COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
contradictoire
DU 13 AVRIL 2016
R.G. N° 14/02200
AFFAIRE :
[J] [Q]
C/
Me [S] [A] [T] - Administrateur de Société CAP TERRE
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 24 Mars 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES
N° RG : 12/00954
Copies exécutoires délivrées à :
la SCP COBLENCE ET ASSOCIES
Copies certifiées conformes délivrées à :
[J] [Q]
Me [S] [A] [T] - Administrateur de Société CAP TERRE, Me SELARL SMJ - Mandataire judiciaire de Société CAP TERRE, Société CAP TERRE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [J] [Q]
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparante en personne, assistée de Me Chantal GIRAUD VAN GAVER de la SCP COBLENCE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0053
APPELANTE
****************
Me [T] [S] [A] (SCP [T] - [Y]) - Administrateur de Société CAP TERRE
[Adresse 2]
[Localité 2]
non comparant
Me SELARL SMJ - Mandataire judiciaire de Société CAP TERRE
[Adresse 3]
[Localité 2]
non comparant
Société CAP TERRE
[Adresse 4]
[Localité 2]
tous représentés par Me Dominique ANNICCHIARICO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0367
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Michèle COLIN, Président chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :
Madame Michèle COLIN, Président,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,
Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL,
Vu le jugement rendu le 24 mars 2014 par le Conseil de prud'hommes de Versailles ayant débouté madame [Q] de toutes ses demandes et la SAS CAP TERRE de sa demande reconventionnelle et condamné madame [Q] aux dépens.
Vu la déclaration d'appel de madame [J] [Q] reçue au greffe de la Cour le 25 avril 2014.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 7 mars 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de madame [Q] qui demande à la Cour de :
- infirmer le jugement,
- dire que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- fixer sa créance au passif de la société CAP TERRE à la somme de 220 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 7 mars 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la société CAP TERRE qui demande à la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, subsidiairement, réduire la somme demandée à de plus justes proportions et condamner madame [Q] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA COUR :
Madame [Q] a été embauchée en contrat à durée indéterminée à compter du 5 octobre 2004 par la société CAP TERRE en qualité de directrice générale adjointe position 3.2, coefficient 210 de la convention collective SYNTEC.
En janvier 2009, elle était également nommée directeur de CAP TERRE Région, société nouvellement créée et dont le gérant était le président de CAP TERRE, monsieur [F].
La société CAP TERRE est une filiale à 100 % du Groupe BETOM, a pour activité le conseil en urbanisme et environnement et emploie habituellement une quarantaine de salariés.
Le 16 mai 2012, madame [Q] était licenciée pour insuffisance professionnelle.
Elle quittait ses fonctions le 19 août 2012.
C'est dans ces conditions que contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, elle saisissait le Conseil de prud'hommes de Versailles qui rendait la décision dont appel.
Par jugement du 5 novembre 2015, le tribunal de commerce de Versailles a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde de l'entreprise.
Sur le licenciement :
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois motiver le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, retient trois griefs à l'encontre de madame [Q] :
- sa mauvaise gestion, l'entreprise accusant des mauvais résultats en 2010 non conformes à ses objectifs et prévisions et un résultat négatif d'exploitation de 476 049 euros en 2011 alors que ses
prévisions ne laissaient nullement entrevoir de telles pertes,
- l'absence de fiabilité de son reporting, en omettant notamment le montant de la sous-traitance,
- l'embauche d'un collaborateur supplémentaire dont le recrutement n'était pas nécessaire et le refus de remettre en cause sa stratégie alors que le rapport d'audit effectué le préconisait.
Madame [Q] soutient que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse aux motifs que ce n'est que suite à son refus de travailler pour le compte du groupe en tant qu'indépendante qu'elle a été licenciée ; que pour 2010, aucune lettre d'objectif ne lui a été remise et qu'elle a perçu 30 000 euros de prime ; que l'écart avec ses prévisions a été infime (78 K€), les autres filiales ayant rencontré les mêmes difficultés ; que ses prévisions pour 2011 étaient exactes (écart de seulement 86 K€, à l'instar d'autres entités du groupe) ; qu'elle a tenu compte de la sous-traitance interfiliale ; qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir anticipé les pertes d'exploitation, sachant qu'elle ne contrôlait que les recettes, l'ensemble de la comptabilité étant géré au siège par la société holding et contrôlé par le président, monsieur [F] ; qu'elle ne disposait d'aucun outil de suivi comptable permettant la budgétisation prévisionnelle des dépenses ; que c'est pour cela qu'elle a mis en place un outil de gestion intitulé D2A ; que le recrutement de monsieur [P] a été validé par monsieur [F] ; qu'elle s'est toujours impliquée dans la stratégie du Groupe ; qu'en réalité, le motif de son licenciement est économique, son poste ayant disparu de l'organigramme.
La SAS CAP TERRE rétorque qu'aux termes de la lettre de licenciement ce sont bien ses mauvais résultats et pas seulement ses mauvaises prévisions qui sont reprochés à madame [Q] ; qu'en 2011, ses objectifs étaient fixés à un chiffre d'affaire de 2 500 K€ pour chacune des sociétés (CAP TERRE et CAP TERRE Région), les prévisionnels de madame [Q] s'élevant à 4 792 K€ alors que le CA réalisé ne s'est élevé qu'à 4 460 K€ ; qu'elle n'a dès lors pas atteint les objectifs qu'elle n'avait nullement remis en cause ; qu'elle avait accès à la comptabilité du groupe, un prévisionnel d'exploitation lui étant communiqué chaque trimestre pour suivre l'évolution des charges ; que la balance de chaque société lui était adressée pour validation ; que le rapport d'audit de 2011a relevé que la D2A n'étant pas parfaitement remplie, il fallait plutôt reprendre le tableau existant à BETOM en l'adaptant à CAP TERRE, ce qu'elle n'avait pas fait ; qu'elle n'a pas pris en compte la sous traitance ; que c'est elle qui a décidé du recrutement de monsieur [P].
Il résulte du contrat de travail de madame [Q] qu'elle a été recrutée en qualité de directeur adjoint de CAP TERRE avec pour missions d'élaborer la politique commerciale de l'entreprise, de développer le chiffre d'affaires de la société en assurant la commercialisation de ses différents services et produits, de gérer et manger le personnel et d'assurer le suivi de la gestion de la société. Elle s'est vu conférer les mêmes missions pour CAP TERRE Région en 2009.
A cet égard, les mauvais résultats qui lui sont reprochés pour 2010 ne sont pas justifiés par les documents produits aux débats , le CODIR du 10 mai 2011mettant au contraire en évidence un CA de 5 342 206 euros pour CAP TERRE et CAP TERRE Région, soit un EBI de 1,48 %, résultats donnant lieu au commentaire suivant :'on a fait une bonne année. Toutes les structures sont positives'.
La Cour constate que si les objectifs 2011 donnés à madame [Q] et acceptés par elle ont été fixés à 5 000 K€ et qu'elle n'a atteint que 4460 K€, le différentiel n'est pas considérable et qu'il en va de même pour toutes les filiales du Groupe qui sont restées en deçà de leurs objectifs et dans les mêmes proportions que CAP TERRE, voire pour certaines d'entre elles dans des proportions plus importantes (BETOM Ingénierie 50 % de l'objectif atteint).
Il en résulte qu'il ne saurait être tenu grief à madame [Q] seule de ne pas avoir réalisé 100 % des objectifs et que ses résultats sont à relativiser au regard de ceux de ses collègues.
Par ailleurs, elle a alerté en septembre 2010 madame [F] en ces termes :
' l'organisation de CAP TERRE s'appuie sur les services support du siège aux niveaux RH et comptabilité et il faut fluidifier les échanges, les retours de comptabilité analytiques étant laborieux'. Elle a dès lors sollicite la rédaction d'un cahier des charges pour un système comptable en vue d'éviter les multiples ressaisies d'un tableau à l'autre et multipliant les risques d'erreur.
Aux termes de sa note du 5 avril 2011 à monsieur [F], elle lui a notamment rappellé qu'elle ne disposait pas d'un outil comptable réactif lui permettant la budgétisation prévisionnelle des dépenses, et le suivi efficace des équilibres entre dépenses/recettes et qu'elle n'avait toujours
pas obtenu du siège la répartition des dépenses 2010.
A cet égard, plusieurs attestations de collaborateurs de CAP TERRE témoignent de ce qu'aucun outil de reporting n'était fourni par le siège.
Il apparaît par ailleurs que le D2A a été validé par le Directeur financier ainsi qu'en atteste son mail du 28 février 2011.
Il ne saurait être sérieusement reproché à madame [Q], dans ces conditions, alors qu'elle a alerté à plusieurs reprises sa direction sur ses difficultés en matière de maîtrise de suivi de l'équilibre recettes/dépenses, d'avoir commis des erreurs de prévision.
Le grief tiré des mauvais résultats 2010 et 2011 et de la mauvaise gestion n'est en conséquence pas établi.
S'agissant du second grief, si le mail de madame [E] du 18 avril 2012 à madame [Q] met en évidence des failles dans la facturation de la sous-traitance, de même que l'attestation de monsieur [I], force est de constater que la salariée avait pourtant demandé à ses services de suivre les procédures en vigueur (mail du 28 février 2011) et qu'elle a signalé elle-même une difficulté en ce sens au directeur financier le 15 février 2011 qu'elle a corrigée par la suite (mail du 4 mars 2011).
Ce grief n'est en conséquence pas suffisamment caractérisé.
S'agissant du 3ème grief, si une note de monsieur [F] préconise un rapprochement des prestations de BETOM et CAP TERRE en maîtrise d'oeuvre et si le CODIR du 8 juin 2010 souligne qu'il a du mal à se mettre en oeuvre, aucun élément ne permet d'en imputer la responsabilité à madame [Q].
Quant au recrutement de monsieur [P], à supposer qu'il ait été initié par madame [Q], force est de constater que monsieur [F] l'a entériné puisqu'il a rencontré cette personne à deux reprises dans le cadre de son recrutement et qu'il a signé sa lettre d'engagement.
Ce grief n'est en conséquence pas davantage établi.
La Cour observe enfin qu'il paraît pour le moins contradictoire qu'après avoir constaté les 'mauvaises' performances de madame [Q] tout au long des années 2010 et 2011, monsieur [F] lui ait proposé, un mois seulement avant l'engagement de son licenciement, une promotion en qualité de Directeur Général adjoint commerce et développement, rôle présenté comme constituant le numéro 2 du Groupe BETOM, ce qui n'est pas contesté, étant observé au surplus que madame [Q] produit de nombreuses attestations témoignant de ses compétences et de son implication dans l'entreprise et d'autres témoignages évoquant les divers revirements et manipulations de monsieur [F].
Il s'ensuit que les griefs invoqués à l'encontre de madame [Q] n'étant pas établis, son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
Madame [Q] peut dès lors prétendre à l'indemnité prévue à l'article L.1235-3 du code du travail.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à madame [Q], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, sachant qu'elle justifie n'avoir retrouvé un emploi à temps plein qu'en 2015, il y a lieu de lui allouer la somme de 120 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur les demandes accessoires :
Partie succombante, la SAS CAP TERRE sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamnée à payer la somme de 3 000 euros à madame [Q] sur le même fondement ainsi qu'aux dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement déféré ;
STATUANT à nouveau,
DIT que le licenciement de madame [J] [Q] est dénué de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SAS CAP TERRE à lui payer la somme de 120 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif ;
Y AJOUTANT,
DEBOUTE la SAS CAP TERRE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LA CONDAMNE à payer à madame [Q] la somme de 3 000 euros sur le même fondement ;
LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, et signé par Mme COLIN, président, et Mme BEUREL, greffier.
Le GREFFIER Le PRESIDENT