprimeur préparait des plaques d'impression à partir des films puis imprimait sur ses rotatives la publication ; qu'il conclut que, compte tenu du rythme de production imposé par un journal mensuel , il paraît totalement invraisemblable que l'éditeur n'ait pas transmis des ektas originaux pour la réalisation de la photocomposition et du montage en vue de la production des films...et qu'à cette époque, disposer des ektas originaux pour réaliser le journal était d'une absolue nécessité ;

Qu'il ajoute que si une duplication des ektas originaux avait été réalisée en vue de la production de films, on ne comprendrait pas l'existence de photos différentes (mais issues du même shooting) publiées dans les éditions étrangères du magazine ;

Que la société HFP verse aux débats l'attestation rédigée le 28 mars 2014, par [S] [I], responsable juridique au sein du groupe FILIPACCHI entre 1974 et 2008, qui certifie qu'une fois le reportage réalisé, le photographe apportait le matériel photo, négatifs, ektas, à développer au laboratoire photo et que le photographe récupérait le matériel, qu'elle précise qu'une première sélection était faite par le photographe à partir des tirages réalisés et que seules les photos qui étaient susceptibles, selon lui, d'être publiées étaient montrées par lui à la rédaction ; qu'elle ajoute que si certains négatifs ou des contretypes, parfois des clichés inédits étaient conservés par les archives, cela ne représentait qu'une infime partie du matériel utilisé par les photographes qui gardaient les originaux, la rédaction travaillant à partir des tirages et que si un reportage était demandé par un magazine étranger, il n'était envoyé que des duplis des photos retenues ;

Que ses propos sont confirmés par [U] [V], ancienne secrétaire générale du groupe HFP, qui déclare toutefois que la plupart du temps, les photographes de LUI conservaient les négatifs et les tirages chez eux en dépit des relances nombreuses de [W] [H] qui gérait le service des archives ;

Que [P] [R], directeur général du laboratoire photo Central DUPON Images, dans une attestation datée du 2 mai 2014, décrit le processus de fabrication des films pour l'impression en matière de presse, avant que n'intervienne la numérisation, en relatant que le laboratoire photo recevait les films déposés pour les développer et une fois le développement réalisé, renvoyait les tirages avec les négatifs et les ektas, que c'est au vu des tirages et non des négatifs ni des ektas que la rédaction pouvait sélectionner le bon cliché qui était ensuite adressé à la photogravure, que la pratique en matière de presse était que les photographes eux-mêmes déposaient leurs films et venaient les récupérer après développement afin de s'assurer de la qualité des tirages et qu'une fois la sélection opérée par la rédaction, celle-ci envoyait le ou les tirages sélectionnés pour la photogravure ; qu'il atteste que le processus de fabrication des films de photogravure se faisait dans la pratique à partir des tirages choisis et non des négatifs ou des ektas directement et précise, in fine, que l'emploi du terme «document original» peut désigner dans le jargon professionnel les photos ou images remises pour la photogravure et non les négatifs ou ektas ;

Considérant qu'il ressort tant du rapport de M. [M] que des attestations que la remise des ektas était nécessaire pour réaliser les tirages qui étaient ensuite adressés pour la photogravure ; que [S] [I] et [U] [V], salariées de la société HFP, n'excluent pas la conservation de certains négatifs dans les archives de la société ; que dans les conclusions d'incident qu'elle a déposées le 24 juin 2013 devant le conseiller de la mise en état, la société HFP fait valoir que les supports photographiques sont un des éléments, parmi beaucoup d'autres, d'un ensemble homogène et cohérent constitué par le fonds d'archives de la société HFP  ;

Que dans une lettre datée du 3 mai 1983 adressée à [P] [N], [A] [B] pour le magazine LUI, répondant à une demande de ce dernier sur la date de publication d'un reportage, lui indique : «nous avons en notre possession 2 sujets, [K] [X] et [Z] [T], pour lesquels nous vous aviserons dès que nous aurons décidé de les publier...» ;

Qu'en réponse à une demande de restitution formée par le conseil de [P] [N], la société HFP répond, le 1er septembre 2008, qu'il lui appartient de rapporter la preuve de la remise des clichés au service des archives et invoque la propriété des supports originaux résultant de la prise en charge financière des films et développements pour s'opposer la demande, sans dénier la conservation des clichés par la société éditrice ;

Qu'il résulte d'un procès-verbal de constat dressé le 8 juillet 2013 à la requête de la société HFP, dans le cadre d'une procédure l'opposant à un ancien photographe salarié, M. [E], qu'elle détient sous forme de négatifs, diapositives ou tirages, des supports parmi lesquels certains attribués à [P] [N]  ;

Que cependant la société HFP fait valoir pertinemment que [P] [N] a conservé des négatifs et ektas issus des reportages qu'il a réalisés pour le magazine LUI qui lui ont permis la publication de l'ouvrage «ELLES ont posé pour LUI» dans lequel sont reproduites des photographies extraites de ces reportages, ce qui est confirmé par [Q] [D], responsable au sein des éditions du Chêne/EPA ; que par ailleurs, [P] [N] vend en ligne sur son site, sur d'autres sites marchands ainsi que dans des ventes aux enchères des photographies prises lors des reportages commandés par le magazine ;

Qu'il s'ensuit que seule est établie avec certitude la remise par [P] [N] à l'éditeur, aux fins de publication, des supports des photographies effectivement publiées dans le magazine LUI en version française et étrangère, soit au total 228 clichés ;

Sur la demande de restitution des supports corporels des photographies

Considérant que la société HFP soulève l'irrecevabilité de la demande de restitution formée par [P] [N], au visa de l'article 564 du code de procédure civile, pour avoir été formulée pour la première fois en cause d'appel ;

Considérant que cette prétention est nouvelle alors que la demande de dommages-intérêts seule formée en première instance est la conséquence de la non restitution des clichés ;

Qu'elle doit donc être déclarée irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile ;

Sur la responsabilité de la société HFP et le préjudice de [P] [N]

Considérant que selon l'article 1932 du code civil, le dépositaire doit rendre identiquement la chose même qu'il a reçue ;

Que la société HFP, dépositaire des clichés remis par [P] [N] en vue de leur publication dans le magazine LUI, est tenue de les lui restituer ou d'indemniser les pertes qui ne seraient pas dues à une cause étrangère, non alléguée en l'espèce ;

Que la société HFP ne peut se prévaloir en qualité de dépositaire, gardien des choses déposées, de la prescription acquisitive, faute de justifier d'une possession utile;

Considérant que la société HFP conteste en vain la qualité d'auteur de [P] [N] qui, aux termes de l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre a été divulguée;

Qu'en effet, le nom de [P] [N] est mentionné, dans le sommaire des magazines, en qualité de photographe en marge du titre du reportage illustré de ses clichés ;

Qu'elle dénie aussi vainement l'originalité des photographies par elle sélectionnées ; que la technique dite du «bracketing» qui consiste, selon l'expert M. [M], à prendre une série de photographies successives en un seul déclenchement, en faisant varier la vitesse d'exposition et l'ouverture du diaphragme, l'exposition variant automatiquement entre les prises de vues, n'exclut pas en soi l'intervention personnelle du photographe ; qu'ainsi, les planches contact examinées par l'expert, jointes en annexe 4, révèlent les différences d'exposition, de lumière et les variations de position des modèles ; qu'il ressort de l'examen des photographies publiées, auquel la cour a procédé, que le choix du décor, du cadrage, de l'angle de prise de vue du modèle, la maîtrise de la lumière traduisent l'empreinte de la personnalité de l'auteur et confèrent aux photographies revendiquées l'originalité requise pour bénéficier de la protection des 'uvres de l'esprit au sens des dispositions du livre I du code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que [P] [N] caractérise son préjudice patrimonial en la perte d'une chance d'exploiter les photographies non restituées ; qu'il fait valoir que ces clichés témoignent d'une période unique dans l'histoire de l'érotisme et de la presse de charme en sorte qu'elles bénéficient d'un potentiel d'exploitation intemporel ; que se fondant sur l'expertise de M. [M], il estime à 10.500 € l'unité la valeur des 239 photographies et sollicite l'allocation d'une somme de 2.509.500 € en réparation de ce chef de préjudice ; qu'il poursuit en outre l'indemnisation de la non restitution des doublons, soit au minimum 77.436 ektas, sur la base de 30 € la photographie pour un montant de 2.232.080 € ;

Considérant que M. [M] évalue à 1.500 € la valeur moyenne d'une photographie originale signée par [P] [N] et retient que la perte d'exploitation pour un cliché qui n'a pu être matériellement exploité est de 10.500 €, en considérant que le tirage d'art traditionnel est réalisé en 7 exemplaires ;

Que dans une note établie le 25 avril 2014, M. [J], expert mandaté par la société HFP , critiquant ces conclusions, estime que le prix moyen des ventes du photographe répertorié dans Artprice s'élève à 943 € au vu des transactions réalisées entre 2004 et 2013, qu'il souligne que la valeur d'un cliché dépend du nombre d'exemplaires disponibles et que le produit de la vente revenant au photographe, en tenant compte de la probabilité de succès des ventes, des charges supportées par celui-ci et de la durée nécessaire pour écouler le stock est de 383 € ; qu'il constate que [F] [G], photographe de renom, n'a vendu que 31 photos en 2013 ;

Considérant que, comme le relève pertinemment M. [J] à la page 22 de sa note, la valeur d'une photographie dépend du nombre d'exemplaires disponibles et une photographie vendue en un seul exemplaire n'a pas la même valeur que si elle était vendue en 7 exemplaires ; que la mise sur le marché de l'art d'un nombre plus important de clichés aura nécessairement pour effet de banaliser les 'uvres et de déprécier leur valeur marchande ; qu'il convient en outre de relativiser la possibilité d'écoulement des photographies sur le marché, compte tenu des ventes réalisées ces dernières années par des photographes renommés ; qu'ainsi, les résultats d'adjudication publiés par Artprice joints en annexe de la note de l'expert, établissent que [P] [N] a vendu 43 photographies entre 2004 et 2013 sur les 106 offertes à la vente ; que, par ailleurs, M. [M], tout en reconnaissant que le photographe aurait dû supporter des charges telles le taux de commission de la salle des ventes ou de la galerie variant entre 35 à 40 %, ne les déduit pas dans son calcul final ; que le produit moyen de la vente d'un cliché revenant au photographe, déduction faite des frais, tel qu'estimé par M. [J], apparaît donc justifié ;

Qu'au regard de ces éléments, notamment du caractère aléatoire de la réalisation du stock de 228 clichés retenus par la société HFP, la perte de chance d'en tirer profit sur le marché de l'art ensuite de la non restitution sera entièrement réparée par l'allocation de la somme de 100.000 €;

Considérant que [P] [N] soutient qu'il a subi un préjudice moral du fait qu'il s'est dépossédé en confiance d'exemplaires uniques auprès de la société HFP sans imaginer qu'il serait empêché d'y avoir accès ;

Mais considérant que cette demande formée pour la première fois devant la cour doit être déclarée irrecevable, comme le soutient à juste titre la société HFP  ;

Qu'à titre surabondant, [P] [N] ne rapporte pas la preuve qu'il a subi un préjudice moral distinct de celui qui a été réparé par la privation de la possibilité d'exploiter les clichés non restitués ;

Sur les autres demandes

Considérant que la solution du litige commande de débouter la société HFP de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Que les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile doivent bénéficier à [P] [N] ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 20.000 €  ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable la demande de restitution des clichés photographiques formée par [P] [N],

Condamne la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à payer à [P] [N] la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice patrimonial résultant de la non restitution des clichés photographiques,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE à payer à [P] [N] la somme de 20.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile .

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 12/02676
Date de la décision : 19/06/2014

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°12/02676 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-06-19;12.02676 ?
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