COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 JANVIER 2015
R.G. N° 13/04139
AFFAIRE :
SAS INSTITUT DE RECHERCHE [1]
C/
[F] [X]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Septembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : Encadrement
N° RG : 12/00828
Copies exécutoires délivrées à :
SCP DEGROUX BRUGERE & ASSOCIES - DBA
Me Frédéric BENOIST
Copies certifiées conformes délivrées à :
SAS INSTITUT DE RECHERCHE [1]
[F] [X]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE JANVIER DEUX MILLE QUINZE
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS INSTITUT DE RECHERCHE [1]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Dominique BARTHES de la SCP DEGROUX BRUGERE & ASSOCIES - DBA, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
Madame [F] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Comparante
Assistée de Me Frédéric BENOIST, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 21 Octobre 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Mariella LUXARDO, conseiller,
Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE
FAITS ET PROCÉDURE
Statuant sur l'appel formé par la société INSTITUT DE RECHERCHE [1] à l'encontre du jugement en date du 19 septembre 2013 par lequel le conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt a dit que la prise d'acte, par Mme [F] [X], de la rupture de son contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné en conséquence l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] à payer à Mme [X] les sommes suivantes :
- 28 305,87 € à titre d'indemnité de préavis
- 2830,58 € à titre de congés payés afférents
- 30 350 € à titre d'indemnité conventionnelel de licenciement
- 105 000 € à titre de dommages et intérêts
- 1000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 21 octobre 2014 par l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] qui sollicite l'infirmation de la décision déférée en toutes ses disposiitions, estimant que la prise d'acte de Mme [X] doit produire les effets d'une démission, le rejet de toutes les demandes formées par celle-ci, la restitution par Mme [X] de la somme de 35 520,13 € qu'elle lui a réglée en exécution provisoire du jugement entrepris et la condamnation de Mme [X] à lui verser la somme de 3000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les écritures développées à la barre par Mme [X] tendant à voir confirmer la décision dont appel et condamner l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] au paiement de la somme de 2500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle allouée à ce titre par les premiers jours ;
SUR CE LA COUR
Sur les faits et la procédure
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties qu'après avoir travaillé pour l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] de 1995 à 1999 en qualité de responsable médical France, Mme [X] a quitté cette entreprise pour un autre institut pharmaceutique, avant de conclure, le 19 juin 2002, un nouveau contrat de travail avec l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] le 9 septembre 2002, en qualité de « directeur médical France au sein de [1] » ;
Que le 1er mai 2008 Mme [X] a été nommée « chef de projet développement clinique international au sein de [1] », groupe 8, niveau A de la convention collective nationale des entreprises du médicament ; que par un nouvel avenant du 5 février 2010 précisant qu'elle avait été engagée le 1er juillet 1995 par l'INSTITUT DE RECHERCHE [1], il a été convenu que l'intéressement individuel, jusqu'alors perçu distinctement de son fixe, était intégré à celui-ci, sa rémunération étant constituée en conséquence d'un salaire brut mensuel de 8284 € et d'une allocation annuelle égale à un mois de salaire brut ;
Que Mme [X] a exercé divers mandats de représentant du personnel (au comité d'entreprise et au CHSCT) qui lui ont été renouvelés en 2011 ;
Que par lettre à son employeur du 12 avril 2012, Mme [X] a déclaré prendre acte de la rupture de son contrat de travail, aux torts de celui-ci, dans les termes suivants :
« Depuis plus de huit mois, je travaille sans assistante, j'assume des tâches qui ne font pas partie de mes fonctions et ceci en plus des responsabilités liées à mon poste, augmentant de ce fait ma charge de travail.
Mes objectifs, qui n'ont jamais été revus malgré mes alertes, ont cependant toujours été tenus.
L'attitude que vous adoptez d'ignorer ce problème porte préjudice à la qualité de mon travail au fonctionnement du département, nuit aux échanges avec les autres départements (...).
J'ai renouvelé mon alerte au début de l'année 2012 et demandé à nouveau de l'aide pour m'assister sur les nombreux projets en cours et à venir (trois nouveaux projets pour 2012 et début 2013).
Je n'ai pas eu de réponse ni de proposition. Aucune solution adaptée n'a été trouvée.
Je ne peux plus continuer à travailler dans ces conditions et je suis contrainte de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail . »
Que tout en rappelant qu'elle se savait autorisée par sa prise d'acte à ne pas effectuer de préavis, Mme [X] a toutefois proposé de différer de quelques semaines la prise d'effet de la rupture de son contrat et fixé celle-ci au plus tard le 15 juin suivant, afin d'assurer la passation des dossiers ;
Qu'avec l'accord de de sa hiérarchie, Mme [X] a ainsi poursuivi l'exercice de ses fonctions jusqu'au 12 juin 2012, ayant saisi dans l'intervalle, le 30 mai 2012, le conseil de prud'hommes afin de voir juger que sa prise d'acte devait produire les effets d'un licenciement, nul, -au regard de la dicrimination syndicale que lui avait fait subir son employeur- ou, du moins, dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Que dans le jugement entrepris, le conseil a estimé que la discrimination alléguée n'était pas établie mais que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] avait manqué à ses obligations envers Mme [X] en ne prenant pas en compte, bien qu'elle en fût informée, la surcharge de travail de sa salariée ; que les premiers juges ont accueilli l'intégralité des prétentions de Mme [X] et alloué à cette dernière les sommes rappelées en tête du présent arrêt ;
*
Sur la motivation
Considérant que, tout en sollicitant la confirmation des condamnations prononcées en sa faveur en première instance, Mme [X] demande à la cour de juger que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul, compte tenu du comportement discriminatoire à son égard de l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ; qu'à titre subsidiaire, elle prie la cour de dire, comme le conseil de prud'hommes, que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, compte tenu de la violation de ses obligations contractuelles par l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ;
Considérant tout d'abord que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a écarté la discrimination syndicale invoquée par Mme [X] ; qu'en effet, s'il n'est pas contesté que cette dernière avait, comme ses collègues, une lourde charge de travail, accrue par le temps et les exigences inhérents à ses divers mandats de représentant du personnel, la circonstance que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] n'ait pas allégé sa tâche, par rapport à celle de ses collègues, non élus, ne suffit pas à caractériser de la part de l'appelante, un traitement discriminatoire, alors que Mme [X] ne prétend pas s'être trouvée dans l'impossibilité d'assumer les obligations inhérentes à ses mandats ;
Considérant qu'en revanche, Mme [X] soutient à bon droit, comme les premiers juges l'ont retenu, que le comportement de l'INSTITUT DE RECHERCHE [1], visé dans sa lettre de prise d'acte, traduit une exécution de ses obligations contractuelles exclusive de la bonne foi qui doit animer les relations professionnelles ;
Considérant qu'il convient, tout d'abord, d'observer que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ne conteste pas l'existence des difficultés, rencontrées par Mme [X] dans la réalisation de son travail mais prétend qu'en tout état de cause, ces difficultés n'ont pas empêché Mme [X] de remplir ses objectifs ni de poursuivre son contrat puisque, comme l'indique l'intéressée, elle-même, dans sa lettre de prise d'acte, ces difficultés dataient de 2010, soit plus de deux ans au jour de la prise d'acte ; qu'en conséquence, cette prise d'acte ne peut être analysée qu'en une démission ;
Et considérant que, contrairement aux prétentions de l'appelante, Mme [X] s'est bien plainte auprès d'elle de l'inquiétante situation que revêtait à ses yeux l'absence prolongée puis le temps partiel de son assistante, finalement arrêtée depuis huit mois, -sans être remplacée- au jour de la prise d'acte ;
Qu'au retour de son assistante à 4/5 de temps, Mme [X] s'est ouvert de cette difficulté dans un courriel du 23 octobre 2010 à M. [T], en le priant, compte tenu des objectifs assignés, soit de rechercher avec le département des ressources humaines une assistante à temps plein, soit de revoir l'ensemble des objectifs définis sur les projets en cours ou à venir ;
Que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ne justifie pas avoir répondu à cette demande, pourtant précise ; que l'assistante affectée à Mme [X] a conservé cette affectation ;
Que lors de ses entretiens d'évaluation annuel de 2010-2011 et 2011-2012, le seul commentaite fait, en des termes identiques, par Mme [X] a trait à un « problème constant de secrétariat », soulignant que le passage à temps partiel survient au moment ou le travail d'équipe projet est en augmentation ;
Qu'en définitive, la secrétaire de Mme [X], à nouveau arrêtée et non remplacée, était absente depuis huit mois lors de la prise d'acte du 12 avril 2012 ;
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] était parfaitement informée par Mme [X] des mauvaises conditions de travail qu'elle fournissait à sa salariée et de la difficulté, pour celle-ci, de remplir les missions qu'elle continuait cependant à lui confier ;
Que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ne saurait dénier les conditions de travail inadaptées qu'il offrait à Mme [X], en se prévalant de la réalisation de ses objectifs par la salariée alors que, compte tenu des circonstances, cette réalisation ne peut que démontrer l'investissement personnel que Mme [X] a été contrainte de déployer pour atteindre ces objectifs ;
Qu'en outre, il ne peut être reproché à Mme [X] d'avoir attendu deux ans avant de faire solennellement état de l'inexécution de ses obligations par l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ; que c'est précisément dans la durée que la gravité du manquement de l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] peut être appréciée ; qu'après deux ans de vaine attente et de sensibilisation de son employeur à ses conditions de travail, Mme [X] était en droit de mettre fin à une relation contractuelle qui, pour elle, devenait insupportable puisque son employeur, tout en ne tentant même pas d'améliorer ces conditions de travail, n'hésitait pas à accroître sa charge de travail ;
Or considérant que le fait de veiller à ce que la charge de travail de son salarié soit adaptée à ses conditions de travail entre dans les obligations élémentaires de l'employeur ; que c'est en conséquence à juste raison que, devant la persistance de cette grave inexécution contractuelle -qui ne laissait augurer aucune amélioration et rendait donc impossible la poursuite du contrat- Mme [X] a pris acte de la rupture de celui-ci aux torts de l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ; que cette rupture doit, dès lors, produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Considérant que les indemnités subséquentes, allouées à Mme [X] par le conseil de prud'hommes, ne sont pas contestées à l'exception de celle accordée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
Considérant que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] objecte en effet, sur ce point, que Mme [X] a spontanément proposé d'effectuer un préavis et qu'elle est ainsi demeurée dans l'entreprise jusqu'au 22 juin 2012 ;
Considérant il est vrai que les bulletins de paye versés aux débats démontrent que Mme [X] a été réglée de ses salaires jusqu'à cette dernière date ;
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Considérant que la prise d'acte de rupture n'exclut pas l'accomplissement d'un préavis ; qu'il s'ensuit en l'espèce que la rupture a été notifiée le 12 avril 2012 par Mme [X] mais que cette notification a donné lieu, en l'espèce, à l'exécution et à la rémunération d'un préavis jusqu'au 22 juin 2012 ;
Que la cour infirmera en conséquence le jugement entrepris en ce que le conseil de prud'hommes a octroyé à Mme [X] une indemnité de préavis de trois mois, en sus de celle versée comme dit ci-dessus ;
Qu'il n'y a pas lieu de condamner Mme [X] à restituer la somme trop perçue à ce titre, puisque le présent arrêt, infirmatif à cet égard, consacre le trop perçu par Mme [X] ; qu'il reviendra, par ailleurs, aux parties de faire les comptes entre elles, puisqu'aussi bien, l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] demeure débiteur envers Mme [X] de plusieurs semaines de salaire au titre du préavis ;
Considérant que la cour précisera, en outre, au dispositif ci-après, que les sommes allouées en première instance produiront intérêts au taux légal, selon leur nature, à compter de la convocation devant le conseil de prud'hommes de l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ou de la date du jugement entrepris ;
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Considérant qu'enfin, il convient d'accueillir la demande formée par Mme [X] en vertu de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner, de ce chef, l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] au paiement de la somme de 2500 € requise ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris à l'exclusion de celles relatives à l'indemnité compensatrice de préavis ;
INFIRME de ce chef les dispositions du jugement ;
Statuant à nouveau,
DIT que l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] ne doit pas à Mme [X] les sommes fixées par les premiers juges au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ;
DIT que Mme [X] a déjà perçu une partie de cette indemnité, pour la période comprise jusqu'à la date du 22 juin 2012 ;
RENVOIE en conséquence les parties à faire les comptes entre elles afin que Mme [X] soit remplie de ses droits ;
DIT que l'indemnité de licenciement allouée par le conseil de prud'hommes et le solde dû par l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] au titre de l'indemnité de préavis, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'INSTITUT DE RECHERCHE [1], de sa convocation devant le conseil de prud'hommes ;
DIT que la somme de 105 000 € allouée à Mme [X] à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement entrepris ;
CONDAMNE l'INSTITUT DE RECHERCHE [1] aux dépens d'appel et au paiement, à Mme [X], de la somme de 2500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,