COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 61B
3e chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 11 SEPTEMBRE 2014
R.G. N° 13/03420
AFFAIRE :
SAS LES LABORATOIRES SERVIER
C/
[L] [H]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance de mise en état rendue le 23 Avril 2013 par le Juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 2
N° RG : 12/03290
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Charles JOSEPH-OUDIN de la SELARL DANTE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS LES LABORATOIRES SERVIER
RCS 085 480 096
[Adresse 2]
[Localité 2]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 13000239
Représentant : Me Nathalie CARRERE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A193
APPELANTE
****************
1/ Madame [L] [H]
née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 1] (29)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 1]
2/ Mademoiselle [G] [H]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentant : Me Charles JOSEPH-OUDIN de la SELARL DANTE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0115
INTIMEES
3/ CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU FINISTERE
[Adresse 4]
[Localité 1]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE DEFAILLANTE
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 05 Juin 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Annick DE MARTEL, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,
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A la suite de la suspension en 2009 de l'autorisation de mise sur le marché du Médiator commercialisé par Les laboratoires Servier, [L] [H], estimant présenter une pathologie en lien avec ce médicament, a assigné par actes des 13 avril et 12 mai 2010 la société Les laboratoires Servier devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre afin de voir désigner un expert. Par ordonnance du 3 juin 2010, un expert a été désigné et a déposé son rapport le 12 décembre 2011.
Par acte du 5 mars 2012, [L] [H] et sa fille, [G] [H], ont assigné la société Les laboratoires Servier et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Finistère devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir réparation de leur préjudice.
Par conclusions d'incident du 23 novembre 2012, [L] et [G] [H] ont demandé au juge de la mise en état une provision pour frais d'expertise et d'avocat. En réponse, la société Les laboratoires Servier a demandé un sursis à statuer, au motif que les faits qui lui étaient imputés faisaient l'objet d'une expertise dans le cadre d'une procédure pénale pendante, et que les conclusions de cette expertise ainsi que la décision pénale à intervenir seraient de nature à influer sur l'appréciation du défaut allégué du produit.
Par ordonnance du 23 avril 2013, le juge de la mise en état a :
- déclaré l'ordonnance commune à la CPAM du Finistère,
- rejeté la demande de sursis à statuer,
- condamné la société Les laboratoires Servier à verser à [L] et [G] [H] une provision pour procès de 15 067 € et la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté [L] et [G] [H] du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Les laboratoires Servier aux dépens y compris ceux d'un précédent incident.
Par déclaration du 30 avril 2013, les laboratoires Servier en ont interjeté appel et par conclusions du 4 juin 2014, prient la cour d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance et, statuant à nouveau, de :
- surseoir à statuer, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, sur l'action en indemnisation engagée dans l'attente de l'issue de la procédure pénale actuellement instruite au Pôle Santé de Paris,
- rejeter la demande de provision et condamner [L] et [G] [H] à lui rembourser les sommes perçues en exécution de l'ordonnance,
- à titre subsidiaire, confirmer le montant de la provision ad litem allouée à [L] et [G] [H] mais les débouter de leur demande de provision complémentaire de 30 000 € pour frais d'avocat,
- en tout état de cause, juger irrecevables et mal fondées les demandes de [L] et [G] [H] tendant :
- à ce que la cour ordonne la production du rapport d'expertise pénale versé au dossier de l'instruction le 20 décembre 2013,
- à l'octroi d'une provision sur dommage,
- débouter [L] et [G] [H] et la CPAM de leurs demandes à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les intimées en tous les dépens.
Par conclusions du 20 mai 2014, [L] et [G] [H] demandent à la cour :
- de juger irrecevable et mal fondé l'appel de la société Les laboratoires Servier,
- d'ordonner à la CPAM du Finistère de communiquer le rapport d'expertise déposé le 20 décembre 2013 dans le cadre de l'information pénale,
- de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a alloué une provision pour frais d'instance,
- y ajoutant, de condamner Les Laboratoires Servier à leur verser :
- une provision pour frais d'avocat de 30 000 €,
- une provision sur dommage de 200 000 €,
- la somme de 5 000 € chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Les Laboratoires Servier aux entiers dépens.
La CPAM du Finistère, assignée à personne habilitée, n'a pas comparu.
SUR QUOI LA COUR :
Sur la demande de sursis à statuer :
Il est reproché aux laboratoires Servier dans le cadre de l'information ouverte notamment du chef de tromperie aggravée par mise en danger de l'homme dans le cadre de laquelle ils reconnaissent avoir été mis en examen d'avoir sciemment trompé les patients traités par Médiator sur les risques attachés à sa consommation.
Dans le cadre de la présente instance, fondée sur les articles 1386-1 et suivants du code civil, il incombe à [L] et [G] [H] de rapporter la preuve que le Médiator est un produit défectueux en ce que, notamment, il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Ainsi, alors que l'information a pour objet de rechercher les charges caractérisant les éléments constitutifs du délit de tromperie, et notamment son élément intentionnel, le litige civil a exclusivement pour objet de déterminer la responsabilité objective des Laboratoires Servier, c'est à dire sans recherche d'une éventuelle faute, fondée sur la production et la mise à disposition du public d'un produit défectueux.
Dès lors, même si, sur le plan matériel, le dommage déploré par [L] et [G] [H] est le même dans les deux procédures, son traitement sur le plan juridique est différent, en sorte que le sursis à statuer, qui n'est que facultatif sur le fondement de l'article 4 du code de procédure pénale ou sur celui des articles 377 et 378 du code de procédure civile ne s'impose pas. En outre, le caractère intentionnel ou non de la mise en circulation d'un produit défectueux est sans incidence sur l'appréciation tant du lien de causalité entre l'administration du produit et le dommage corporel causé, que sur l'étendue de ce dommage, qui constitue l'objet du présent litige. Tous au plus pourrait-il être soutenu que la démonstration de la faute intentionnelle des Laboratoires Servier, laquelle résulterait d'une condamnation pénale du chef de tromperie aggravée, serait de nature à constituer un élément majorant les préjudices moraux causés aux victimes. Mais il appartiendra alors à la juridiction statuant au fond d'apprécier, compte tenu de l'état de la procédure pénale, l'opportunité d'un sursis à statuer de ce seul chef. En l'état, l'ordonnance entreprise sera confirmée sur le rejet de la demande de sursis à statuer.
Sur la demande de communication du rapport d'expertise déposé dans le cadre de l'information :
Ce rapport ayant été déposé postérieurement à la date de l'ordonnance dont appel, soit en décembre 2013, la demande ne pouvait en être faite dans le cadre de l'incident devant le juge de la mise en état. Cette circonstance pourrait être considérée comme constituant un élément nouveau survenu en cours de procédure et faisant échec à la prohibition édictée par l'article 564 du code pénal. Néanmoins, outre qu'en principe une pièce couverte par le secret de l'instruction ne peut être divulguée avant l'achèvement de cette dernière, l'information est toujours en cours et les débats sur le contenu de cette expertise sont à l'évidence loin d'être achevés. Enfin [L] et [G] [H], qui sollicitent cette communication de la CPAM du Finistère au seul motif qu'elle aurait produit ce rapport dans le cadre d'une autre procédure, n'explicitent pas en quoi cette pièce serait utile pour établir dans le cadre du présent litige la responsabilité des Laboratoires Servier sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil, alors qu'une expertise parfaitement documentée et précise a déjà été effectuée à leur requête. Il n'y a donc pas lieu d'accueillir cette demande.
Sur les demandes de provision :
L'article 771 du code de procédure civile dispose que le juge de la mise en état est seul compétent pour allouer une provision pour le procès et accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Ne peut être considérée comme nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure pénale une demande de provision à valoir sur le préjudice subi alors qu'a été formulée en première instance une demande de provision pour frais d'expertise et frais d'avocat, le fondement de toutes les demandes étant identique, et tendant à permettre au créancier de surmonter, au plan pécuniaire, la charge et les délais d'un procès dont l'issue apparaît certaine.
Il est constant que le Médiator (benfluorex) a été commercialisé en France à partir de 1997, ayant pour indication initiale notamment le diabète de type II. Il a fait l'objet d'une décision de suspension d'AMM en novembre 2009, puis de retrait en juin 2010 en raison de sa toxicité cardia-vasculaire, caractérisée par un risque d'hypertension artério-pulmonaire (HTAP) et de valvulopathies. Les éléments produits aux débats permettent donc de considérer le Médiator comme un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil, en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, en raison du déséquilibre défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées et sanctionné par le retrait du marché et aussi de l'absence totale d'information sur la notice accompagnant ce médicament, quant au risque d'apparition d'une HTAP ou d'une valvulopathie. En d'autres termes, et contrairement à ce que soutiennent les Laboratoires Servier, le Médiator n'est pas un produit défectueux en raison du seul fait que son ingestion a provoqué un dommage, ou parce que ce médicament produit des effets secondaires indésirables, mais bien parce qu'il existe une disproportion défavorable entre les effets thérapeutiques attendus et la toxicité de ce produit.
En ce qui concerne [L] [H], il résulte du rapport d'expertise qu'elle a développé des pathologies multiples sur le plan endocrinien, mais que ces dernières n'ont aucun lien avec l'atteinte valvulaire qu'elle a présenté. A été constatée en décembre 2000 une insuffisance mitrale dite 'triviale' chez une patiente asymptomatique sans aucun souffle cardiaque. Elle ne présentait pas à ce moment là d'atteinte valvulaire au sens organique du terme. Elle a été traitée par Médiator pendant six ans et demi à compter du 30 avril 2001 dans le cadre d'une surcharge pondérale très importante, et en raison d'une insuline-résistance. A la suite d'une défaillance cardiaque, elle a été opérée le 29 janvier 2008, ce qui a permis de mettre en évidence une insuffisance aortique sévère et une atteinte valvulaire consistant en une rétraction des différents feuillets valvulaires, nécessitant l'implantation d'une prothèse. A la demande des Laboratoires Servier, il a été fait appel à un sapiteur qui a conclu que les lésions présentées sur les prélèvements conservés étaient identiques à celles décrites au cours de tumeurs carcinoïdes ou liées à la toxicité de médicaments sérotoninergiques. L'expert a conclu qu'aucune étiologie ne pouvait être retenue chez elle en dehors d'une atteinte toxique mettant en jeu la voie sérotoninergique. Les Laboratoires Servier n'ont pas remis en cause ces conclusions.
Il sera donc retenu que [L] et [G] [H] établissent l'existence d'une pathologie subie par [L] [H] en lien de causalité avec l'ingestion de Médiator, produit défectueux, dans les termes prévus par l'article 1386-9 du code civil.
En revanche, les Laboratoires Servier, auxquels ce débat incombe en application de l'article 1386-11 du code civil, n'opposent pas d'élément sérieux permettant de considérer qu'en l'état des connaissances scientifiques au moment ou le médicament a été prescrit à [L] [H], ce défaut n'avait pas été décelé. En particulier, la prétendue réserve à laquelle ils se prétendent tenus en vertu du secret de l'instruction ne les empêchait aucunement de formuler, sur le plan purement médical et technique, tout dire utile sur l'imputabilité des lésions traitées par l'intervention de 2009 chez [L] [H] à une exposition prolongée au Médiator, ce qu'il n'ont pas fait, ou encore d'étayer leur assertion sur l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où [L] [H] a été exposée au Mediator.
L'obligation des Laboratoires Servier à l'égard de [L] et [G] [H] n'étant ainsi pas sérieusement contestable, les demandes de provision sont fondées en leur principe.
L'ordonnance sera donc confirmée sur la provision pour procès de 15 067 €, sans que la demande complémentaire présentée devant la cour soit justifiée. La cour ajoutera une provision à valoir sur la réparation du préjudice corporel de [L] [H] de 50 000 €.
L'équité commande que la somme complémentaire de 2 000 € soit allouée à [L] et [G] [H] unies d'intérêt au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Toutes autres demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel seront rejetées.
Les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la CPAM du Finistère de produire le rapport d'expertise déposé dans le cadre de l'information pénale,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à [L] [H] une provision de 50 000 € à valoir sur la réparation de son préjudice corporel,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à [L] et [G] [H] unies d'intérêt la somme complémentaire de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la société Les Laboratoires Servier aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,