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14/04/2016 | FRANCE | N°13/06176

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14 avril 2016, 13/06176


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES




Code nac : 61B


3e chambre


ARRET No


CONTRADICTOIRE


DU 14 AVRIL 2016


R. G. No 15/ 08232






AFFAIRE :




SAS LES LABORATOIRES SERVIER


C/


Esther X...

...






Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Octobre 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No chambre : 02
No RG : 13/ 06176






Expéditions exécutoires
Expéditions
Co

pies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES
REPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LE QUATORZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 61B

3e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 14 AVRIL 2016

R. G. No 15/ 08232

AFFAIRE :

SAS LES LABORATOIRES SERVIER

C/

Esther X...

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Octobre 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No chambre : 02
No RG : 13/ 06176

Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Christophe DEBRAY
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Jean-michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE QUATORZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS LES LABORATOIRES SERVIER
RCS 085 480 796
50 rue Carnot
92284 SURESNES CEDEX
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627- No du dossier 15481
Représentant : Me Nathalie CARRERE du Cabinet PONS & CARRERE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

1/ Madame Esther X...

née le 13 Mai 1948 à BARCELONE (ESPAGNE)
de nationalité Française

...

81210 LACROUZETTE

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643- No du dossier 20150123
Représentant : Me VERDIER, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS

INTIMEE

2/ CPAM DU TARN
5 Place Lapérouse
81016 ALBI CEDEX 9
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Jean-Michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0087- No du dossier 320481

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Mars 2016, Madame Véronique BOISSELET, Président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET

Mme Esther X... a, dans le cadre du traitement d'une trygliceridémie, absorbé du médiator sur prescription de son médecin généraliste.

A réception en décembre 2010 d'un courrier de l'AFSSAPS, elle a fait procéder à une échographie qui a révélé une double valvulopathie.

Après expertise judiciaire achevée le 28 juin 2012, elle a, par actes du 14 mai 2013, assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société les Laboratoires Servier et la CPAM du Tarn en réparation du préjudice subi.

Mme X... a parallèlement, le 20 août 2014, saisi l'ONIAM d'une demande d'indemnisation. Aucune des parties ne s'explique sur l'issue de cette procédure.

Par jugement du 22 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- dit que la responsabilité des Laboratoires Servier était engagée à l'égard de Mme X... du fait de la défectuosité du Médiator pendant la période d'administration de ce médicament,

- condamné les Laboratoires Servier à lui payer, en réparation de ses préjudices corporels, provisions non déduites, les sommes de :

• souffrances endurées3 000, 00 euros
• déficit fonctionnel temporaire1 350, 00 euros
• déficit fonctionnel permanent5 400, 00 euros,

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement, avec anatocisme,

- débouté Mme X... du surplus de ses demandes indemnitaires,

- condamné les Laboratoires Servier à payer à la CPAM du Tarn la somme de 473, 48 euros au titre des frais futurs, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2014, avec anatocisme,

- condamné les Laboratoires Servier à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de 10 000 euros à Mme X... et 1 000 euros à la CPAM du Tarn, ainsi qu'aux dépens.

Les Laboratoires Servier en ont relevé appel le 27 novembre 2015, et prient la cour, par dernières écritures du 25 février 2016, de :

- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des procédures pénales et de la procédure administrative en cours,

subsidiairement, au fond,

- débouter Mme X... de toute ses demandes, et la condamner aux dépens, en ce compris les frais d'expertise,
plus subsidiairement,

- juger que le dommage n'est imputable au médicament que dans la limite de 30 %,

- faire application de ce pourcentage aux sommes allouées à Mme X... en réparation de ses préjudices,

plus subsidiairement encore,

- confirmer le jugement sur le montant des indemnisations,

- débouter Mme X... de ses demandes plus amples ou contraires,

en tout état de cause,

- débouter la CPAM du Tarn de ses demandes, faute pour elle de justifier du montant de sa créance,

- fixer à une somme n'excédant pas 3 000 euros le montant de l'indemnité due à Mme X... en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Par dernières écritures du 2 mars 2016, Mme X... demande à la cour de :

- confirmer le jugement sur la responsabilité de la société Les Laboratoires Servier à son égard du fait de la défectuosité du médiator ® pendant la période d'administration du médicament,

- ordonner une nouvelle expertise aux frais des Laboratoires Servier confiée à un expert en cardiologie,

- condamner les Laboratoires Servier au paiement d'une provision de 50 000 euros,

à titre subsidiaire,

- condamner les Laboratoires Servier à réparer l'entier préjudice de Mme X... :

- fixer la date de consolidation du dommage au 26 janvier 2012,

- fixer comme suit les postes de préjudice :

• déficit fonctionnel temporaire 1 650, 00 euros

• souffrances endurées 8 000, 00 euros

• déficit fonctionnel permanent aggravé comprenant l'angoisse
de développer une maladie évolutive 50 000, 00 euros

-condamner les Laboratoires Servier à verser à Mme X... la somme de 8 000 euros pour les frais irrépétibles d'appel,

- débouter les Laboratoires Servier de toutes leurs demandes, et notamment leur demande de sursis à statuer,

- condamner les Laboratoires Servier aux dépens qui comprendront notamment les frais de consignation d'expertise avec droit de recouvrement direct.

Par dernières écritures du 1er février 2016, la CPAM du Tarn demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions la concernant, à l'exception des chefs de demandes qui suivent :

- constater que les Laboratoires Servier sont également redevables de la somme de 157, 83 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'alinéa 9 de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et la condamner à la lui payer, ainsi que celle de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les Laboratoires Servier au paiement des dépens avec recouvrement direct.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 mars 2016.

SUR QUOI, LA COUR

La demande de rejet des dernières écritures des Laboratoires Servier, datées du 25 février 2016, formulée par Mme X..., est devenue sans objet, la clôture initialement prononcée le 18 février 2016 ayant été révoquée.

Le tribunal a, pour rejeter la demande de sursis à statuer, retenu pour l'essentiel que l'action engagée devant lui ne tendait pas à la réparation du préjudice causé par les infractions soumises à la juridiction pénale, en sorte que le sursis à statuer ne s'imposait pas, et que, d'autre part, les éléments produits par les parties étaient suffisants pour lui permettre de trancher le litige, rappelant que les Laboratoires Servier n'ont jamais soutenu avoir été dans l'impossibilité de produire quelqu'élément que ce soit pour leur défense. Il a également constaté que la nécessité d'une nouvelle expertise n'était pas démontrée compte tenu de la présence aux débats du rapport d'expertise du collège d'experts benfluorex du 17 février 2015.

Sur le principe de la responsabilité, il a relevé que la concordance entre les travaux de l'expert judiciaire et ceux du collège d'experts benfluorex, ainsi que l'absence de toute autre cause possible à cette pathologie constituaient des présomptions précises graves et concordantes de l'existence d'un lien direct et certain entre l'administration de Médiator pendant plusieurs années et la valvulopathie aortique observée.

Sur le caractère défectueux du Médiator, le tribunal a relevé qu'entre 2006 et 2009, période pendant laquelle il a été administré à Mme X..., ses effets cardio-toxiques liés à la présence de norfenfluramine étaient avérés et que ce médicament n'offrait pas la sécurité à laquelle Mme X... pouvait légitimement s'attendre compte tenu notamment de l'absence d'information sur la notice d'utilisation quant au risque d'HTAP et de valvulopathie.

Le tribunal a enfin écarté tout risque de développement au motif que pendant la période de traitement par Médiator de Mme X..., l'état des connaissances scientifiques ne permettait pas d'ignorer les risques d'HTAP et de valvulopathies, leur seule suspicion obligeant au contraire les Laboratoires Servier à en informer les patients et les professionnels de santé.

Les Laboratoires Servier rappellent, au soutien de leur demande de sursis à statuer, que Mme X... est partie civile dans le cadre de l'instance suivie devant le tribunal correctionnel de Nanterre, ayant donné lieu à un jugement du 31 mai 2013 ordonnant un supplément d'information confié aux juges d'instruction du pôle santé publique saisis d'une instance similaire, et qu'il existe ainsi un risque manifeste de contradiction entre les décisions respectivement rendues par les juridictions pénale et civile, alors surtout qu'ils ne peuvent produire les pièces du dossier pénal qu'ils énumèrent et considèrent indispensables à leur défense. Ils ajoutent que l'appréciation de leur responsabilité est indissociable de celle de l'agence française du médicament, personne publique dont la responsabilité échappe à la compétence de la juridiction civile. Enfin, ils exposent que le tribunal administratif de Paris a, par jugement du 7 août 2014, déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables éventuelles pour Mme X... de l'administration de Mediator à partir du 7 juillet 1999 et ordonné une expertise, jugement dont il a été formé appel.

Au fond, les Laboratoires Servier exposent que l'imputabilité de la pathologie de Mme X... au Médiator n'est pas établie faute d'éléments sur son état de santé antérieur à la prise de Médiator et en l'absence des caractéristiques habituelles constatées dans les pathologies d'origine médicamenteuses en ce qui concerne la restriction des mouvements valvulaires et le grade supérieur à 1/ 4 de la fuite valvulaire. Ils contestent toute valeur aux travaux du collège d'experts désigné par l'ONIAM, à raison de leur caractère non contradictoire. Enfin, ils soulignent que, chez Mme X..., le rôle causal d'autres facteurs tels que son âge, une hypertension artérielle ancienne, une hypertrophie ventriculaire gauche notable et une dyslipidémie, ne sont pas écartés.

Ils font enfin valoir en dernier lieu que jusqu'à la fin de l'année 2009 les autorités de santé ont considéré que les connaissances scientifiques ne permettaient pas de considérer que le rapport bénéfice risque était défavorable, en sorte qu'ils sont bien fondés à se prévaloir de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11 4o du code civil relatif au risque de développement.

Mme X..., qui ne conteste pas être partie civile dans le cadre de l'instance pénale suivie devant le tribunal correctionnel de Nanterre, fait valoir, sur la demande de sursis à statuer, que son action devant la juridiction civile ne constitue pas une demande tendant à la réparation du préjudice causé par une infraction au sens de l'article 4 du code de procédure pénale. Elle rappelle, au fond, que la toxicité des fenfluramines était connue depuis 1995, notamment depuis une étude épidémiologique internationale dite IPPHS, qui a conduit en 1997 au retrait du marché d'autres produits des Laboratoires Servier, l'Isoméride et le Pondéral, et qui aurait justifié de sa part dès cette époque l'arrêt de la commercialisation du Médiator. Elle relève en outre que la mise sous surveillance du Médiator a été effectuée dès 1999 par l'AFSSAPS, qui a invité les Laboratoires Servier à réaliser une étude au long cours sur les métabolites composant le benfluorex, ce que les Laboratoires Servier n'ont fait que dix ans plus tard. Elle rappelle à ce sujet que le laxisme dont a fait preuve l'autorité sanitaire a été jugé fautif par le tribunal administratif de Paris par jugement du 7 août 2014, confirmé par la cour administrative d'appel le 31 juillet 2015.

En ce qui concerne l'imputabilité du dommage au Médiator, elle rappelle que les données scientifiques actuelles, telles que rappelées par le rapport du collège d'experts Benfluorexde mars 2015, confirment les conclusions de l'expert judiciaire, selon lesquelles elle est plausible, et observe que la régression des fuites valvulaires observé par le docteur A... est également en faveur d'une origine médicamenteuse.

Elle fonde sa demande d'une nouvelle expertise sur les conclusions du docteur A..., selon lesquelles son état ne peut être considéré comme consolidé, le risque évolutif étant mal connu.

SUR QUOI, LA COUR

La présente demande est fondée sur les articles 1386-1 et suivants du code civil relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.

Ainsi que justement rappelé par le tribunal, Mme X... doit prouver le caractère défectueux du médiator au moment où elle a été traitée par ce médicament, l'imputabilité au défaut présenté par le Médiator du dommage allégué, ainsi que la nature et l'étendue des préjudices ainsi causés. Le Laboratoire Servier peut s'exonérer de sa responsabilité en établissant qu'au moment du traitement les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de suspecter le défaut du produit.

- Sur la demande de sursis à statuer :

Les laboratoires Servier sont visés par deux procédures pénales, l'une devant le tribunal de Nanterre sur citation directe, dans le cadre de laquelle Mme X... est partie civile, et l'autre sur information ouverte par le ministère public, dans le cadre de laquelle ils ont été mis en examen.

Ces procédures visent les délits de tromperie, homicides et blessures involontaires.

L'article 4 du code de procédure pénale dispose que :

L'action civile en réparation du dommage causé par une infraction peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique. Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

Sur un plan strictement formel, les demandes de Mme X... sont fondées sur les articles 1386-1 et suivants du code civil, et n'ont pas pour objet de réparer les préjudices nés des infractions objet des poursuites, y compris dans celles dans lesquelles elle s'est constituée partie civile. Sur le plan matériel, une condamnation pour blessures involontaires exige la preuve d'une faute, alors que les dispositions précitées instaurent précisément une responsabilité purement objective, dont la mise en oeuvre n'exige pas une telle preuve.

Le sursis à statuer ne peut donc être prononcé en application de l'alinéa 1er de l'article 4 du code de procédure pénale.

En ce qui concerne la seule opportunité d'un sursis à statuer, il doit être observé que, si les données scientifiques débattues, à savoir l'imputabilité au Médiator de certaines pathologies cardiaques, sont identiques dans le cadre des instances civiles et pénales, le débat pénal, est sans commune mesure, tant par son ampleur que son objet, avec la réparation d'un préjudice causé à une victime particulière. Ainsi, dans le cas où la présente juridiction surseoirait à statuer sur les demandes de Mme X... dans l'attente de l'issue des procédures pénales en cours, cette dernière serait exposée, sans véritable nécessité au regard des données de fait et scientifiques d'ores et déjà acquises, et des éléments médicaux recueillis la concernant en particulier, à des délais insupportables assimilables à un véritable déni de justice.

Enfin, en ce qui concerne l'impossibilité avancée par le Laboratoire Servier de communiquer en vue de sa défense certaines pièces du dossier pénal longuement énumérées dans ses écritures, il n'est pas précisé en quoi ces pièces seraient pertinentes dans le cadre du débat particulier intéressant Mme X..., et certaines sont des documents publics collectés au cours de l'enquête et que Servier pouvait parfaitement produire. En outre le débat sur les effets néfastes du Médiator apparaît largement dépassé, au regard tant de la loi du 29 juillet 2011 instaurant un mécanisme de réparation amiable et une substitution par l'ONIAM, que de l'attitude publique des Laboratoires Servier, qui ont fait part de leur volonté d'indemniser toutes les victimes.

Le jugement sera donc confirmé sur le rejet de la demande de sursis à statuer.

- Sur le caractère défectueux du Médiator :

Le Médiator, ayant pour indication initiale le traitement des hypertriglycéridémie et diabète de type2, mais étant de fait également prescrit dans un but d'amaigrissement, a été commercialisé par la société Les laboratoires Servier en France à partir de 1976, après autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1974. Ce médicament a fait l'objet d'une décision de suspension d'AMM en novembre 2009, puis de retrait en juin 2010, en raison de sa toxicité cardio-vasculaire, caractérisée par un risque d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies, et de son efficacité modeste dans la prise en charge du diabète de type 2. L'AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) a invité en décembre 2010 tous les patients traités par Médiator, recensés par les données des CPAM, à consulter, en raison notamment d'un risque de mauvais fonctionnement des valves cardiaques.

Le principe actif du Médiator est le Benfluorex, lequel a pour métabolite la Norfenfluramine, laquelle stimule certains récepteurs de sérotonine, ce qui induit une prolifération de fibroblastes et de collagène, et provoque ainsi des remaniements valvulaires dominés par des aspects de fibrose, avec épaississement et rigidité valvulaire, responsables de régurgitations de type restrictif. Cette donnée scientifique n'est pas remise en cause par le Laboratoire Servier, non plus que le fait que la norfenfluramine crée un risque de valvulopathie. Plusieurs études récentes (E... notamment) ont confirmé le rôle du benfluorex dans la survenance de valvulopathies inexpliquées.

Il est constant que ce risque n'a jamais été mentionné dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) publié par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex-AFSSAPS), et reproduit au dictionnaire Vidal jusqu'au retrait de l'AMM.

Le législateur a créé un mécanisme d'indemnisation amiable des personnes traitées par Benfluorex, et les Laboratoires Servier, dans des déclarations publiques, se sont engagés, par la voix d'un de leurs avocats, à indemniser toutes les victimes.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le Médiator est un produit défectueux, comme n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, en ce que, d'une part les risques afférents à son utilisation dépassent son intérêt thérapeutique, et, d'autre part, ces mêmes risques n'ont été portés à la connaissance ni des médecins ni des patients.

- Sur l'exonération de responsabilité au titre du risque de développement :

L'article 1386-11 du code civil dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler ce défaut.

La connaissance personnelle qu'ont pu avoir, ou non, les Laboratoires Servier du défaut lors de la mise en circulation du médicament administré à Mme X... est donc indifférente. Il doit seulement être recherché si les données scientifiques disponibles entre 2004 et 2009, période d'exposition de Mme X..., permettaient aux Laboratoires de déceler le défaut.

Sur ce point les Laboratoires Servier font valoir que ce n'est que l'addition de tous les éléments recueillis entre 1995 et 2009, qui a permis d'identifier le risque, qui demeurait encore sujet à controverse après 2009.

Il doit cependant être relevé que :

Les laboratoires Servier savaient, au moins depuis 1993, que le benfluorex se métabolise en norfenfluramine (étude Gordon 1993).

L'usage du benfluorex dans les préparations magistrales a été interdit en France dès 1995, en tant qu'anorexigène.

Deux autres médicaments également produits par les Laboratoires Servier, et contenant ce même métabolite, l'isoméride et le pondéral, médicaments anorexigènes, ont été retirés du marché français en 1997 à la suite de la démonstration, en 1995 (rapport IGAS), d'une augmentation du risque d'hypertension artérielle (HTAP). Aux Etats-Unis cependant, ce retrait a fait suite à la démonstration plus tardive d'une augmentation du risque de valvulopathie, non rapporté auparavant.

La présence du métabolite commun avec le benfluorex (la norfenfluramine) ne permettait ainsi pas d'exclure, même à l'époque, que cette molécule, malgré les différences de classe thérapeutique et de mécanisme d'action principal, pût être à l'origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles détectées pour les anorexigènes en 1997, et ce même si les mécanismes pharmacologiques susceptibles d'induire de tels effets indésirables n'ont été élucidés que dans le courant des années 2000. (synthèse établie par le docteur B..., produite par le laboratoire lui-même).

En 1998, le retrait du médicament commercialisé en Suisse sous le nom de mediaxal, décidé à l'initiative des Laboratoires Servier, est intervenu peu après que l'autorité de contrôle du médicament dans ce pays a mis l'accent sur le fait que le principe actif de cette molécule était incriminé dans les hypertensions artérielles et le développement des valvulopathies induites par les anorexigènes.

Dès 2000, une étude dite Rothman a mis en évidence le rôle de récepteurs de sérotonine activés par la norfenfluramine dans la constitution de lésions conduisant à une valvulopathie.

Cette suspicion a conduit à la mise sous surveillance du Médiator dans d'autres pays européens et, à la suite d'alertes en Espagne et en Italie en 2003 pour sa possible implication dans le développement de valvulopathies cardiaques, les Laboratoires Servier ont retiré du marché dans ces pays le benfluorex, commercialisé en Espagne sous le nom de Modulator.
Le fait, mis en avant par les Laboratoires Servier, que le benfluorex ait des propriétés pharmacologiques différentes de celles de l'Isoméride et du Pondéral et soit dépourvu d'effet anorexigène significatif n'est donc pas pertinent, puisque, selon plusieurs études et notamment une étude italienne réalisée dès octobre 1999 à la demande de l'Agence européenne du médicament, trois comprimés de Médiator conduisent à produire autant de norfenfluramine que deux comprimés d'Isoméride (posologies quotidiennes pour ces deux médicaments). Cette étude souligne la similitude entre l'Isoméride et le benfluorex et formule l'hypothèse que les patients traités au benfluorex sont exposés à un niveau potentiellement toxique de norfenfluramine.

De fait, un mésusage du Médiator, consistant à exploiter ses propriétés anorexigènes, a été signalé à la commission de pharmacovigilance à plusieurs reprises à partir de 1998, ce qui confirme encore, s'il en était besoin, l'extrême similitude des propriétés du Médiator avec d'autres médicaments jugés dangereux dès 1997.

Il est donc établi qu'au plus tard en 1997 existaient des données scientifiques concordantes sur les effets nocifs du médiator qui auraient dû conduire les Laboratoires Servier à des investigations sur la réalité du risque signalé, et, à tout le moins, à en informer les médecins et les patients, ce qui n'a pas été le cas en France, alors que les Laboratoires Servier ont préféré retirer le benfluorex dans des pays où les mêmes suspicions ont été exprimées.

Il est vrai, ainsi que le rappellent justement les Laboratoires Servier, que les comptes-rendus de réunions de la commission nationale de pharmacovigilance dépendant de l'AFSSAPS montrent que, bien qu'alertée depuis 1999 par des experts italiens et plusieurs cas d'HTAP, puis un de valvulopathie, cette autorité s'est bornée à lui demander des investigations, à partir desquelles elle a, d'une part, décidé de ne pas modifier le RCP du médiator et s'est, d'autre part, abstenue de toute mesure plus énergique.

Les Laboratoires Servier ne peuvent cependant s'exonérer de leur responsabilité pour ce motif.

La cour administrative d'appel de Paris a, par plusieurs arrêts rendus le 31 juillet 2015, retenu de ce chef la responsabilité de l'Etat, aux motifs notamment qu'à la fin de l'année 1998, et en tout cas en juillet 1999, les autorités sanitaires disposaient de nouveaux éléments d'information dont il y avait lieu de tenir compte, qui sont, pour l'essentiel, ceux qui viennent d'être cités, et qui auraient dû déterminer une intervention de l'AFSSAPS, puisqu'à cette date, en effet, le déséquilibre entre les risques, majeurs, tenant à l'utilisation du Médiator et l'intérêt que celle-ci pouvait présenter pour la santé publique était suffisamment manifeste pour que l'abstention de prendre les mesures adaptées, qui ne pouvaient être que la suspension ou le retrait de l'autorisation de mise sur le marché du médiator, auxquels il n'a été finalement procédé respectivement qu'en 2009 et 2010, doive être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Néanmoins, la faute ainsi reconnue d'une autorité publique dans l'exercice d'une mission de santé publique ne saurait avoir pour effet d'exclure ou diminuer la responsabilité première des Laboratoires Servier soumis à ce contrôle en leur qualité de producteur de médicaments, et leur obligation de réparer les préjudices ainsi causés. Il doit par ailleurs être observé, ainsi que le retient la cour administrative d'appel de Paris, que l'indemnisation des victimes par l'Etat dans le cadre de la mise en oeuvre de sa responsabilité aurait pour effet de le subroger dans leurs droits à l'égard des Laboratoires Servier, qui n'en seraient pas moins tenus de réparer intégralement les conséquences des défauts de leur produit.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce que l'exonération au titre du risque de développement n'a pas été retenue au profit des Laboratoires Servier.

- Sur l'imputabilité du dommage au Médiator :

Il résulte de l'expertise du docteur C... que :

Mme X..., née le 13 mai 1948, a été traitée par Médiator entre le 9 février 2006 et le 17 octobre 2009, soit pendant trois ans. Elle a cependant déclaré en avoir pris depuis 2004.

Son dossier médical n'a pas été communiqué.

Des examens cardiologiques préopératoires effectués en 1967 et 1970 n'ont pas retrouvé d'anomalies.

Un examen cardiologique pratiqué après réception du courrier de l'AFSSAPS le 26 janvier 2011 par le docteur D... a mis en évidence une fuite mitrale de grade 1/ 4 et une fuite aortique très discrète également quantifiée 1/ 4. Cette valvulopathie n'a pas paru spécifique de quoi que ce soit à ce médecin, qui conclut qu'il lui est impossible de dire si elle est en rapport avec le Médiator ou pas. Un second examen, du même cardiologue, a eu les mêmes résultats.

A été constatée le jour de l'expertise une insuffisance aortique minime, de grade évalué à 0, 5/ 4, sans retentissement ventriculaire, ainsi qu'une insuffisance mitrale très minime. L'épaississement diffus des sigmoïdes, l'aspect central de la fuite (aortique) sont, pour l'expert, des arguments rendant plausible l'effet du Médiator dans l'apparition de la minime insuffisance aortique observée, en sus de l'effet de l'hypertension artérielle et de l'hypertrophie ventriculaire. Le lien de causalité avec la prise de Médiator lui semble plausible.

Cette prise de Médiator a été adjointe à une hypertension artérielle et à une hypertrophie ventriculaire gauche importante, facteurs de sclérose valvulaire avec l'âge. Il n'y avait pas d'état antérieur connu.

Cette prise de Médiator a été au moins, aux yeux de l'expert, génératrice d'une aggravation de risque.

Les données actuelles de la science laissent penser qu'après deux ans d'arrêt du produit, le risque de complication valvulaire devient très faible, étant cependant observé que le risque évolutif est mal connu.

Dans ses explications, le docteur C... a précisé que, l'atteinte valvulaire de Mme X... étant indétectable à l'examen clinique, elle pouvait très bien préeexister sans avoir été dépistée. Au jour de l'expertise (21 janvier 2012), les fuites constatées étaient moins importantes que lors des précédents examens de 2011. Sur dires des parties, et dans un additif au rapport daté du 28 juin 2012, le docteur C... a maintenu son appréciation du caractère plausible de la causalité avec le médiator, mais a précisé qu'il ne retenait pas d'imputabilité directe et certaine.

Le collège d'expert désigné par l'ONIAM dans le cadre de l'instruction de la demande de Mme X..., a émis le 24 mars 2015 l'avis suivant, rendu contradictoirement à l'égard des Laboratoires Servier :

Les pathologies rapportées sont les suivantes :

- une cardiomyopathie hypertensive et hypertrophique,
- une insuffisance mitrale grade 1/ 4,
- une insuffisance mitrale aortique grade 1/ 4.

La cardiomyopathie hypertensive et hypertrophique présentée par Mme X... ne correspond pas à une forme d'atteinte cardiaque décrite par la littérature scientifique comme étant liée à une origine toxique ou médicamenteuse en général et à la prise de benfluorex en particulier.

Le collège considère également, au vu des pièces médicales produites, que l'insuffisance valvulaire mitrale décrite, qui apparaît dans un contexte de cardiopathie hypertensive et hypertrophique, et qui n'est accompagnée d'aucune anomalie morphologique évocatrice d'une atteinte médicamenteuse, ne présente pas les caractéristiques admises par la littérature scientifique comme déterminant une origine toxique ou médicamenteuse en général et à la prise de benfluorex en particulier.

En revanche, s'agissant de l'insuffisance aortique, le collège d'experts considère que, compte tenu de la chronologie d'apparition de l'atteinte par rapport à la prise de benfluorex et de la description échographique de la valve aortique, qui met en évidence " un épaississement discret ", et en l'absence d'autres causes possibles, seule l'origine médicamenteuse peut être retenue pour expliquer cette atteinte.

La cour ne peut qu'observer la convergence entre les appréciations du docteur C..., qui conclut à une causalité plausible (sur l'échelle de l'AFSSAPS, allant de paraissant exclue, douteuse, plausible, vraisemblable, très vraisemblable) et du collège d'experts, en faveur d'une imputabilité de l'insuffisance aortique à la prise de Médiator, fondée sur la chronologie de la découverte de cette pathologie par rapport à l'ingestion prouvée de Médiator, et l'aspect échographique de la valve aortique. Il doit d'ailleurs être rappelé que les deux expertises ont été réalisées à près de trois ans d'intervalle, la seconde l'étant alors que les connaissances sur les effets nocifs du médiator avaient progressé, à tel point que le réexamen de certaines demandes écartées initialement a été ordonné par le législateur. Elle relève également qu'aucune hypothèse faisant appel à une cause étrangère n'a été formulée, et que, même si la pathologie présentée ne peut, selon le docteur C..., avoir de retentissement fonctionnel, aucun élément ne permet de considérer qu'elle est antérieure au traitement par Médiator, alors pourtant que Mme X... était suivie pour hypertension artérielle depuis au moins 2006.

Le tribunal a donc justement retenu que cet ensemble d'éléments constituait des présomptions graves, précises et concordantes suffisantes pour constituer la preuve d'un lien de causalité entre l'exposition de Mme X... au Médiator et l'insuffisance aortique qu'elle présente.

- Sur les préjudices subis :

Sur la demande de nouvelle expertise :

Mme X... ne conforte sa demande de nouvelle expertise par aucune donnée médicale récente, étant observé que les attestations fournies pas ses proches, sans parler des siennes qui n'ont aucune valeur probante, et qui relatent un essoufflement et la gêne ainsi causée dans les actes de la vie courante ne suffisent pas à établir une évolution de l'état de santé de Mme X... depuis l'examen pratiqué par le docteur C... le 21 janvier 2012.

La cour dispose par ailleurs de conclusions actualisées sur le plan scientifique émises par le collège d'experts, auquel n'a non plus été soumis aucun examen médical récent.

La demande de nouvelle expertise ne se justifie donc pas.

- Sur la liquidation des préjudices :

Aucune mesure d'instruction n'étant ordonnée, il n'y a pas lieu à provision et les préjudices seront liquidés à la date de consolidation retenue par le collège benfluorex, c'est à dire au 26 janvier 2012, date à laquelle l'état cardiaque de Mme X... est considéré comme stabilisé, étant précisé qu'il lui appartiendra, le cas échéant, de formuler une nouvelle demande en cas d'aggravation.

Il n'y a pas lieu d'appliquer le moindre coefficient de minoration, comme le demandent les Laboratoires Servier, puisque les préjudices examinés et réparés sont ceux causés par la seule exposition au Médiator.

Souffrances endurées, déficit fonctionnel temporaire :

La cour adopte les motifs pertinents ayant conduit le tribunal à fixer ces postes à 3 000 euros et 1 350 euros, qui seront donc confirmés.

Déficit fonctionnel permanent :

Il est ici constitué d'une part par la contribution de l'insuffisance aortique à l'essoufflement déploré par Mme X..., et d'autre part par l'anxiété d'une éventuelle aggravation, en raison de l'incertitude subsistante sur l'évolution future des lésions causées par le médiator, et par la nécessité de se soumettre à des examens cardiaques réguliers.

Au regard de l'âge de Mme X... lors de la consolidation, soit 63 ans, et du taux justement retenu de 3 %, le point d'indice doit être fixé à 1 100 euros, et ce poste de préjudice sera fixé à 3 300 euros.

- Sur les demandes de la CPAM :

Le jugement sera confirmé en ce que sa créance au titre des frais de santé futurs a été fixée à 473, 48 euros, avec intérêts à compter du 17 mars 2014 et anatocisme, la cour y ajoutant la somme de 157, 83 euros au titre de l'indemnité forfaitaire réglementaire.

- Sur les autres demandes :

Le jugement sera confirmé sur la charge des dépens de première instance ainsi que sur les indemnités de procédure allouées, lesquelles seront cependant jugées suffisantes pour couvrir également les frais de procédure exposés devant la cour par Mme X... et la CPAM du Tarn.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la réparation du déficit fonctionnel permanent de Mme X...,

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme Esther X..., en deniers ou quittances, la somme de 3 300 euros à ce titre,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Les Laboratoires Servier aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 13/06176
Date de la décision : 14/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-04-14;13.06176 ?
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