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14/04/2016 | FRANCE | N°14/00001

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14 avril 2016, 14/00001


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES




Code nac : 61B


3e chambre


ARRET No


REPUTE CONTRADICTOIRE


DU 14 AVRIL 2016


R. G. No 15/ 01593






AFFAIRE :




Catherine X...



C/


SAS LES LABORATOIRES SERVIER
...






Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 15 Janvier 2015 par le Juge de la mise en état du tribunal de grande instance de NANTERRE
No chambre : 2
No RG : 14/ 00001








Ex

péditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYSREPUBLIQUE FRANCAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LE QUATORZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,
...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 61B

3e chambre

ARRET No

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 14 AVRIL 2016

R. G. No 15/ 01593

AFFAIRE :

Catherine X...

C/

SAS LES LABORATOIRES SERVIER
...

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 15 Janvier 2015 par le Juge de la mise en état du tribunal de grande instance de NANTERRE
No chambre : 2
No RG : 14/ 00001

Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYSREPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE QUATORZE AVRIL DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame Catherine X...

née le 30 Juin 1962 à MAUBEUGE (59)
de nationalité Française

...

45490 CORBEILLES

Représentant : Me Philippe CHATEAUNEUF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 643- No du dossier 2015021
Représentant : Me Martine VERDIER de la société VERDIER & Associés, Plaidant, avocat au barreau d'ORLEANS

APPELANTE AU PRINCIPAL-INTIMEE INCIDEMMENT

****************

1/ SAS LES LABORATOIRES SERVIER
No SIRET : 085 480 796
50 Rue Carnot
92284 SURESNES CEDEX
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 No du dossier 002199
Représentant : Me Jacques-Antoine ROBERT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE AU PRINCIPAL-APPELANTE INCIDEMMENT

2/ MUTUELLE NATIONALE DES HOSPITALIERS
331 avenue d'Antibes
45200 AMILLY
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Mars 2016, Madame Véronique BOISSELET, Président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERETMme Catherine X..., traitée par Médiator entre juin 2004 et novembre 2009 et se plaignant de lésions cardiaques, a, après expertise judiciaire achevée le 3 juin 2013, assigné le 2 décembre 2013 la société les Laboratoires Servier et l'association Mutuelle Nationale des Hospitaliers devant le tribunal de grande instance de Nanterre en réparation des préjudices subis.

Par ordonnance du 15 janvier 2015, le juge de la mise en état a :

- rejeté la demande de sursis à statuer formée par les Laboratoires Servier,

- déclaré irrecevable la demande de contre-expertise également formée par ces derniers,

- ordonné une nouvelle expertise aux fins de recueillir les éléments permettant d'évaluer le préjudice corporel de Mme X...confiée au docteur Y...,

- rejeté la demande de provision sur dommages formée par Mme X...,

- condamné les Laboratoires Servier à payer à Mme X...les sommes de 2 000 euros pour frais de procès et 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et réservé les dépens.

Mme X...en a relevé appel le 27 février 2015 et les Laboratoires Servier ont formé appel incident.

Par dernières écritures du 16 septembre 2015, Mme X...demande à la cour de :

- condamner les Laboratoires Servier au paiement d'une provision sur dommage d'un montant de 20000 euros,

- débouter les Laboratoires Servier de toutes leurs demandes contraires et notamment de leur demande de constitution de garantie,

- juger les Laboratoires Servier irrecevables en leur appel incident sur la provision ad litem et à défaut, la dire mal fondée,

- condamner les Laboratoires Servier à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de Procédure Civile et aux dépens.

Par dernières écritures du 17 juillet 2015, les Laboratoires Servier demandent à la cour de :

- juger que les demandes de provisions de Mme X...se heurtent à l'existence d'une contestation sérieuse,

- la débouter en conséquence de sa demande de provision sur dommage et infirmer la décision de première instance en ce qu'elle lui a octroyé une provision ad litem,

à titre subsidiaire,

- dire que le versement de toute provision sera subordonné à une garantie bancaire d'un montant égal à celui de la provision ordonnée dans l'attente d'une décision au fond,

- rejeter la demande de Mme X...fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux dépens.

La mutuelle des Hospitaliers n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 février 2016.

SUR QUOI :

Le rejet des demandes de sursis à statuer et de contre expertise n'est pas contesté par les Laboratoires Servier, non plus que la nouvelle expertise ordonnée aux fins de déterminer le préjudice corporel subi. La cour n'est donc saisie que des demandes de provision.

Le juge de la mise en état a retenu, en ce qui concerne la demande de provision sur dommages que, le caractère défectueux du Mediator n'ayant pas encore été jugé, non plus que l'existence d'un défaut d'information sur ses effets indésirables, la demande de provision devait être rejetée en l'état du dossier. En revanche la disparité entre les moyens respectifs des parties justifiait une provision pour frais de procès.

Mme X...fait valoir que la défectuosité du médiator n'est pas sérieusement contestable et que l'imputabilité de la pathologie qu'elle présente a été considérée comme certaine et exclusive par l'expert.

Les Laboratoires Servier exposent que l'expert a ignoré plusieurs éléments du dossier médical de Mme X...et que l'imputabilité des lésions cardiaques évoquées est sérieusement contestable, l'expert n'ayant pas sérieusement discuté la cause dystrophique possible, en l'état de l'obésité morbide de Mme X..., et son état de santé antérieur à sa prise de Médiator demeurant inconnu. Ils ajoutent que les éventuels préjudices ne sont pas encore déterminés par la nouvelle expertise en cours. Ils font valoir que le caractère défectueux du Médiator est lui aussi sérieusement contestable, notamment en ce que les éléments ayant conduit au retrait de l'AMM n'ont été connus qu'en 2009, ce qui en tout état de cause caractérise un risque de développement exonératoire de responsabilité.

***

- Sur l'existence d'une contestation sérieuse sur le défaut du médiator et d'une cause d'exonération pour risque de développement :

Le Médiator, ayant pour indication initiale le traitement des hypertriglycéridémie et diabète de type2, mais étant de fait également prescrit dans un but d'amaigrissement, a été commercialisé par la société Les laboratoires Servier en France à partir de 1976, après autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1974. Ce médicament a fait l'objet d'une décision de suspension d'AMM en novembre 2009, puis de retrait en juin 2010, en raison de sa toxicité cardio-vasculaire, caractérisée par un risque d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies, et de son efficacité modeste dans la prise en charge du diabète de type 2. L'AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) a invité en décembre 2010 tous les patients traités par Médiator, recensés par les données des CPAM, à consulter, en raison notamment d'un risque de mauvais fonctionnement des valves cardiaques.

Le principe actif du Médiator est le Benfluorex, lequel a pour métabolite la Norfenfluramine, laquelle stimule certains récepteurs de sérotonine, ce qui induit une prolifération de fibroblastes et de collagène, et provoque ainsi des remaniements valvulaires dominés par des aspects de fibrose, avec épaississement et rigidité valvulaire, responsables de régurgitations de type restrictif. Cette donnée scientifique n'est pas remise en cause par le Laboratoire Servier, non plus que le fait que la norfenfluramine crée un risque de valvulopathie. Plusieurs études récentes (Tribouilloy notamment) ont confirmé le rôle du benfluorex dans la survenance de valvulopathies inexpliquées.

Il est constant que ce risque n'a jamais été mentionné dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) publié par l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM, ex-AFSSAPS), et reproduit au dictionnaire Vidal jusqu'au retrait de l'AMM.

Le législateur a créé un mécanisme d'indemnisation amiable des personnes traitées par Benfluorex, et les Laboratoires Servier, dans des déclarations publiques, se sont engagés, par la voix d'un de leurs avocats, à indemniser toutes les victimes.

En l'état, il n'existe plus aucune contestation sérieuse sur le défaut présenté par le médiator.

En ce qui concerne l'exonération de responsabilité au titre du risque de développement, il doit être relevé que la connaissance personnelle du défaut qu'avaient ou non les Laboratoires Servier est indifférente. En effet, la cour doit seulement apprécier à ce stade de l'instance, s'il peut être sérieusement soutenu que les données scientifiques disponibles au moment de l'exposition de Mme Z...ne permettaient pas aux Laboratoires Servier de déceler le défaut.

Les Laboratoires Servier savaient depuis 1993 que le benfluorex se métabolise en norfenfluramine, et l'expert rappelle qu'ils l'ont eux-mêmes écrit en 1999 (p. 45).

L'usage du benfluorex dans les préparations magistrales a été interdit en France dès 1995.

Deux autres médicaments également produits par les Laboratoires Servier, et contenant ce même métabolite, l'Isoméride et le Pondéral, médicaments anorexigènes, ont été retirés du marché français en 1997 à la suite de la démonstration d'une augmentation du risque d'hypertension artérielle (HTAP). Aux Etats-Unis cependant, ce retrait a fait suite à la démonstration plus tardive d'une augmentation du risque de valvulopathie, non rapporté auparavant.

Dès 2000, une étude dite Rothman a mis en évidence le rôle de récepteurs de sérotonine activés par la norfenfluramine dans la constitution de lésions conduisant à une valvulopathie.

Cette suspicion a conduit à la mise sous surveillance du Médiator et à son retrait du marché à l'initiative des Laboratoires Servier dans d'autres pays européens, en Suisse en 1998, en Espagne en 2003 et en Italie en 2005, en raison de l'implication possible de la norfenfluramine dans les valvulopathies cardiaques.

Ainsi n'est démontrée aucune contestation sérieuse de la part des Laboratoires Servier en ce qui concerne l'exonération de leur responsabilité au titre du risque de développement.

- Sur l'existence de dommages non sérieusement contestables :

L'existence de procédures en cours contre l'Etat n'est pas de nature à exonérer les Laboratoires Servier de leur responsabilité.

L'exposition au médiator de Mme X..., née le 30 juin 1962, entre octobre 2006 et octobre 2009 n'est pas contestée.

Elle a consulté en 2011 un cardiologue qui a conclu à l'existence d'une double valvulopathie mitro-aortique avec fuite aortique moyenne, fuite mitrale modérée, début de dilatation des cavités gauches. Le même praticien consulté un an plus tard rapporte que la valvulopathie aortique n'est pas évolutive, et que les feuillets mitraux ont un aspect translucide restrictif.

Elle souffre d'obésité qualifiée de morbide par l'expert.

Ce dernier conclut qu'alors qu'il est établi par le dossier de médecine du travail que Mme X..., infirmière, ne présentait pas de pathologie cardiaque jusqu'en 2006, la pathologie retrouvée, soit une fuite aortique centrale classée 2 fort sur 4, une épaisseur sigmoïdienne de 2, 32 mm, une grande valve itrale épaissie à 3, 5 mm avec fuite minime, et petite dilatation auriculaire, a un rapport de causalité certain avec la prise de médiator, causalité exclusive, initiale et déterminante. En l'état de ces conclusions formelles, force est de constater que les Laboratoires Servier n'apportent aucune contestation sérieusement argumentée sur le plan médical.

L'expert considère qu'il n'est pas possible de préciser en l'état l'évolutivité de l'état de Mme X..., et conclut à la nécessité d'un nouvel examen clinique dans un an, ce qui a précisément conduit le juge de la mise en état à ordonner une nouvelle expertise et à la confier à ce même expert.

Elle souffre de dyspnée d'effort de grade III, également en relation avec son syndrome métabolique. Elle ne travaille plus pour des raisons distinctes de la pathologie cardiaque qu'elle présente.

En l'état, le principe d'une dette de responsabilité des Laboratoires Servier est certain. Au regard des préjudices d'ores et déjà incontestables, tels qu'un taux d'incapacité et des souffrances endurées, une provision à valoir sur la réparation de son préjudice de 10 000 euros lui sera allouée. Les laboratoires Servier ne produisent aucun élément justifiant que le versement de cette provision soit soumis à une garantie bancaire.

En ce qui concerne la provision pour frais de procès, les Laboratoires Servier observent à juste titre qu'il existe une procédure gratuite spécialement créée par la loi pour permettre aux victimes du benfluorex de faire valoir leurs droits, et qu'il n'y a donc pas lieu à provision pour frais de procès. Mme X...sera donc déboutée de cette demande.

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en toutes ses dispositions relatives aux demandes de provisions.

L'équité commande d'allouer à Mme X...la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre tant de l'instance devant le juge de la mise en état que devant la cour.

Les Laboratoires Servier, qui succombent, supporteront les dépens d'appel.

Rien ne justifiant que les dépens soient réservés, les Laboratoires Servier supporteront également les dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, dans la limite de l'appel,

Infirme l'ordonnance déférée en ses dispositions intéressant les provisions, les dépens et l'indemnité de procédure,

Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme Catherine X...la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de ses préjudices liés à la prise de médiator,

Déboute la société les Laboratoires Servier de leur demande tendant à ce que le paiement de la provision accordée soit subordonnée à une garantie bancaire,

Rejette la demande de provision pour frais de procès,

Déclare le présent arrêt commun à la Mutuelle Nationale des Hospitaliers,

Condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme Catherine X...la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamne également aux dépens de première instance et d'appel, avec recouvrement direct.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 14/00001
Date de la décision : 14/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-04-14;14.00001 ?
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