COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 63B
1re chambre 1re section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 MARS 2015
R.G. N° 12/08557
AFFAIRE :
SA SOCIETE DES [N] ([N])
C/
Cabinet [R]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Septembre 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 1
N° Section :
N° RG : 09/01428
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Nicolas PERRAULT de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES
- Me Alain CLAVIER, avocat au barreau de VERSAILLES,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SOCIETE DES [N] ([N])
inscrite au RCS d'Evreux sous le n° B 334 489 267
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Nicolas PERRAULT de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 31 - N° du dossier 0979043 -
assisté de Me Gérard FRÉZAL de la SCP LAGARDE-FRÉZAL, plaidant, avocat au barreau de ROUEN
APPELANTE
****************
Monsieur [B] [R]
avocat,
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
- Représentant : Me Alain CLAVIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 133141
assisté de Me Jean Pierre Gaëtan DUFFOUR de la SCP DUFFOUR & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0470
Monsieur [I] [U]
avocat
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Alain CLAVIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 133141
assisté de Me Jean Pierre Gaëtan DUFFOUR de la SCP DUFFOUR & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0470
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 janvier 2015 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Dominique PONSOT, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Odile BLUM, Président,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
Madame Agnès TAPIN, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
Vu le jugement du tribunal de grande instance de VERSAILLES du 11 septembre 2012 ayant, notamment :
- déclaré la demande de la société des [N] recevable,
- prononcé la mise hors de cause de Me [U],
- débouté la société [N] de toutes ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu la déclaration du 12 décembre 2012, par laquelle la société [N] ([N]) a formé à l'encontre de cette décision un appel de portée générale ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 6 janvier 2015, aux termes desquelles la société [N] ([N]) demande à la cour de :
- rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée en cause d'appel par les intimés, du fait de la transaction du 13 février 2003,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que les intimés avaient commis une faute dans l'exercice de leur mandat ad litem et rejeté le moyen d'irrecevabilité soulevé par les défendeurs,
Le réformant pour le surplus,
- dire et juger que Me [I] [U] a agi personnellement en qualité d'avocat de la Société [N] et a donc engagé sa responsabilité à l'égard de cette dernière,
- condamner Me [I] [U] et Me [B] [R], conjointement et solidairement ou l'un à défaut de l'autre, à lui verser une somme de 6.836.000 euros au titre de l'indemnisation de sa perte de chance d'être indemnisée de son préjudice d'exploitation à la suite de l'effondrement de la flèche de chargement de navire,
- fixer au 30 juin 1990 la date de départ des intérêts sur les sommes allouées et subsidiairement au 25 juin 2001, date à laquelle l'indemnisation pouvait raisonnablement être obtenue en l'absence de prescription,
- dire et juger que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés, conformément à l'article 1154 du code civil, à compter du point de départ de ceux-ci tel qu'il sera fixé par la cour, à titre de complément de dommages-intérêts et subsidiairement à compter du 3 février 2009 date de la demande judiciaire qui en a été faite conformément à l'article 1154 du code civil,
Très subsidiairement, si par impossible la cour estimait être insuffisamment informée sur le préjudice d'exploitation de [N],
- ordonner toute mesure d'instruction utile de nature à éclairer,
- dans une telle hypothèse, voir accorder à [N] une provision de 1.500.000 euros à valoir sur l'indemnisation du préjudice de perte de chance,
- débouter les intimés de toutes leurs demandes,
- condamner les intimés, sous la même solidarité, à une somme de 87.459,67 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, englobant la concurrence de 47.459,67 euros les frais d'expertise de M. [F] [Q] ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 7 janvier 2015, aux termes desquelles Mes [B] [R] et [I] [U] demandent à la cour de confirmer le jugement et de :
- les recevoir en leur appel incident et le déclarant bien fondé,
- dire que la société Silos Portuaires de Bordeaux [N] ([N]) est irrecevable à agir envers ses avocats au vu de l'acte sous seing privé du 7 février 2003 par lequel les société du groupe [N], dont la société [N], se sont déclarées remplies de tous leurs droits envers la société STOLZ au titre des faits qu'ils citent dans la présente instance comme justificatifs de la recherche de la responsabilité de leurs conseils,
Subsidiairement et en tout état de cause :
- déclarer la [N] irrecevable en son appel principal, le déclarer mal fondé,
- constater que la société [N] ne justifie toujours pas de la procédure d'arbitrage dont elle fait état,
- dire que la [N] n'a aucune qualité pour revendiquer un préjudice éventuellement subi par Cerecole aujourd'hui disparue,
- dire qu'il appartient à celui qui prétend avoir perdu une chance d'indemnisation par la faute de son avocat de rapporter la preuve de l'existence de cette chance,
- dire que cette preuve n'est pas rapportée en l'espèce et que la preuve contraire en est au contraire apportée par les intimés,
- condamner la société [N] au paiement à chacun deux défendeurs d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure et des éléments contradictoirement débattus que dans le cadre d'un vaste projet de création d'un pôle de stockage et d'exportations de céréales sur le port de [Localité 4], différentes sociétés contrôlées par la famille [N], dont la SNC [N], et la Société Le Maïs Industriel devenue [N], filiale de la SNC [N], ont fait construire un silo vertical, un transporteur à bande, une tour de distribution et un engin de chargement de navires sur des terrains dont elles avaient la disposition sur le Port de [Localité 4], à [Localité 3] ; que ces installations, financées au moyen d'un crédit-bail, ont été louées à la société [N] par une convention en date du 5 mai 1986 pour en assurer l'exploitation pendant une durée de douze ans ;
Que la SNC [N] a assuré la maîtrise d'ouvrage de cette opération ;
Que la date de prise d'effet du contrat initialement fixée au 1er septembre 1986 a été reportée par divers avenants au 1er avril 1988 dans l'attente de la réalisation de conditions suspensives liées entre autres à l'acquisition par la [N] de l'assise foncière des installations, ainsi qu'en raison de l'arrêt des installations, consécutif à l'effondrement de l'engin de chargement survenu le 25 mars 1987 ;
Que ces installations portuaires, faisaient partie d'un ensemble plus vaste comprenant, outre la bande transporteuse et l'engin de chargement :
- une unité de séchage du maïs et un silo vertical financés par le même crédit-bail à la [N] ;
- un silo à fond plat et une installation de stockage financés par d'autres crédits-bailleurs et loués à la SNC [N] ;
Que l'exploitation de l'ensemble de ces installations, formant une unité économique homogène, était réglée par diverses conventions dont notamment celle du 1er décembre 1987 conclue entre la SNC [N] et Fils, la [N], et les sociétés crédit-bailleresses, et une convention du 9 juillet 1988 conclue entre la [N] et la société Cerecole ;
Que la mise en service de ces installations portuaires, ainsi que le début de leur exploitation ont toutefois été gravement perturbés par une série de sinistres, dont l'effondrement de la flèche de chargement des navires précédemment évoqué ; que cet accident a été imputé à la société STOLZ ainsi qu'à la maîtrise d''uvre ayant assuré la construction de l'engin de chargement pour la [N], en application des clauses du contrat de crédit bail ;
Qu'estimant que, outre le coût de reconstruction de la flèche, ce sinistre lui avait causé, ainsi qu'à la société [N] un préjudice d'exploitation considérable, la SNC [N] a engagé de nombreuses procédures au titre de la maîtrise d'ouvrage déléguée de l'engin de chargement qu'elle avait assurée pour le compte de sa filiale [N], procédures qui, à partir de 1990, furent suivies par différents avocats exerçant au sein du cabinet « Gide Loyrette et Nouel », et plus particulièrement par Me [B] [R] et Me [I] [U] et qui avaient pour objet de rechercher la responsabilité des constructeurs, tant pour la reconstruction des installations que pour l'indemnisation des préjudices subis par les sociétés du groupe du fait de l'arrêt de l'engin de chargement ;
Que, dans ce cadre un expert, M. [T], nommé par ordonnance de référé du tribunal de commerce de Paris du 2 avril 1987, a conclu à la responsabilité de la société STOLZ, sans cependant rédiger la partie de son rapport concernant l'évaluation des préjudices ;
Que la société STOLZ ayant assigné la SNC [N] en paiement d'un solde de travaux et celle-ci ayant formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et d'exploitation, une nouvelle expertise réalisée par Messieurs [J] et [T] a donné lieu au dépôt, le 24 juillet 1997, d'un rapport complémentaire sur les préjudices ;
Que reprochant à Mes [R] et [U] de ne pas avoir régularisé la procédure pour permettre aux sociétés [N] et Cerecole de faire valoir, notamment devant les experts, une demande en réparation des préjudices d'exploitation résultant de l'indisponibilité prolongée des installations portuaires, ce dont il est résulté que l'assignation finalement délivrée à rencontre de la société STOLZ pour le compte de ces sociétés le 25 juin 1998 a abouti à un jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2002 déclarant leur action prescrite sur le fondement de l'article 2270-1 du code civil, la société [N] a, par acte d'huissier du 3 février 2009, fait assigner Mes [B] [R] et [I] [U] devant le tribunal de grande instance de Versailles sur le fondement des articles 1984 et suivants du code civil en réparation des conséquences dommageables résultant de la perte de chance d'obtenir réparation des préjudices d'exploitation ;
Que par le jugement entrepris, le tribunal, après avoir écarté l'exception de transaction soulevée par les défendeurs, a d'une part, mis hors de cause Me [I] [U], celui-ci n'étant à l'époque des faits que collaborateur au sein du cabinet Gide, et a, d'autre part, débouté la société [N] de ses demandes, en considérant qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un préjudice en relation de cause à effet avec la faute de son conseil, Me [B] [R] ;
Sur la recevabilité de l'action
Considérant que Mes [R] et [U] soutiennent à nouveau devant la cour que la transaction signée entre la société [N] et la société STOLZ le 19 février 2003 a pour conséquence de rendre irrecevable la demande de la société [N] à leur encontre ; qu'ils exposent que la société [N] s'interdisait dans cette transaction de formuler toute demande de condamnation à l'encontre de la société STOLZ, ce qui a été expressément accepté par cette dernière ; qu'il existait lors de la signature de cette transaction de nombreuses procédures dont l'une opposait la société [N] à la société STOLZ ; que, selon eux, en signant cette transaction, la société [N] et ses sociétés s'urs ont, en dehors de leur intervention, librement et totalement renoncé à l'intégralité du surplus de leurs droits, notamment au titre de la chance que la société [N] prétend avoir perdue par la faute de ses avocats, en se déclarant entièrement remplie de ses droits par les concessions qui lui ont été consenties dans cette transaction ;
Qu'en réponse, la société [N] soutient que les articles 2 et 6 de ladite transaction limitaient expressément ses effets aux rapports entre la société STOLZ et elle-même ;
Qu'elle souligne que les intimés prétendent à tort qu'une transaction qui consacre une renonciation à un droit a un effet erga omnes, alors qu'elle n'a d'effets que dans les rapports entre les sociétés signataires, et laisse subsister le recours des sociétés du groupe [N] à l'encontre de l'assurance intervenante à la transaction et à l'encontre des autres intervenants à l'acte de construire et de leurs assurances ;
Qu'elle soutient qu'elle se réservait expressément une action directe contre l'assureur de la société STOLZ avec son consentement et précise en outre qu'elle n'avait pas renoncé à ses droits mais qu'elle s'était estimée remplie de ses droits vis-à-vis de la société STOLZ ; qu'ainsi, le critère d'une renonciation sans limite à tout droit, exigé par la jurisprudence, pour déroger à l'effet relatif des transactions n'est pas rempli en l'espèce, ainsi que l'a jugé la cour d'appel d'Orléans dans son arrêt du 12 janvier 2007 ;
Mais considérant que si, selon l'article 2051 du Code civil, la transaction faite par l'un des intéressés ne lie point les autres et ne peut être opposée par eux, il en est autrement lorsqu'il renonce expressément à un droit dans cet acte ;
Considérant qu'il résulte de la transaction conclue le 19 février 2003 entre les sociétés [N], CERICOLE, SNC [N], d'une part, et la société STOLZ SEQUIPAG, d'autre part, que par les renonciations accordées par cette dernière au profit des premières, celles-ci s'estiment intégralement remplies de leurs droits respectifs au titre de tous litiges visés par la présente transaction, notamment à raison de l'accident du 27 mars 1987, des incidents de la reconstruction et des conséquences respectives des différents incidents et accidents, et renoncent, en conséquence, à tous leurs recours à l'encontre de la société STOLZ SEQUIPAG ; que parmi les recours exercés à l'encontre de la société STOLZ SEQUIPAG, la transaction mentionne expressément le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 octobre 2002 ayant déclaré irrecevables comme prescrites les actions engagées par les sociétés susvisées à l'encontre de la société STOLZ SEQUIPAG ;
Que, certes, la transaction précise que les sociétés signataires renoncent à tous leurs recours à l'encontre de la société STOLZ SEQUIPAG à la seule exception de ceux concernant la mise en 'uvre de l'action directe à l'encontre de son assureur, contre lequel elles poursuivent actuellement diverses procédures ; que, toutefois, cette exception à la transaction étant de droit étroit et limitée aux rapports entre les sociétés poursuivantes et l'assureur de la société STOLZ SEQUIPAG, il en résulte que Mes [R] et [U] sont fondés à se prévaloir à leur profit de la renonciation aux droits exercés à l'encontre de la société STOLZ SEQUIPAG par les sociétés poursuivantes et sur le fondement desquels leur responsabilité civile professionnelle était recherchée au titre des conseils défectueux, renonciation que renferme la transaction du 19 février 2003 ;
Qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement, et de déclarer irrecevable l'action engagée par la société [N] à l'encontre de Mes [R] et [U] ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Considérant que la société [N] succombant dans ses prétentions doit supporter les dépens de la procédure d'appel ;
Considérant que l'équité commande d'allouer en cause d'appel à Mes [R] et [U] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,
INFIRME le jugement rendu le 11 septembre 2012 par le tribunal de grande instance de VERSAILLES ;
STATUANT à nouveau,
-DÉCLARE irrecevable l'action engagée par la société [N] à l'encontre de Mes [R] et [U] ;
CONDAMNE la société des [N] à payer à Mes [R] et [U] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande des parties,
CONDAMNE la société des [N] aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Odile BLUM, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,