COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 29A
1re chambre 1re section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 OCTOBRE 2015
R.G. N° 13/05624
AFFAIRE :
[C], [H] [U] épouse [P]
C/
[J], [K] [A] épouse [Y]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Juin 2013 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 01
N° Section :
N° RG : 2011/4725
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT OCTOBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant après prorogation dans l'affaire entre :
Madame [C] [H] [U] épouse [P]
née le [Date naissance 2] 1933 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
- Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2013353
Représentant : Me Martine KAINIC, Plaidant, avocat au barreau de l'Essonne.
APPELANTE
****************
Madame [J] [K] [A] épouse [Y]
née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 4] (PORTUGAL)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 001271
Plaidant par Maitre Anne LAPEIRE-LEFEVERE, avocat au barreau de l'Essonne
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 Mai 2015 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odile BLUM, président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Odile BLUM, Président,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
Monsieur Georges DOMERGUE, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
Vu le jugement rendu le 21 juin 2013 par le tribunal de grande instance de Versailles qui a :
- rejeté la demande de Mme [P] en annulation du testament établi le 19 février 2007 par M. [W],
- rejeté la demande de dommages-intérêts présentée par Mme [P],
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné Mme [P] à payer Mme [Y] une indemnité de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [P] aux dépens,
- rejeté toute autre demande ;
Vu l'appel relevé le 17 juillet 2013 par Mme [C] [U] épouse [P] qui, par ses dernières conclusions du 16 octobre 2013, demande à la cour, au visa des articles 901, 503 ancien et 489-1 ancien du code civil, de :
- prononcer l'annulation du testament olographe rédigé le 19 février 2007 par M. [W] à [Localité 3] instaurant Mme [Y] comme légataire universelle, l'original de ces dispositions testamentaires étant déposé au rang des minutes de Me [M] et cela avec toutes conséquences de droit,
- condamner Mme [Y] à payer à Mme [P] 15.000 € de dommages-intérêts, ainsi qu'une somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Mme [Y] de toutes ses demandes en paiement qui pourraient être formées à son encontre au titre de quelque dépense que ce soit engagée pour le compte de M. [W],
- condamner Mme [Y] aux entiers dépens dont distraction ;
Vu les dernières conclusions du 13 décembre 2013 de Mme [J] [A] épouse [Y] qui demande à la cour de :
1/ à titre principal
- confirmer le jugement,
- débouter Mme [P] de toutes ses demandes,
- l'envoyer en possession du legs dont il s'agit pour en jouir et disposer comme de chose lui appartenant depuis la date du décès du testateur,
2/ à titre subsidiaire,
- condamner Mme [P] à lui verser la somme de 10.022 € sur le fondement de l'enrichissement sans cause avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner Mme [P] à lui restituer, sous astreinte, les objets suivants : meubles cuisine dans le grenier, un bureau en bois, une table basse marron, deux frigos, un petit marron et un blanc moyen qui sont restés dans la maison,
- condamner Mme [P] à lui rembourser les factures d'eau et d'EDF qu'elle a payées depuis le décès de M. [W] et relatives au bien de [Adresse 3] mais également à compter de la donation établie par M. [W] à son profit en date du 19 février 2007,
3/ en toute hypothèse
- condamner Mme [P] à lui verser la somme de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que [S] [W], majeur en tutelle, est décédé le [Date décès 1] 2010 au [Localité 2], à l'âge de 87 ans, laissant pour seule héritière, Mme [P], sa cousine germaine, qu'il n'avait pas revue depuis 1946 et pour légataire universelle, Mme [Y], aide ménagère de profession, qu'il avait instituée par testament olographe du 19 février 2007 ;
Considérant que le 4 mai 2011, Mme [P] a assigné Mme [Y] en nullité du testament ce dont elle a été déboutée par le jugement déféré ;
sur la validité du testament
Considérant que Mme [P] fait grief au premier juge d'avoir retenu des témoignages partisans au lieu de prendre en considération les certificats médicaux et lettres de la maison de retraite où se trouvait [S] [W], tous révélateurs de la dégradation des facultés mentales de celui-ci et de n'avoir pas tenu compte de la tutelle mise en place peu après le testament ;
Qu'au soutien de sa demande de nullité, elle invoque les dispositions des articles 901, 503 et 504 anciens du code civil et fait valoir que [S] [W] n'était pas sain d'esprit au moment du testament, que Mme [Y] ne pouvait l'ignorer et que la donation par acte authentique consentie le même jour que l'établissement du testament a été annulée par jugement du tribunal de grande instance d'Evry en date du 2 juillet 2010 ;
Considérant que Mme [Y] réplique qu'elle a rencontré [S] [W] en 2000, qu'il s'est attaché à elle et sa famille, qu'une profonde amitié les a liés jusqu'à son décès, qu'il avait totalement rompu avec sa famille depuis 1946 et avait manifesté de longue date son intention de la gratifier, qu'il a rédigé le testament en sa faveur, dans le bureau du notaire, à son insu, le même jour que la donation par acte authentique qu'il lui a faite ;
Qu'elle soutient que l'article 504 ancien du code civil réserve un régime spécifique aux testaments qui sont soumis à l'article 503 ancien du même code, qu'en vertu de ces textes le testament reste valable s'il est fait antérieurement à l'ouverture de la tutelle ce qui est le cas et qu'il appartient à Mme [P] conformément à l'article 901 du code civil, de faire la preuve de ce que [S] [W] était notoirement atteint d'une altération de ses facultés mentales au jour du testament, que cette appréciation relève du pouvoir souverain du juge du fond qui n'est pas lié par le choix de la mesure de protection décidée dans le cadre d'une instance distincte ;
Qu'elle fait valoir que les deux premiers certificats médicaux qui doivent primer sur les suivants ne préconisaient qu'une mesure de sauvegarde de justice, que la tutelle n'a été décidée que parce que [S] [W] n'avait pas de famille et disposait d'un important patrimoine qu'il ne pouvait plus gérer seul, que le jugement de tutelle ne permet pas d'établir l'insanité d'esprit, que pour sa part, elle démontre par les attestations qu'elle verse, dont celle de Me [M], notaire, la volonté ancienne, ferme et constante du défunt, qui avait toute sa lucidité, de tester en sa faveur et d'écarter sa famille de tout héritage ;
Qu'elle ajoute qu'elle n'a pu faire appel du jugement du tribunal de grande instance d'Évry du fait du décès de [S] [W] pendant le délai d'appel, que pour des questions de moralité évidente, il serait choquant qu'une cousine au troisième degré lui soit préférée et que le testament, qui par nature, n'a d'effet qu'après le décès, n'a pu causer de préjudice au défunt contrairement à l'acte de donation, qu'il serait enfin inéquitable de la pénaliser alors que le testament aurait dû être rédigé des années avant le placement du défunt en maison de retraite ;
Considérant qu'aux termes de l'article 901 du code civil, 'Pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence' ;
Que l'article 503 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007 dispose que 'les actes antérieurs pourront être annulés si la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle existait notoirement à l'époque où ils ont été faits' ;
Considérant qu'en l'espèce, [S] [W] a quitté son domicile de [Localité 1] le 6 septembre 2006 pour rejoindre la résidence retraite [Établissement 1] d'abord en chambre pavillonnaire puis au sein d'un bâtiment médicalisé ; qu'après l'avoir examiné, le Dr [N], le 6 novembre 2006, puis le Dr [E] le 13 décembre 2006, ont attesté de l'altération de ses facultés tant physiques que psychiques et de la nécessité d'une mesure de protection juridique ;
Que par lettre du 14 décembre 2006, la directrice de la maison de retraite a informé le juge des tutelles du tribunal d'instance de Rambouillet de ce que [S] [W] était 'à ce jour ... dans l'incapacité de gérer seul ses affaires', qu'il était 'très désorienté (MMS 15/30) ... anxieux quant à son argent, ses dépenses, ses biens et ne peut prendre aucune décision bien qu'il semble très sollicité par son entourage : M. et Mme [D] (voisins) ...Madame [J] [F] (dame de compagnie) ...' ; qu'elle a sollicité en urgence la mise en place d'une mesure de tutelle, et non de curatelle, en faisant état d'une 'désorientation importante' de [S] [W] et d'un 'entourage incertain' ;
Qu'interrogée dans le cadre de la procédure ouverte le 20 février 2007 dans l'intérêt de [S] [W], Mme [Y] a noté sur le questionnaire qui lui était soumis, à la rubrique 'altération de ses facultés mentales' : 'oui (par moments petites pertes de mémoire)' et à la rubrique 'autre' : 'incapacité à prendre des décisions, gérer ses comptes seul et ses biens' ;
Que par jugement du 12 juillet 2007, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Rambouillet a, au vu notamment du certificat médical délivré le 8 février 2007 par le médecin inscrit sur la liste établie par le procureur de la République et du procès-verbal d'audition de [S] [W], prononcé la mise sous tutelle de celui-ci au motif qu'il était établi par l'ensemble du dossier et plus spécialement par les éléments médicaux que [S] [W] souffre d'altération de ses facultés et qu'il a, de ce fait, besoin d'être représenté d'une manière continue dans les actes de la vie civile ;
Que par lettre du 11 janvier 2008, la gérante de tutelle a alerté le juge des tutelles sur la donation consentie le 19 février 2007 devant Me [M], notaire, par [S] [W], en faveur de Mme [Y], de la moitié de sa maison en pleine propriété, en s'interrogeant sur 'la faculté réelle d'appréciation de Monsieur [W]' et relevant que celui-ci avait eu à supporter des frais fiscaux de donation de 72.000 €, que la maison, objet de la donation, avait fait l'objet d'un contrat de location en meublé via une agence et qu'un compte joint avait été ouvert par Mme [Y] ;
Que par ordonnance du 16 juin 2009, le juge des tutelles a autorisé la gérante de tutelle à poursuivre au nom du majeur protégé, l'action en nullité de la donation ;
Que par jugement du 2 avril 2010 passé en force de chose jugée, le tribunal de grande instance d'Évry a, au visa de l'article 503 ancien du code civil, dit que la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle existait notoirement à l'époque où l'acte de donation litigieux a été fait, annulé cette donation, dit que les loyers perçus par Mme [Y] seront restitués en totalité au majeur protégé et versé à sa gérante de tutelle ;
Considérant qu'il ressort de la chronologie des faits et des pièces versées que l'altération des facultés physiques et mentales de [S] [W] qui a déterminé l'ouverture de la mesure de tutelle existait au jour tant de la donation par acte authentique reçu par Me [M] que du testament litigieux ; que ces deux actes ont en effet été signés par [S] [W] la veille de l'ouverture de la procédure devant le juge des tutelles et moins de quinze jours après le certificat médical du médecin spécialiste ; que l'incapacité de [S] [W] à gérer seul ses affaires et sa très grande désorientation était à ce point notoires qu'elles ont fait l'objet d'un signalement au juge des tutelles par la directrice de la maison de retraite dès le mois de décembre 2006 ; que Mme [Y], elle-même, a admis dans son questionnaire au magistrat l'incapacité de [S] [W] à prendre des décisions ;
Considérant que les attestations en sens inverse produites par l'intimée, dont celle du notaire qui a reçu l'acte de donation irrévocablement annulé, sont sujettes à caution ;
Que Mme [Y] n'est pas fondée à se prévaloir du fait que [S] [W] était devenu étranger à sa propre famille et qu'il avait un patrimoine important pour prétendre à la validité d'un legs qui n'a pas été fait en toute lucidité par un vieil homme qui sera, cinq mois plus tard, placé sous tutelle ; que les considérations de moralité et d'équité dont elle fait état ne sont pas avérées ; qu'il sera relevé que Mme [Y] est encore bénéficiaire de l'assurance vie multiplacement 2 n° 11544330001 d'un montant de 310.469,54 € au 16 avril 2008 contractée par le défunt ;
Que la nullité du testament sera prononcée et le jugement infirmé sur ce point ;
sur l'enrichissement sans cause, le paiement de factures et la restitution de meubles
Considérant que Mme [Y] expose que l'acte de donation du 19 février 2007 l'avait instituée gérante de l'indivision sur la maison dont elle était devenue propriétaire pour moitié, avec mission de rechercher des locataires, payer les charges de l'indivision avec les loyers et le cas échéant partager le solde des loyers entre les indivisiaires ; qu'elle n'a fait que respecter les obligations qui lui étaient imparties par cet acte ; que la maison de [S] [W] étant inhabitable en février 2007, elle a entrepris, à la demande de l'agence et en sa qualité de gérante de l'indivision, des travaux de rénovation par chambres et ce dans le respect des intérêts de [S] [W] et selon la volonté de celui-ci ;
Qu'elle soutient que Mme [P] se trouve enrichie sans cause de la somme de 10.022 €, montant du coût des travaux auxquels elle a fait procéder, que grâce à ces travaux, le bien est désormais conforme aux normes et donc louable, qu'elle n'a perçu les loyers qu'à partir de septembre 2007, que ces loyers ont été versés sur un compte joint ouvert au nom de l'indivision, qu'elle réglait toutes les charges sur ce compte et reversait à [S] [W] la moitié nette des loyers lui revenant, qu'elle n'a prélevé qu'une somme de 4.700 € pour elle-même en deux ans et a reversé la même somme à [S] [W], qu'elle n'a perçu aucun autre loyer avant la mise en place de la tutelle, que depuis, le compte joint n'a servi qu'à payer les charges ;
Qu'elle demande en outre le remboursement du montant des factures qu'elle 'continue actuellement à payer l'EDF et l'eau car l'agence ne fait rien' ainsi que la restitution des meubles 'leur appartenant' garnissant la maison ;
Considérant que Mme [P] réplique que Mme [Y] n'a jamais justifié du paiement de travaux ou de factures ni d'une autorisation de [S] [W] pour effectuer les travaux, qu'elle a perçu l'intégralité des loyers sans rien restituer se comportant comme la seule propriétaire des lieux, qu'elle n' a jamais réglé les charges du bien immobilier qui sont toujours assumées soit par le notaire chargé de la succession soit par l'agence chargée de la gestion du bien ;
Considérant qu'il suffit à la cour de relever que ni le simple devis versé aux débats ni l'attestation de l'agence Foncia selon laquelle M. [F] a effectué des travaux dans la maison à sa demande, ne prouvent l'appauvrissement de Mme [Y] à titre personnel et que Mme [Y] ne produit aucune facture d'aucune sorte dont elle se serait acquittée ; qu'elle ne prouve pas plus que des meubles lui appartenant personnellement seraient encore dans la maison ;
Que Mme [Y] sera déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
sur les dommages et intérêts
Considérant que Mme [P] ne justifie d'aucun préjudice, moral ou financier, dont elle serait susceptible de demander réparation ;
Qu'elle ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
sur les dépens et les frais irrépétibles
Considérant que Mme [Y], succombant, sera condamnée aux dépens ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, les demandes à ce titre seront rejetées ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement ;
Prononce la nullité du testament olographe rédigé le 19 février 2007 à [Localité 3] par [S] [W] instituant comme légataire universelle Mme [J] [K] [A], dont l'original est déposé au rang des minutes de Me [M], notaire à [Localité 3] ;
Déboute Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes ;
Déboute Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts ;
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Odile BLUM, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,