COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 89B
CRF
5e Chambre
ARRET N°
RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
DU 04 DECEMBRE 2014
R.G. N° 11/00831
AFFAIRE :
[R] [H]
C/
SCP GUERIN DIESBECQ - Mandataire liquidateur de SARL CRAL
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2011 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES
N° RG : 20600884
Copies exécutoires délivrées à :
Me Elvis LEFEVRE
SCP GUERIN DIESBECQ - Mandataire liquidateur de SARL CRAL
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES
Copies certifiées conformes délivrées à :
[R] [H]
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE QUATRE DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [R] [H]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Elvis LEFEVRE, substitué par Me Aline PRONIER, avocats au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 76
APPELANT
****************
SCP GUERIN DIESBECQ - Mandataire liquidateur de SARL CRAL
[Adresse 2]
[Localité 1]
non représentée
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES YVELINES
Département des Affaires Juridiques
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par M. [F] [I] en vertu d'un pouvoir général
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Octobre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Céline FARDIN,
EXPOSÉ DU LITIGE,
Par arrêt en date du 31mai 2012 auquel il sera référé pour l'exposé des faits et de la procédure, la cour a infirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles du 20 janvier 2011 et :
- ordonné une nouvelle expertise médicale confiée au Dr [X] qui sera remplacé par le Dr [Z], médecin psychiatre ayant pour mission de déterminer l'étendue des préjudices subis par M. [H] en relation directe avec sa maladie professionnelle déclarée le 8 aout 2002 et ses rechutes des 20 novembre 2002 et 22 septembre 2009 ;
- fixé à 800€ le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être consignée par M. [H] ;
-renvoyé l'affaire à l'audience du 3 décembre 2012, plusieurs renvois ayant ensuite été ordonnés dans l'attente du rapport de l'expert, le Dr [Z].
Vu les écritures déposées et développées à l'audience par M.[H] qui demande à la cour de :
- condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :
*200 000 € au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des souffrances physiques et morales ;
*54 000 € au titre du préjudice d'agrément ;
*37 053,57 € au titre de la perte de gains professionnels ;
*80 000 € au titre du préjudice sexuel ;
*50 000 € au titre du préjudice affectif ;
*50 000 € au titre du préjudice de « situation aggravationnelle » ;
*34 000 € au titre du préjudice d'établissement ;
- déclarer l'arrêt opposable à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines ;
- condamner l'employeur au paiement d'une somme de 2 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître [Y], régulièrement convoqué en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Cral, n'a pas comparu et n'a pas expliqué son absence.
La caisse primaire d'assurance maladie qui ne dépose aucune écriture, demande à la cour :
- de préciser qu'elle avancera les sommes à M. [H] ;
- de noter son action récursoire à l'encontre de la société auteur de la faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de M. [H] ;
- de débouter M. [H] de ses demandes portant sur la perte de gains professionnels indemnisée par le versement d'une rente, et sur la perte d'une chance de promotion professionnelle ;
- de débouter M [H] de sa demande relative à un préjudice affectif ressortissant d'un préjudice moral subi par les proches au vu des souffrances de la victime ;
- de débouter M. [H] de sa demande au titre d'une situation aggravationnelle qui regroupe en réalité les préjudices moral et d'agrément ;
- de réduire les montants à de plus juste proportions.
En cours de délibéré, M. [H] a transmis au greffe de la cour une note en délibéré aux termes de laquelle il rectifie une erreur entachant le dispositif de ses conclusions, qui indique une demande de 35 000€ au titre du préjudice de situation aggravationnelle ; M. [H] précise, qu'ainsi qu'indiqué dans le corps de ses conclusions, le montant demandé est de 50 000 €.
Les écritures de M. [H] indiquent :
*une demande d'un montant de 50 000 € dans la motivation ;
*une demande d'un montant de 35 000 € dans le dispositif ;
Le principe du contradictoire a été respecté, les autres parties ayant lu les écritures.
La cour prend acte de cette erreur matérielle entachant le dispositif des écritures de l'appelant dont la demande de ce chef est de 50 000 €.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé plus complet des moyens de M. [H], aux conclusions qu'il a déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
La cour rappelle à titre liminaire, qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur et en application des articles L452-1 et suivants du code de sécurité sociale, l'indemnisation des préjudices personnels subis par la victime est avancée directement par la caisse primaire d'assurance maladie qui dispose d'une action récursoire contre l'employeur auteur de la faute inexcusable ; la demande de M. [H] tendant à la condamnation de la société Carl ' par ailleurs en liquidation judiciaire ' est dès lors écartée. Il reviendra à la caisse primaire d'assurance maladie d'avancer les sommes fixées puis d'initier l'action récursoire contre l'employeur.
Les conclusions du Dr [Z], expert commis par arrêt sus visé du 12 mai 2012, sont les suivantes :
« M. [H], né le [Date naissance 1] 1963, a été victime d'une maladie professionnelle au cours de laquelle il a été exposé sans protection à un produit corrosif qui entraînait des lésions de brûlures au second degré des membres supérieurs, cette exposition remonte à l'année 2002.
Selon moi, ce patient n'avait pas présenté de tableau dépressif ayant nécessité d'une prise en charge particulière avant son exposition toxique durant l'année 2002.
Il devait préexister une personnalité vraisemblablement névrotico-hystérique qui ne s'était jamais exprimée dans une dimension pathologique.
Dans les suites de sa maladie professionnelle et de son licenciement, le patient a présenté un tableau dépressif sévère et caractérisé qui s'est enkysté en se chronicisant et en permettant la décompensation d'une personnalité hystérique livrant des manifestations somatiques particulières. Ces manifestations somatiques vont accompagner la dépression du sujet, l'aggravant et la complexifiant.
Cette personnalité hystérique va s'épanouir durant plusieurs années en installant le patient dans une forme de revendication qui va s'accompagner de manifestations dont certaines auront une dimension particulièrement handicapante et particulièrement humiliante pour le sujet.
Ainsi, existe t- il des manifestations somatiques à type de troubles de la sexualité en l'espèce une impuissance qui semble résistante aux traitements classiques tout en ne trouvant pas d'explications directement urologiques.
Ce type de manifestation reste étroitement lié à une dimension psychologique, le patient a bénéficié d'une prise en charge qui ne m'apparaît pas adaptée au trouble de la personnalité qui est le sien, sachant que ce type de personnalité est elle-même particulièrement délicate à prendre en charge.
La décompensation de la personnalité décrite, comme le tableau dépressif, sont selon moi, la conséquence de la maladie professionnelle et du licenciement du patient.
Les souffrances physiques et morales endurées sont selon moi plus importantes que ce qui avait été repéré précédemment car, le trouble de la personnalité s'est amplifié, alimentant une dépression et un sentiment d'infériorité puis une faille narcissique aggravant elle-même le trouble de la personnalité.
Les souffrances physiques et morales endurées sont extrêmement impactantes pour le sujet qui voit sa vie aujourd'hui extrêmement réduite. Elles sont évaluées à une valeur de 4 sur une échelle de 7, 4/7.
Le préjudice d'agrément existe.
Bien évidemment, la décompensation de la personnalité du sujet ainsi que la dépression sévère qui est la sienne ont, bien entendu, eu un impact important dans tous les secteurs de vie de ce patient.
Le préjudice d'agrément reste délicat à évaluer, ce pour deux raisons :
La première est que le patient reste dans une idéalisation de sa vie passée et la seconde est que, à ce jour et à cette heure, la patient n'a jamais fait l'objet d'une prise en charge adaptée à la problématique qui a été décrite ici.
Il existe bien entendu une perte de chance de promotion professionnelle dans la mesure où la dimension de la personnalité du patient est aujourd'hui, comme sa dépression, un frein majeur à un épanouissement social, familial, affectif et professionnel.
Le préjudice sexuel est évident, même si je ne le pense pas lié à une affection urologique mais bien psychiatrique, ce qui semble être confirmé par l'échec des thérapeutiques employées jusqu'alors.
Je précise ici que je reste un médecin psychiatre hospitalier sans affinité particulière avec une idéologie psychanalytique. Le trouble sus décrit ne fait pas partie des diagnostics que je pose aisément. J'insiste donc sur le fait que ce diagnostic est à mon sens certain et qu'il rend compte du tableau clinique complexe du sujet comme des 10 années qui viennent de s'écouler pour ce patient.
La reconnaissance de ce trouble, comme la reconnaissance des demandes du sujet sont pertinentes car justifiées mais aussi car une telle reconnaissance pourrait correspondre à une première avancée thérapeutique. »
La lecture du rapport d'expertise révèle une écoute de M. [H], un examen de ses documents et une analyse longuement explicitée du diagnostic sus posé.
Sur les souffrances physiques et morales endurées
Evalué à 4/7, ce préjudice est dit moyen au sens de l'échelle communément utilisée. En réalité, la cour note que M. [H] ' qui ne présentait pas d'antécédent dépressif avant sa maladie professionnelle ' souffre depuis douze ans maintenant d'une dépression sévère ayant nécessité de nombreuses hospitalisations et un traitement médicamenteux générant des effets indésirables exprimés par le patient. L'ancienne compagne de M. [H] atteste de ce que cette dépression a été à l'origine de leur séparation après 21 ans de vie commune et la naissance de leur fille âgée d'une vingtaine d'années aujourd'hui. L'épouse actuelle de M. [H] mentionne elle aussi les éléments dépressifs.
L'expert a suffisamment expliqué la nature et l'origine des manifestations somatiques majorant les symptômes dépressifs ; l'existence d'un trouble de la personnalité qui majorerait les effets de la dépression ne peut avoir pour effet de réduire l'indemnisation de cette souffrance.
La cour évalue ce préjudice à 5/7 (assez important au sens de l'échelle sus- mentionnée de 1 à 7) et fixe le montant de l'indemnisation à 35 000 €.
Sur le préjudice d'agrément
Ce préjudice s'entend aujourd'hui de l'impossibilité de s'adonner à des activités sportives ou de loisir spécifiques, la jurisprudence ayant abandonné la définition large d'atteinte apportée aux joies usuelles de l'existence.
L'expert souligne la difficulté d'évaluation de ce préjudice au regard de l'idéalisation par M. [H] de sa vie avant 2002 et du défaut de mise en place selon lui d'une thérapie adaptée. Aucun élément précis n'est mentionné qui corresponde à la définition actuelle de ce préjudice.
M. [H] fait valoir qu'avant son accident, il :
*avait des activités culturelles de loisirs : visites de musées et de parcs de loisirs, soirées de tarot et de vidéo avec des amis ;
*partait en vacances à l'étranger ;
*a pratiqué le footing une fois par semaine depuis l'âge de 17 ans et le football depuis l'âge de 7 ans.
Aucune attestation autre que celle de M. [H] lui-même n'établit qu'il pratiquait ces deux sports et aucun document médical n'exclut la possibilité pour M. [H] de reprendre ses deux sports, le contexte dépressif ne pouvant exclure définitivement toute activité sportive et de loisir dite spécifique.
Les visites de musées et de parcs d'attraction ne constituent pas des activités de loisirs spécifiques et en tout état de cause, aucun élément n'établit l'impossibilité dans laquelle M. [H] serait de renouer avec ces loisirs avec son épouse, sa fille, sa famille.
M. [H] sera débouté de ce chef.
Sur la perte de chance professionnelle
L'expert l'estime évident au regard de la dépression, « frein majeur à un épanouissement social, familial, affectif mais aussi professionnel » ; cette analyse ne correspond pas à la définition de ce préjudice.
La chance de promotion professionnelle perdue doit être sinon certaine, au moins raisonnablement attendue au regard de l'obtention d'un diplôme, du suivi d'une formation, de l'intention de l' employeur ; l'impossibilité alléguée par M. [H] de reprendre une activité professionnelle ne constitue pas une perte de chance sérieuse de promotion professionnelle ; la cour note à cet égard un défaut de spécialisation professionnelle de M. [H] dont le curriculum vitae dénote au contraire des fonctions très diverses (responsable de production sur chaîne de 1985 à 1989 mais responsable socio culturel /comptable de 1992 à 1995, gérant de brasserie de 1996 à 2002 et rénovateur automobile depuis 202 jusqu' à son licenciement).
M. [H] sera débouté de sa demande de ce chef.
Sur la perte de gains professionnels échus et futurs
Une jurisprudence établie exclut l'indemnisation complémentaire à ce titre, le versement d'une rente y pourvoyant ; M. [H] perçoit une rente en rapport avec une IPP de 79 % et sera débouté de ce chef.
Sur le préjudice sexuel
Ce préjudice constitue un préjudice distinct du préjudice d'agrément ou du préjudice moral ; l'attestation des deux compagnes de M. [H], les certificats médicaux font état d'une impossibilité d'érection résistante aux traitements essayés et étrangère à un problème urologique ;
Agé de 39 ans lors de sa déclaration de maladie professionnelle, M. [H] a subi depuis 2003 et subit encore aujourd'hui un préjudice important dont le caractère définitif n'est pas établi mais qui sera indemnisé à hauteur de 30 000 €.
Sur le préjudice affectif
M. [H] demande à être indemnisé à hauteur de 50 000 € en invoquant la perte de chance de promotion professionnelle, sa séparation d'avec sa compagne mère de leur fille et l'absence de cette dernière ; ce préjudice relève des souffrances morales sus examinées et dont l'évaluation par l'expert a été majorée par la cour, voire du préjudice subi par les proches de M. [H] au vu de ses souffrances.
M. [H] sera débouté de ce chef.
Sur le préjudice de situation aggravationnelle
M. [H] demande paiement d'une somme de 50 000 € en faisant état du frein majeur apporté par sa dépression à un épanouissement social, familial, affectif mais aussi professionnel, selon les termes de l'expert.
Cette absence d'épanouissement déjà invoqué pour le préjudice affectif et pris en compte au titre des souffrances morales ne confère pas de droit à une indemnisation dont la spécificité n'est ici pas rapportée.
M. [H] sera débouté de ce chef.
Sur le préjudice d'établissement
L'expert n'avait pas pour mission d'évaluer un tel préjudice au regard de l'absence d'invalidité physique évoquée habituellement pour ce préjudice qui prive la victime de l'espoir de créer une famille.
M. [H] avait une compagne avec laquelle il a eu une fille mais la dépression de M. [H] a eu raison de cette relation et de cette vie de famille ; ensuite, l'impuissance sexuelle subie par le nouveau couple de M. [H] participe de l'impossibilité de connaître à nouveau une vie familiale normale. La cour considère que ces circonstances particulières justifient de reconnaître ce préjudice et de l'indemniser à hauteur de 10 000 €.
La caisse primaire d'assurance maladie avancera directement les sommes et remboursera à M. [H] la provision qu'il a consignée pour le docteur [Z] qui a reçu les fonds et exerçera l'action récursoire prévu par les articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
La CPAM supportera le coût des deux autres expertises (Docteurs [S] et [W]).
Vu l'équité et la situation de la société, la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines sera condamnée à verser à M. [H] la somme de 1 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision réputée contradictoire,
Evoquant à la suite de l'arrêt en date du 31 mai 2012,
Fixe l'indemnisation des préjudices subis par M. [H] de la manière suivante :
*35 000€ au titre des souffrances physiques et morales ;
*30 000€ au titre du préjudice sexuel ;
*10 000€ au titre du préjudice d'établissement.
Déboute M. [H] de ses autres demandes.
Dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines avancera directement les sommes sus visées à M. [H] et rappelle que les textes lui reconnaissent une action récursoire contre l'employeur dont la faute inexcusable a été retenue.
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie à rembourser à M. [H] la somme de 800 euros avancée par ce dernier à valoir sur les honoraires du docteur [Z] et au paiement d'une part du coût des expertises réalisées par les Drs Lorenceau et [W] et d'autre part de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Madame Céline Fardin, Greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,