COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
(OF)
5ème Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 OCTOBRE 2016
R.G. N° 15/01529
JONCTION avec
R.G. N° 15/02048
AFFAIRE :
[C] [K]
C/
SAS CERNER FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Mars 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° RG : 11/01341
Copies exécutoires délivrées à :
SELARL MAUGER MESBAHI ASSOCIES
Me Tamar LOUBATON
Copies certifiées conformes délivrées à :
[C] [K]
SAS CERNER FRANCE
le : 28-10-2016
Copie PÔLE EMPLOI
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [C] [K]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Emmanuel MAUGER de la SELARL MAUGER MESBAHI ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0706, Me Laura GROSSET BRAUER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0706
APPELANT
****************
SAS CERNER FRANCE
[Adresse 3]
[Adresse 4]
représentée par Me Tamar LOUBATON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2221
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juillet 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Olivier FOURMY, Président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Olivier FOURMY, Président,
Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller,
Madame Elisabeth WATRELOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jérémy GRAVIER,
Greffier, lors de la mise à disposition : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
Décision devant initialement être rendue le 29 septembre 2016 par mise à disposition au greffe, prorogée au 27 octobre 2016
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [C] [K] a été embauché par la société Cerner France SAS (ci-après, la 'Société' ou 'Cerner'), par contrat à durée indéterminée à compter du 06 février 2006, en qualité de 'ingénieur d'affaires grand compte', statut cadre, niveau 2.2, coefficient 130, pour une rémunération mensuelle brute qui était en dernier lieu d'un montant de 5 291,67 euros, au niveau 3.1, coefficient 170. Le contrat prévoyait une convention de forfait en jours à hauteur de 217 jours annuellement.
La société a pour activité l'édition de progiciels intégrés dans le secteur de la santé.
A compter du 11 octobre 2007, M. [K] a constamment été membre du comité d'entreprise (ci-après, 'CE').
La convention collective applicable est la convention dite 'Syntec'.
La société Cerner France, considérant que la crise économique de 2008 avait conduit à une baisse importante de son chiffre d'affaires en 2009, a décidé, au début de l'année 2010, de procéder à un licenciement collectif pour motif économique, qui n'a pas concerné M. [K] (la cour est saisie par ailleurs de la question du licenciement économique de deux autres salariés).
Selon la Société, M. [K], qui aurait « connu des difficultés professionnelles constantes qui lui ont à plusieurs reprises été rappelées en raison de carence dans l'exécution de ses fonctions » aurait fait preuve de violence verbale ou aurait proféré des remarques désobligeantes à l'encontre de collègues, à plusieurs reprises. M. [K] aurait en outre « enfreint délibérément et à de nombreuses reprises les règles de fonctionnement de la société CERNER tout au long de sa relation de travail ».
Le 18 mai 2011, M. [K] saisissait le conseil de prud'hommes (ci-après le CPH) de demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts.
Le 27 juillet 2011, M. [K] était convoqué à un entretien préalable de licenciement, qui se tenait le 11 août 2011.
Le 13 septembre 2011, le comité d'entreprise de la société Cerner émettait un avis favorable sur le projet de licenciement de M. [K].
Le 23 septembre 2011, la société Cerner adressait à l'inspection du travail une demande d'autorisation administrative de licenciement.
Le 25 novembre 2011, l'inspection du travail refusait d'autoriser le licenciement de M. [K].
Le 13 décembre 2011, dans le cadre de l'enquête sur la plainte déposée par la Société, une perquisition était menée au domicile de M. [K].
Le 20 décembre 2011, M. [K] prenait acte de la rupture de son contrat de travail. Selon la Société, il avait alors « rejoint un nouvel employeur ».
Par jugement en date du 12 mars 2015, le conseil des prud'hommes, après avoir considéré notamment que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [K] devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse d'une part, que le « décompte de M. [C] [K] relatif à ses horaires de travail paraît sujet à caution », a condamné la société Cerner France SAS à payer à M. [K] les sommes de :
. 33 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
. 9 039,93 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
. 15 845 euros à titre d'indemnité de préavis, en outre les congés payés y afférents, soit la somme de 1 587,50 euros ;
. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le CPH a en outre ordonné le remboursement par la Société des indemnités de chômage versées à M. [K], à concurrence de six mois ; débouté les parties de leurs autres demandes ; et condamné la société Cerner aux dépens.
La société Cerner France SAS et M. [C] [K] ont, chacun, régulièrement relevé appel du jugement.
Devant la cour, la Société fait notamment valoir que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [K] doit s'analyser comme une démission, qu'en effet il ne justifie pas de manquements de la société Cerner à son égard, tandis que celle-ci peut lui reprocher de nombreux « agissements fautifs « ; que M. [K] ne peut invoquer un harcèlement moral ; qu'il appartenait à un groupe de personnes, un 'Shadow Team', constitué dans le but exclusif de nuire aux intérêts de l'entreprise, de ses dirigeants, et de ses salariés, ainsi que le démontraient notamment les documents découverts lors de la perquisition effectuée à son domicile ; que M. [K] a rejoint la société concurrente Intersystem, en décembre 2011. Par ailleurs, la Société conteste que M. [K] ait effectué des heures supplémentaires.
La société Cerner demande ainsi à la cour de :
. constater que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission ;
. infirmer le jugement en ce qu'il a décidé que le licenciement de M. [K] n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse et alloué diverses sommes à ce salarié ; et ordonner le remboursement par M. [K] des sommes réglées au titre de l'exécution provisoire ;
. constater que la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires est infondée et confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [K] de ses demandes à cet égard ;
. condamner M. [K] à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [K], quant à lui, fait notamment valoir que la société Cerner France est une entreprise mondiale, présente dans 18 pays à travers le monde, leader des systèmes d'information de santé, disposant d'un gros potentiel et n'ayant aucune difficulté.
M. [K] considère qu'il a été victime de certains dysfonctionnements au titre de l'exécution de son contrat de travail (absence de compensation au fractionnement de ses congés d'été, difficultés récurrentes de remboursement de notes de frais, '), qu'il avait pensé que la situation s'améliorerait mais qu'elle s'était détériorée (absence de 'Car Allowance' pour utilisation de son véhicule personnel de septembre 2009 à mai 2010, secteur géographique modifié unilatéralement, biens personnels vandalisés, grave malaise le 14 octobre 2010, suivi d'une crise d'épilepsie ; coupure de son compte sur le réseau Cerner pendant son arrêt maladie ; mise à l'écart d'un projet sur lequel il avait travaillé pendant plus de deux ans ; '). M. [K] souligne que l'inspection du travail a refusé son licenciement au motif que les faits reprochés n'étaient pas établis et que le lien entre le dépôt de la demande d'autorisation de licenciement et le mandat qu'il détenait ne pouvait être écarté. A la suite de ce refus, les « conditions de retour dans l'entreprise (') furent destructrices ». Il avait été victime d'un harcèlement moral.
S'agissant des heures supplémentaires, M. [K] souligne que la convention de forfait-jour (218 jours annuels) instituée dans le cadre de la convention Syntec est nulle, que la Société a dû procéder à d'importantes régularisations suite à un contrôle de l'Inspection du travail en décembre 2009, qu'il dresse un tableau précis des horaires qu'il a réalisés de 2006 à 2010.
M. [K] demande en conséquence à la cour de :
. confirmer le jugement du CPH en ce qu'il a constaté la nullité de la convention individuelle de forfait ; . condamner, en conséquence, la Société à lui payer la somme de 262 752,54 euros à titre de paiement des heures supplémentaires, en outre celle de 26 752,54 euros à titre de congés payés y afférents ;
. confirmer le jugement du CPH en ce qu'il a condamné la société Cerner à lui payer les sommes de 9 039,93 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 15 845 euros à titre d'indemnité de préavis, en outre les congés payés y afférents, soit la somme de 1 587,50 euros ;
. condamner la Société à lui payer les sommes de :
31 750 euros au titre de la violation du statut protecteur ;
60 000 euros au titre du licenciement nul ;
et en tout état de cause :
. condamner la société Cerner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
. assortir l'ensemble des condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la saisine du CPH ;
. condamner la Société aux entiers dépens.
Vu les conclusions déposées le 05 juillet 2016, tant pour la société Cerner que pour M. [C] [K], ainsi que les pièces y afférentes respectivement, auxquelles la cour se réfère expressément, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties,
Vu les explications et les observations orales des parties à l'audience du 05 juillet 2016,
MOTIFS
Il est d'une bonne administration de la justice de joindre les dossiers enregistrés sous les références RG 15/01529 et RG 15/02048 sous la seule référence RG 15/01529.
Il convient de préciser, à titre préliminaire, que la cour a été simultanément saisie de plusieurs dossiers concernant des salariés de la société Cerner France SA dont deux ont fait l'objet d'un licenciement pour cause économique, ce qu'ils contestent (Mme [C] et M. [O]) et trois ont fait l'objet d'un licenciement pour motif personnel (MM. [K], [W] et [Z]).
La Société reproche à MM. [K], [W] et [Z] d'avoir fait partie d'un « Shadow Team » ayant commis des actions de nature à lui nuire. Les plaintes déposées par la société Cerner France ont donné lieu à une enquête et la Société fait expressément référence, dans ses conclusions, au rapport de synthèse établi par les services de police le 25 juin 2012, qu'elle cite : « Les documents découverts sur les supports numériques découverts au domicile de M. [K] permettaient d'établir qu'un groupuscule appelé 'SHADOW TEAM' s'était constitué au sein de CERNER France, avec pour objet de commettre des actions punitives contre les managers et dirigeants de la société, en l'espèce dégradation de biens, copie des disques durs des ordinateurs des employés de la société à leur insu et obtention d'informations confidentielles (adresses personnelles, coordonnées des conjoints des employés), envoi de courriers, courriels et SMS anonymes.
La création de ce 'cabinet noir' semblait faire suite à l'annonce (') d'un plan social au sein de CERNER France.
Les membres de la 'Shadow Team' s'avéraient préméditer et organiser leurs actions punitives par courriers électroniques. Au départ, ils utilisaient leurs boîtes-aux-lettres nominatives, ce qui permettait leur identification en la personne de M. [C] [K], [I] [R], [X] [Y] et [T] [Z], puis, de peur d'être découverts, se créaient de fausses identités ('.)
Monsieur [W] se voyait chargé de créer des adresses sur Gmail et d'envoyer des mails à partir de cybercafés sur Paris, en payant en espèces ».
Dans ses conclusions, la Société insiste plus spécialement sur le rôle de M. [K] au sein de ce 'Shadow Team'.
Sur la prise d'acte
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail entraîne la cessation du contrat.
Il appartient au salarié d'apporter la preuve des manquements de l'employeur et de ce qu'ils présentent un caractère réel et sérieux. Il appartient au juge de prendre en compte l'ensemble des manquements dénoncés par le salarié, qu'ils l'aient été ou non dans la lettre de prise d'acte, et de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux.
La prise d'acte produit, selon que les griefs invoqués par le salarié apparaissent fondés ou non, les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou d'un licenciement nul lorsque les conditions en sont remplies ' ce qui serait le cas ici, s'agissant d'un salarié protégé), ou d'une démission.
Il convient donc, en premier lieu, d'analyser la lettre, en date du 20 décembre 2011, par laquelle M. [K] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, à laquelle la cour renvoie expressément pour plus ample précision. La Société a répondu point par point à ce courrier par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 02 mars 2012.
La lettre de M. [K] se lit notamment de la manière suivante :
« 1) Les difficultés ont commencé par certains dysfonctionnements au titre de l'exécution de mon contrat de travail, notamment l'absence de compensation au fractionnement de mes congés d'été, ou encore les difficultés récurrentes de remboursement de mes notes de frais' » : M. [K] ne donne aucun exemple ; il faut rechercher dans d'autres pièces de la procédure pour trouver une indication selon laquelle, si M. [K] a pu connaître des difficultés de remboursement, il n'est pas le seul et qu'en tout cas il n'a pas eu recours à la procédure prévue pour accélérer les remboursements en cas de difficulté.
« Les agissements fautifs de la Société (') se sont en effet répétés, multipliés et un véritable procès d'intention a été mené à mon égard, tant au titre de mes fonctions professionnelles qu'au titre de mon mandat de représentant du personnel.
A titre d'exemple, de septembre 2009 à mai 2010, je n'ai pas reçu de Car Allowance' ou autre prime de mon employeur pour compenser l'usure de mon véhicule personnel utilisé à des fins professionnelles. J'ai ainsi été le seul commercial du Groupe, pendant plusieurs mois, à n'avoir ni véhicule de fonction ni contribution de mon employeur à la perte de valeur de mon véhicule personnel (') ». M. [K] a revendiqué de pouvoir utiliser ses véhicules personnels (y compris une moto). Il est par ailleurs titulaire d'une carte d'abonnement SNCF payée par l'entreprise. Il ne fournit aucun exemple de nature à permettre de comparer sa situation à celle d'un autre commercial. Les bulletins de paie produits permettent de vérifier qu'il perçoit une indemnité voiture depuis le 1er juin 2010. M. [K] ne démontre en aucune manière qu'il utilisait son véhicule personnel sans être remboursé des frais correspondants avant cette date et ce grief n'est en tout état de cause pas fondé au moment de la prise d'acte. La Société souligne que M. [K] ne relevait pas des catégories de personnel devant bénéficier de la 'Car Allowance', qu'il a bénéficié d'un forfait kilométrique pour utilisation de son véhicule personnel.
Ce grief n'est pas fondé.
« Je suis progressivement devenu la personne à éviter dans l'entreprise, traitée de manière discriminatoire.
Mon secteur géographique a été modifié de manière unilatérale par ma hiérarchie ' » : M. [K] fait ici référence à la situation postérieure à l'entretien qu'il a eu le 08 décembre 2011 avec son supérieur direct, M. [H]. C'est le point 14 de sa lettre de prise d'acte (voir ci-après).
« J'ai été écarté de plusieurs projets par ma hiérarchie ... J'ai subi une grave inégalité de traitement ». M. [K] ne présente aucun élément permettant ne serait-ce que d'avoir un indice de la confirmation de ce qu'il avance.
« J'ai tenu bon' Néanmoins, les répercussions sur mon état de santé se sont avérées au fur et à mesure très importantes et j'ai été arrêté pour maladie courant 2010 ». Outre l'imprécision des dates, qu'il faut relever, M. [K] ne soumet pas d'élément médical permettant de vérifier les causes de ses arrêts maladie (voir cependant ci-après, le point 3).
« Pendant un de mes arrêts maladie, j'ai acquis la certitude que mon bureau avait été fouillé ». Cette affirmation est fallacieuse : si M. [K] est allé déposer une plainte devant les services de police le 13 décembre 2010, force est de constater qu'il y indique que c'est un caisson non fermé à clé, situé sous son bureau, qui aurait été fouillé et des bordereaux de recommandé renseignés lui auraient été volés. Rien ne permet de confirmer ses dires.
La cour ajoute ici que, dans la même plainte à la police, M. [K] a déploré la dégradation de son casque de moto (le 11 octobre 2010) et la disparition de son badge, qu'il semble imputer ces faits à la Société également. Mais outre que le vestiaire, où ces objets étaient placés, est ouvert à tous, qu'en guise de dégradation, il s'agit de la rupture de la soudure du microphone, qui peut avoir de nombreuses causes, notamment involontaires, il suffit ici de mentionner que M. [K] n'apporte aucune démonstration d'une quelconque responsabilité de son employeur.
M. [K] déplore ensuite que les « agissements de la Société Cerner n'ont fait que s'amplifier
lorsqu' (il a) saisi avec plusieurs de (ses) collègues le (CPH) courant 2011 en raison de la violation par la Société Cerner des dispositions conventionnelles de l'accord SYNTEC en matière de temps de travail, et plus précisément en matière de forfait jours. J'ai également saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de dommages intérêts pour harcèlement moral.
Progressivement, l'ensemble des membres de la Direction (à l'exception de M. ') a cessé de me saluer lorsqu'ils me croisaient, particulièrement Mme [Y] [V] ' RRH ainsi que l'ensemble des membres de l'équipe des RH et l'ensemble des membres de mon équipe (à l'exception de M. [B] [T]) ». La cour ne peut que constater que M. [K] semble ainsi revendiquer l'application d'une convention dont il souligne par ailleurs dans ses conclusions que la Cour de cassation a décidé qu'elle était nulle et que, par voie de conséquence, la convention de forfait le liant à l'entreprise est nulle également. Quant à la circonstance qu'il ne soit plus salué, il indique que même les membres de son équipe (sauf une personne) ne le saluaient plus, ce qui renvoie davantage au mauvais comportement qui lui a été reproché par ailleurs et dont les pièces soumises à la cour permettent de dire qu'il est caractérisé (voir en particulier les débats au sein du comité d'entreprise lors de la discussion sur le licenciement envisagé de M. [K]).
« Le 06 octobre 2010, il s'avère que mon véhicule a été dégradé dans les parkings de l'entreprise (') ». Là encore, M. [K] ne démontre aucunement en quoi la Société pourrait en être responsable et, sauf l'affirmation qu'il en a faite à la police, il ne démontre pas même que cette rayure aurait été faite dans le parking de l'entreprise.
M [K] ajoute ensuite qu'il y a eu des utilisations frauduleuses de la carte bancaire de sa fille qui se trouvait dans le blouson le jour où son badge lui a été dérobé. Il faut laisser à M. [K] la responsabilité d'imputer à son employeur de tels faits.
M. [K] déplore ensuite que sa moto ait été, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2011, poussée et renversée, occasionnant des dégâts pour 2 650 euros. Il n'apporte aucun élément permettant de fonder ici un grief à l'encontre de l'entreprise.
Puis M. [K] dit que sa carte bancaire professionnelle a été utilisée de façon frauduleuse pour effectuer un achat d'un montant de 79,80 euros, le 20 octobre 2010. La cour ne peut que rapprocher cela du reproche fait à M. [K] d'utiliser la carte professionnelle à des fins personnelles, ce qu'il a reconnu en arguant d'un usage (au demeurant avéré) au sein de l'entreprise. L'achat en cause est un abonnement à un site de vidéos par internet, qui correspond à l'évidence à un usage privé alors que M. [K] a continué d'utiliser la même carte par la suite.
« 3) Le 14 octobre 2010, j'ai été victime d'un grave malaise dans le cadre de l'exécution de mon travail. Je devais gérer l'organisation de 3 journées de démonstration planifiées les 18, 19 et 20 octobre 2010 sur [Localité 1] et [Localité 2] (')
Ces démonstrations nécessitaient de synchroniser plusieurs intervenants (...)
A cela s'ajoutait un travail de préparation d'une autre audition pour le [Établissement 1] prévue la semaine suivante. (') ». La cour ne peut que constater, sans remettre en cause l'incident décrit qui est avéré, que les éléments fournis par M. [K] ne viennent, en aucune manière, étayer le 'Burn Out' dont il se plaint dans sa lettre et il n'a d'ailleurs pas engagé d'action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. La cour note que M. [K] a fait une crise d'épilepsie, selon ses propres termes, laquelle est une maladie neurologique et le malaise dont M. [K] a souffert n'est donc pas la conséquence d'une surcharge de travail, au demeurant non démontrée. La cour relève que M. [K] a fait l'objet d'un arrêt maladie de deux jours. Il a, deux semaines plus tard, bénéficié d'un mi-temps thérapeutique (du 03 novembre 2010 au 12 janvier 2011), dans des conditions que la Société conteste (voir le point 5 ci-après).
« 4) En arrêt maladie à la date du 10 décembre 2010, je suis appelé à mon domicile par une amie qui me demande pourquoi je ne l'ai pas prévenue que j'avais quitté Cerner ».
M. [K] peut relever à juste titre que, en fait, sa messagerie professionnelle a été rendue inactive. Si la procédure peut étonner, elle n'est pas irrégulière dès lors que le contrat de travail de M. [K] se trouvait, du fait de la maladie, suspendu et M. [K] ne peut aucunement prétendre à cette occasion, comme il le fait, à une quelconque « entrave » à son rôle de représentant du personnel. La cour précise, à toutes fins, que la suspension de la messagerie entraîne la suppression des listes de discussion, de façon automatique. En tout état de cause, cette circonstance ne saurait en aucune manière justifier une prise d'acte, d'autant que, dès que M. [K] l'a demandé, sa messagerie a été rétablie.
« 5) Cerner France a ensuite construit une argumentation spécieuse adressée par courrier à la CPAM (') pour s'opposer à la prise en charge de (son) mi-temps thérapeutique de décembre 2010/janvier 2011 ».
La cour ne peut que constater que M. [K] n'apporte pas le moindre élément à l'appui de cette affirmation. La Société indique, sans être utilement démentie, qu'en fait, c'est M. [K] qui avait décidé d'un mi-temps, lequel n'avait pas été régulièrement prescrit, ni autorisé par la CPAM.
« 6) J'ai ensuite repris mon poste le 10 janvier 2011.
Le 19 janvier 2011 se tenait la dernière audition pour l'appel d'Offre du regroupement Meaux-Coulommiers-Lagny. Il s'agissait de la dernière étape (...). J'avais géré cet appel d'offre pendant plus de 26 mois. Or, ce 19 janvier 2011 au matin, M. [J] [N] a chuchoté une consigne à l'oreille de M. [A] [H] qui est alors venu me voir pour me dire de rester au bureau, qu'ils n'avaient pas besoin de moi car ils étaient assez nombreux et également que je n'avais pas pu assez préparer cette audition n'ayant que très récemment repris le travail. (') il s'agissait de (') m'écarter de mon droit à commission ».
La cour comprend que M. [K] ait pu ressentir du dépit de ne pas être présent pour la dernière audition pour un projet qu'il avait porté pendant plusieurs mois. Il demeure qu'il venait de reprendre le travail, après plusieurs semaines d'absence, tandis que son supérieur hiérarchique et un autre collègue avaient également travaillé sur le projet. Il ne peut, en outre, valablement soutenir qu'il s'agissait de l'écarter d'un droit à commission dès lors que la commission lui aurait été due en cas de succès, qu'il peut d'autant moins prouver qu'elle ne l'aurait pas été que le contrat n'a pas été signé.
« 7) Pour mon entretien annuel d'évaluation du 14 avril 2011, j'ai eu la surprise (...) de me voir annoncer par M. [A] [H] que Mme [Y] [V] assisterait en qualité de témoin silencieux à cet entretien 'pour éviter tout quiproquo et malentendu'. A cette situation stressante et soudaine a suivi un entretien de 35mn pendant lequel M. [A] [H] a prononcé 56 fois le mot 'problème'. Il n'a jamais évoqué mes perspectives d'évolution. (') Il n'a fait aucune mention de mes efforts (') mes efforts étaient insuffisants et que je devais redoubler d'efforts pour la nouvelle année. Cette injonction peut être mise en perspective avec le fait que j'ai travaillé jusqu'à 3h du matin dans les locaux de l'entreprise sans qu'aucun manager ne soit présent pour finaliser l'offre du CI de Montreuil (') qui a été perdue pendant ma suspension d'activité (d'Août à Novembre 2011) (') Tout cet entretien n'avait qu'un seul objectif : me placer dans une situation encore plus inconfortable si cela était possible ' toujours dans la recherche de ma démission, (') Ceci est à mettre en perspective avec le fait que j'ai été le plus important animateur de l'activité commerciale sur 2010/2011. Les affaires les plus significatives étaient toutes dans mon portefeuille (') ».
La présence d'un responsable du service des ressources humaines au cours de l'entretien n'a, en elle-même, rien de surprenant, encore moins de répréhensible et relève du pouvoir de direction de l'entreprise. Dans le cas de M. [K], les éléments de la procédure et les relations, mauvaises, qu'il entretenait avec M. [H] à l'époque, ainsi qu'il résulte des pièces qu'il produit, militent au contraire en faveur de la présence d'un tiers pour assurer une forme de 'neutralité' du processus d'évaluation. La cour relève que M. [K] reproche la façon dont s'est tenue la réunion mais ne dit rien de l'évaluation proprement dite. La Société relève à cet égard qu'il a été reproché à M. [K] de ne pas s'être « donné les moyens (pour) obtenir de bons résultats de vente ». Son affirmation qu'il a travaillé sur un projet jusqu'à trois heures du matin n'est étayée par rien. Il ne justifie en aucune manière avoir été « le plus important animateur de l'activité commerciale' ». La question de la suspension d'activité, qui fait l'objet d'un point distinct dans la lettre de prise d'acte, est examinée ci-après.
« 8) En juin 2011, Cerner France a adressé un nouveau courrier de dénonciation calomnieuse à la CPAM pour l'informer de mon prétendu voyage à Göteborg le 03 avril 2011 alors que j'étais en arrêt maladie ».
Cette présentation des faits est quelque peu spécieuse : les pièces qu'il soumet permettent de vérifier qu'en réalité, la Société, ayant découvert que la carte bancaire professionnelle avait été utilisée pour un achat à l'étranger, alors que M. [K] se trouvait en arrêt-maladie, a écrit à la caisse primaire d'assurance maladie pour savoir si elle avait autorisé M. [K] à se rendre à l'étranger (en fait, M. [K] indique qu'il s'agit d'un achat fait sur internet, avec une facture de débit correspondant, effectivement, à une adresse en Allemagne). Mais la Société ne saurait être tenue pour responsable de la décision de la CPAM, au demeurant non démontrée par M. [K], de refuser de prendre en charge les indemnités journalières (refus qui, en outre, peut avoir une autre cause).
« 9) Malgré un nombre d'arrêts maladie importants, malgré un nombre de jours d'arrêts importants (plus de 30 jours en 2010 et plus de 60 jours en 2011), malgré un dernier arrêt d'un mois (..), malgré un 'Burn Out' le 14 octobre 2010, mon employeur, trop pressé sans doute à organiser mon licenciement pour faute, n'a pas jugé utile d'organiser ma visite médicale de reprise ».
Cette présentation est particulièrement confuse. Aux termes de l'article R. 4624-22 du code du travail, le salarié ne doit bénéficier d'une visite médicale de reprise qu'à la suite d'une maladie professionnelle ou après une absence d'au moins 30 jours pour cause de maladie ou d'accident (du travail ou non professionnel). Or, en l'espèce, M. [K] ne démontre ni accident professionnel, ni maladie professionnelle, ni absence pour maladie de plus de 30 jours.
S'agissant de la période de 'suspension d'activité', il n'est pas fondé à invoquer l'absence de visite de reprise.
« 10) '. Du 25 juillet 2011 au 25 novembre 2011, la société CERNER m'a placé dans une situation de 'suspension d'activité' correspondant à une sorte de 'mise en disponibilité'. J'ai été dispensé de me rendre sur mon lieu de travail et de travailler à l'exclusion de mes activités de représentant du personnel qui nécessitaient ma présence'. (Cela a été) particulièrement difficile à vivre, induisant une perte de repère, de relation à l'activité et une coupure avec les collègues de travail (') (période) anxiogène et dévastatrice pour moi ».
La Société fait valoir, d'une part, que la « décision d'envisager de rompre (le) contrat de travail était motivée par la nécessité impérative de prendre une mesure visant à assurer la sécurité de nos salariés se plaignant d'une attitude harcelante ou agressive à leur égard de (la) part (de M. [K]) » ; d'autre part qu'elle a veillé à ce que, pendant la dispense d'activité, M. [K] puisse « en toute sérénité, et sans la moindre difficulté ou entrave, exercer (ses) fonctions de représentant du personnel ».
La cour doit relever ici que la Société n'a toutefois pas engagé à l'encontre de M. [K] une procédure de licenciement pour faute grave, dans le cadre de laquelle elle aurait pu envisager une mise à pied conservatoire, mais une procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse. Or l'employeur se doit de fournir du travail à son salarié. La circonstance que M. [K] ait été rémunéré pendant sa 'suspension d'activité' et qu'il ait pu continuer son activité d'élu du personnel n'est pas de nature à supprimer la faute qu'a commise l'employeur en le privant de travail.
« 11) ' Le CE n'a pas été valablement convoqué ' ». A la supposer réalisée, cette circonstance, que l'inspection du travail n'a au demeurant pas relevé, n'est pas de nature à justifier une prise d'acte.
« 12) Monsieur [D] [U] (' a (') rejeté votre demande d'autorisation de licenciement'. Cette procédure de licenciement injustifiée et rejetée par l'Inspecteur du Travail a constitué une acte (sic) supplémentaire de harcèlement moral à mon encontre ». La cour note que, s'agissant d'un membre élu du comité d'entreprise, la Société, dès lors qu'elle envisageait de procéder au licenciement de M. [K], se devait de saisir l'inspection du travail et cette saisine, en elle-même, ne peut fonder un quelconque grief. L'argument que la Société a utilisé le licenciement dans un cadre de harcèlement moral est distinct et doit être apprécié dans le cadre du harcèlement proprement dit.
« 13) Les conditions de mon retour dans l'entreprise ont ensuite dépassé l'entendement ». M. [K] reproche ici à son employeur de lui avoir proposé une « rupture de contrat à l'amiable moyennant un chèque de 30 000 euros » tout en indiquant que la Société ne retirerait pas sa plainte à son encontre.
M. [K] n'apporte aucune démonstration d'un échange qu'il aurait eu avec M. [D], directeur de Cerner France, distinct de celui évoqué ci-après. Compte tenu des circonstances, il n'est au demeurant pas, en soi, étonnant ni choquant que la Société ait envisagé une rupture négociée (ce qu'elle conteste au demeurant) : à supposer qu'elle ait été formulée, que la proposition initiale ait été inacceptable pour M. [K], la cour peut le comprendre, mais cela ne fonde pas, en soi, un grief à l'encontre de l'employeur.
« 14) Le jeudi 08 décembre 2011 de 10h00 à 10h05 : M. [A] [H], mon responsable hiérarchique direct, m'a fixé une réunion de reprise d'activité' (Il) me demande de réaliser un objectif de 2 000 000,00 € avant le 31 mars 2012 selon un avenant à mon contrat de travail que j'ai refusé de signer. (...) Il ne me restitue pas les régions IDF et régions Nord (..) ce qui constitue une modification substantielle de mon contrat de travail que j'ai refusée et une diminution très sévère de mes possibilités de prospection et de vente' je ne devrai pas prospecter le CHU de [Localité 1] (le plus gros et sans doute le seul potentiel à court/moyen terme de ma région)' ».
Il résulte d'un échange de courriel du 05 décembre 2011 entre M. [K] et M. [D] que des discussions étaient en cours, que M. [K] non seulement ne refusait pas d'y participer mais proposait à M. [H] de lui remettre une proposition écrite, afin qu'il puisse en parler à son conseil, M. [H] lui répondant en proposant que les conseils prennent contact pour « évoquer ensemble les modifications qui (lui) ont été proposées ». Ainsi, M. [K] ne peut prétendre avoir été surpris par la discussion, prévue, du 08 décembre, ni par son contenu. Il faut noter, toutefois, que dans le courriel du 08 décembre par lequel M. [H] confirme à M. [K] les propositions faites, les régions Ile de France et Nord ne figurent plus dans le portefeuille du salarié (pour le CHU de [Localité 1], l'explication donnée que des rapports directs entre directeurs généraux se sont instaurés n'est pas valablement remise en cause par M. [K]). Les objectifs commerciaux ne sont pas chiffrés en montant mais en nombre de rendez-vous par semaine en dehors de la signature de nouveaux clients.
La Société ne répond pas, dans son courrier du 12 mars 2012, sur ce dernier point.
S'agissant de la nouvelle sectorisation géographique, la cour relève que, dans sa décision de refus d'autoriser le licenciement, l'inspection du travail a considéré que « cette nouvelle sectorisation constituait une modification des conditions de travail du salarié qui aurait dû être soumise à son accord, s'agissant d'un salarié protégé, mais que tel n'a pas été le cas ».
La cour considère que M. [K] est, en tout état de cause, fondé à reprocher à la Société d'avoir modifié son secteur de prospection, sans contrepartie.
M. [K] conclut sa lettre dans les termes suivants : « Tous les faits qui précèdent sont la preuve du harcèlement moral mené à mon encontre pour me pousser injustement vers la sortie et me faire céder psychologiquement. Ces faits sont les témoins de la concrétisation d'un situation de souffrance morale au travail qui a progressivement remis en cause mon identité sociale et ma place dans la Société ' A ce jour, je suis détruit et dévasté psychologiquement, outre le fait que mon poste de travail est purement et simplement vidé de toute substance ' Je suis donc contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail, aux torts et griefs exclusifs de la Société CERNER, prenant effet dès la date de première présentation de la présente ' ».
La cour observe qu'il résulte des pièces soumises par M. [K] que le médecin du travail a alerté, le 14 mars 2011, la direction de l'entreprise sur la situation de souffrance au travail de M. [K].
Mais en tout état de cause, compte tenu de ce qui précède, la cour considère qu'en ne fournissant pas de travail à son salarié sans motif légitime pendant plusieurs mois puis en modifiant de manière significative son périmètre d'activité sans contrepartie, la Société a commis des manquements à ses obligations à l'égard de M. [K] dont ce dernier était fondé à prendre acte.
La prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [K] produit les effets d'un licenciement.
La cour confirmera le jugement du conseil de prud'hommes sur ce point, avec cette précision que, M. [K] étant un salarié protégé à l'époque, le licenciement en cause est nécessairement nul.
La cour confirmera le jugement du CPH en ce qu'il a dit condamné la société Cerner à lui payer les sommes de 9 039,93 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 15 845 euros à titre d'indemnité de préavis, en outre les congés payés y afférents, soit la somme de 1 587,50 euros.
M. [K] sollicite en outre une somme de 60 000 euros au titre du licenciement nul, outre une somme de 31 750 euros au titre de la violation du statut protecteur.
Sur ce dernier point, le salarié protégé dont le licenciement est nul a droit à une indemnité forfaitaire d'un montant égal à la rémunération que le salarié aurait perçue entre la date de la rupture et le terme de la période de protection. La Société ne conteste d'ailleurs pas, en soi, le montant sollicité. Il sera fait droit à cette demande.
S'agissant des dommages intérêts au titre du licenciement nul, la cour considère que le CPH, même s'il avait quant à lui retenu le licenciement pour cause réelle et sérieuse, a fait une juste appréciation de la situation en fixant le préjudice à la somme de 33 000 euros. La cour confirmera la décision entreprise, même si elle est sur un fondement un peu différent.
Sur les heures supplémentaires
Il convient de relever d'emblée que la Société non seulement ne conteste pas que l'accord de 1999 concernant le forfait, intervenu dans le cadre de la convention Syntec, a été invalidé par la Cour de cassation et que la convention de forfait-jour passé avec M. [C] [K] est, par voie de conséquence, nulle.
Il demeure que, ainsi qu'il résulte tant de l'article L. 3171-4 du code du travail que de l'interprétation qui en a été donnée, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre des heures de travail accomplies, la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties. Il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
En l'espèce, M. [K] soumet un tableau des horaires effectués de 2006 à 2011 (ses pièces 28 et 29). Ce tableau, dactylographié, présente, semaine par semaine, le nombre d'heures travaillées par semaine, le nombre d'heures à 125% et celui des heures à 150%, la « Valorisation » de ces heures supplémentaires.
La Société réplique que, « (t)out au long de sa relation de travail, il ressort que Monsieur [K] a exercé une très faible activité professionnelle, en raison de très nombreuses absences personnelles qui n'ont jamais été justifiées » (en gras et souligné dans l'original des conclusions), que lors de l'entretien annuel d'évaluation de la fin 2008, il lui a été reproché de passer un temps excessif à ses affaires personnelles au détriment des dossiers de la société ; que l'agenda de M. [K] est très peu rempli de rendez-vous professionnels et d'obligations professionnelles ; que la réalisation d'heures supplémentaires doit, ainsi qu'il est précisé dans un guide distribué aux salariés, être demandée par le 'manager' ou la direction et avoir été validée.
La Société souligne que, s'il y a bien eu une visite de l'Inspection du Travail dans l'entreprise, celle-ci a donné lieu, pour les salariés concernés, à une régularisation, pour les années 2007, 2008 et 2009, courant 2010, dont M. [K] a bénéficié. Elle ajoute avoir mis en place une politique d'autorisation préalable systématique des heures supplémentaires et que M. [K] n'a jamais soumis une telle demande.
Aussi, la société Cerner souligne que le premier tableau dressé par M. [K] de ses heures supplémentaires (sa pièce 28) comporte « d'innombrables incohérences et inexactitudes, privant sa demande de toute pertinence ».
La cour doit d'emblée relever, comme la Société l'a fait, que ce tableau, en apparence très précis, comporte des inexactitudes, que la Société a relevées, sans être utilement contredite par M. [K].
Si les tableaux dressés (pièces 28 et 29 de M. [K]) étaient fiables, la cour devrait pouvoir trouver des explications quant aux différences considérables que l'on peut observer d'un tableau à l'autre et ce, dès la première ligne : pour la semaine du 06 au 10 février 2006, M. [K] a d'abord indiqué qu'il avait travaillé 47,52 heures (la cour ne peut que souligner la précision de la mention) puis qu'il avait travaillé 51 heures ; pour prendre un autre exemple, mais ils sont multiples, pour la semaine du 18 au 22 octobre 2010, M. [K] a d'abord allégué avoir effectué 45,52 heures (toujours cette remarquable précision) mais dans le second tableau, on ne lit 50,5 heures.
Or, M. [K] ne soumet aucun élément d'aucune sorte de nature à permettre de considérer qu'il aurait effectué au moins une partie des heures supplémentaires telles qu'elles apparaissent dans les tableaux qu'il a dressés et qui, présentés sous une forme informatisée, ne présente aucun caractère particulier permettant d'en identifier l'auteur, de préciser la date à laquelle ils ont été établis.
De plus, M. [K] ne conteste pas, en tant que tel, que les heures supplémentaires effectuée antérieurement à la visite de l'inspection du travail lui ont été réglées, soit les heures supplémentaires pour les années 2006 à 2009 incluse, ni que, postérieurement, un système d'autorisation systématique préalable a été mis en place.
Bien plus, La cour note en outre que le caractère systématique de ce tableau lui ôte toute valeur : alors que, pour les années 2007 et 2008, le nombre d'heures travaillées par semaine n'est pas systématiquement le même, il est ensuite presque systématiquement de 42,5 heures du 1er janvier 2009 jusqu'à la période précédant immédiatement le licenciement.
Il faut également relever que seules les semaines de congés payées sont comptées pour 35 heures, tandis que certains chiffres sont incohérents, le tableau de la pièce 29 mentionnant par exemple 29 heures de travail en deux jours, ou 32,5 heures en trois jours, les autres jours de la semaine étant des jours d'arrêt maladie ou de congés.
En d'autres termes, M. [K] n'étaie en aucune manière sa demande d'heures supplémentaires.
Dans ces conditions, M. [K] doit être débouté de sa demande à ce titre et la décision du CPH sera confirmée à cet égard.
Sur la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
La société Cerner France, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens.
Elle sera en outre condamnée à payer à M. [K] une indemnité d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, par décision contradictoire,
Ordonne la jonction des dossiers enregistrés sous les références RG 15/01529 et RG 15/02048, sous la seule référence RG 15/01529 ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a
. dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [K] produisait les effets d'un licenciement, avec la précision apportée aux motifs ;
. condamné la société Cerner France SAS à payer à M. [K] les sommes de :
9 039,93 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
33 000 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
15 845 euros à titre d'indemnité de préavis, en outre les congés payés y afférents, soit la somme de 1 587,50 euros ;
. 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
. débouté M. [C] [K] de sa demande au titre des heures supplémentaires ;
. ordonné le remboursement par la Société des indemnités de chômage versées à M. [K], à concurrence de six mois ;
. condamné la société Cerner aux dépens ;
Infirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la prise d'acte de M. [C] [K] produit les effets d'un licenciement nul ;
Condamne la société Cerner France SAS à payer à M. [C] [K] la somme de 31 750 euros au titre de la violation du statut protecteur ;
Condamne la société Cerner France SA aux dépens d'appel ;
Condamne la société Cerner France SAS à payer à M. [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel ;
Déboute la société Cerner France SAS de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Régine NIRDE-DORAIL, Conseiller en remplacement de Monsieur Olivier FOURMY, Président empêché et par Monsieur Mohamed EL GOUZI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le CONSEILLER,