COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 JANVIER 2016
R.G. N° 14/05236
AFFAIRE :
SAS SISTEER TELECOM ENABLER
C/
[C] [K]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 28 Novembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Boulogne-Billancourt
Section : Référé
N° RG : R 14/00301
Copies exécutoires délivrées à :
Me Xavier ARGENTON
Me Magali LATRY
Copies certifiées conformes délivrées à :
SAS SISTEER TELECOM ENABLER
[C] [K]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX JANVIER DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SAS SISTEER TELECOM ENABLER
[Adresse 1]
[Localité 1]
Comparante en la personne de M. Alain BUREAU, président
Assistée de Me Astrid BAILLEUX substituant Me Xavier ARGENTON, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
Madame [C] [K]
Domicile Elu chez Me Magali LATRY, avocat
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Magali LATRY, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BÉZIO, président,
Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,
Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,
EXPOSE DU LITIGE
La société par actions simplifiées SISTEER FRANCE, devenue SISTEER TELECOM ENABLER, est spécialisée dans le secteur de l'activité de conseil en systèmes informatiques, traitement de données, hébergement et activités diverses ; elle appartient au groupe ABCOM, comprend plus de 20 salariés et relève de la convention collective dite SYNTEC ; elle possède 3 filiales en FRANCE et 3 au BRESIL.
Selon un contrat de travail à durée indéterminée en date du 3 mai 2011, Mme [K] a été engagée à compter du 16 juillet 2011 par la société SISTEER FRANCE en qualité de consultante senior à MONTROUGE siège de la société, puis elle est devenue directeur des opérations au BRESIL en juillet 2012, son dernier salaire s'élevant à 10 643 € brut.
En effet, une clause de son contrat intitulée « mise à disposition » stipule : « ce contrat a vocation à être suspendu après une période de 3 à 6 mois, période à partir de laquelle le salarié sera mis à disposition au sein de la société SISTEER DO BRAZIL, en qualité de CEO position cadre dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ».
Fin 2013 la société SISTEER FRANCE a souhaité que Mme [K] revienne travailler en FRANCE, ce qu'elle a refusé.
Suite à des problèmes de paiement de salaires, Mme [K] a obtenu sur assignation en référé le paiement de ses salaires de février et mars 2014, qui lui seront réglés en juin 2014.
Elle a pris ses congés du 27 juin au 15 juillet 2014, dont elle a demandé la prolongation (étant en attente d'un passeport pour l'un de ses enfants) qui lui a été refusée ; elle s'est donc présentée le 16 juillet au siège de la société à MALAKOFF ; elle a été en arrêt-maladie les 17 et 18 juillet 2014, puis est repartie au BRESIL où elle a repris ses fonctions le 21 juillet 2014.
Cependant, à partir de cette date la société ne lui fournissait plus de travail, ce dont elle se plaignait.
Début août 2014 elle ne recevait qu'une partie de son salaire de juillet, soit la somme de 5409,06 € au lieu de 8345 € net ; elle ne recevait pas non plus son salaire d'août, et par lettre reçue le 15 août 2014 elle était convoquée à un entretien préalable en FRANCE le 26 août auquel elle ne se rendait pas.
Par lettre du 3 septembre 2014 elle était licenciée pour faute grave, pour absence non justifiée à son poste de travail à MALAKOFF.
Le 9 septembre 2014, Mme [K] saisissait en référé le conseil des prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT, aux fins de paiement provisionnel de la somme globale de 20 439,95 € à titre de rappels de salaires du 21 juillet au 17 septembre 2014, outre celle de 60 000 € à titre de dommages et intérêts pour le retard de paiement.
Par ordonnance du 28 novembre 2014, dont la société SISTEER FRANCE, devenue SISTEER TELECOM ENABLER, a formé appel, le conseil, faisant droit aux demandes de la salariée relatives aux rappels de salaire, à la remise de bulletins de paie afférents, d'un certificat de travail et d'une attestation de jours de présence au BRESIL, mais disait n'y avoir lieu à référé sur sa demande en dommages et intérêts, tout en lui allouant la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure au fond est audiencée devant le conseil en juillet 2016.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par écritures soutenues oralement à l'audience du 20 novembre 2015, les parties ont conclu comme suit :
Mme [K], invoquant le manquement délibéré de son employeur dans le paiement de son salaire pendant 2 mois, conclut à la confirmation partielle de l'ordonnance, et demande la condamnation de la société SISTEER TELECOM ENABLER à lui payer à titre provisionnel les sommes suivantes :
- 3765,95 € au titre des rappels de salaire de juillet 2014,
- 10 643 € au titre des rappels de salaire d'août 2014,
- 6031 € au titre des rappels de salaire de septembre 2014,
soit 20 439,95 € ;
- 60 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice lié au défaut de paiement des salaires, vivant seule au BRESIL avec 2 jeunes enfants,
- outre la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite la remise des bulletins de salaires, de l'attestation Pôle Emploi et du certificat de travail (avec position et coefficient) conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt.
Elle demande aussi que la société soit condamnée à une amende civile de 2500 € pour procédure abusive.
La société SISTEER TELECOM ENABLER conclut à l'infirmation de l'ordonnance, sollicitant principalement le débouté de la salariée et sa condamnation à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient qu'il existe une contestation sérieuse et qu'aucun trouble manifestement illicite n'est avéré, de sorte qu'il n'y a pas lieu à référé.
Elle demande le remboursement des sommes perçues par Mme [K] en exécution de l'ordonnance entreprise.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon l'article R 1455-6 du code du travail le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
Selon l'article R 1455-7 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation.
Sur la demande de rappel de salaires :
L'employeur ne peut se dispenser du versement du salaire, sauf en matière de mise en pied, à condition que cette mise à pied soit justifiée.
En cas de litige sur un des éléments du contrat de travail, comme le lieu de travail en l'occurrence, il appartient au juge de vérifier si l'employeur l'avait déterminé clairement et préalablement.
En l'espèce, la société SISTEER TELECOM ENABLER soutient que Mme [K] était tenue de se présenter à son poste de travail au siège de la société en FRANCE au plus tard le 7 avril 2014, comme l'y invitait la mise en demeure du 31 mars 2014.
Il ressort effectivement des lettres adressées par la société SISTEER FRANCE à Mme [K] les 13 janvier et 31 mars 2014 que la société lui a demandé de revenir travailler à son siège en FRANCE, en raison de la non réalisation du projet sur lequel elle travaillait au BRESIL.
Or, elle ne rapporte pas la preuve, à ce stade de la procédure, que les modalités et la durée de la mise à disposition de Mme [K] dans sa filiale brésilienne avaient été contractuellement fixées; en effet, la clause de mise à disposition susvisée dans l'exposé, seul élément contractuel produit, ne les précise pas.
Au vu de ces éléments, le refus de Mme [K] de reprendre son travail en FRANCE apparaît discutable, et faute d'une rupture du contrat de travail ou d'un accord sur les modalités de retour de Mme [K] en FRANCE, il appartenait à la société SISTEER FRANCE de maintenir le paiement des salaires, sauf à rapporter la preuve que Mme [K] refusait de travailler, ce qui n'est pas le cas, au vu des mails produits par cette dernière.
Dès lors, la société SISTEER FRANCE devenue SISTEER TELECOM ENABLER a manqué à son obligation contractuelle de payer les salaires de Mme [K] ; en effet, sans avoir engagé de procédure disciplinaire ou de licenciement, elle a cessé de payer le salaire complet de Mme [K] à compter du 21 juillet 2014, puis a poursuivi ce non paiement jusqu'au 17 septembre 2014, après avoir prononcé le licenciement de Mme [K] pour faute grave le 3 septembre 2014 sans prononcer préalablement sa mise à pied, de sorte qu'elle a commis de manière incontestable un manquement évident à une de ses obligations contractuelles essentielles entraînant un trouble manifestement illicite.
En conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée sur ce point.
Sur la demande en dommages et intérêts :
Mme [K] fait valoir qu'elle a engagé des frais en raison de la non perception de ses salaires pendant 2 mois ; elle en justifie au vu des pièces produites.
Au vu de ces éléments qui ne sont pas sérieusement contestables, il y a lieu de lui allouer une provision de 3000 € à titre de dommages et intérêts.
L'ordonnance sera donc infirmée.
Sur la demande nouvelle d'amende civile pour procédure abusive :
La cour qui est seule juge de l'opportunité d'une éventuelle amende n'estime pas qu'en l'espèce l'appelante a fait un usage abusif de son droit d'appel.
Les autres demandes plus amples ou contraires des parties seront également rejetées.
Sur les demandes accessoires :
La société devra remettre à Mme [K] des bulletins de salaires, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail (avec position et coefficient) conformes aux dispositions du présent arrêt, sous astreinte.
La somme de 2000 € sera allouée à Mme [K] en application de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de la somme de 1000 € allouée en première instance.
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société SISTEER TELECOM ENABLER.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme l'ordonnance de référé en date du 28 novembre 2014 du conseil de prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé au sujet de la demande provisionnelle en dommages et intérêts, mais la confirme pour le surplus ;
Et statuant à nouveau ;
Condamne la société SISTEER TELECOM ENABLER, venant aux droits de la société SISTEER FRANCE à payer à Mme [K] à titre provisionnel la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Et y ajoutant ;
Ordonne à la société SISTEER TELECOM ENABLER, venant aux droits de la société SISTEER FRANCE, de remettre à Mme [K] des bulletins de salaires, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail (avec position et coefficient), conformes aux dispositions du présent arrêt ;
La condamne à payer à Mme [K] la somme de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires des parties ;
Condamne la société SISTEER TELECOM ENABLER, venant aux droits de la société SISTEER FRANCE, aux dépens de première instance et d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT