COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 OCTOBRE 2015
R.G. N° 13/00649
AFFAIRE :
[X] [M] [W]
C/
SA EURAPHARMA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu 10 Janvier 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Billancourt
Section : Encadrement
N° RG : F12/00381
Copies exécutoires délivrées à :
Me Bernadette BRUGERON
Me Jean-charles BEDDOUK
Copies certifiées conformes délivrées à :
[X] [M] [W]
SA EURAPHARMA
Pôle Emploi
le : 16 Octobre 2015
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [X] [M] [W]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Bernadette BRUGERON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0008
APPELANT
****************
SA EURAPHARMA
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Jean-charles BEDDOUK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0631
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Septembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Juliette LANÇON, Vice-président placé chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Martine FOREST-HORNECKER, Président,
Madame Clotilde MAUGENDRE, Conseiller,
Madame Juliette LANÇON, Vice-président placé,
Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC,
Par jugement du 10 janvier 2013, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (Section Encadrement) a :
- dit que la loi française ne s'appliquait pas,
- débouté Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes,
- mis la société EURAPHARMA hors de cause,
- débouté la société EURAPHARMA de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Par déclaration d'appel adressée au greffe le 1er février 2013 et par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, Monsieur [W] [X] [M] demande à la cour, infirmant le jugement, de :
- dire et juger que la loi française est applicable au présent litige,
- dire et juger que Monsieur [W] dispose du statut de salarié de la société EURAPHARMA,
- dire et juger par suite que la cour d'appel de céans est compétente pour connaître des demandes de Monsieur [W],
- fixer la moyenne des salaires de Monsieur [W] à la somme de 7 911,42 euros,
- dire et juger que la société EURAPHARMA a manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de Monsieur [W],
- constater que la société EURAPHARMA n'a confié aucun poste de travail à Monsieur [W] après son retour du Ghana et qu'elle n'a pas engagé de procédure de licenciement à son encontre,
- constater le préjudice moral subi par Monsieur [W] du fait de l'attitude adoptée à son égard par la société EURAPHARMA,
- rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société EURAPHARMA,
En conséquence,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [W] aux torts exclusifs de la société EURAPHARMA,
Subsidiairement,
- dire et juger abusif le licenciement prononcé à l'encontre de Monsieur [W] par la société EURAPHARMA,
- dire et juger fondées les demandes d'indemnisation formulées à ce titre par Monsieur [W] ;
- condamner en conséquence la société EURAPHARMA à verser à Monsieur [W], avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et capitalisation des intérêts échus depuis une année en application des dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil, les sommes suivantes :
. 7 911,42 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement,
. 23 734,26 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 373,43 euros au titre des congés payés afférents,
. 7 515,85 euros à titre d'indemnité de licenciement,
. 189 874,08 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 71 202,78 euros à titre d'indemnisation du préjudice moral,
- condamner également la société EURAPHARMA à délivrer à Monsieur [W] une attestation ASSEDIC, un certificat de travail et des bulletins de paie conformes à la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de ladite décision,
- condamner en outre la société EURAPHARMA à verser à Monsieur [W] la somme de 5 000 euros HT au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société EURAPHARMA aux entiers dépens.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société EURAPHARMA demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la loi française ne s'appliquait pas,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [W] de l'intégralité de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a mise hors de cause,
Y ajoutant,
- condamner Monsieur [W] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur [W] aux entiers dépens.
LA COUR,
qui se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, à leurs écritures et à la décision déférée,
Considérant que Monsieur [W] a reçu une proposition de la part de la société EURAPHARMA le 26 mai 2008 formalisant une 'offre de collaboration', en qualité de directeur général adjoint de la société GOKALS LABOREX LTD, filiale de la société EURAPHARMA pour un poste situé au Ghana ;
Que cette proposition d'embauche prévoyait expressément :
"En qualité d'expatrié, vous bénéficierez d'un contrat de travail international de la société CAPSTONE, lequel est subordonné à l'existence d'un contrat de travail de droit local qui valide l'activité professionnelle du collaborateur expatrié.
Pour information CAPSTONE est une société de droit mauricien filiale à 100% de CFAO ayant une activité de négoce et de prospection, immatriculée au registre du commerce de Port-Louis, Ile Maurice" ;
Que Monsieur [W] a signé un contrat de travail local le 18 mars 2009 avec la société GOKALS LABOREX en qualité de directeur général adjoint en charge des finances à compter du 15 juillet 2008 ;
Que la société CAPSTONE CORPORATION a adressé un contrat de travail à Monsieur [W] pour une prise d'effet au 15 juillet 2008 et une affectation au Ghana au sein de la société LABOREX-GHANA-GOKALS-ACCRA-GHANA ;
Que, par courrier du 15 juin 2009, la société GOKALS LABOREX a mis fin au contrat de travail de Monsieur [W] en indiquant 'faisant suite à notre réunion du lundi 15 juin 2009, nous vous informons par la présente que votre contrat de travail avec GOKALS LABOREX LTD est rompu avec effet immédiat (...) La société paiera votre voyage de retour dans votre pays d'origine' ;
Que, dans un courrier du 20 juin 2009, la société CAPSTONE CORPORATION a informé Monsieur [W] que dans la mesure où le contrat de droit local disparaissait, le contrat de travail CAPSTONE était à son tour rompu et prenait fin le 15 septembre 2009 au terme d'un préavis de 3 mois ;
Que Monsieur [W] a saisi le conseil des prud'hommes le 13 mars 2012, sur renvoi du conseil des prud'hommes de Nanterre lequel s'est déclaré incompétent territorialement par jugement du 14 février 2012, afin de voir reconnaître la qualité de salarié de la société EURAPHARMA, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de solliciter diverses sommes au titre de la rupture ;
Considérant, sur l'irrecevabilité soulevée par la société EURAPHARMA, que cette dernière indique qu'il n'existe pas de lien de subordination entre elle et Monsieur [W], qu'elle ne l'a jamais rémunéré, ni fourni de travail et qu'elle ajoute que Monsieur [W] est de nationalité espagnole, n'a pas de résidence en France et n'a jamais travaillé en France ;
Considérant que Monsieur [W] rétorque que le contrat qu'il a signé avec la société CAPSTONE INTERNATIONAL est un contrat d'adhésion, qu'il a eu une proposition d'embauche avec la société EURAPHARMA qui était réellement son employeur puisqu'il recevait des ordres de cette dernière et qu'en conséquence, la loi française doit s'appliquer eu égard aux circonstances de la cause ;
Considérant, sur la qualité d'employeur de la société EURAPHARMA, qu'il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre moyennant rémunération ; qu'en l'absence de contrat de travail écrit, il appartient à celui qui se prétend salarié de rapporter la preuve de son existence, laquelle peut être recherchée au regard des trois éléments le définissant que sont la prestation de travail, la rémunération versée en contrepartie et le lien de subordination ;
Considérant que selon le contrat de travail signé le 15 juillet 2008, Monsieur [W] a été engagé par la société CAPSTONE CORPORATION LTD, ayant son siège à l'Ile Maurice, en qualité de cadre ayant vocation à être détaché dans un pays où est implanté une des sociétés du groupe ;
Considérant que le groupe CFAO, qui a pour activité la distribution de produits en Afrique et dans les collectivités territoriales d'outre-mer, se développe autour de 4 business units : CFAO Automotive pour la distribution automobile, Eurapharma pour la distribution de produits pharmaceutiques, CFAO Industries et Trading pour la production et la distribution de biens de consommation et CFAO Technologies pour l'intégration de solutions en nouvelles technologies ;
Qu'il est dirigé par la société CFAO, société de droit français, ayant son siège à [Localité 3] (92), société holding qui, n'ayant pas d'activité opérationnelle propre, agit dès lors par l'intermédiaire de ses nombreuses filiales implantées localement, chargées par suite de mettre en oeuvre ses choix stratégiques et d'atteindre les objectifs qu'elle fixe ;
Qu'il n'est pas contesté qu'elle détient le capital de la société de droit mauricien CAPSTONE CORPORATION LTD ainsi que celui de la société EURAPHARMA, laquelle détient CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE à hauteur de 72,68 % ;
Que la société GOKALS LABOREX est une société de droit ghanéen, également filiale de la société EURAPHARMA, dont le siège social est situé à Accra (Ghana), lieu de travail prévu pour Monsieur [W] ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites que l'intégralité du processus de recrutement de Monsieur [W] a été organisé par le service des ressources humaines de la société EURAPHARMA, notamment par Monsieur [G], DRH ; que dans la proposition d'embauche faite à Monsieur [W] en juin 2008 par la société EURAPHARMA, il est précisé que le salarié devra, en qualité de directeur général adjoint en charge des finances, de reporter au 'directeur général de la société GOKALS LABOREX LTD ainsi qu'au directeur financier EURAPHARMA' et qu'il devra s'appuyer 'en tant que de besoin et selon les contrats sur les ressources et l'expertise du groupe EURAPHARMA' ; que son salaire était composé d'une partie fixe de 48 000 euros et d'une partie variable pouvant aller jusqu'à 3/12ème de la capacité d'épargne annuelle à objectifs atteints soit 12 000 euros ; qu'il sera affilié au régime de prévoyance de la caisse des français de l'étranger et au régime de retraite de la caisse de retraite des expatriés ; qu'il est également précisé dans cette proposition qu'à 'l'occasion de congés ou de déplacements en France métropolitaine, afin de minimiser les coûts', il s'engage à 'faire un point avec EURAPHARMA un fois par an au minimum' et qu'il pourra lui être proposé 'une mutation dans d'autres sociétés d'EURAPHARMA, en métropole comme dans le réseau des filiales du groupe' ;
Que dans le contrat conclu avec la société CAPSTONE CORPORATION LTD, il est précisé que dans l'article relatif au lien hiérarchique, que, dans le cadre de son détachement, le salarié répondra au supérieur hiérarchique qui lui sera désigné auquel il devra rendre compte et duquel il recevra des directives ; qu'il est également indiqué dans l'annexe à l'avenant à ce contrat de travail entré en vigueur le 1er janvier 2009 que 'le pays de rattachement est la France' et que le salaire annuel brut est 69 539 euros auquel s'ajoute un bonus brut de résultats à objectifs atteints de 17 385 euros ;
Que dès le 17 juin 2008, Monsieur [W] a reçu son programme d'intégration au sein de la société EURAPHARMA comprenant des entretiens avec les différents services de cette société et 10 semaines de formation, dont deux semaines en France, à [Localité 3] et à [Localité 4] ;
Que Monsieur [G] a précisé à Monsieur [W] dans un mail du 25 juin 2008, que pour le remboursement des frais, il devait envoyer tous les justificatifs à la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE ;
Que les pièces versées aux débats démontrent que la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE a cotisé pour le salarié auprès de la caisse de sécurité sociale des français de l'étranger, et au régime de retraite des salariés pour la France et l'extérieur ; que l'adhésion aux organismes ARRCO et AGIRC a été faite par Madame [C], salariée de la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE et Monsieur [W] apparaît comme étant salarié de cette dernière société ; qu'il a reçu le 'guide d'utilisateur assuré' et la 'notice d'information santé CFAO - CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE contrat n°078703/50" de la part de la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE le 18 juillet 2008 ;
Que, durant toute la relation contractuelle, Monsieur [W] a eu comme interlocuteurs Messieurs [G] et [R], directeur de la zone Afrique anglophone de la société EURAPHARMA ; que, si ce dernier était également directeur de la société GOKALS LABOREX LTD, il ne s'adressait à Monsieur [W] qu'en tant que directeur de la zone Afrique anglophone de la société EURAPHARMA puis en tant que directeur 'zone Dom-Tom & Prewholsale' ;
Que, lorsque Monsieur [W] a eu des problèmes informatiques, il en a référé à la direction informatique de la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE ;
Qu'il ressort de nombreux mails produits que Monsieur [W] était soumis à un lien de subordination avec les directeurs EURAPHARMA ; qu'en effet, dans un mail du 20 janvier 2009 qui fait suite à un entretien téléphonique, envoyé à Monsieur [W] Monsieur [R] résume les 'principaux points abordés pour lesquels des questions se posent et des améliorations doivent être apportées' ; qu'il indique par exemple : '2)° organisation du service comptabilité/finance : (...) Sous-estimation de la charge de travail préparatoire en vue de la clôture de fin d'exercice et 3)° comportement/attitude (...) Prise en compte des impératifs liés à la fonction ' (cf congé envisagé en période de clôture) compréhension des missions & responsabilités : poste de deputy MD en charge prioritairement de la France motivation''' ;
Que, concernant l'attribution des congés, Monsieur [W] les demandait à Monsieur [G], DRH de la société EURAPHARMA ; que, si Monsieur [W] était payé à la fois par les sociétés CAPSTONE CORPORATION LTD et GOKALS LABOREX LTD, les instructions de paye étaient données par Monsieur [G] et c'est à lui que Monsieur [W] s'adressait en cas de difficultés ;
Que, lorsque les contrats conclus avec les sociétés GOKALS LABOREX LTD et CAPSTONE CORPORATION LTD ont été rompus, Monsieur [W] n'a eu comme interlocuteur sur les problèmes liés à ces ruptures (déménagement, période de préavis, inscription au Pôle emploi) que Monsieur [G] ; que l'attestation ASSEDIC si elle porte le tampon de la société GOKALS LABOREX LTD a été effectuée par Madame [C], salariée de la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société EURAPHARMA s'est comportée en véritable employeur de Monsieur [W], qui se trouvait effectivement dans un état de subordination vis-à-vis d'elle ; que Monsieur [W] est en conséquence bien fondé à revendiquer l'existence d'un contrat de travail le liant à la société EURAPHARMA ;
Considérant, sur la compétence de la juridiction française, que la société EURAPHARMA fait valoir que la juridiction française n'est pas compétente pour connaître des demandes de Monsieur [W] et que ce dernier doit saisir le tribunal arbitral se réunissant à [Localité 5], eu égard au contrat de travail qu'il a signé avec la société CAPSTONE CORPORATION LTD et en application de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;
Considérant que Monsieur [W] rétorque qu'en vertu de l'effet relatif des contrats, les dispositions du contrat conclu avec la société CAPSTONE CORPORATION LTD ne sont pas applicables à la relation contractuelle existant entre lui et la société EURAPHARMA ; qu'il ajoute que la clause compromissoire contenue dans le contrat de travail le liant à la société CAPSTONE CORPORATION est réputée non écrite puisque son employeur, la société EURAPHARMA est établie en France et qu'il peut donc saisir le conseil des prud'hommes du lieu du siège social de la société EURAPHARMA ;
Considérant que si l'employeur produit le contrat de travail conclu par Monsieur [W] avec la société CAPSTONE CORPORATION LTD, stipulant que tout différend qui pourrait naître entre les parties à raison de sa validité, de son interprétation, de son exécution ou de sa fin sera soumis au tribunal arbitral se réunissant à [Localité 5], cette clause compromissoire insérée dans le contrat conclu entre la société CAPSTONE CORPORATION LTD et Monsieur [W] n'est pas applicable dans les rapports entre ce dernier et la société EURAPHARMA, eu égard à l'effet relatif des contrats ;
Considérant que la société EURAPHARMA, employeur de Monsieur [W], étant établie en France, le salarié a saisi régulièrement la juridiction française compétente en vertu des dispositions de l'article R. 1412-1 alinéa 3 du code du travail en saisissant le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, peu important la loi régissant le cas échéant le contrat de travail ; que la société EURAPHARMA est en conséquence mal fondée à soutenir que la juridiction de céans ne serait pas compétente pour connaître des demandes de Monsieur [W] ;
Considérant, sur l'application de la loi française, que la société EURAPHARMA fait valoir que le contrat de travail est soumis à la loi mauricienne ou à la loi ghanéenne ; que le contrat de travail local conclu entre Monsieur [W] et la société GOKALS LABOREX LTD ne fait que renvoyer au 'contrat d'actionnaire' pour la partie relative à la rupture ; que si elle produit le contrat signé par Monsieur [W] avec la société CAPSTONE CORPORATION LTD stipulant que le contrat de travail est régi par le droit mauricien, cette stipulation n'est pas applicable à la relation contractuelle liant Monsieur [W] à la société EURAPHARMA, eu égard à l'effet relatif des contrats ;
Considérant que si la proposition d'embauche du 26 mai 2008 de la société EURAPHARMA à Monsieur [W] n'a pas prévu expressément de soumettre leur relation contractuelle à la loi française, ce choix résulte en l'espèce des circonstances de la cause ;
Qu'il est mentionné dans cette proposition d'embauche que la société EURAPHARMA pourra proposer à Monsieur [W] 'une mutation dans d'autres sociétés d'Eurapharma, en métropole comme dans le réseau des filiales du groupe' et que son 'refus d'accepter une mutation dans une autre société pourrait entraîner une rupture de collaboration' ; qu'il est également précisé que Monsieur [W] aura la qualité d'expatrié ;
Que Monsieur [W], certes de nationalité espagnole, a été recruté en France et qu'il a suivi une formation en France ; que le salaire de l'intéressé était libellé en euros ; que le salarié bénéficiait de la couverture sociale française, la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE se chargeant du versement des cotisations sociales à la caisse de sécurité sociale des français de l'étranger (CFE), au régime de retraite des salariés pour la France et l'extérieur (CRE), à l'institution de retraite des cadres et assimilés de France et de l'extérieur (IRCAFLEX) ; qu'elle s'est également chargée des relations avec l'assurance chômage française, établissant l'attestation de fin de contrat permettant au salarié de faire valoir ses droits, quant bien même le tampon de la société GOKALS LABOREX LTD apparaît sur l'attestation assedic ;
Qu'en conséquence, le contrat de travail présentant ainsi des liens étroits avec la France, la loi française est applicable au litige ; que les demandes de Monsieur [W] sont donc recevables ; que le jugement entrepris sera infirmé ;
Considérant, sur la rupture, que le contrat de travail peut être rompu à l'initiative du salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur ; qu'il appartient au juge, saisi par le salarié d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail d'apprécier s'il établit à l'encontre de l'employeur des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier cette mesure ; que dans ce cas, la résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l'employeur, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'au cas contraire, le juge qui estime que les manquements reprochés à l'employeur ne sont pas établis ou ne justifient pas la rupture du contrat doit débouter le salarié de sa demande ;
Considérant que Monsieur [W] soutient que quand ses contrats de travail ont été rompus avec les sociétés GOKALS LABOREX LTD et CAPSTONE CORPORATION LTD, la société EURAPHARMA aurait du lui proposer un autre poste, en application de l'article L. 1231-5 du code du travail ou engager une procédure de licenciement ;
Considérant que la société EURAPHARMA rétorque que Monsieur [W] n'a jamais entendu se maintenir à la disposition de la société EURAPHARMA et n'a jamais travaillé pour elle ;
Que l'article 16 du contrat de travail conclu entre Monsieur [W] et la société CAPSTONE CORPORATION LTD intitulé 'Résiliation du contrat' prévoyait que le contrat prendra automatiquement fin et sans délai, sans qu'il soit besoin d'engager quelque procédure que ce soit et sans indemnité d'aucune sorte, qu'en cas de cessation du contrat conclu avec la société d'affectation consécutive soit à une faute, soit à un manquement grave par le salarié à ses obligations, non allégué en l'espèce par la société EURAPHARMA ;
Que Monsieur [W] a sollicité dans plusieurs mails des explications sur la rupture de ses contrats de travail ;
Que, si dans des mails relatifs à la rupture et aux difficultés qu'il a rencontré face aux divers organismes qui ont refusé de l'indemniser, Monsieur [W] a revendiqué être salarié de la société CAPSTONE CORPORATION LTD puis de la société CONTINENTAL PHARMACEUTIQUE qui avait cotisé pour lui aux divers organismes de retraite et de prévoyance, il a été démontré que son employeur était dans les faits la société EURAPHARMA ;
Que, le courrier envoyé par Messieurs [G] et [R] le 14 novembre 2008 à Monsieur [W] précise qu'ils lui confirment que 'sa mission en qualité de Directeur Général Adjoint en charge des finances au sein de la société GOKALS LABOREX Ghana-Accra qui a débuté le 15 juillet 2008 est prévue pour une durée limitée à trois années' et 'qu'au delà, son développement professionnel s'inscrira dans le cadre d'une mobilité géographique et/ou professionnelle' ;
Que cette même société qui a proposé à Monsieur [W] de l'embaucher en qualité d'expatrié et en lui confiant une mission au GHANA pour une durée de trois ans ne lui a pas confié de mission ou de poste à la fin de la période de collaboration avec la société ghanéenne, et ce en violation de l'article L. 1231-5 du code du travail qui prévoit que 'lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein.
Si la société mère entend néanmoins licencier ce salarié, les dispositions du présent titre sont applicables' ;
Que la société EURAPHARMA n'a donc pas donné de travail à Monsieur [W] à son retour du Ghana ;
Que ce manquement grave de la société EURAPHARMA a perduré de telle sorte qu'il a empêché toute poursuite de la relation contractuelle ; qu'il convient de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [W] aux torts de la société EURAPHARMA ; que cette rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en l'espèce à la date de son prononcé par le juge ; que le jugement entrepris sera infirmé ;
Considérant, sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que Monsieur [W] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement ;
Qu'au vu des bulletins de paye produits aux débats, il convient de retenir comme salaire de référence le calcul de l'employeur, soit la somme de 7 244 euros brut mensuel ;
Qu'au regard de son âge au moment du licenciement, de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée et du fait qu'il ait créé des sociétés en 2013, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral subi la somme de 50 000 euros ;
Considérant qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de trois mois d'indemnités ;
Considérant, sur l'indemnité compensatrice de préavis et au titre des congés payés y afférents, qu'il n'est pas contesté que le préavis est de trois mois ;
Que la société EURAPHARMA sera condamnée à lui verser la somme de 21 732 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et à la somme de 2 173, 20 euros au titre des congés payés y afférents ;
Considérant, sur l'indemnité pour irrégularité de la procédure, si la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que le salarié doit être indemnisé par le versement des indemnités de rupture et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité prévue en cas de non-respect de la procédure de licenciement n'est pas due ;
Que Monsieur [W] sera donc débouté de sa demande ;
Considérant, sur l'indemnité de licenciement, que l'article R. 1234-2 du code du travail prévoit que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté ;
Considérant que les parties sont en litige uniquement sur la base du calcul ; que le salaire de référence a été fixé à la somme mensuelle brute de 7 244 euros ;
Considérant que la société EURAPHARMA sera condamnée à payer à Monsieur [W] la somme de 6 881,80 euros ;
Considérant, sur les dommages et intérêts pour préjudice moral, que Monsieur [W] qui ne caractérise pas les circonstances particulièrement vexatoires dont il se prévaut ni ne justifie d'un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, déjà indemnisé, sera débouté de ce chef de demande ;
Considérant qu'il convient de dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts échus des capitaux porteront eux-mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;
Considérant qu'il convient d'ordonner, sans qu'il n'y ait besoin d'assortir cette décision d'une astreinte, à la société EURAPHARMA de remettre à Monsieur [W] une attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et un certificat de travail rectifiés conformément au présent arrêt ;
Considérant que la société EURAPHARMA, partie succombante, sera condamnée à verser à Monsieur [W] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que la société EURAPHARMA sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirmant le jugement,
Et statuant à nouveau,
Dit que Monsieur [W] était lié par un contrat de travail à la société EURAPHARMA,
Dit que les demandes de Monsieur [W] sont recevables,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [W] aux torts de la société EURAPHARMA, qui aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Fixe la moyenne mensuelle brut du salaire de Monsieur [W] à la somme de 7 244 euros,
Condamne la société EURAPHARMA à payer à Monsieur [W] les sommes de :
. 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 21 732 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 173,20 euros au titre des congés payés y afférents,
. 6 881,80 euros à titre d'indemnité de licenciement,
Ordonne à la société EURAPHARMA de remettre à Monsieur [W] une attestation Pôle emploi, des bulletins de salaire et un certificat de travail rectifiés conformément au présent arrêt,
Dit n'y avoir lieu à astreinte,
Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
Dit que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Dit que les intérêts échus des capitaux porteront eux-mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,
Ordonne d'office le remboursement, par l'employeur à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de trois mois d'indemnités,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
Condamne la société EURAPHARMA à payer à Monsieur [W] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société EURAPHARMA aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450, alinéa 2, du code de procédure civile, et signé par Madame Martine FOREST-HORNECKER, président et Madame Amélie LESTRADE, greffier.
Le GREFFIER Le PRESIDENT