COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 89A
5e Chambre
EW
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 17 DECEMBRE 2015
R.G. N° 14/01249
AFFAIRE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'EURE ET LOIR
C/
[Y] [Y]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Janvier 2014 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CHARTRES
N° RG : 65992
Copies exécutoires délivrées à :
SCP DNA
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'EURE ET LOIR
Société ADECCO
Copies certifiées conformes délivrées à :
[Y] [Y],
le :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE D'EURE ET LOIR
Service juridique
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Mme [Q] [O] en vertu d'un pouvoir général
APPELANTE
****************
Monsieur [Y] [Y]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Joëlle BACOT de la SCP DNA, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000004
Société ADECCO
[Adresse 3]
[Adresse 3]
non représentée
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jérémy GRAVIER,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [Y] qui travaillait pour la société ADECCO en qualité d'ouvrier intérimaire, a été victime d'un accident du travail, le 4 juillet 1995, lorsqu'il a ressenti un douleur dans le dos en posant un capot sur la table de ponçage. Le certificat médical initial fait état de lombalgies. Il a été consolidé le 31 décembre 1998.
Le 8 octobre 1999, un certificat médical de rechute a été établi, rechute dont le caractère professionnel n'a pas été retenu par la caisse.
Après le rejet de son recours par la commission de recours amiable, par jugement du 14 décembre 2001, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Eure et Loir a dit que l'origine de la rechute était en lien avec l'accident du travail du 4 juillet 1995 et qu'il n'existait aucun état antérieur. Cette rechute a été déclarée consolidée au 31 août 2004.
Le 20 juin 2005, un nouveau certificat médical de rechute a été établi pour 'Lombo sciatique L5 G'.
Par décision de la caisse du 16 octobre 2007, la consolidation, avec retour à l'état antérieur, de celle-ci a été fixée au 30 novembre 2007.
Suite à la contestation de cette date par l'assuré, la caisse a fait diligenter une expertise médicale technique qui a été effectuée par le docteur [E], lequel a conclu que la rechute était consolidée depuis le 30 novembre 2007. La commission de recours amiable a confirmé cette date, le 25 mars 2008.
Par lettre du 21 mai 2008, M. [Y] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Eure et Loir d'une contestation de cette décision.
Par jugement avant dire droit du 9 octobre 2009, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Eure et Loir a estimé que l'expertise réalisée par le docteur [E] n'avait pas respecté le principe du contradictoire et a ordonné une nouvelle expertise technique qui a été confiée au docteur [B]. Celui-ci a confirmé la date du 30 novembre 2007, comme date de consolidation.
Le 20 septembre 2010, M. [Y] a transmis à la caisse un certificat médical de prolongation, qui a été considéré en réalité par la caisse comme un certificat de rechute de l'accident du travail déclaré le 4 juillet 1995, au titre d'une lombo sciatique chronique, faisant état en outre d'un syndrome dépressif réactionnel. La caisse a accepté de prendre en charge cette lésion nouvelle au titre de l'accident du travail initial, le 27 décembre 2010 (pièces 12 de la caisse).
Puis, par jugements des 23 juillet 2010 et 3 août 2012, le tribunal a désigné successivement deux autres experts : le docteur [F], puis le docteur [M], médecin psychiatre, en raison de l'état dépressif dont souffrait l'assuré. Le docteur [M] a été remplacé par le docteur [K] qui a rendu son rapport le 18 décembre 2012.
Par son jugement du 31 janvier 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Eure et Loir a homologué le rapport d'expertise du docteur [K], rejeté la demande de nouvelle expertise, infirmé la décision de la commission de recours amiable du 25 mars 2008 et dit que la caisse primaire d'assurance maladie devra servir à M. [Y] les indemnités journalières pour la période du 30 novembre 2007 au 30 septembre 2010 conformément à la législation sur les accidents du travail, et ordonné l'exécution provisoire de sa décision.
La caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir a interjeté appel de cette décision.
Par ses conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et d'ordonner la mise en oeuvre d'une nouvelle mesure d'expertise médicale, confiée à un psychiatre.
Par ses conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, M. [Y] demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, ainsi qu'aux pièces déposées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La caisse primaire d'assurance maladie rappelle les conclusions des docteurs [E], [B] et [F] qui ont tous confirmé la date de consolidation fixée au 30 novembre 2007 et observe que seul le docteur [K] s'est prononcé sur le syndrome dépressif. Elle relève que le syndrome dépressif réactionnel mentionné sur le certificat médical de rechute du 20 septembre 2010, soit trois ans après la consolidation fixée, ne figurait pas sur le certificat médical de rechute du 20 juin 2005, ni sur le certificat de rechute du 20 juin 2008, ni sur les certificats médicaux de prolongation suivants. Elle évoque l'avis de son médecin conseil, le docteur [A], qui note que le 30 mars 2009, le docteur [R] avait précisé que le syndrome dépressif était concomitant au décès du frère de l'assuré et à la découverte de la maladie de son fils.
M. [Y] réplique que le recours à une nouvelle expertise n'est plus possible, en vertu des articles L.141-2 et R.142-24-1 du code de la sécurité sociale desquels il résulte que le deuxième avis médical s'impose aux parties. Les conclusions du docteur [K] sont, selon lui, claires, précises et dépourvues d'ambiguïté, elles répondent à l'ensemble des questions posées par le tribunal et s'imposent donc tant à la caisse qu'à lui-même. Subsidiairement, il fait valoir que le syndrome dépressif dont il souffre est consécutif à la douleur permanente qu'il ressent, qu'il a fait l'objet d'un traitement antidépresseur en 2005-2006, traitement qu'il a dû arrêter en raison des effets secondaires indésirables et qu'il a dû être hospitalisé en décembre 2007, puis encore en 2008, pour adapter son traitement antalgique et mettre en place un traitement antidépresseur. Il estime que les trois experts qui ont conclu à sa consolidation au 30 novembre 2007 se sont refusés à appréhender le syndrome dépressif réactionnel et la douleur ressentie par lui, se retranchant derrière l'absence de prise en charge par l'organisme social et n'ont même par recueilli de sa part un seul élément leur permettant de se prononcer sur l'imputabilité de ce syndrome. Il précise enfin que le décès de son frère est survenu le [Date décès 1] 2010, soit plus de deux ans après son hospitalisation de décembre 2007 pour son traitement antidépresseur.
A titre liminaire, la cour rappelle que le litige qui lui est soumis porte sur la date de consolidation de la rechute du 20 juin 2005 qui a été fixée au 30 novembre 2007.
Outre le fait que le certificat médical lié à cette rechute ne faisait état que d'une lombo sciatique, force est de constater que le syndrome dépressif dont a souffert l'assuré n'a été constaté médicalement que le 20 septembre 2010, lors d'une nouvelle rechute, soit presque trois ans après la date de consolidation contestée et plus de cinq ans après la rechute à laquelle M. [Y] veut la rattacher.
Au surplus, il résulte de trois expertises techniques successives, ou au moins deux, si l'on exclue celle du docteur [E] qui a été écartée par le tribunal des affaires de sécurité sociale pour une question de forme, que la date de consolidation fixée par la caisse pouvait être maintenue au 30 novembre 2007.
Dans son rapport du 28 janvier 2010, le docteur [B] reprend les documents du dossier médical de M. [Y] et notamment la lettre du docteur [R] en date du 30 mars 2009 dans laquelle ce médecin mentionne que 'sur le plan psychologique les tracas administratifs et les douleurs chroniques ont fini par entraîner un syndrome dépressif qui a bien réagi au traitement par Anafranil' et ajoute que rien ne permet de remettre en cause la date de consolidation du 30 novembre 2007, quand bien même 'on est dans un phénomène douloureux chronique avec handicap', que l'intéressé était toujours sous morphine au jour de l'expertise et qu'il était apte à reprendre un travail à temps partiel ou à temps complet sur un poste protégé à compter du 1er décembre 2007.
Le docteur [F], qui a rendu son rapport le 4 [Date décès 1] 2011 a également évoqué le syndrome dépressif réactionnel allégué par M. [Y], mais a considéré que 'aucun élément à ce jour à [sa] disposition ne permet de dire que ce syndrome dépressif aurait été pris en compte dans son accident du travail' et ajoute : 'On pouvait donc considérer qu'à la suite de sa consolidation du 30 novembre 2007, si son état psychiatrique le justifiait, un arrêt d'activité pour cette pathologie dans le cadre de l'assurance maladie, aurait pu être proposé. Où un projet thérapeutique était mis en place (sic)'. En conclusion ce médecin expert a confirmé la date de consolidation au 30 novembre 2007.
Ces deux experts techniques ont donc discuté de la question du syndrome dépressif et ne se sont pas basés seulement sur la pathologie lombaire du patient.
Le docteur [K] rappelle lui aussi la persistance du syndrome douloureux chronique avec lombalgies irradiants le membre inférieur 'avec une composante neuropathique qui s'est aggravée et un retentissement psychosocial sévère' et précise que 'cette pathologie douloureuse, attestent les praticiens, s'accompagne d'un état dépressif et anxieux qui est majoré par la situation familiale et sociale et ainsi que par la maladie de son propre fils'. Il évoque également la prescription d'Anafranil qui est un antidépresseur et un anxiolytique, en 2005, 2006 et 2011 en indiquant que ce médicament 'comporte un effet direct sur la douleur et un effet retardé sur la dépression'.
Il admet que 'la dimension dépressive n'a pas été mise au premier plan lors des phases initiales et secondaires du traitement du fait de la situation sur les problèmes rhumatologiques et également par le fait même que les traitements antalgiques associent un ensemble de thérapeutiques psychotropes pouvant gommer le caractère expressif des troubles de l'humeur qui peuvent ainsi être minimisés'.
Il conclut finalement que l'état de M. [Y] n'était pas consolidé au 30 novembre 2007 mais peut être considéré comme consolidé au jour de l'expertise, soit le 12 décembre 2012, compte tenu notamment du fait que les aspects dépressifs n'apparaissent plus évolutifs.
Par son avis écrit du 13 mai 2013, le docteur [A], médecin conseil de la caisse, critique ce rapport d'expertise en expliquant que le docteur [K] n'apporte aucun élément objectif justifiant l'existence d'un syndrome dépressif en 2007, aucune dépression ni traitement antidépresseur n'étant décrits dans le compte-rendu d'hospitalisation de décembre 2008. Elle souligne les termes de la lettre du docteur [R] qui évoque un syndrome dépressif pour la première fois de manière informelle à compter de mars 2009 et qu'elle dit être concomitant au décès du frère de l'assuré et à la découverte de la maladie de son fils.
L'assuré conteste cette dernière affirmation en précisant que son frère est décédé en [Date décès 1] 2010. Cette date n'est pas mise en doute par la cour, étant observé que le docteur [A] ne fait que rappeler à cet égard les écrits du docteur [R], rhumatologue ayant soigné l'intéressé.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le docteur [K] retient une date de consolidation plus de sept ans après la rechute considérée, sans préciser en quoi l'état dépressif du patient a continué d'évoluer pendant ces longues années et notamment du 20 juin 2005, date de la rechute, au 20 septembre 2010, date à laquelle est réellement constaté l'état dépressif en cause.
La cour estime que ce rapport qui constitue un complément d'expertise, selon les termes même du jugement du 3 août 2012, ne saurait remettre en cause les précédentes expertises techniques qui se situaient au plus près de la rechute litigieuse et qui étaient claires, nettes et précises, ni l'avis du médecin conseil de la caisse, complété le 13 mai 2013.
Il n'apparaît pas utile à la solution du litige d'ordonner une nouvelle expertise.
Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de confirmer la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir ayant fixé la date de consolidation de la rechute du 20 juin 2005 au 30 novembre 2007.
L'équité commande de débouter M. [Y] de la demande qu'il forme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Confirme la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure et Loir du 16 octobre 2007 ayant fixé la date de consolidation de la rechute du 20 juin 2005 au 30 novembre 2007 et la décision de la commission de recours amiable ayant rejeté le recours formé par M. [Y] [Y] à l'encontre de cette décision ;
Déboute M. [Y] [Y] de la demande qu'il forme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Olivier Fourmy, Président, et par Monsieur Jérémy Gravier, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,