COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
RND
Code nac : 80A
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 DECEMBRE 2015
R.G. N° 14/02075
AFFAIRE :
[C] [E]
C/
Association APAJH 95
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Avril 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE
Section : activités diverses
N° RG : 1300052
Copies exécutoires délivrées à :
Me Sophie LAUMONIER
SELAS Jacques BARTHELEMY & Associés
Copies certifiées conformes délivrées à :
[C] [E]
Association APAJH 95
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE QUINZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Mademoiselle [C] [E]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparante assistée de Me Sophie LAUMONIER, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 496 - N° du dossier D67.01 substitué par Me Manoha BIGORRE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 318 - N° du dossier D67.01
APPELANTE
****************
Association APAJH 95
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Jérôme ARTZ de la SELAS Jacques BARTHELEMY & Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0097 substituée par Me Gautier KERTUDO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0097
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Octobre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jérémy GRAVIER,
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [C] [E] a été engagée par l'Association APAJH 95, d'abord en qualité d'ouvrière de production, suivant contrat à durée déterminée à plein temps à compter du 19 avril 2007 pour une durée de six mois, qui a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2007 par avenant du 23 octobre 2007 puis en qualité de monitrice d'atelier dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée prenant effet le 2 janvier 2008.
A compter de cette dernière date, elle était affectée sur le site de l'établissement et service d'aide par le travail (ESAT) des Ateliers des Hauts de [Localité 2].
A l'audience, les parties se sont accordées pour fixer à 1 870,72 euros le montant de son dernier salaire moyen mensuel brut.
Le contrat de travail stipulait que Mme [E] serait responsable, sous l'autorité de l'adjoint technique, de l'encadrement des travailleurs handicapés dans les activités d'atelier, participerait aux actions de soutien des personnes handicapées, serait responsable de la production à réaliser et assurerait l'entretien des machines et des outillages.
L'Association employait habituellement plus de onze salariés au moment de la rupture. Elle appliquait la convention collective nationale des établissements et services pour des personnes inadaptées et handicapées.
Mme [C] [E] s'est absentée de l'entreprise d'août 2009 à fin juin 2010 pour un congé maternité suivi d'un congé parental d'éducation et de congés payés, à l'issue desquels, le 6 juillet 2010, la médecine du travail l'a déclarée apte à la reprise, sans réserves.
A partir d'octobre 2011, elle a été en arrêt maladie à plusieurs reprises.
A l'issue d'une première visite du 24 juillet 2012 et d'une seconde visite le 2 octobre 2012, Mme [C] [E] a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise, par le médecin du travail.
Convoquée d'abord le 13 novembre 2012 à un entretien préalable au licenciement fixé au 23 novembre 2012 puis le 22 novembre à un entretien reporté au 30 novembre, Mme [C] [E] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée du 5 décembre 2012.
Contestant son licenciement, Mme [C] [E] a saisi le conseil de prud'hommes le 23 janvier 2013 afin de demander la nullité du licenciement pour cause de harcèlement moral, une indemnité pour licenciement nul, une indemnité de préavis, des dommages-intérêts distincts pour préjudice moral et financier, la remise des documents de fin de contrat sous astreinte et une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 25 avril 2014, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise (section activités diverses) a débouté Mme [C] [E] de l'ensemble de ses prétentions et l'Association APAJH 95 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens de l'instance à la charge de Mme [C] [E].
Par déclaration adressée au greffe le 29 avril 2014, Mme [C] [E] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 27 octobre 2015.
Vu les conclusions transmises le 26 octobre 2015, déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil pour Mme [C] [E] qui demande à la cour, infirmant le jugement, de :
- dire le licenciement nul pour harcèlement moral,
- fixer la moyenne de ses salaires à 1 870,72 euros,
- condamner l'Association APAJH 95 à lui payer les sommes suivantes :
. indemnité de préavis : 3 741,44 euros outre les congés payés y afférents,
. indemnité pour licenciement nul : 44 897,28 euros,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- ordonner la remise par l'association de bulletins de paie et d'une attestation Assedic conformes, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, en se réservant le pouvoir de la liquider,
- condamner l'association à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entier dépens,
Vu les conclusions transmises le 13 octobre 2015, déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil pour l'Association APAJH 95 qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- débouter Mme [C] [E] de toutes ses demandes,
- et subsidiairement les réduire à de plus justes proportions,
- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens,
A la demande de la cour, les parties ont précisé qu'elles ne discutaient pas le respect de l'obligation de reclassement par l'employeur et qu'il n'y avait eu aucune procédure judiciaire pour contester le refus de reconnaissance de la maladie professionnelle de la salariée.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux pièces et conclusions déposées et soutenues à l'audience ainsi qu'aux explication orales complémentaires rappelées ci-dessus, par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le harcèlement moral et la rupture du contrat de travail
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'article L. 1152-3 prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions précitées est nulle.
Mme [E] excipe de la nullité de son licenciement, soutenant que l'inaptitude à l'origine du licenciement trouve sa cause unique dans les faits de harcèlement moral dans les circonstances suivantes :
- durant une première période de janvier 2008 à son départ en congé maternité en août 2009, Mme [J], la directrice de l'APAJH et M. [L] [T], moniteur principal et selon elle son supérieur hiérarchique direct, se comportaient, quotidiennement, de manière hostile et lui tenaient des propos humiliants ce, en présence de collègues, outre pour M. [T], des blagues racistes sur ses origines portugaises, notamment en la discréditant aux réunions ;
- à compter de son retour fin juin 2010, s'est joint à M. [T], Mme [P] promue monitrice principale en septembre 2010, qui a usé de manoeuvres déstabilisantes en démantelant l'organisation de son travail ou en lui imposant des restrictions de déplacement dans le but de l'isoler du reste de l'équipe ; elle cite les exemples d'une réunion du 21 juillet 2010 lors du changement de direction, d'une agression verbale le 27 octobre 2010, de l'interdiction de participer à la préparation des fêtes de Noël le 13 décembre 2010 et de la mise en place d'une caisse enregistreuse ;
- l'appelante se plaint de l'absence de réaction de la direction à ses demandes orales et écrites d'intervention notamment pour une rupture amiable ;
- elle fait le lien entre ces faits et ses arrêts de travail sur toute la période contractuelle et sa prise en charge pour dépression.
Au soutien des faits de harcèlement qu'elle invoque, Mme [C] [E] produit de très nombreuses pièces notamment :
- le compte-rendu de la réunion du 21 juillet 2010 qui mentionne que lorsque M. [Z], directeur adjoint de l'ESAT d'[Localité 1] lui a demandé son point de vue sur le changement de direction, la salariée ' n'a pu contenir son émotion ', a fait part de son impression d'être marginalisée et de ne pas avoir été écoutée quand elle s'ouvrait de ses difficultés ; elle a répondu au directeur qui s'étonnait que cette situation n'ait jamais été évoquée auparavant qu'elle ne l'avait pas fait ' parce que ce n'était tout simplement pas évident ' ;
- ses propres courriers, tous postérieurs à cette réunion, datés des 21 septembre 2010, 3 octobre et 11 décembre 2011 et 29 octobre 2012, dans lesquels elle dénonce longuement au directeur des ressources humaines de l'Association les agissements de l'ancienne directrice, d'anciens et de nouveaux collaborateurs, leur retentissement sur sa santé, et aux termes desquels elle sollicite un entretien aux fins d'être licenciée pour motif économique ;
- son rapport d'activité pour l'année 2010 daté du 13 février 2011 dans lequel elle se plaint en outre de son isolement dans l'atelier repasserie ;
- les attestations de trois anciens collègues de travail, moniteurs d'atelier :
* celle de M. [V], qui est son compagnon, indique que Mme [E] était l'objet de moqueries, de mise à l'écart par l'ancienne directrice et M. [T] puis de manoeuvres d'isolement de la part de Mme [P] et corrobore les exemples donnés par l'appelante ;
* celle de M. [Y], présent du 21 décembre 2009 au 21 juin 2011, qui dénonce l'attitude et les propos qualifiés de despotiques de Mme [J] et des moniteurs principaux, dont M. [T] et Mme [P], et qui décrit une mauvaise ambiance générale ;
* celle de M. [D] qui rapporte que ni l'employeur ni la salariée n'avaient informé le CHSCT central, dont il est secrétaire depuis décembre 2010, de la situation de Mme [E]' de façon claire et nominative ' et sur laquelle la structure ne s'est jamais prononcée ;
- les conclusions du contrôleur du travail du 10 juillet 2012 qui, après avoir recueilli les différents témoignages de salariés de l'établissement, écrit que la dégradation de ses conditions de travail est antérieure aux altercations avec Mme [P] notamment qui lui avait interdit la préparation du repas de Noël et remonte à début 2008 avec des reproches de la direction mal vécus par la salariée ; il a adressé un courrier d'observation à l'employeur ;
- un jugement du conseil de prud'hommes du 7 juin 2012, confirmé en appel par un arrêt définitif déclarant nul le licenciement d'un autre salarié victime de harcèlement moral de la part de Mme [J] ;
- des pièces médicales faisant état de la dégradation de l'état de santé de Mme [E], à savoir les arrêts de travail mentionnant son état dépressif , son asthénie ou ses troubles du sommeil ainsi que les justificatifs de sa prise en charge par un psychothérapeute et les échanges écrits entre le médecin du travail et le médecin traitant pour prolonger son arrêt de travail ou l'adresser à un psychiatre.
Ces pièces produites par Mme [E] établissent des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; il incombe donc à l'Association APAJH 95 de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses décisions sont justifiées, par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'Association APAJH 95, qui conteste tout harcèlement, objecte essentiellement que les éléments apportés par Mme [E] traduisent son seul ressenti, lié à sa fragilité personnelle.
L'association souligne en premier lieu, fort pertinemment, que les courriers, certes très détaillés de la salariée, ne reposent que sur ses seules allégations et sa perception des faits.
En deuxième lieu, elle justifie des réponses écrites apportées à la salariée.
En troisième lieu, l'association verse aux débats les attestations de cinq salariés y compris certains mis en cause par Mme [E] qui contredisent celles produites par celle-ci : Mme [X], secrétaire de direction, Mme [S] nommée directrice en juillet 2010 et M. [B] [M], moniteur d'atelier, indiquent n'avoir jamais été témoins de comportement ou propos insultants à son encontre ; tous font part de la fragilité, du repli sur soi dont faisait montre Mme [E] dans ses rapports avec les usagers, eux-mêmes fragiles, dont elle avait la charge ou avec ses collègues ; il lui arrivait fréquemment de quitter son atelier ou les réunions de travail en se mettant en colère, en déclarant qu'on ne l'aimait pas, pour se réfugier dans les toilettes.
Mme [P] rappelle que tel a été le cas quand elle n'a pas su s'y prendre avec une caisse enregistreuse faute d'avoir été attentive aux explications du formateur.
M. [T], d'origine portugaise comme Mme [E], nie toute insulte à caractère raciste et explique le sentiment d'isolement par le fait que l'atelier repasserie était situé à l'autre extrémité de l'ESAT.
En quatrième lieu, un examen plus attentif du rapport du contrôleur du travail démontre que les salariés, entendus les 28 juin et 5 juillet 2012 alors que Mme [E] est en arrêt maladie depuis plusieurs mois, livrent leurs impressions sur son mal-être (dès 2008, elle vivait mal les reproches de sa hiérarchie) et ne citent précisément que l'incident du repas de Noël 2010 avec Mme [P], la réunion que Mme [E] aurait quittée en pleurant ne pouvant être datée avec certitude. Il est précisé ici que la réunion du 21 juillet 2010 ne met pas en évidence d'agissement imputable à l'une des trois personnes mises en causes par la salariée.
En cinquième lieu, l'employeur fait justement observer qu'alors que Mme [E] fait remonter les premiers faits de harcèlement moral à son arrivée sur le site de [Localité 2] début janvier 2008, elle ne lui en a jamais fait part avant la réunion du 21 juillet 2010 et l'envoi de ses courriers postérieurs, surtout, les a tus au médecin du travail, qui l'a déclarée apte à reprendre son travail le 6 juillet 2010, tout comme d'ailleurs au CHSCT.
En définitive, les pièces communiquées par l'employeur et l'analyse qu'il fait de celles de la salariée permettent d'établir la matérialité, uniquement, de la scène de décembre 2010, également rapportée par M. [V], au cours de laquelle Mme [P] a refusé à Mme [E] de participer aux préparatifs du repas de Nöel et lui a enjoint de regagner son atelier.
Cet agissement imputable à un préposé de l'Association APAJH 95 n'étant pas répété, il ne permet pas de caractériser de harcèlement moral à l'encontre de Mme [E], sans qu'il soit nécessaire de rechercher un lien avec les documents médicaux produits sur la dégradation de son état de santé.
Le jugement mérite confirmation en ce que :
- il a rejeté l'exception de nullité du licenciement pour inaptitude soulevée par Mme [E] pour cause de harcèlement moral ;
- il a déclaré bien fondé son licenciement déclarée inapte à la suite de deux visites du médecin du travail et après impossibilité de la reclasser au sein de l'association, obligation dont le respect n'est pas discuté ;
- il a débouté la salariée de ses demandes d'indemnité pour licenciement nul, d'indemnité de préavis et au titre des congés payés y afférents, de remise de documents de fin de contrat sous astreinte, de capitalisation des intérêts.
Sur la demande de dommages-intérêts distincts
Dans la mesure où Mme [E] n'a pas subi de faits de harcèlement moral de la part de l'employeur, elle ne peut arguer de la violation par celui-ci de son obligation de sécurité de résultat et obtenir de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral et financier distinct, que ce soit sur le fondement de l'article L. 4121-1 du code du travail développé dans le corps de ses écritures ou des articles 1134 et 1147 du code civil visés dans leur dispositif.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Des considérations d'équité conduisent à ne pas condamner Mme [C] [E], qui succombe en son appel et sera tenue aux entiers dépens, à payer à l'Association APAJH 95 une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe et par décision contradictoire ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
Condamne Mme [C] [E] aux dépens et dit n'y avoir lieu à application à l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Olivier FOURMY, Président et par Monsieur GRAVIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,