COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 08 NOVEMBRE 2016
R.G. N° 15/05862
AFFAIRE :
[E] [T]
Syndicat SNRT-CGT FRANCE TELEVISIONS
C/
SA FRANCE TELEVISIONS - FRANCE 3 ILE DE FRANCE
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu(e) le 04 Décembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
Section : Référé
N° RG : 15/00366
Copies exécutoires délivrées à :
Me Marie-laure DUFRESNE-CASTETS
Me Fabrice AUBERT
Copies certifiées conformes délivrées à :
[E] [T],
Syndicat SNRT-CGT FRANCE TELEVISIONS
SA FRANCE TELEVISIONS - FRANCE 3 ILE DE FRANCE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [E] [T]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Comparant en personne, assisté de Me Marie-laure DUFRESNE-CASTETS, avocat au barreau de PARIS
Syndicat SNRT-CGT FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Marie-laure DUFRESNE-CASTETS, avocat au barreau de PARIS
APPELANTS
****************
SA FRANCE TELEVISIONS - FRANCE 3 ILE DE FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Fabrice AUBERT, avocat au barreau de PARIS,
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2016, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président,
Madame Sylvie BORREL, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Mélissa FABRE, greffier en pré-affectation
EXPOSE DES FAITS
M. [T], a été embauché en 2001 comme opérateur de prise de vue par la société FRANCE TELEVISIONS ; il est délégué syndical et représentant du syndicat SNRT CGT depuis 2001.
Le 3 août 2015 il a reçu une mise à pied disciplinaire de 15 jours, pour avoir refusé le 29 juin 2015 d'effectuer un duplex pour le journal national, en raison du dépassement de ses horaires que cela aurait entraîné.
Le 5 novembre 2015 il a saisi en référé le conseil de prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT, aux fins de retrait à titre provisoire de sa mise à pied sous astreinte de 500 € par jour de retard avec paiement d'une provision de 1970 € au titre des journées de mise à pied, outre la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Le syndicat SNRT CGT FRANCE TELEVISIONS intervenu volontairement à ses côtés, a demandé la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, outre celle de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Le conseil, par ordonnance du 4 décembre 2015, dont M. [T] et le syndicat ont interjeté appel, a dit n'y avoir lieu à référé, vu l'existence d'une contestation sérieuse, dans la mesure où il fallait interpréter un accord collectif.
Par des écritures soutenues oralement à l'audience du 20 septembre 2016, auxquelles la Cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu ainsi qu'il suit :
M. [T] et le syndicat SNRT CGT FRANCE TELEVISIONS, sollicitent l'infirmation de l'ordonnance, maintenant leurs demandes initiales.
La société FRANCE TELEVISIONS, ci- après la société, sollicite la confirmation de l'ordonnance, outre le paiement de la somme de 1500 € par chacun des appelants au titre des frais irrépétibles.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon l'article R 1455- 6 du code du travail le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
Selon l'article R 1455- 7 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation.
Aux termes de l'article L.1131-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison de ses activités syndicales.
Il appartient au salarié qui se prétend lésé de soumettre au juge les éléments de faits susceptibles de caractériser cette discrimination, et il incombe à l'employeur de justifier que la situation ou les faits sont justifiés par des éléments étrangers à toute discrimination.
M. [T] expose qu'il avait déjà accepté auparavant des dépassements de ses horaires de travail, mais cette fois-là, le 25 juin 2015, il a refusé à titre syndical, afin que l'employeur respecte les accords collectifs sur le temps de travail.
La société prétend que l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 prévoit la possibilité de prolonger une vacation en raison des circonstances liées à l'actualité, en avisant le jour-même le salarié, simple concertation, sans que l'accord du salarié soit nécessaire.
Elle souligne que le salarié a arrêté sa caméra à 19h08 alors qu'il était encore en service.
Les circonstances sont les suivantes: M. [T], dont les horaires sont 9h30/13h- 14h30/20h, a travaillé le 25 juin 2015 pour le tournage du journal régional en extérieur jusqu'à 19h06 et a arrêté sa caméra à 19h08, refusant d'assurer dans la foulée au même endroit ([Localité 3], au siège de la brigade financière pour l'affaire UBER) le journal national, ce qui aurait entraîné pour lui une fin de tournage à 19h45/19h55, et ce qui allait lui faire terminer sa journée de travail après 20h, rangement du matériel à la station [Localité 2] inclus.
Or, au vu de l'attestation de M. [U], chef opérateur de son, présent ce soir-là avec toute l'équipe de tournage, M. [T] a sur le moment invoqué, dans une conversation téléphonique avec le cadre technique des locaux de [Localité 2], le non respect de l'accord collectif, vu le dépassement prévisible de ses horaires de travail (20h), et vu le délai de prévenance trop court (il a été prévenu à 18h qu'il devait assurer à la fois le JT régional et le JT national).
M. [U] précise qu'il a lui- même terminé son service ce soir- là à 21h, ce qui correspond à une heure de plus que l'horaire de service.
En effet, il n'est pas contesté, comme l'indique M. [U], qu'une fois le tournage terminé vers 19h55, le rangement du matériel nécessitait de ramener le camion de tournage dans les locaux de [Localité 2] et de mettre en charge les batteries du matériel de tournage, alors qu'à cette heure de forte circulation dans [Localité 3] (lieu du tournage à [Localité 3]) et sa proche banlieue sud ([Localité 2]), le retour à [Localité 2] pouvait mettre une heure, comme cela a été le cas ce soir- là.
La société soutient qu'il faudrait interpréter les dispositions de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 pour déterminer si le refus de M. [T] d'exécuter le tournage litigieux était légitime.
Or, l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 indique qu'en principe, pour les activités dont l'organisation est variable, les tableaux de service mentionnant les horaires de travail sont affichés au plus tard le vendredi 17h précédant la semaine concernée, mais ces tableaux peuvent être modifiés :
- jusqu'à l'avant-veille à 17h d'un jour considéré (soit 2 jours avant),
- après l'avant-veille à 17h d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, ces modifications par prolongations ou créations de vacations, ne pouvant intervenir que pour des travaux de sécurité et pour certains secteurs d'activité relevant de la production, de l'actualité, de la continuité des programmes, de l'exploitation ou de la maintenance,
- jusqu'à la veille à 10h d'un jour considéré, des décalages de vacation peuvent intervenir dans certains secteurs d'activité relevant de la production, ou de l'actualité.
Dans l'hypothèse d'un décalage de vacation après la veille à 10h d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, les heures initialement planifiées et non effectuées n'entrent pas dans le décompte du temps de travail effectif mais sont indemnisées à 125%...".
Dans le présent cas, l'allongement de la vacation annoncée à M. [T] une heure avant, soit bien après la veille à 10h du jour considéré, et qui allait nécessairement entraîner un dépassement du temps de travail en soirée, comme exposé plus haut, a donc été annoncée au salarié très tardivement, alors que l'accord ne prévoit pas expressément cette hypothèse, puisque :
- d'une part il n'est pas prévu le cas du décalage de vacation- entraînant son allongement- entre la veille 10h du jour considéré et le jour considéré, la dernière hypothèse étant celle "jusqu'à la veille à 10h d'un jour considéré" (soit environ 24h avant) ;
- d'autre part, le paragraphe suivant "Dans l'hypothèse d'un décalage de vacation après la veille à 10h d'un jour considéré, après concertation avec le salarié, les heures initialement planifiées et non effectuées n'entrent pas dans le décompte du temps de travail effectif mais sont indemnisées à 125%...", n'indique pas qu'un décalage de vacation dans le sens d'un allongement de la vacation (comme dans le présent litige) peut être imposé aux salariés, mais fait clairement référence au cas d'une vacation prévue et qui n'a pu être effectuée par des circonstances indépendantes du salarié, cette vacation étant néanmoins rémunérée à 125% mais ne comptant pour le calcul du temps de travail effectif (le salarié ayant bloqué sa journée conserve sa rémunération, un peu comme une astreinte), et ce si le salarié l'accepte après concertation.
En conséquence, sans qu'il y ait lieu à interprétation de cet accord, dont les dispositions sont claires, il convient par la seule analyse objective de cet accord de considérer qu'il n'existe pas de contestation sérieuse, puisque M. [T] a valablement refusé de poursuivre son travail au delà de 19h08 le 25 juin 2015, car l'acceptation du tournage du journal national sur France 3 entre 19h30 et 19h45 allait entraîner un allongement d'environ une heure de ses horaires de service préalablement planifiés, en contradiction avec l'accord d'entreprise susvisé.
Dès lors, le refus de M. [T] de tourner le journal national de France 3 entre 19h30 à 19h45 est directement lié à son souhait de faire respecter l'accord d'entreprise, comme lui- même l'a clairement annoncé sur le moment, et se justifiait par un net dépassement prévisible de son horaire de service et de celui de ses collègues, avec un délai de prévenance très court, soit environ une heure avant, contrairement à l'esprit de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013 relatif à l'organisation du temps de travail que M. [T] entendait contribuer à faire respecter tant à son égard qu'à l'égard des autres salariés travaillant comme lui pour des activités à organisation variable.
Ces éléments peuvent laisser présumer que la sanction disciplinaire prise à l'égard de M. [T] impliquait une discrimination syndicale, dans la mesure où M. [T] était délégué syndical ; cependant, la question de savoir si la sanction était motivée par une volonté de discrimination syndicale de la part de l'employeur constitue une contestation sérieuse ; en effet, la société fait valoir qu'elle a sanctionné M. [T] pour son refus de poursuivre son travail et rapporte la preuve que ce refus a entraîné la perturbation du déroulement du journal télévisé national de France 3, puisqu'aucune image n'a pu être retransmise.
En revanche, la société était avisée par M. [T], tant au moment de son refus de poursuivre son travail que lors de l'entretien préalable intervenu le 10 juillet 2015, des motifs de ce refus liés au non respect de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013, la sanction disciplinaire de mise à pied doit être considérée comme illicite, en ce qu'elle porte atteinte à un accord d'entreprise.
En conséquence, pour faire cesser ce trouble manifestement illicite, sera ordonné le retrait à titre provisoire de sa mise à pied, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt, et le paiement d'une provision de 1970 € au titre des journées de mise à pied.
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit le 28 octobre 2015.
Selon l'article L 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice concernant des faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
En l'espèce, le syndicat SNRT CGT FRANCE TELEVISIONS est recevable en son intervention volontaire, dans la mesure où il défend la bonne application de l'accord d'entreprise du 28 mai 2013, dont il est signataire avec d'autres syndicats, et notamment les dispositions relatives à l'organisation du temps de travail des salariés travaillant dans les activités de tournage (production et actualité) ayant une activité variable, comme M. [T].
Il sera alloué au syndicat la somme provisionnelle de 2000 € à valoir sur sa demande de dommages et intérêts.
La société devra en outre verser tant à M. [T] qu'au syndicat SNRT CGT FRANCE TELEVISIONS la somme de 1500 € au titre des frais irrépétibles.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la société.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme l'ordonnance de référé du conseil des prud'hommes de BOULOGNE BILLANCOURT en date du 4 décembre 2015, et statuant à nouveau,
Ordonne le retrait à titre provisoire de la mesure de mise à pied de 15 jours prononcée le 3 août 2015 à l'encontre de M. [T] par la société FRANCE TELEVISIONS, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt,
Condamne la société FRANCE TELEVISIONS à payer à titre provisionnel à M. [T] la somme de 1970 € au titre des journées de mise à pied, avec intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2015, outre celle de 1500 € au titre des frais irrépétibles,
Déclare recevable et fondée l'intervention volontaire du syndicat SNRT CGT FRANCE TELEVISIONS ;
Condamne la société FRANCE TELEVISIONS à payer au syndicat la somme provisionnelle de 2 000 € à valoir sur sa demande de dommages et intérêts, outre celle de 1500 € au titre des frais irrépétibles,
Condamne la société FRANCE TELEVISIONS aux dépens de première instance et d'appel,
- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, Président et par Madame FABRE, Greffier en pré affectation, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,