COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 35Z
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 29 JANVIER 2015
R.G. N° 13/00321
AFFAIRE :
[H] [B] [D]
...
C/
[V], [R] [P]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Décembre 2009 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 1
N° RG : 05/08776
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS,
Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT NEUF JANVIER DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDEURS devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (3ème chambre civile) du 24 octobre 2012 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de VERSAILLES (1ère chambre - 1ère section) le 26 Mai 2011
1/ Monsieur [H] [B] [D]
né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 2] (63)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
2/ SCI MICHELET
RCS de VERSAILLES - 400 815 874
[Adresse 3]
[Localité 3]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 N° du dossier 20130009
Représentant : Me Jean-Marie CHAUSSONNIERE de la SELARL CHAUSSONNIERE / RIBEIRO, Plaidant, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 80
****************
DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
Madame [V], [R] [P]
née le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 3813
Représentant : Me Marie-Françoise DEBON-LACROIX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1434
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 Novembre 2014, Madame Véronique BOISSELET, Président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Annick DE MARTEL, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Lise BESSON
[H] [D] et [V] [P], mariés en 1994 sous le régime de la séparation de biens, ont constitué le 18 avril 1995 une SCI dénommée SCI Michelet (la SCI). [V] [P] en détenait 499 des 500 parts et en était la gérante statutaire.
Le divorce des époux [D] [P] a été prononcé le 25 janvier 2008, après ordonnance de non-conciliation du 11 février 2005.
Par acte du 10 août 2005, [V] [P] a assigné [H] [D] et la SCI devant le tribunal de grande instance de Versailles afin de voir constater la nullité de la cession de parts de la SCI intervenue au profit de [H] [D] dans un acte sous seing privé du 4 décembre 2001.
Par jugement du 9 décembre 2009, le tribunal de grande instance de Versailles a :
- rejeté la demande de [V] [P] tendant à une nouvelle vérification d'écriture,
- dit que [V] [P] a signé l'acte de cession du 4 décembre 2001,
- prononcé l'annulation de cette cession pour vil prix,
- prononcé l'annulation de l'assemblée générale de la SCI du 17 novembre 2004, et tous actes subséquents,
- ordonné une expertise comptable afin de déterminer les dividendes qui auraient dû être versés à [V] [P],
- ordonné l'exécution provisoire,
- sursis à statuer sur le surplus des demandes.
Sur appel de la SCI et de [H] [D], la cour de céans a, par arrêt du 26 mai 2011, rejeté le moyen tiré de la prescription de l'action et confirmé le jugement.
Sur pourvoi des appelants la Cour de Cassation a, par arrêt du 24 octobre 2012, cassé cet arrêt en toutes ses dispositions au visa de l'article 1304 du code civil, reprochant à la cour de Versailles d'avoir retenu que la vente consentie sans prix sérieux était affectée d'une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire alors qu'un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l'intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans.
L'affaire a été renvoyée devant la cour de Versailles autrement composée.
Par conclusions du 19 novembre 2014, la SCI et [H] [D] demandent à la cour de :
- juger que l'action en nullité de la cession est prescrite, plus de cinq ans s'étant écoulés entre la date à laquelle la vente est devenue parfaite, soit le 1er avril 2000, selon l'accord des parties constaté dans un procès-verbal d'assemblée générale de la société, et l'assignation,
- débouter [V] [P] de toutes ses demandes subséquentes,
- juger que le prix de cession fixé à la valeur nominale des parts sociales ne peut être qualifié de dérisoire au regard de l'insuffisance d'actif social,
- juger [V] [P] irrecevable et infondée, pour défaut de qualité à agir, à invoquer l'inopposabilité de la cession des parts sociales à laquelle elle a consenti le 1er avril 2000, lors de la fixation de la prestation compensatoire,
- juger qu'ayant perdu la qualité d'associée de la SCI Michelet à la suite de la cession, [V] [P] a perdu toute légitimité à participer aux décisions collectives dès le 1er avril 2000,
- débouter [V] [P] de sa demande de nullité fondée sur le caractère prétendument dérisoire du prix de vente fixé par les parties, et de sa demande de nullité de l'assemblée générale de la SCI Michelet du 17 novembre 2004 et de celles postérieures à cette date,
- condamner [V] [P] à verser à [H] [D] ainsi qu'à la SCI Michelet la somme de 5.000 € à chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions du 19 novembre 2014, [V] [P] demande à la cour de :
- rejeter le moyen de prescription soulevé par les appelants,
- débouter [H] [D] et la SCI Michelet de leur fin de non- recevoir tirée de l'acquiescement à la cession constaté par le juge aux affaires familiales lors de la fixation de la prestation compensatoire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la cession pour vileté du prix,
- confirmer ce même jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'assemblée générale du 17 novembre 2004 et de tous les actes subséquents,
- débouter [H] [D] et la SCI Michelet de leurs demandes,
subsidiairement,
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'acte de cession de parts est de la main de [V] [P]
- ordonner par application des articles 1324 du Code civil et 287 à 295 du Code de Procédure Civile qu'il soit procédé à la vérification des actes dont s'agit,
très subsidiairement, au cas où la vérification des actes ne serait pas ordonnée,
- juger que la preuve de la cession litigieuse n'est pas rapportée
- constater l'inexistence de la cession de parts sociales datée du 4 décembre 2001 avec toutes conséquences de droit
- condamner [H] [D] à verser à [V] [P] une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 novembre 2014.
SUR QUOI LA COUR :
Sur la prescription :
La Cour de Cassation a rappelé qu'un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l'intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans. Il convient donc d'examiner à quelle date la cession s'est réalisée.
Selon [H] [D], la vente est devenue parfaite dès le 1er avril 2000, date d'une assemblée générale de la SCI au cours de laquelle les consentements sur la chose et le prix ont été échangés. L'acte sous seing privé du 4 décembre 2001 s'est borné à modifier la date du transfert de propriété, et la date du 17 novembre 2004 n'est que la date de l'enregistrement de l'acte, lui conférant date certaine.
[V] [P] fait valoir qu'elle a toujours contesté l'authenticité du procès-verbal d'assemblée générale du 1er avril 2000 et rappelle que l'exemplaire publié au registre du commerce ne mentionne pas la cession, et qu'en outre divers actes subséquents sont en contradiction avec la prétendue cession.
Il résulte en effet des pièces produites par [V] [P] que le procès-verbal de l'assemblée générale des associés qui a été transmis au Greffe du tribunal de commerce, qui concerne bien la même assemblée générale, ne comporte pas les mentions relatives à la cession de parts. La modification des statuts de la SCI, publiée le même jour, n'en fait pas mention non plus.
En outre, la perfection de l'accord des parties dès la date du 1er avril 2000 est remise en cause par l'existence d'un acte de cession en bonne et due forme du 4 décembre 2001 qui n'en fait nulle mention, et qui porte en outre une date postérieure de plus d'un an.
Le fait que puisse être attribuée à l'épouse la signature du procès-verbal manuscrit produit en original à l'audience est indifférent, cette dernière ayant parfaitement pu signer ce document à une autre date que celle indiquée.
Il en résulte que [H] [D] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que la cession de parts est devenue parfaite dès le 1er avril 2000 comme il le soutient. Son exception de prescription doit être rejetée.
Sur la demande d'annulation de la cession de parts :
[H] [D] fait justement observer que la question du patrimoine des époux a été évoquée lors de la fixation de la prestation compensatoire au cours de la procédure de divorce, au cours de laquelle son ex-épouse aurait, selon lui, reconnu la validité de la vente.
Il résulte en effet des écritures des parties et des pièces que le jugement de divorce du 25 janvier 2008, régulièrement signifié, n'a pas été frappé d'appel. Or le juge aux affaires familiales y a très précisément indiqué que l'époux était seul propriétaire des 500 parts de la SCI Michelet, ce que ce dernier avait d'ailleurs indiqué en page 21 de ses conclusions. Force est de constater que l'épouse ne produit pas les siennes, du 13 août 2007. Néanmoins, il est relaté dans ce même jugement qu'elle a vainement sollicité un sursis à statuer en excipant de la présente procédure, au motif qu'elle avait une incidence sur la situation patrimoniale des parties. Il ne peut donc être déduit de l'absence de recours sur le jugement de divorce par l'épouse que cette dernière aurait ratifié la cession de parts, étant observé qu'en lui-même le jugement ne peut avoir autorité de chose jugée dans le présent litige puisque son objet n'est pas le même.
En ce qui concerne l'authenticité de la signature de [V] [P], le tribunal a justement considéré, en des motifs que la cour adopte, que les trois expertises graphologiques effectuées établissaient suffisamment que la signature figurant sur l'acte de cession du 4 décembre 2001 était bien de la main de [V] [P] sans qu'il soit utile d'opérer une ultime vérification. Il sera donc retenu que la cession de parts litigieuse résulte bien de l'acte de cession explicite du 4 décembre 2001.
Cet acte, dont [H] [D] rappelle utilement qu'il constitue, en principe, la loi des parties, mentionne en son article 2 les modalités de calcul du prix, soit 2 francs (0,30 €) par part, et, en son article 7, sous la rubrique 'déclaration pour l'enregistrement' que... 'Les effets de la présente cession sont considérés rétroactifs à la date de la création de la SCI Michelet, soit le 3 mai 1995, et pour être en conformité avec les conditions de la Banque de la Bénin annexées'. En effet, l'extrait du contrat de prêt annexé mentionne bien que [H] [D] doit être titulaire de 499 parts et son épouse d'une seule. La teneur parfaitement claire de la mention précitée ne permet donc pas de considérer que les parties ont entendu corréler le montant du prix avec les effets de la cession, le caractère rétroactif des effets de la cession répondant en effet seulement à l'exécution, différée, d'une obligation contractée à l'égard de la banque de la Bénin, laquelle avait financé, en 1995, l'achat du bien de la SCI. Les effets de la cession et son prix étant ainsi deux choses différentes sans lien nécessaire entre elles, l'appréciation de la vileté du prix doit s'apprécier à la date de la cession.
Il est constant que la SCI a été créée en vue de l'acquisition de biens immobiliers. C'est ainsi qu'a été acquis pour le prix de 91 470 €, avec le financement de la Banque de la Hénin, un immeuble à [Localité 3] contenant trois locaux commerciaux loués, notamment à la société GT Immobilier gérée par [H] [D]. En novembre 2001 a été acquis un emplacement de stationnement pour le prix de 1 524 €.
Il résulte des expertises [C] puis [Z] que, selon la pratique usuelle, les loyers ont financé le remboursement de l'emprunt, en sorte que, contrairement aux affirmations de [H] [D], les résultats d'exploitation de la SCI, après paiement des échéances de l'emprunt, ont été largement bénéficiaires (17 838 € en 2001 selon l'expertise [Z], partie des loyers de GT Immobilier n'ayant pas été encaissés). Ainsi que l'a justement relevé le tribunal, rien ne démontre la vétusté de l'immeuble, ni le financement de travaux de rénovation importants à cette période, les experts n'en ayant pas trouvé trace, étant observé que [V] [P] n'est pas démentie lorsqu'elle rappelle que l'agence immobilière de son ex-époux y a toujours occupé l'un des locaux, agrandi lors du départ du poissonnier occupant, et que le troisième abrite la société de l' expert comptable de son ex-époux. Les photos produites par [H] [D] ne sont pas à cet égard probantes, rien ne permettant de les dater ou même de considérer qu'elles se rapportent à l'immeuble, ce que conteste [V] [P].
Enfin, s'il est exact que le passif de la SCI est constitué d'une part des sommes dues au titre de l'emprunt et d'autre part de sommes avancées à la SCI par [H] [D] lors de l'acquisition initiale, il convient, pour apprécier la valeur des parts, d'intégrer dans la comparaison les revenus locatifs de la société, perçus ou à percevoir, étant observé que l'expert [C] a constaté (p. 47 de son rapport) qu'une partie des loyers dûs par GT Immobilier n'était pas payée. Il a proposé une évaluation de la valeur de la part de 655,25 € fixée en fonction tant de la valeur du bien que du passif en capital, étant rappelé que ses opérations ont été clôturées le 6 avril 2006.
Ainsi, même en tenant compte du fait qu'en décembre 2001 les biens immobiliers n'avaient pas, compte tenu de la progression des prix de l'immobilier à l'époque, atteint la valeur de 270 000 € retenue par l'expert [C] au 6 avril 2006, la cession s'est opérée sans contrepartie sérieuse, même sous la forme de la disparition d'une dette, pour [V] [P], qui n'est d'ailleurs pas démentie sur le fait qu'elle demeurait engagée en qualité de caution à l'égard de la Banque de la Hénin. Le prix de cession de la totalité des parts pour le montant de 152,15 € n'est ainsi pas sérieux et doit au contraire être considéré comme dérisoire.
L'annulation de l'acte de cession étant donc confirmée, doit également l'être celle de l'assemblée générale du 17 novembre 2004 et des assemblées subséquentes.
Sur les autres demandes :
Compte tenu de ce qui vient d'être jugé, les demandes formées à titre subsidiaire par les parties n'ont pas lieu d'être examinées, étant observé que nombre de prétendues demandes figurant au dispositif de leurs écritures respectives ne constituent pas des prétentions.
[H] [D], qui succombe, supportera les dépens de première instance, de la procédure d'appel devant la cour de Paris, et de l'instance sur renvoi après cassation.
Aucune considération d'équité ne justifie l'application en la cause de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 24 octobre 2012 portant cassation totale de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 26 mai 2011,
Déboute [H] [D] de son exception de prescription,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne [H] [D] aux dépens de première instance, de la procédure d'appel devant la Cour de Paris, et de l'instance sur renvoi après cassation devant la présente Cour,
Dit que ces dépens pourront faire l'objet de recouvrement direct.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,