COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 00A
14e chambre
ARRÊT N°
contradictoire
DU 16 JUIN 2016
R.G. N° 15/08592
RG : N° 15/08664
AFFAIRE :
[O] [S] [L]
[M] [D]
C/
[M] [D]
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 08 Décembre 2015 par le Juge de la mise en état de NANTERRE
N° RG : 14/02800
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Bertrand LISSARRAGUE
Me Christophe DESJARDINS
Me Franck LAFON
Me Christophe DEBRAY, avocat
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE JUIN DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [O] [S] [L]
né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1] (BELGIQUE)
de nationalité belge
[Adresse 1]
[Localité 2] (BELGIQUE)
Représenté par Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 625 - assisté de Me Kami HAERI, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
Monsieur [M] [D]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Christophe DESJARDINS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 071
assisté de Me Jean-Charles MIRANDE, avocat au barreau de PARIS
APPELANT (dans le RG : 15/08664)
****************
Monsieur [M] [D]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Christophe DESJARDINS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 071
assisté de Me Jean-Charles MIRANDE, avocat au barreau de PARIS
Société THOMAS COOK agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité de droit audit siège
N° SIRET : 572 158 905
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 618 - N° du dossier 20150430
assistée de Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI, avocat au barreau de PARIS
Société THOMAS COOK FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité de droit audit siège
N° SIRET : 431 994 482
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 618 - N° du dossier 20150430
assistée de Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI, avocat au barreau de PARIS
SA PRICEWATERHOUSECOOPERS AUDITprise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 672 006 483
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 627 - N° du dossier 15518
assistée de Me Olivier HILLEL, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 04 Mai 2016, Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Michel SOMMER, président,
Madame Véronique CATRY, conseiller,
Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE
FAITS ET PROCÉDURE,
La société Thomas Cook group PLC, de droit anglais, spécialisée dans l'industrie du tourisme, est présente sur le marché français via la sous-holding Thomas Cook France dont la principale filiale est la société Thomas Cook SAS.
MM. [D] et [L] ont été nommés en 2007 respectivement président et directeur général de la société Thomas Cook SAS. Ils étaient également membres du comité exécutif de la filiale française et membres du conseil de surveillance de la société Thomas Cook France.
M. [L] bénéficiait également d'un contrat de travail en qualité de directeur financier de Thomas Cook France.
Les exercices comptables de l'ensemble des sociétés du groupe Thomas Cook se clôturent chaque année au 30 septembre et sont communiqués au groupe en vue de la publication des comptes consolidés de la holding Thomas Cook group PLC.
Alertée de la possibilité de manipulations comptables et financières réalisées sur instructions de MM. [D] et [L] qui auraient été mises en oeuvre dès la clôture des comptes au 30 septembre 2010, la société Thomas Cook group PLC a désigné un cabinet d'audit en la personne de la société Ernst & Young, laquelle a réalisé sa mission à compter du mois de septembre 2011.
Les 17 et 26 octobre 2011, MM. [D] et [L] ont chacun conclu une transaction avec les sociétés Thomas Cook par lesquelles ils ont perçu une indemnité, les parties renonçant à toute action judiciaire.
La mission du cabinet d'audit s'est poursuivie en 2012 mettant en évidence de nombreuses irrégularités comptables.
De son côté, la société Pricewaterhouse Coopers audit (Pwc), en sa qualité de commissaire aux comptes de la société Thomas Cook SAS, a adressé une dénonciation au procureur de la république de Nanterre, lequel a ouvert une enquête préliminaire, envisageant en février 2016 d'engager des poursuites pénales à l'encontre de MM. [D] et [L].
Dans ce contexte, les 22 janvier, 17 et 18 février 2014, les sociétés Thomas Cook France et Thomas Cook SAS ont fait assigner MM. [D] et [L], ainsi que la société Pwc devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'annulation des transactions conclues au mois d'octobre 2011 avec MM. [D] et [L] et de condamnation in solidum de MM. [D] et [L] et de la société Pwc à leur payer la somme de 35 907 330 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les fautes de gestion de MM. [D] et [L] dans l'exercice de leurs fonctions et les fautes et négligences de la société Pwc dans l'exercice de ses missions de contrôle légal.
Le 30 juillet 2014, la société Pwc a fait assigner en garantie MM. [D] et [L].
Les procédures ont été jointes par le juge de la mise en état.
M. [D] a déposé des conclusions d'incident le 6 juillet 2015 afin de voir constater l'incompétence du tribunal de grande instance de Nanterre au profit du conseil de prud'hommes de Nanterre.
M. [L] a déposé des conclusions d'incident le 30 octobre 2015 afin de voir constater l'incompétence du tribunal de grande instance de Nanterre au profit des juridictions belges.
Par ordonnance du 8 décembre 2015, le juge de la mise en état a rejeté les exceptions d'incompétence soulevées, a ordonné le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale et le retrait du rôle, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et réservé les dépens.
M. [L] a relevé appel de cette décision par déclaration reçue le 11 décembre 2015 (RG 15/8592) à l'encontre de l'ensemble des parties au litige.
M. [D] a relevé appel de cette décision par déclaration séparée reçue le 15 décembre 2015 (RG 15/8664) à l'encontre des seules sociétés Thomas Cook.
Parallèlement, sur saisine de M. [L] du 14 janvier 2015, le tribunal de première instance de Gand en Belgique a, par jugement du 22 février 2016, considéré que la convention transactionnelle signée le 6 octobre 2011 entre M. [L] et les sociétés Thomas Cook était valable et contraignante, dit que les parties avaient valablement renoncé réciproquement à toutes les demandes qu'elles auraient pu faire valoir au titre des activités de M. [L] auprès de quelque société du groupe Thomas Cook, condamné solidairement les sociétés Thomas Cook Belgique, Thomas Cook France et Thomas Cook Nederland BV à garantir M. [L] de toute condamnation de quelque tribunal que ce soit suite à leur demande de dommages et intérêts en raison des fautes de gestion alléguées dans ses mandats auprès de Thomas Cook France et Thomas Cook SAS ainsi qu'au paiement d'une somme forfaitaire de 150 000 euros à titre d'indemnité pour dommage moral.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES,
Dans ses conclusions reçues au greffe le 3 mars 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, M. [L] demande à la cour, au visa du règlement CE n°44/2001 et de son article 23 en particulier, d'infirmer l'ordonnance, de rejeter la demande de sursis à statuer des sociétés Thomas Cook et Pwc, de déclarer le tribunal de grande instance de Nanterre incompétent au profit des juridictions belges pour connaître de l'action des sociétés Thomas Cook à son égard et de les condamner au paiement d'une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions reçues le 22 mars 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, les sociétés Thomas Cook demandent à la cour de confirmer l'ordonnance, d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, de rejeter les exceptions d'incompétence, en toute hypothèse, de dire que le tribunal de grande instance de Nanterre est compétent pour statuer sur l'appel en garantie formée par la société Pwc contre MM. [D] et [L], de rejeter leurs demandes et de les condamner chacun au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières conclusions reçues le 29 avril 2016, qui font suite à de précédentes conclusions reçues au greffe le 14 avril 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, M. [D] sollicite la jonction des procédures et l'infirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état, demande à la cour de déclarer le conseil de prud'hommes de Nanterre compétent pour connaître de la demande de nullité du protocole transactionnel formulée à son encontre et de condamner les sociétés Thomas Cook au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Pwc, dans ses conclusions déposées le 25 avril 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens soulevés, demande à la cour de :
Sur les exceptions d'incompétence :
- dire que les exceptions d'incompétence soulevées par MM. [L] et [D] concernent le seul lien d'instance les opposant aux sociétés Thomas Cook,
- dire que MM. [L] et [D] n'ont opposé comme moyen de défense sur l'intervention forcée avec appel en garantie dirigée contre Pwc aucune exception d'incompétence ou de procédure,
- dire en conséquence que l'instance introduite contre la société Pwc selon assignation du 30 juillet 2014 n'est pas affectée par les exceptions de procédure soulevées et que son sort n'est pas subordonné, s'agissant de la compétence de la juridiction et la recevabilité de la demande, à celui de l'instance principale,
Sur le sursis à statuer :
- confirmer l'ordonnance et déclarer recevable et bien fondée l'exception de sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale,
- en tout état de cause, débouter tous contestants de toutes demandes contraires,
Sur les frais et dépens :
- condamner M. [L] au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La clôture a été prononcée le 2 mai 2016.
***************
Les sociétés Thomas Cook ont déposé des conclusions les 2 et 4 mai 2016 pour solliciter le rejet des débats des conclusions et pièces communiquées le 29 avril 2016 par M. [D], et à défaut, le report de la clôture et des plaidoiries, faisant valoir qu'elles comportent des modifications substantielles dont ils n'ont pas eu le temps de prendre connaissance de sorte que cette communication n'a pas été faite en temps utile au sens des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile.
A l'audience, la cour a indiqué aux parties que l'affaire ne ferait pas l'objet d'un renvoi et que l'ordonnance de clôture ne serait donc pas révoquée.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Il y a lieu d'ordonner la jonction de deux procédures d'appel qui concernent la même ordonnance rendue par le juge de la mise en état, et ce, dans l'intérêt de l'administration d'une bonne justice.
I- Sur la demande de rejet des dernières conclusions de M. [D]
M. [D] a communiqué le 29 avril 2016 des dernières conclusions ainsi qu'une nouvelle pièce n°15 selon le bordereau de pièces annexé et une traduction libre partielle de la pièce n°6, les parties ayant été avisées le 14 avril du report de la date de clôture au 2 mai 2016.
Les sociétés Thomas Cook soutiennent que M. [D] leur a signifié de nouvelles conclusions et pièces le vendredi 29 avril, soit un jour ouvrable avant la clôture, lesquelles contiennent des modifications substantielles qui auraient nécessité une réponse, portant ainsi atteinte aux droits de la défense.
Si le dispositif de ces conclusions mentionne une seule demande nouvelle qui est celle de la jonction des deux procédures initiées par les sociétés Thomas Cook à l'encontre de MM. [L] et [D], simple mesure d'administration judiciaire, il est en revanche avéré que pour la première fois, M. [D] développe dans ces écritures une argumentation pour soutenir qu'il serait également lié par un contrat de travail à la société Thomas Cook SAS, filiale de Thomas Cook France.
Par ailleurs, si la pièce n°15 qui est une sommation de communiquer adressée aux sociétés Thomas Cook le 23 mars 2016 n'appelle pas de discussion particulière, en revanche, la traduction très partielle de la pièce n°6 'Authority Guidelines', qui comporte plusieurs pages rédigées en anglais, pouvait appeler des observations des intimées, en ce qu'elle est invoquée au soutien de l'existence d'un lien de subordination.
La demande présentée par les sociétés Thomas Cook visant au rejet de ces conclusions et pièces de dernière heure sera donc accueillie, comme méconnaissant le principe de la contradiction, les intimées n'ayant pas été en mesure d'y répondre en temps utile.
Il sera précisé que le dispositif des conclusions antérieures déposées le 14 avril 2016 par M. [D] est identique à celui des conclusions de dernière heure en l'espèce écartées des débats, sauf en ce qu'elles ne comportent pas de demande de jonction des procédures, qu'en tout état de cause, la cour a le pouvoir d'ordonner d'office.
II- Sur l'exception d'incompétence soulevée par M. [L]
Au soutien de l'exception d'incompétence soulevée au profit des juridictions belges, M. [L] se prévaut de la clause attributive de compétence contenue dans la transaction signée le 6 octobre 2011 avec plusieurs entités du groupe Thomas Cook et des dispositions de l'article 23 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dont il estime que les conditions d'application sont remplies.
Ainsi que le rappelle M. [L], le premier juge n'a pas examiné sur le fond l'exception d'incompétence qu'il a soulevée, rejetant la demande au motif que les pièces ne lui ayant pas été communiquées, il n'avait pu prendre connaissance de la clause attributive de compétence et des parties à la transaction.
L'article 8 de la convention transactionnelle signée le 6 octobre 2011, intitulé 'Droit applicables et compétence', stipule que 'La transaction est régie par le droit belge. Les parties conviennent expressément que les tribunaux belges sont exclusivement compétents pour connaître de tout litige ne pouvant être réglé à l'amiable'.
Selon l'article 23 du règlement CE 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :
'1.Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou (...)
5. Les conventions attributives de juridiction ainsi que les stipulations similaires d'actes constitutifs de trust sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 13, 17 et 21 ou si les tribunaux à la compétence desquels elles dérogent sont exclusivement compétents en vertu de l'article 22.'
Pour s'opposer à l'exception d'incompétence soulevée, les sociétés Thomas Cook invoquent plusieurs moyens de défense.
1- la non application de la clause attributive de juridiction
Il n'est pas discuté que la clause d'attribution de compétence contenue dans le protocole transactionnel remplit les conditions de validité stipulées à l'article 23 du règlement, ayant été conclue par écrit, relative à un rapport de droit déterminé, entre des parties domiciliées sur le territoire d'Etats membres différents, et la juridiction désignée étant celle d'un Etat membre.
Les sociétés intimées font valoir qu'en l'espèce, les dispositions de l'article 23 du règlement sont tenues en échec par celles de l'article 23.5 précité et de l'article 22.2, qui dispose que :
'Sont seuls compétents, sans considération de domicile :
(...) 2) en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales ayant leur siège sur le territoire d'un Etat membre, ou de validité des décisions de leurs organes, les tribunaux de cet Etat membre. Pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé (...).'
Selon la CJUE (Hassett et Doherty, 2 octobre 2008, C-372/07), qui rappelle la compétence de principe du domicile du défendeur, ce texte doit faire l'objet d'une interprétation restrictive et ne vise 'que les litiges dans lesquels une partie conteste la validité d'une décision d'un organe d'une société au regard du droit des sociétés applicable ou des dispositions statutaires concernant le fonctionnement de ses organes'.
Cette interprétation a été réaffirmée par cette Cour dans un arrêt rendu le 12 mai 2011 (C-144/10).
En ce sens, l'arrêt cité de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mars 2011 (n°09-72027) qui retient une interprétation large de l'article 22.2 du règlement ne peut être utilement invoqué par les sociétés Thomas Cook car cela reviendrait à considérer, en contradiction avec la jurisprudence européenne, que toutes les actions engagées contre une société relèveraient de la compétence des juridictions de son siège, dès lors qu'une prétendue invalidité des décisions de ses organes ayant conduit à la conclusion d'un contrat serait soulevée.
De fait, le présent litige porte sur la nullité d'une convention et non sur l'invalidité d'une décision des organes des sociétés Thomas Cook, ayant sa source dans les dispositions qui régissent la constitution et le fonctionnement des personnes morales.
Le moyen tiré de l'application de l'article 22.2 est donc inopérant et la clause attributive de juridiction contenue au protocole transactionnel signé le 6 octobre 2011 a vocation à s'appliquer en vertu de l'article 23 du règlement qui donne compétence exclusive à la juridiction de l'Etat contractant désigné.
2- l'inopposabilité du protocole transactionnel à la société Thomas Cook SAS
Les sociétés Thomas Cook font encore valoir que la clause attributive de compétence figurant au protocole transactionnel n'est pas opposable à la société Thomas Cook SAS qui n'est pas partie à la transaction alors que l'action est diligentée devant le tribunal de grande instance de Nanterre par la société Thomas Cook France, seule signataire du protocole, mais également la société Thomas Cook SAS.
Elles se prévalent du principe de l'effet relatif des contrats et contestent que la société mère ait pu représenter sa filiale, rappelant le principe de l'autonomie des personnes morales.
M. [L] oppose la communauté d'intérêts liant les sociétés intimées, souligne que le protocole a été signé par le seul représentant de Thomas Cook Belgique pour l'ensemble des entités parties au protocole, que les stipulations de cette transaction démontrent que toutes les entités du groupe étaient concernées, qu'en particulier la clause de renonciation à toute action vise toutes les sociétés du groupe, qu'enfin, la nullité des transactions est sollicitée conjointement par les deux entités françaises.
La convention transactionnelle a été conclue formellement entre M. [L] et les sociétés Thomas Cook France, Thomas Cook Nederland BV et Thomas Cook Belgium.
Nonobstant l'effet relatif des contrats, la jurisprudence admet dans certains cas qu'une partie, non signataire d'une clause attributive de juridiction, puisse se voir opposer celle-ci, dès lors qu'elle a consenti implicitement à son application.
Ce consentement implicite se déduit en l'espèce de plusieurs éléments :
- les deux sociétés Thomas Cook France et Thomas Cook SAS ont assigné ensemble M. [L] devant le tribunal de grande instance pour demander la nullité des protocoles transactionnels'respectivement conclus entre les sociétés Thomas Cook SAS et Thomas Cook France d'une part, et MM. [D] et [L] d'autre part...' ,
- la société Thomas Cook SAS, filiale à 100% de la société Thomas Cook France, a eu nécessairement connaissance du protocole conclu avec M. [L], qui occupait des fonctions de directeur général au sein de la filiale et qui a démissionné de ce mandat social à la date de signature du protocole,
- 'Thomas Cook', dont la société Thomas Cook France, s'est d'ailleurs engagé dans le cadre de la transaction à mettre tout en oeuvre 'pour que décharge soit accordée lors de la prochaine assemblée générale pour d'éventuels mandats sociaux exercés par M. [L] au sein de quelque société ou entité que ce soit du Groupe Thomas Cook', prenant un engagement pour le compte de sa filiale,
- si la convention transactionnelle fait état plus particulièrement de la rupture du contrat de travail conclu avec Thomas Cook Belgique en 2007 et de la convention-cadre signée le 6 mai 2011 avec les trois entités parties au protocole, l'article 4 énonce que la transaction vaut règlement global et définitif de quelque montant que ce soit auquel pourrait prétendre M. [L] 'en vertu de la conclusion, l'exécution et/ou la résiliation d'un commun accord des contrats Thomas Cook et/ou des relations contractuelles entre M. [L] et toute société ou entité du Groupe Thomas Cook',
- la société Thomas Cook SAS, qui se prétend non concernée par ce protocole, n'a pas pour autant conclu d'accord distinct avec M. [L] pour mettre un terme à ses fonctions de directeur général,
- l'article 5.2 éclaire également la portée, plus large que ne le prétendent les deux sociétés intimées Thomas Cook, de la convention transactionnelle, mentionnant que 'les parties renoncent expressément à toute action ultérieure, de quelque chef et de quelque nature que ce soit, et renoncent à tout droit auquel elles auraient pu prétendre à propos des activités de M. [L] au sein de toute société ou entité du groupe Thomas Cook, y compris mais sans toutefois se limiter à Thomas Cook Belgique, Thomas Cook Nederland et Thomas Cook France. Thomas Cook s'engage en particulier à ne pas intenter quelque action que ce soit, au civil ou au pénal, contre M. [L], du chef des prétendues erreurs et/ou irrégularités relativement à la comptabilité de Thomas Cook',
- la clause 5.3 relative à la renonciation de la clause de non concurrence applicable à M. [L] vise également l'ensemble des sociétés et entités de Thomas Cook dont il est rappelé dans le protocole qu'il a travaillé pour plusieurs sociétés ou entités du groupe Thomas Cook.
Ainsi les termes de la transaction démontrent incontestablement que les parties ont entendu liquider l'ensemble des intérêts liant M. [L] à l'une quelconque des entités du groupe Thomas Cook, y compris au titre du mandat social que celui-ci détenait au sein de la filiale Thomas Cook SAS.
Il peut être ajouté que la filiale Thomas Cook SAS était la principale contributrice concernant les objectifs financiers du sous-groupe France, au sein de laquelle M. [L] occupait le poste de directeur général et au titre duquel lui sont précisément reprochées des malversations comptables qui ont conduit à la signature de la transaction aujourd'hui contestée.
Ainsi caractérisées, la connaissance et l'adhésion implicite de la société Thomas Cook SAS au protocole et à la clause d'attribution de compétence qu'il renferme rendent inopérante la contestation des sociétés intimées.
3- un lien d'instance définitivement noué
Les sociétés Thomas Cook se prévalent d'un lien d'instance définitivement noué entre les deux sociétés et M. [L] par l'effet de l'appel en garantie formé par la société Pwc à l'encontre de ce dernier.
L'exception d'incompétence soulevée par M. [L] concerne exclusivement l'action diligentée par les sociétés Thomas Cook à son encontre puisqu'elle repose sur le protocole transactionnel conclu entre ces parties, auquel la société Pwc est étrangère.
Les deux instances, bien qu'ayant été jointes, sont autonomes, l'appel en garantie de la société Pwc contre M. [L] étant subordonné au succès de l'action principale diligentée par les sociétés Thomas Cook à l'égard de la société Pwc.
Le moyen soulevé ne peut faire échec à la clause attributive qui fonde la compétence d'un juge d'un Etat membre dans le cadre d'une situation internationale.
En conséquence, l'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [L], les parties à l'instance principale étant renvoyées à mieux se pourvoir devant les juridictions belges.
III- Sur l'exception d'incompétence soulevée par M. [D]
Au soutien de l'exception d'incompétence soulevée, M. [D] se prévaut de l'existence d'un contrat de travail avec la société Thomas Cook France et soutient que la validité d'une transaction mettant fin à un différend issu d'un contrat de travail doit être appréciée par le conseil des prud'hommes.
Il soutient qu'il a été engagé en 2007 comme directeur général par Thomas Cook France pour exercer une activité opérationnelle à la tête de la filiale française Thomas Cook SAS, qu'à compter de 2010, il s'est vu confier la gestion des activités du groupe Thomas Cook en Russie, qu'il exerçait ses activités dans un cadre subordonné au groupe par l'intermédiaire du segment Ouest/est, rendant des comptes au CEO de ce segment, M. [S], et qu'il se trouvait rémunéré par Thomas Cook France.
Le premier juge a estimé que M. [D] ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un contrat de travail le liant aux deux sociétés, écartant ainsi l'exception d'incompétence soulevée.
L'article L1411-1 du code du travail dispose que 'Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.
Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.'
Cette compétence d'attribution est exclusive et d'ordre public, peu important l'éventuelle connexité avec un autre litige non susceptible de lui être soumis.
Il est donc inopérant pour les sociétés Thomas Cook d'invoquer à cet égard l'existence d'un lien d'instance définitivement noué par l'effet de l'appel en garantie formé par la société Pwc.
Il n'est pas contesté que M. [D] a été président de la société Thomas Cook SAS, filiale de Thomas Cook France, et ainsi que l'a relevé le premier juge, il n'a jamais revendiqué l'existence d'un contrat de travail au sein de cette filiale.
Par ailleurs, M. [D] occupait depuis 2007 les fonctions de directeur général au sein de la société Thomas Cook France laquelle rappelle qu'il exerçait ses fonctions dans le cadre d'un mandat social.
Cette qualification de mandat social est expressément reprise dans le protocole transactionnel signé le 17 octobre 2011.
Il appartient à M. [D], qui conteste la réalité de ce mandat social, de démontrer, au soutien de l'exception d'incompétence soulevée, l'existence du contrat de travail qu'il invoque, que la seule production de bulletins de salaire ne suffit pas à établir.
L'appelant fait valoir à cet effet qu'il devait rendre compte de ses activités notamment à M. [S], directeur du segment Ouest/Est du groupe Thomas Cook, lequel exerçait un pouvoir disciplinaire à son égard, ayant mis fin à leur collaboration en 2011, que celui-ci décidait de ses bonus, qu'il devait recueillir l'approbation préalable du groupe avant d'engager des sommes supérieures à quelques dizaines de milliers d'euros, en référer mensuellement aux membres du 'Country board', qu'il agissait dans le cadre d'une délégation de pouvoirs limitée.
Le lien de subordination qui constitue le critère essentiel du contrat de travail suppose que l'employeur a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le cas échéant les manquements de son subordonné.
Or, il n'est produit aucun élément justificatif probant permettant de confirmer le lien de subordination allégué, qui ne se confond pas avec les directives que peut recevoir un mandataire et qui sont la conséquence logique de son mandat social.
En effet, les pièces auxquelles M. [D] se réfère au soutien de ses allégations sont essentiellement des documents afférents au groupe Thomas Cook, exclusivement rédigés en langue anglaise, dont la cour ne peut tirer aucune information utile.
Il peut être ajouté que dans une société par actions simplifiées, qui est la forme de la société Thomas Cook France, rien n'exclut que les pouvoirs de direction soient confiés au directeur général, le rôle du président se limitant alors à la représentation externe de la société.
M. [D] ne démontrant pas qu'il était soumis à un pouvoir de direction et de contrôle qui limitait ses pouvoirs au point de le priver de son autonomie, l'existence d'un contrat de travail le liant à la société Thomas Cook France ne peut être retenue.
C'est donc à bon droit que le premier juge a écarté l'exception d'incompétence soulevée par l'appelant.
L'ordonnance déférée sera donc confirmée de ce chef.
IV- Sur les autres demandes
L'ordonnance déférée doit être confirmée des autres chefs de décision qui ne sont pas spécialement critiqués, en particulier du chef du sursis à statuer qui a été ordonné, qui n'a plus d'objet s'agissant de l'instance opposant les sociétés Thomas Cook à M. [L] mais sur lequel M. [D] ne formule aucune observation pour ce qui le concerne.
Les sociétés Thomas Cook seront condamnées in solidum à payer à M. [L] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [D] sera condamné à payer aux sociétés Thomas Cook une indemnité de 1 500 euros sur ce fondement, les autres demandes formulées à ce titre étant écartées.
PAR CES MOTIFS ;
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
ORDONNE la jonction des deux procédures inscrites au répertoire général sous les numéros 15/8592 et 15/8664,
ECARTE des débats les conclusions et pièces de dernière heure déposées le 29 avril 2016 par M. [D],
INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état rendue le 8 décembre 2015 en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [L],
LA CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau,
DÉCLARE le tribunal de grande instance de Nanterre incompétent pour connaître du litige opposant les sociétés Thomas Cook France et Thomas Cook SAS à M. [L],
RENVOIE les parties à mieux se pourvoir devant les juridictions belges,
DIT en conséquence que la mesure de sursis à statuer qui a été ordonnée par le juge de la mise en état est sans objet s'agissant de ce litige,
DÉBOUTE M. [D] de l'exception d'incompétence soulevée,
CONDAMNE in solidum les sociétés Thomas Cook France et Thomas Cook SAS à payer à M. [L] la somme de 4 000 euros (quatre mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [D] à payer aux sociétés Thomas Cook France et Thomas Cook SAS la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
DIT que les dépens de l'instance afférente à l'appel formé par M. [L] seront supportés in solidum par les sociétés Thomas Cook France et Thomas Cook SAS et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
DIT que les dépens de l'instance afférente à l'appel formé par M. [D] seront supportés par ce dernier et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Jean-Michel SOMMER, président et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,