COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88H
OF
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 JANVIER 2015
R.G. N° 13/03155
AFFAIRE :
[L] [G]
C/
CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE L'ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Juin 2013 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VERSAILLES
N° RG : 12-00945
Copies exécutoires délivrées à :
SCP CABINET MARETHEU
AARPI RMF Avocats Associés
Copies certifiées conformes délivrées à :
[L] [G]
CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE L'ILE DE FRANCE
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT DEUX JANVIER DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [L] [G]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Sébastien MARETHEU de la SCP CABINET MARETHEU, avocat au barreau de ROUEN
APPELANT
****************
CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE L'ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Christophe RAMOGNINO, substitué par Me Marc-Antoine GODEFROY de l'AARPI RMF Avocats Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0380
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 04 Décembre 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Céline FARDIN
Par jugement en date du 06 juin 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines (ci-après, le TASS) a débouté M. [L] [G] de son recours à l'encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable (CRA) de la caisse de mutualité sociale agricole de l'Ile de France (CMSA) de revenir sur la décision de la caisse concernant l'annulation de la régularisation d'arriérés de cotisation auquel il avait été procédé pour la période 1971-1974.
Par acte enregistré en date du 05 juillet 2013, M. [G] a relevé appel général de cette décision.
Vu les conclusions déposées en date du 04 décembre 2014 pour M. [G], ainsi que les pièces y afférentes, et celles déposées pour la CMSA le même jour, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 04 décembre 2014,
FAITS ET PROCÉDURE,
Les faits et la procédure peuvent être présentés de la manière suivante étant précisé que le dossier de M. [G] s'inscrit au nombre des dossiers de personnes qui, ayant sollicité le bénéfice du dispositif 'carrière longue' au moyen, notamment, du 'rachat' de cotisations pour des périodes pendant lesquelles la personne concernée aurait travaillé dans des exploitations agricoles, souhaitaient pouvoir prendre leur retraite plus tôt. Mais, à la suite d'une enquête initialement diligentée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans un certain nombre d'hypothèses, de tels dossiers sont apparus comme frauduleux, une enquête pénale a été diligentée, qui a notamment abouti à la condamnation d'un employé de la mutualité sociale agricole (M. [R]), ainsi qu'à la condamnation de certains bénéficiaires.
Afin de pouvoir bénéficier du système mis en place, M. [G] a rédigé une attestation sur l'honneur, en date du 15 mars 2007.
Aux termes de cette attestation, M. [G] a travaillé :
. de juillet à août 1971, dans une ferme de [Localité 10] chez Monsieur [T] à [Localité 3] ;
. de juin à octobre 1972, dans une station agronomique dans l'Oise à la Compagnie générale de conserves à [Localité 7] ;
. d'août à décembre 1973, en [Localité 2] et en [Localité 8] dans des coopératives et fermes d'élevage de Calvados et d'eau de vie de cidre : Bureau interprofessionnel des Calvados et Eaux de vie de cidre ; Etablissements ANEE à [Localité 12] ; SIAO à [Localité 5] ; SIAO à [Localité 11] ; Établissements Gilbert à [Localité 6] ; Établissements Roger Groult à [Localité 9] ;
. de mai à septembre 1974, dans une entreprise agro-alimentaire de l'[Localité 1] à [Localité 4].
Cette attestation était signée de deux 'témoins', MM. [J] et [X].
M. [G] a ainsi procédé au rachat de 16 trimestres pour un montant total de 3 280,40 euros.
Le 19 mars 2007, la CMSA a régularisé l'arriéré de cotisations pour la période du 1er juillet 1971 au 31 juillet 1974.
Le 25 juin 2009, M. [G] est entendu par les agents de contrôle de la CMSA.
Le 27 janvier 2011, la CMSA adresse à M. [G] un relevé de ses activités professionnels, lequel fait apparaître les 16 trimestres ayant fait l'objet d'un rachat.
Le 19 juillet 2011, à l'occasion d'un échange pour autre cause, la CMSA adresse à nouveau à M. [G] un relevé de ses activités, comprenant les trimestres litigieux.
Le 30 septembre 2011, M. [L] [G] a demandé la liquidation de sa pension de retraite.
Le 24 décembre 2011, la caisse nationale d'assurance vieillesse notifie à M. [G] sa retraite à taux plein.
Le 1er janvier 2012, M. [G] a effectivement pris sa retraite.
Le 19 janvier 2012, la CMSA a annulé la régularisation à laquelle elle avait procédé. Sa décision est notamment fondée sur des rapports de contrôle, dont il résulte que M. [G] a indiqué ne pas avoir été rémunéré sur la période considéré, que l'un des témoins est un membre de sa famille et n'est pas un témoin oculaire, l'autre n'est un témoin oculaire que pour la période de 1972.
Le 08 février 2012, la CMSA a adressé à M. [G] un nouveau relevé de compte, sur lequel les trimestres litigieux ont été supprimés.
Le 10 février 2012, la CMSA a effectué un virement en faveur de M. [G], d'un montant de 3 280,40 euros, que l'intéressé dit avoir refusé.
Le 08 mars 2012, M. [G] a saisi la commission de recours amiable de la caisse, laquelle n'a pas répondu.
Le 08 juin 2012, M. [G] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'un recours en contestation de la décision implicite de rejet de la CRA.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement entrepris.
Devant la cour, M. [G] fait notamment valoir qu'il n'a jamais menti, qu'il avait cherché à obtenir des renseignements et que sa demande avait immédiatement été traitée par la CMSA comme une demande de rachat de cotisations retraite. Il avait indiqué avoir travaillé dans diverses exploitations agricoles de 1971 à 1974 puis avoir été salarié à compter de 1975, et avait demandé dans quelles conditions il pourrait racheter les cotisations manquantes. Il n'y avait aucune inexactitude matérielle dans les pièces qu'il avait produites.
M. [G] souligne qu'au moment où la caisse prend sa décision, il se trouve déjà en retraite et ne peut plus reprendre son poste de travail, auquel il a été remplacé.
La conséquence de la décision de la CMSA était une amputation de 30 % de ses droits à retraite.
Il estime que la CMSA a failli à son obligation de conseil.
Il conclut en particulier à ce que la cour : ordonne à la CMSA de rétablir à son profit le bénéfice des 16 trimestres de cotisations concernés et de le rétablir dans ses droits à retraite à compter du 1er janvier 2012 ; ordonne à la CMSA de procéder à une notification rectificative à destination de la CNAV ; condamne la CMSA à payer à M. [G] la somme de 4 000 euros à titre de dommages intérêts « en réparation des préjudices subis » ; condamne la CMSA à lui payer en outre la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; déboute la CMSA de toutes ses demandes, fins et conclusions.
La caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France soutient notamment, pour sa part, que seule une activité salariée permettait de procéder à un rachat de cotisations sociales ; que la CMSA a été saisie de très nombreux dossiers tels que celui de M. [G] et n'en a annulé qu'environ 1% ; que les deux témoins qui ont signé l'attestation de M. [G] ne l'avaient, en fait, jamais vu travailler ; que M. [G], qui a été élève de l'École nationale supérieure [1], était stagiaire et non salarié ; qu'il n'a jamais occupé une fonction salariée sur les périodes agricoles alléguées.
La « fraude corrompt tout », M. [G] ne peut voir ses demandes prospérer.
La CMSA conclut ainsi à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de M. [G] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la demande de rachat de cotisations par M. [G]
A titre préliminaire, la cour observe que la défense de M. [G] a sollicité la communication de l'enquête de l'IGAS auprès de la CMSA, à plusieurs reprises, et que celle-ci ne la lui a pas adressée. La cour indiquera, à toutes fins utiles, que si les rapports de l'IGAS ne sont pas tous rendus publics, le rapport pertinent ici constitue un document administratif qui doit, en tant que tel, être communiquée, au moins dans ses éléments qui concerne une partie déterminée, à cette partie.
Il ne résulte toutefois de l'absence de communication de cette pièce aucun grief démontré par la défense de M. [G], qui aurait pu, au demeurant, obtenir les éléments pertinents de l'enquête directement auprès de l'Inspection ou auprès de l'autorité ayant ordonné l'enquête.
En effet, et en tout état de cause, ce qui a conduit la CMSA à vouloir retirer à M. [G] le bénéfice du rachat de cotisations est la « fraude » qu'il aurait commise.
Dans l'attestation qu'il a adressée à la CMSA pour pouvoir bénéficier de la possibilité du rachat de cotisations sociales, M. [G] a indiqué avoir travaillé dans diverses exploitations ou établissements.
Lors de son audition par les agents de la MSA ayant procédé aux vérifications de la situation, M. [G] a fourni les indications suivantes :
. s'agissant de M. [T], il avait travaillé mais n'était pas en mesure d'indiquer les prénoms de l'exploitant, de son épouse, de leur fils ;
. s'agissant de la Compagnie générale de conserves, M. [G] a précisé ne pas avoir eu le statut de salarié et avoir rédigé un rapport de stage à la fin de sa mission dans cette entreprise ;
. s'agissant des activités qu'il aurait eues en [Localité 2] et en [Localité 8] dans des coopératives et fermes d'élevage de Calvados et d'eau de vie de cidre, M. [G] a indiqué qu'elles s'étaient déroulées dans le cadre de ses études car il avait été « détaché » pour effectuer une étude sur la qualité du cidre, la distillation du cidre, du mois d'août au mois de décembre 1973 ;
. s'agissant de la Générale alimentaire, il s'agissait d'un stage (dont le thème était la gestion des stocks des matières premières et des produits finis ainsi que des nouveaux produits) ; il n'avait perçu aucune rémunération pour cette activité.
Enfin, M. [G] a indiqué que M. [J] était un camarade de promotion et que M. [X] était son beau-frère par alliance, que ce dernier ne l'avait jamais vu en situation de travail.
Il convient également de souligner que M. [G] est diplômé de l'enseignement supérieur et ne peut ignorer la différence entre un travail salarié et un stage.
Ce serait tout autant faire insulte à son intelligence qu'il ne sache pas qu'un 'témoin', - en l'espèce, la personne qui devait signer l'attestation qu'il avait rédigée, afin que celle-ci puisse être utilement produite devant la CMSA -, ne peut confirmer que des éléments de fait dont il a eu personnellement connaissance et non pas qui lui ont été rapportés. Il ne peut raisonnablement alléguer que le témoin est oculaire lorsque l'endroit où il dit avoir 'travaillé' est, comme en l'espèce, inexact. De surcroît, la personne concernée se doit de préciser le lien de famille qui existerait, au moment de la signature de l'attestation (et non pas au moment de la constatation éventuelle des faits attestés).
Or, en l'espèce, non seulement les personnes ayant co-signé l'attestation de M. [G] n'ont pas vu l'intéressé en situation de travail pour chacune des périodes considérées, mais il est constant que M. [X] est le beau-frère de M. [G] et ne l'a pas indiqué à côté de la signature qu'il a apposée sur l'attestation.
Bien plus, M. [J] savait, compte tenu de ses études au sein de la même École l'École nationale supérieure [1], que M. [G] avait effectué des stages afin de valider les différentes étapes de son diplôme et qu'il ne s'agissait pas d'un emploi salarié.
Enfin, M. [G] a lui-même reconnu « qu'aucun salaire n'avait été versé » à l'occasion des périodes en cause.
De tout ce qui précède, il résulte que l'attestation adressée par M. [G] est manifestement inexacte.
Ainsi que le TASS l'a justement fait observer, il n'est pas nécessaire que la volonté de frauder soit caractérisée. Il suffit que la déclaration aux fins de rachat de cotisations soit inexacte.
Il importe peu, dès lors, que la CMSA ait été peu diligente (ce qui est au demeurant exact, ainsi que l'a déjà relevé le TASS ; voir ci-après) au point d'accorder à M. [G] le bénéficie du rachat de cotisations qu'elle aurait dû, dès 2009, lui refuser.
Il demeure que M. [G] ne peut prétendre, sur la base des éléments qu'il a fournis, bénéficier de ce système.
L'argument de M. [G] que la réclamation de la CMSA serait prescrite au motif qu'elle est intervenue plus de deux ans après le début de versement des prestations en cause est inopérant, dès lors que la prescription 'biennale' qu'il invoque n'est pas opposable en cas de fraude et qu'en l'espèce, la fraude est caractérisée.
La décision du premier juge sera donc intégralement confirmée.
Sur la faute commise par la CMSA
M. [G] fait observer que l'attestation en cause a été adressée à la caisse remonte à mars 2007, qu'il a été entendu par un enquêteur de la CMSA en juin 2009, qu'il y a eu un échange avec la CMSA courant 2011, au cours duquel il a fait observer qu'une erreur avait été commise (pour une autre année que celles en cause ici), qu'il a d'ailleurs été procédé à rectification par la CMSA, qu'à la suite des éléments ainsi recueillis, il a décidé de prendre sa retraite et que ce n'est que postérieurement à sa date de retraite effective que la CMSA s'est manifestée, ce qui lui cause un préjudice important.
La CMSA oppose, en substance, la fraude commise par M. [G].
La cour rappelle que si, comme indiqué ci-dessus, elle considère que M. [G] a bien fait une déclaration inexacte, rien ne permet de considérer qu'il a agi avec une intention frauduleuse.
La cour ne peut que constater, avec M. [G], que la CMSA a mis près de cinq ans à réaliser qu'une 'fraude' avait été commise.
La cour note, certes, que la CMSA a dû traiter plus de 100 000 dossiers de la nature de celui de M. [G], mais, outre le délai que la cour vient de rappeler, il faut souligner que, selon les éléments de la procédure, le dossier de M. [G] a été traité par M. [R], dont la CMSA se doutait, dès avant l'audition de M. [G] par les contrôleurs de ses services, que ce dernier était à l'origine d'une fraude massive à son préjudice.
La cour considère que, dans ces conditions, la CMSA a commis une faute.
M. [G] en sollicite l'indemnisation à hauteur de la somme de 4 000 euros.
Cette somme apparaît proportionnée à la faute commise et il sera intégralement fait droit à la demande de M. [G] à cet égard.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Aucune considération d'équité ne conduit à condamner une partie à payer à l'autre partie une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision contradictoire,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a confirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse de mutualité sociale agricole d'Ile de France ayant implicitement rejeté la demande de M. [G] d'infirmer la décision de la caisse, en date du 19 janvier 2012, d'annuler la régularisation de cotisations arriérées ;
Confirme également le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Condamne la caisse de mutualité sociale d'Ile de France à payer à M. [L] [G] la somme de 4 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de la faute commise par cette caisse dans la gestion du dossier de l'intéressé ;
Déboute les parties de leur demande respective d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;
Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Monsieur Jérémy Gravier, Greffier en préaffectation auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,