COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 60A
3e chambre
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 27 NOVEMBRE 2014
R.G. N° 10/07955
AFFAIRE :
[U] [X]
C/
[N] [R]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Septembre 2010 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 2
N° RG : 09/06265
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA
Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [U] [X]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 00039032
Représentant : Me Claudine BERNFELD de l'Association BERNFELD ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R161
APPELANT
****************
1/ Monsieur [N] [R]
[Adresse 2]
[Localité 4]
2/ LA MATMUT
[Adresse 4]
[Localité 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20101276
Représentant : Me Sandrine ALBRAND de la SCP ACGR, Plaidant, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 73 substituant
Me Jean-Pierre CHOQUET de la SCP ACGR, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 73
INTIMES
3/ CPAM DE SAVOIE
[Adresse 3]
[Localité 1]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Octobre 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Annick DE MARTEL, Conseiller, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Annick DE MARTEL, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON,
--------------
Le 24 octobre 1985, [F] [X] a été victime d'un accident de la circulation impliquant le véhicule de [N] [R] assuré auprès de la MATMUT. Depuis cet accident, il est atteint d'un déficit fonctionnel de 100 %.
La victime directe a été indemnisée de son entier préjudice, ainsi que ses proches, et notamment son frère [U] [X] à hauteur de 70 000 francs pour ses préjudices patrimonial et moral, selon protocoles transactionnels des 28 juillet et 17 décembre 1988.
Se fondant sur un rapport d'expertise amiable du 6 décembre 2003 du docteur [G], qui concluait à une pathologie psychiatrique réactionnelle à l'accident, décompensée en 1986 et qui se serait aggravée en 1993 et à une consolidation le 4 juin 1993, [U] [X] a sollicité de la MATMUT de nouvelles indemnisations que cette dernière a refusées.
Par assignations des 13 et 14 décembre 2004, [U] [X] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de désignation d'un expert judiciaire.
Par ordonnance de référé du 14 janvier 2005, le docteur [E] a été désigné et a déposé son rapport le 12 mars 2007.
Par actes du 20 avril 2009, [U] [X] a assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre, la MATMUT et [N] [R] aux fins d'obtenir une nouvelle expertise et la somme de 100 000 € à titre de provision en indemnisation de ses préjudices.
Par jugement du 10 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Nanterre a constaté que l'action introduite par [U] [X] était prescrite sur le fondement de l'article 2226 du Code civil, plus de dix ans s'étant écoulés depuis la consolidation, et l'a condamné à payer à la MATMUT la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le 25 octobre 2010 [U] [X] a interjeté appel.
Par arrêt avant dire droit du 21 juin 2012, la cour d'appel de Versailles a sursis à statuer et a ordonné une nouvelle expertise confiée au professeur [P] [M].
L'expert a rendu son rapport définitif le 5 août 2013.
Dans ses dernières conclusions du 29 septembre 2014, [U] [X] demande à la cour de :
- juger que la prescription ne peut être acquise alors que la victime n'a pas pu bénéficier du diagnostic correspondant à ses troubles, ni des traitements qui s'y attachent et que, dès lors, son état n'est pas stabilisé,
- juger qu'il ne présentait aucun état antérieur avant sa première hospitalisation en date du 10 novembre 1986,
- juger que c'est l'accident de son frère [F] qui a été l'élément déclencheur de l'affection dont il est atteint,
- juger que le préjudice né de cette affection doit être réparé par l'auteur de l'accident [N] [R] et la MATMUT,
- désigner un expert spécialiste de médecine légale-dommage corporel ainsi qu'un expert stomatologiste afin d'obtenir une évaluation complète des postes de préjudices,
- condamner in solidum [N] [R] et la MATMUT à lui verser la somme de 100 000 € à titre de provision et 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- débouter la MATMUT de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,
- donner acte à [U] [X] de son immatriculation à la CPAM de Savoie sous le n° [XXXXXXXXXXX01].
Dans leurs dernières conclusions du 30 septembre 2014, la MATMUT et [N] [R] demandent à la cour de :
- entériner le rapport du professeur [P] [M],
- confirmer le jugement entrepris,
- Y ajoutant,
- condamner [U] [X] à leur payer la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- A titre subsidiaire,
- débouter [U] [X] de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à leur payer la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La CPAM de Savoie a été assignée mais ne s'est pas constituée.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 octobre 2014.
SUR QUOI LA COUR :
La cour fait référence à son arrêt du 21 juin 2012 en ce qui concerne le rappel de la teneur de l'article 2226 du code civil et du contenu de la notion de consolidation.
[U] [X] a été hospitalisé :
du 10 novembre au 4 décembre 1986
du 19 août au 2 septembre 1987
du 11 janvier au 26 février 1993
du 4 au 9 mars 1993
du 22 novembre 1994 au 18 août 1995
du 28 septembre au 1er octobre 1996
du 11 décembre 1997 au 25 novembre 1998
du 2 avril 1999 au 14 mai 1999
du 30 mars au 25 mai 2001
du 19 avril au 2 juillet 2003
du 8 septembre au 7 octobre 2004
Il résulte en outre des pièces produites que [U] [X] a également été hospitalisé du 19 au 29 août 2011, du 3 septembre 2011 au 22 juin 2012 et du 4 mars au 10 avril 2014.
Il sera rappelé liminairement que l'accident qui a frappé [F] [X] en octobre 1985, l'a privé définitivement de toute autonomie à l'âge de 18 ans. Le lien entre la pathologie mentale présentée par [U] [X] en 1986 et cet accident est établi par un certificat médical de décembre 1986, ainsi que les rapports d'expertise successifs. Il n'est pas contesté. Il sera donc retenu que les troubles présentés par [U] [X] à partir de novembre 1986 ont été déclenchés par l'accident subi par son frère, et plus précisément la nouvelle d'un pronostic d'évolution défavorable, circonstance de nature à justifier l'imputabilité des troubles à l'accident, et ce même si, avec la même unanimité, les nombreux médecins consultés s'accordent sur le fait que [U] [X] présentait des traits de personnalité le rendant vulnérable à une telle décompensation.
L'action générée par ce préjudice se prescrivant par dix ans à compter de la date de consolidation, il y a lieu de déterminer la date à laquelle elle est intervenue.
Le Docteur [M] conclut son rapport en ces termes : [U] [X] 'a présenté un épisode psychopathologique aigu délirant 9 mois après l'accident de son frère : ce délai est caractéristique d'un trouble psychogène notamment bipolaire réactionnel à un événement de vie traumatique...Les épisodes constatés en 1986 soit 9 mois après l'accident du frère puis un an après sont imputables à l'accident du frère survenu en 1985...Il y a ensuite eu un épisode libre jusqu'à une nouvelle crise en 1993 que le sujet nous a décrite comme étant consécutive à divers facteurs environnementaux dont certains pourraient être considérés comme en lien avec l'accident de 1985 : conflits avec l'employeur, rupture affective, séparation des parents, aggravation de l'état du frère....Au 10 novembre 1988 l'état de santé de Monsieur [X] devait être considéré comme consolidé. Il ne présentait plus de symptômes attestant d'un état psychiatrique aigu ou d'un évolutivité de la maladie transitoire qui avait été la sienne. L'épisode de 1993 apparaît comme une récurrence de la pathologie psychiatrique intermittente débutée en 1986. Il en va de même pour les épisodes ultérieurs, il n'y a pas lieu de retenir une aggravation...Il appartient à Monsieur [X] de suivre un traitement médical susceptible de modifier les récidives de sa pathologie intermittente qui ne peut pas être imputée à l'accident de 1985 au delà de la date de consolidation.'
Cette conclusion confirme celle du Docteur [E], qui avait pour sa part considéré que : 'S'il est tout à fait conforme à l'évolution des connaissances de considérer qu'un événement de vie majeur, comme l'accident de son frère, a pu faciliter, favoriser et précipiter les premières décompensations, il convient par contre de considérer que la maladie évolue pour son propre compte au-delà d'un certain seuil....On peut considérer que l'état clinique et les hospitalisations de Monsieur [U] [X] ont été favorisés, facilités et précipités par l'accident de son frère jusqu'au 10 novembre 1988, date de consolidation, soit deux ans après la décompensation initiale. A compter de cette date, la maladie évolue pour son propre compte, c'est à dire indépendamment de la précipitation initiale.'
Le psychiatre traitant de l'intéressé, dans un certificat détaillé du 6 juin 2014, ne remet pas véritablement en cause ces analyses, et note que : 'depuis l'épisode inaugural, de nouveaux épisodes se sont reproduits avec la même expression symptomatique de manière assez invariable...La survenue d'un premier épisode...fait le lit du suivant, inscrivant pour ainsi dire une vulnérabilité chez le sujet, la survenue des épisodes suivants pouvant être favorisée par l'exposition à de stresseurs...de moins en moins importants...'.
Il résulte encore des travaux de ces trois médecins que si le diagnostic exact des troubles présentés n'a pu être établi qu'en 1997, tous s'accordent pour constater qu'il s'agit de troubles récurrents (souligné par la cour), en sorte que les manifestations postérieures à la date de novembre 1988 proposée par les deux experts judiciaires comme date de consolidation, ne peuvent être considérées comme une aggravation.
Au regard de la convergence des travaux ci-dessus analysés, la cour retiendra que la date de consolidation doit être fixée au 10 novembre 1988, et que les troubles postérieurs à cette date ne constituent pas une aggravation des dommages corporels subis.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
[U] [X], qui succombe en son appel en supportera les dépens, et contribuera, en équité, aux frais irrépétibles exposés devant la cour par la MATMUT et [N] [R] unis d'intérêts à hauteur de 2 000 €.
Le présent arrêt sera déclaré commun à la CPAM de Savoie.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne [U] [X] à payer à [N] [R] et à la MATMUT unis d'intérêts la somme complémentaire de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le condamne aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,