COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRET N°
contradictoire
DU 17 DECEMBRE 2014
R.G. N° 12/03623
AFFAIRE :
[Q] [T] épouse [Y]
C/
SAS SECURI NET
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 12 Juillet 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
N° RG : 11/00614
Copies exécutoires délivrées à :
Me Djamila RIZKI
Me [I] [O]
Copies certifiées conformes délivrées à :
[Q] [T] épouse [Y]
SAS SECURI NET
POLE EMPLOI
le : 18 décembre 2014
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [Q] [T] épouse [Y]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparante en personne, assistée de Me Djamila RIZKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1080
APPELANTE
****************
SAS SECURI NET
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Elodie PATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 175
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 03 Novembre 2014, en audience publique, devant la cour composé(e) de :
Madame Michèle COLIN, Président,
Madame Marie-Hélène MASSERON, Conseiller,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel du 4 juin 2009, Mme [Q] [T] épouse [Y] a été engagée par la société Sas Sécuri Net, entreprise de nettoyage soumise à la convention collective des entreprises de propreté, en qualité d'agent de service, avec une reprise d'ancienneté au 16 mai 1990 et moyennant un salaire mensuel de 766,16 euros bruts.
Mme [T] travaillait précédemment pour la société Derichebourg qui transférait son contrat de travail à la société Sécuri Net suite à la reprise du chantier OPCA Transport sur lequel travaillait la salariée.
Elle continuait paralèlement de travailler pour la société Derichebourg sur un autre chantier.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 1er octobre 2009, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 9 octobre 2009 et reporté au 6 novembre suivant.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 novembre 2009, elle a été licenciée pour faute grave.
La société Sécuri Net comptait au moins onze salariés au moment de la rupture du contrat de travail.
Le 20 avril 2010, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins de voir juger sans cause réelle et sérieuse son licenciement et obtenir le paiement des sommes suivantes:
* 1 554,86 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 155,48 euros au titre des congés payés afférents,
* 3 934,42 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 9 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Sécuri Net a conclu au débouté et à la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 12 juillet 2012 le conseil des prud'hommes de Versailles a dit justifié le licenciement pour faute grave de Mme [T] et l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes ; il a débouté la société Sécuri Net de sa demande reconventionnelle et condamné la salariée aux dépens.
Mme [T] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Elle sollicite son infirmation et la condamnation de la société Sécuri Net à lui payer les sommes suivantes :
* 1 554,86 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 155,48 euros au titre des congés payés afférents,
* 3 945,57 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 9 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Sécuri Net sollicite la confirmation du jugement entrepris, le débouté de la salariée de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de la lettre de licenciement du 12 novembre 2009, qui fixe les limites du litige, trois griefs fondent la mesure disciplinaire :
1) De nombreux retards à son travail :
L'employeur se référe au témoignage des chefs d'équipe de la salariée et de son inspecteur qui ont été amenés à la contrôler plusieurs fois et qui ont constaté une arrivée quasie quotidienne avec 15 minutes de retard. Il fait état d'un dernier retard en date du 29 octobre 2009, de plus de 15 minutes.
2) Son insubordination et son refus d'appliquer les instructions données par sa hiérarchie :
L'employeur fait référence à des courriers des 12 juin 2009, 17 juin 2009 et 20 juillet 2009 par lesquels les chefs d'équipe de Mme [T], son employeur et la direction lui reprochent son insubordination et son refus d'appliquer les consignes dans l'exécution de son travail, dont la qualité n'est pas satisfaisnate. Il lui est reproché principalement d'avoir pris un congé du 27 juillet 2009 au 24 août 2009 en dépit du refus de l'employeur.
3) Un manquement à son obligation de discrétion en critiquant son employeur auprès du client auquel elle a même montré descourriers qui lui avaient été adressés par son employeur :
Mme[T] soulève la prescription des faits et conteste leur réalité, faisant valoir :
- que les retards qu'on lui reproche ne sont pas précisés ni dans leur nombre ni dans leur date, qu'un seul retard a été défalqué de son bulletin de salaire de juin 2009, ce qui constitue déjà une sanction pour un fait qui, au surplus, est ancien de plus de deux mois ;
- que les refus d'obéissance à des instructions qui lui auraient été données les 12 juin, 17 juin et 20 juillet 2009 constituent des faits prescrits ; que son absence pour prise de congés du 27 juillet au 24 août 2009 n'était nullement injustifiée puisqu'autorisée par son précédent employeur la société Derichebourg.
- qu'elle n'a jamais dénigré la société Sécuri Net auprès des clients, et ces faits ne sont pas démontrés.
La société Sécuri Net réplique :
- que les retards fréquents et répétés sont établis par les bulletins de salaire, par une attestation de M. [F], chef d'équipe, et par les feuilles de pointage ;
- que les faits d'insubordination et de refus d'appliquer les instructions sont établis par les témoignages de M. [F], d'une collègue de travail de Mme [T], Mme [Y], et de Mme [S], qui a remplacé Mme [T] pendant le mois d'août 2009 ; que l'autorisation de partir en congés qui a été donnée par la société Derichebourg ne s'inscrivait pas dans le cadre du transfert du contrat de travail de Mme [T] à la société Sécuri Net mais concernait le contrat de travail subsistant entre la salariée et la société Derichebourg, que cette autorisation était donc inopposable à la société Sécuri Net qui était fondée à opposer son propre règlement à Mme [T], laquelle a néanmoins choisi de passer outre le refus qui lui a été clairement exprimé ; que son absence a désorganisé l'entreprise puisqu'elle a dû la remplacer par une autre salariée qui a été payée en heures supplémentaires ;
- que les faits de dénigrement sont établis par le témoignage de Mme [V], collègue de travail de Mme [T] qui travaillait sur le même chantier qu'elle.
- qu'il n'y a pas prescription des faits en raison de la réitération du comportement fautif.
Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Sur le grief tiré des retards fréquents et répétés :
Par lettre du 12 juin 2009, Mme [T] a fait l'objet d'une mise en garde écrite pour un retard au travail le 11 juin 2009 ; elle s'est vue opérer pour ce retard une réduction de salaire qui apparaît sur son bulletin de juin 2009.
Ce fait, ancien de plus de deux mois, est prescrit au jour où l'employeur a engagé la procédure de licenciement le 1er octobre 2009.
M. [F], chef d'équipe, atteste que Mme [T] était souvent en retard de 15 minutes ou 30 minutes.
Il ne date cependant pas ces retards et les feuilles de pointage ne font ressortir qu'un seul autre retard le 29 octobre 2009, après l'engagement de la procédure de licenciement.
Le grief tiré de retards fréquents et répétés n'est donc pas caractérisé.
Sur les griefs tirés de l'insubordination, du refus d'appliquer les instructions et du dénigrement de l'employeur :
Par lettre du 17 juin 2009, la société Sécuri Net reproche à Mme [T] son insubordination et son comportement insultant vis à vis de sa hiérarchie, relatant un incident du 15 juin 2009.
Par lettre du 20 juillet 2009 elle reçoit les excuses de Mme [T] sur son comportement et la met en garde sur la nécessité de désormais respecter les instructions de sa hiérarchie et lui rappelle son obligation de discrétion vis à vis des clients.
Les agissements qui ont pu être commis et dont l'employeur avait connaissance à cette date du 20 juillet 2009 sont prescrits lorsque l'employeur a engagé la procédure de licenciement le 1er octobre 2009.
L'attestation de Mme [V], collègue de travail de Mme [T] qui expose avoir assisté, surtout à son retour de vacances en septembre 2009, à plusieurs disputes entre cette personne et son supérieur hiérarchique, qu'elle insultait, et à des scènes qu'elle faisait devant le client, allant jusqu'à lui montrer les courriers qu'elle recevait de la société Sécuri Net, est insuffisamment circonstanciée tant dans le temps que dans l'exposé non précis des faits pour établir la réitération d'un comportement fautif.
Ne l'établit pas non plus l'attestation de M. [F] qui, de manière non circonstanciée, expose que Mme [T] ne respectait pas ses instructions.
Quant à l'attestation de Mme [G], qui a remplacé Mme [T] pendant le mois d'août 2009, elle évoque du travail mal fait qui ne constitue pas un grief fondant la mesure de licenciement.
Si en revanche, il résulte des éléments au dossier que Mme [T] est partie en congés du 27 juillet au 24 août 2009 pour se rendre au Maroc alors qu'elle n'y avait pas été autorisée par la société Sécuri Net, les circonstances de cette prise de congés sans autorisation ne caractérisent pas un acte d'insubordination suffisamment fautif pour justifier une mesure de licenciement.
Mme [T] justifie en effet de ce qu'elle avait été autorisée à prendre des congés sur cette période par son précédent et autre employeur, la société Derichecourt, laquelle avait transféré son contrat de travail à la société Sécuri Net au début du mois de juin 2008. Si cette dernière était en effet fondée à refuser la demande de congés faite par Mme [T] pour la même période, l'autorisation de la société Derichecourt ne lui étant pas opposable puisque donnée dans le cadre d'un contrat de travail distinct, il reste que ce refus empêchait Mme [T] de prendre ses congés autorisés et cela du fait d'un changement d'employeur qui lui avait été imposé suite au transfert de son contrat de travail. En outre, et contrairement à ce qu'affirme la société Sécuri Net, son refus d'accorder les congés sollicités n'était pas clairement exprimé mais de manière implicite dans les lettres qu'elle a adressées à la salariée les 7 et 16 juillet 2007, de sorte que celle-ci, comme elle l'écrit le 31 août 2009 à son retour de congés en réponse à la lettre de mise en demeure d'avoir à justifier de son absence qui lui a été adressée le 31 juillet par son employeur, a pu légitimement croire qu'il n'y avait pas de problème après avoir adressé à la société Sécuri Net l'autorisation de congés de la société Derichecourt le 16 juillet 2011 et n'avoir reçu aucune réponse de Sécuri Net.
Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse ; le jugement entrepris sera infirmé et il sera alloué à Mme [T] les indemnités de rupture (indemnité compensatrice et indemnité de licenciement) auxquelles elle a droit en vertu des articles L 1234-1 et L 1234-9 du code du travail, ainsi qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-3 du même code, ayant plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise qui compte au moins onze salariés.
Au vu des éléments de la cause, l'indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire se chiffre à 1 554,86 euros brut (outre 155,48 euros de congés payés), et l'indemnité de licenciement à 3 934,42 euros brut.
En raison de l'âge de la salariée au moment de son licenciement (61 ans), de son ancienneté de près de vingt ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée et de son aptitude à retrouver un emploi, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle a subi, la somme de 9 000 euros (net) qu'elle sollicite à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les mesures accessoires
L'indemnité compensatrice de préavis ainsi que la somme allouée à titre d'indemnité de licenciement sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation (5 mai 2010).
L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est productive d'intérêts au taux légal compter du présent arrêt.
En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Sécuri Net aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [T] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois.
Partie succombante, la société Sécuri Net sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à ce titre à Mme [T] la somme de 1 500 euros pour chacune des deux instances.
PAR CES MOTIFS
La COUR, Statuant, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 12 juillet 2012 sauf en ce qu'il a débouté la société Sécuri Net de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Statuant à nouveau :
Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme [Q] [T] ;
Condamne la société Sécuri Net à lui payer les sommes suivantes :
* 1 554,86 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 155,48 euros de congés payés afférents,
* 3 934,42 euros brut à titre d'indemnité de licenciement,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2010 ;
* 9 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Y ajoutant :
Déboute la société Sécuri Net de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Ordonne le remboursement par la société Sécuri Net aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [T] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois ;
Condamne la société Sécuri Net à payer à Mme [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Sécuri Net aux dépens.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, et signé par Mme Michèle Colin, président, et par Mme Brigitte Beurel, greffier.
Le GREFFIER Le PRESIDENT