COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 83E
CRF
5e Chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 26 JUIN 2014
R.G. N° 12/02312
AFFAIRE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
C/
[M] [R]
Syndicat CGT employés de la CPAM 92
MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Avril 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE
Section : Activités diverses
N° RG : F10/00772
Copies exécutoires délivrées à :
Me Florence GUARY
Me Annie DE SAINT RAT
Copies certifiées conformes délivrées à :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
Sylvain LANGLOIS
Syndicat CGT employés de la CPAM 92
MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX JUIN DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
[Localité 3]
représentée par Me Florence GUARY, substitué par Me Dimitri PRORELIS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R271
APPELANTE
****************
Monsieur [M] [R]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Annie DE SAINT RAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0919
Syndicat CGT employés de la CPAM 92
[Adresse 2]
[Localité 2]
représenté par Me Annie DE SAINT RAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0919
INTIMES
****************
MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE
[Adresse 3]
[Localité 1]
non représentée
PARTIE INTERVENANTE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 22 Mai 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller faisant fonction de président,
Monsieur Hubert DE BECDELIÈVRE, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Céline FARDIN
EXPOSE DES FAITS
Monsieur [R] a été engagé en qualité d'employé administratif par la caisse primaire d'assurance maladie de la région parisienne (CPAMRP) à compter du 1er septembre 1994.
Embauché au coefficient 161, monsieur [R] occupait, en 2005, le poste de technicien gestionnaire, niveau 3, coefficient 205 et son salaire mensuel brut était de 1684€.
Ayant adhéré à la CGT en 1997, monsieur [R] a été :
- délégué syndical depuis 1997 ;
- délégué du personnel depuis 2004,
- membre du comité d'entreprise de 2006 à 2008 ;
- mandaté national 25%de son temps de travail par la fédération CGT des organismes sociaux depuis le 1er mars 2010 jusqu'à ce jour.
Estimant avoir subi un blocage de carrière du fait de ses responsabilités syndicales, monsieur [R] a saisi l'inspection du travail puis le tribunal des affaires de sécurité sociale devant le bureau de conciliation duquel elle a obtenu de la caisse primaire d'assurance maladie 92 la production de certaines pièces.
Par jugement du 6 avril 2012, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :
-dit que monsieur [R] a été victime d'une discrimination syndicale de la part de la caisse primaire d'assurance maladie 92 ;
-condamné la caisse primaire d'assurance maladie 92 à verser à monsieur [R] les sommes suivantes :
*10 049,06€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
*1 000 € en réparation du préjudice moral ;
-dit que cette discrimination a créé un préjudice à l'intérêt collectif de la profession que le syndicat CGT employés de la caisse primaire d'assurance maladie 92 représente ;
-condamné la caisse primaire d'assurance maladie 92 à payer au syndicat CGT employés de la caisse primaire d'assurance maladie 92 la somme de 500€ à titre de dommages et intérêts ;
-déclaré le jugement opposable à la Drassif, au préfet et à la mission nationale de contrôle et d'audit
-débouté les parties des autres demandes et ordonné l'exécution provisoire ;
-condamné la caisse primaire d'assurance maladie 92 à verser à monsieur[R] la somme de 800€ et au syndicat CGT employés de la caisse primaire d'assurance maladie 92 la somme de 500€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La caisse primaire d'assurance maladie 92 a régulièrement relevé appel de cette décision.
Vu les écritures déposées et développées à l'audience du 22 mai 2014 par lesquelles la caisse primaire d'assurance maladie 92 demande à la cour de :
-débouter monsieur [R] et le syndicat CGT employés de la caisse primaire d'assurance maladie 92 de leurs demandes voire le cantonnement de la prétendue discrimination à la somme de 1953,99€ voire 2419,22€.
Vu les écritures déposées et développées à l'audience par monsieur [R] et le syndicat CGT Employés de la caisse primaire d'assurance maladie 92 qui prient la cour de :
- confirmer le jugement entrepris sauf à porter le montant du préjudice du syndicat à 9000€.
-d'y ajouter :
* le paiement d'un rappel de salaire de 15 178,74€ pour la période du 1er janvier 2006 au 31 mai 2014 et la délivrance d'un bulletin de salaire rectificatif ;
*le repositionnement au coefficient moyen de son panel de comparants soit au coefficient 305 conformément à la convention collective des organismes sociaux et sous astreinte journalière de 100€ ;
*le paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral complémentaire à hauteur de 9 000€.
*le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 10 000€ pour violation de l'obligation de formation et de développement des compétences.
*de condamner la caisse primaire d'assurance maladie au paiement de deux sommes de 2000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Régulièrement convoquée, la mission nationale de contrôle et d'audit n'a pas comparu.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie 92 réfute toute discrimination syndicale motifs pris des accords passés avec les organisations syndicales et les règles posées pour la validation des degrés de compétence en tenant compte du temps passé au titre d'une activité syndicale ; qu'elle critique la méthode Clerc, statistiquement biaisée car reposant sur une fiction, des effectifs trop faible et une utilisation non pertinente de la moyenne au détriment d'un coefficient ou d'un salaire médian ; qu'elle précise qu'en tout état de cause, l'absence de tout document utile antérieur à 1982 ne permet pas d'établir de discrimination et par voie de conséquence de préjudice antérieur à cette date ; que le panel doit exclure tous les cadres ; que le bien 'fondé d'une majoration de 30% au titre de la retraite n'est pas établi.
Considérant que monsieur [R] et le syndicat CGT répondent que le panel de comparaison établi grâce aux documents transmis par l'employeur comporte les salariés entrés en 1994 au même emploi ou à un emploi de même niveau, dans la même branche professionnelle (prestations) devenus techniciens et présents dans l'effectif en 2005 soit 12 employés aux écritures dont ont été écartés les militants syndicaux concernés par la présente procédure, les agents ayant eu l'examen de cadre et ceux ayant changé de filière professionnelle enfin, les agents n'ayant pas satisfait à l'examen de technicien de prestations ; que le coefficient moyen du panel était ' en 2005- de 265 tandis que celui de monsieur [R] était de 247 soit un différentiel de 18 points ; que plus précisément, ce delta était de 1 point en 1997 ; que la caisse primaire d'assurance maladie n'oppose aucune raison objective à cette discrimination ; que la prescription de quinquennale ne s'applique pas aux dommages et intérêts qui doivent réparer son entier préjudice selon la méthode de triangulation et avec une majoration de 30% correspondant à la perte de retraite et de prime ; que sur une durée de 27 ans de mandats syndicaux et un différentiel de salaire de 122,69916€ par mois, il doit percevoir une somme de 7730,05€ majorée de 30% soit 10 049,06€ ; qu'au surplus, il prend prétendre à un rappel de salaire depuis le 1er janvier 2006 (soit dans la limite des 5 ans avant la saisine du conseil de prud'hommes, la demande de revalorisation emportant nécessairement celle d'un rappel de salaire ) ; qu'au titre des salaires correspondant au coefficient 265 auquel il pouvait prétendre, la société lui doit un rappel de salaire de 15 178,74€ pour la période du 1er janvier 2006 au 31 mai 2014 ; qu'en dépit des termes du jugement , la caisse primaire d'assurance maladie n'a pas opéré la majoration de son salaire, se contentant d'indiquer le nouveau coefficient.
Considérant qu'aux termes de l'article L2141-5 du code du travail, il est interdit à l' employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter des décisions notamment en matière d'avancement, de rémunération et d'avantages sociaux ; que les heures de délégation syndicale sont considérées comme des heures de travail ; que la violation de ces dispositions donne lieu à des dommages et intérêts ; qu'en vertu de l'article L1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à l' employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ;
Considérant que le juge doit se livrer à une étude comparative des salaires et coefficients des représentants du personnel et des autres salariés de l' entreprise à niveau de diplôme équivalent, à date d'embauche et à qualification et coefficients équivalents ;
Considérant que le premier reproche émis par la caisse primaire d'assurance maladie contre la méthode dite Clerc utilisée par les intimés repose sur le défaut de prise en compte des caractéristiques propres de chaque salarié ( autonomie, esprit d'initiative, sens des responsabilités et compétences) de nature à influer sur le déroulement de sa carrière ; que ce moyen qui n'est pas de nature à remettre en cause la composition du panel de comparaison fondé sur les équivalences sus visées, devrait être utilisé par l' employeur, après établissement de la présomption de discrimination, au rang des raisons objectives justifiant des déroulements de carrière inégaux ; que la cour notera plus tard l'absence de toute précision de cet ordre.
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie reproche ensuite à l'intimée d'avoir constitué un panel trop restreint dont le résultat serait faussé par la très forte évolution d'un seul individu ; qu'elle préconise de prendre en compte la notion de coefficient /salaire médian ; que ce moyen est inopérant dans la mesure où le panel proposé par monsieur [R] comprend 12 salariés, soit un chiffre suffisant pour permettre une comparaison fiable sans craindre l'effet d'une carrière individuelle fulgurante ( la caisse primaire d'assurance maladie ne précisant d'ailleurs pas quel salarié du panel aurait bénéficié d'une telle progression faussant la pertinence de la comparaison ) ;
Considérant que seuls les agents ayant réussi l'examen de cadre ont été écartés du panel ; que la caisse primaire d'assurance maladie estime que tous les cadres auraient dû l' être en raison de la démarche volontaire du salarié présidant à cette promotion ; que, cependant, la seule volonté d'un salarié de devenir cadre était insuffisante, un processus de présélection par la hiérarchie ayant été mis en place ; que le moyen de la caisse est inopérant.
Considérant qu'en dernier lieu, la caisse primaire d'assurance maladie 92 fait état de ce que, lors de sa création en 1982, elle a repris des agents de l'ancienne CPCAMRP sans connaître l'historique de leur carrière et qu'elle ne peut communiquer que leur date d'embauche et leur emploi à cette date sans pouvoir préciser leur évolution de carrière ; que cependant, cette situation n'a aucune conséquence sur l'évolution du panel après 1982.
Considérant que sont inopérantes les critiques de la caisse quant à la fiabilité de la méthode de comparaison utilisée ; que les résultats de celle-ci indiquent que le coefficient moyen de son panel de 265 contre 247 en 2005 soit un delta de 18 points.
Considérant que ces éléments suffisent à faire présumer de l'existence d'une discrimination ; que la caisse n'y oppose aucune raison objective, étrangère à toute discrimination , la signature d'accords reflétant plutôt la reconnaissance par l' employeur de la réalité d'un différentiel dans l'évolution de carrière sans réparer le préjudice subi ; que la discrimination alléguée est suffisamment établie.
Considérant que la méthode Clerc permet l'évaluation du préjudice subi par la salariée selon la méthode dite de triangulation consistant à multiplier l'écart de salaire annuel par le nombre d'années de discrimination écoulé depuis le premier mandat syndical et à diviser le tout par deux pour tenir compte de la progressivité des effets de la discrimination ; que la caisse primaire d'assurance maladie demande en vain de limiter le nombre des années de discrimination à la période postérieure à 1982 , M [R] n'étant entré dans l' entreprise qu'en 1994.
Considérant qu'au regard d'un différentiel de salaire de 12269,16€ par mois sur 14 mois et de 9 années d'exercice de mandats syndicaux, le préjudice de monsieur [R] a été justement évalué à 7730,05€ majorés de 30% représentant la perte de retraite et de primes soit un montant total de 10 049,06€.
Considérant que l'inégalité de traitement pendant 9 ans a causé à monsieur [R] un préjudice moral distinct justement évalué par le premier juge à la somme de 1 000€.
Considérant qu'en discriminant les membres des syndicats qui représentent les salariés au sein des institutions représentatives régulièrement élues, la caisse primaire d'assurance maladie a causé un préjudice à l'intérêt collectif de la profession dont la défense des droits ne doit être empêchée par les craintes de candidats potentiels à ces mandats ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la caisse primaire d'assurance maladie au paiement d'une somme de 500€ à titre de dommages et intérêts.
Considérant que la demande de rappel de salaire est soumise à la prescription quinquennale ; que la demande de repositionnement du seul coefficient formulée en première instance ne valait pas demande de rappel de salaire et n'a pas interrompu cette prescription ; que la demande actuelle ne peut être accueillie que sur la période du 24 juin 2008( date des conclusions comportant demande de paiement des salaires) au 24 juin 2013 ; qu'à ce titre , la caisse primaire d'assurance maladie devra verser à M [R] la somme de 9081,29€ ( 18 pointsx7,20738x14 moisx5ans ).
Considérant que le repositionnement au coefficient de 265 devra figurer sur le bulletin de salaire rectificatif ;
Considérant que les explications confuses de M [R] quant à la fixation de son coefficient actuel à 305 n'ont pas convaincu la cour ; que M [R] sera débouté de ce chef.
Considérant que les sommes allouées par le premier juge au titre des préjudices moraux du salarié et du syndicat sont justement évaluées ; qu'aucune modification ni ajout n'est utile.
Considérant que M [R] se fonde sur les dispositions de l'article L6321-1 du code du travail pour reprocher à l' employeur de lui avoir refusé 54 candidatures internes à des postes de niveau 4 et 5 lui donnant accès à un travail et à une rémunération plus intéressants ; que la caisse répond que la validation par son salarié d'une licence d'administration publique ne lui crée pas l' obligation de le promouvoir ; qu'en tout état de cause, aucun besoin n'a été identifié sur un poste vacant ; que les dispositions sus visées ne faisaient pas obligation à la caisse de confier à M [R] un poste de niveau supérieur ; que ce dernier sera débouté de sa demande.
Considérant que l'équité commande de condamner la caisse primaire d'assurance maladie 92 appelante à verser à monsieur [R] une somme complémentaire de 200€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie 92 qui succombe supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par mise à disposition au greffe, et par décision réputée contradictoire,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 6 avril 2012 en toutes ses dispositions.
Y ajoutant :
-condamne la caisse primaire d'assurance maladie 92 à verser à M [R] la somme de 9081,29€ à titre de rappel de salaire pour la période du 24 juin 2008 au 24 juin 2003et ordonne la remise d'un bulletin de salaire rectificatif portant mention du coefficient 265.
-déboute les parties des autres demandes.
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie 92 à verser à monsieur [R] la somme complémentaire de 200€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie 92 aux dépens.
Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame Céline FARDIN, Greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,