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23/02/2017 | FRANCE | N°15/00499

France | France, Cour d'appel de Versailles, 16e chambre, 23 février 2017, 15/00499


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 53B



16e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 23 FEVRIER 2017



R.G. N° 15/00499



AFFAIRE :



[T] [F]

...



C/

SA HSBC FRANCE ...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Novembre 2013 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 09

N° Section : 1

N° RG : 12/10103



Expéditions exécutoires

E

xpéditions

Copies

délivrées le :



à :



Me Audrey LE CUNFF, avocat au barreau de VERSAILLES -



Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT TROIS FEVRIER DEUX MILLE DIX SEPT, a...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53B

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 FEVRIER 2017

R.G. N° 15/00499

AFFAIRE :

[T] [F]

...

C/

SA HSBC FRANCE ...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Novembre 2013 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 09

N° Section : 1

N° RG : 12/10103

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Audrey LE CUNFF, avocat au barreau de VERSAILLES -

Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS FEVRIER DEUX MILLE DIX SEPT, après prorogation,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [F]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

Représentant : Me Audrey LE CUNFF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 600 -

Représentant : Me Edith LAGARDE-BELLEC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2524

Monsieur [Y] [E]

né le [Date naissance 2] 1967 à[Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 1]

Représentant : Me Audrey LE CUNFF, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 600 -

Représentant : Me Edith LAGARDE-BELLEC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2524

APPELANTS

****************

SA HSBC FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

N° SIRET : 775 670 284

[Adresse 2]

Représentant : Me Franck LAFON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20150030

Représentant : Me Sophie LEYRIE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0071 -

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Novembre 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odette-Luce BOUVIER, Président et Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Odette-Luce BOUVIER, Président,

Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,

Madame Ghislaine SIXDENIER, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Bernadette RUIZ DE CONEJO,

FAITS ET PROCEDURE,

Le 21 mai 2002, MM. [E] et [F], avocats, ont demandé à la banque Hervet, aux droits de laquelle se trouve la société anonyme HSBC France, de leur ouvrir un compte professionnel dans ses livres.

Par acte sous seing privé du 10 juillet 2002, enregistré le 19 juillet 2002, la banque Hervet a consenti à M. [E] et M. [F], pour les besoins de leur activité professionnelle, un prêt destiné au financement de l'aménagement de leurs nouveaux locaux, d'un montant de 130.000 €, d'une durée de sept ans, productif d'intérêts au taux de 6,90 %.

Le 10 novembre 2005, elle leur a accordé un contrat d'ouverture de crédit, sous forme d'une autorisation de découvert en compte courant, d'une durée indéterminée, et d'un montant de 95.000€, porté par contrat d'ouverture de crédit du 1er décembre 2006, à 280.000 €- et non 270.000 € - jusqu'au 31 décembre 2006, montant devant être ramené à 250.000 € le 1er janvier 2007.

Par lettre du 6 mai 2008, la SA HSBC France, constatant que le solde du compte, de 269.487,69€, dépassait de 19.487,69 € le montant de l'autorisation, a invité M. [E] et M. [F] à régulariser leur situation.

Selon courrier du 4 septembre 2008, elle a à nouveau mis en demeure les défendeurs, en les informant qu'à défaut de remboursement le 4 novembre 2008, elle dénoncerait la convention de découvert et prononcerait, s'agissant du prêt de 130.000€, la déchéance du terme.

MM. [E] et [F] ont alors fait le 5 novembre 2008 des propositions d'apurement.

Les propositions faites n'ayant pas été suivies d'effet, par lettre du 26 septembre 2009, la SA HSBC France a, d'une part, dénoncé par application de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier les concours par caisse accordés à MM. [E] et [F], d'autre part, mis en demeure ces derniers de régler le solde restant dû au titre du prêt équipement, échu depuis le 16 juillet 2009, et s'élevant à la somme de 30.310,49 €.

Des pourparlers ont eu lieu entre les parties, et une solution amiable a été recherchée, M. [E] et M. [F] ayant fait le 16 novembre 2009, puis le 9 mars 2010, de nouvelles propositions d'apurement.

Après avoir à nouveau mis en demeure M. [E] et M. [F] les 18 mai 2011 et 26 avril 2012, la SA HSBC France les a, par acte d'huissier de justice du 27 juin 2012, assignés devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement de la somme de 332.564,93 euros.

Par jugement contradictoire rendu le 19 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion,

- condamné solidairement M. [E] et M. [F] à payer à la SA HSBC France la somme de 30.310,50 €, qui portera intérêts au taux du contrat, soit 6,90%, majoré de un point à compter du 23 février 2010,

- condamné solidairement M. [E] et M. [F] à payer à la SA HSBC France la somme de 302.254,43€, qui portera intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2010,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

-condamné MM. [E] et [F] à payer à la SA HSBC France la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné MM. [E] et [F] aux dépens,

-ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration reçue le 8 janvier 2014, M. [F] et M. [E] ont formé appel de cette décision.

La cour d'appel de Versailles a, par arrêt avant-dire droit rendu le 7 avril 2016,

- ordonné la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture pour permettre à la SA HSBC France de':

*distinguer et récapituler le montant des frais ' rejets, prélèvements, commission d'intervention et autres ' avec indication de leur date, sur toute la période de fonctionnement du compte,

*préciser le taux d'intérêts et agios bancaires appliqués au compte de M. [E] et M. [F], avocats, avec indication des périodes afférentes,

*produire les relevés de compte demandés par MM. [E] et. [F], soit les relevés de l'année 2003, les relevés des mois de février, avril, juin, juillet, septembre, novembre 2005, les relevés des mois de septembre, novembre, et décembre 2006, du mois de mars 2007 et du mois de janvier 2008 de leur compte professionnel ouvert dans les livres de la banque HSBC France ;

- sursis à statuer sur toutes autres demandes jusqu'à la reprise des débats sur le fond,

- dit que la banque devra avoir satisfait à l'injonction ci-dessus et conclu avant le 27 juin 2016 et que l'affaire est renvoyée pour clôture à la conférence de mise en état du 27 septembre 2016,

-fixé l'affaire à l'audience des plaidoiries du 9 novembre 2016 à 14h,

- réservé les dépens.

Dans leurs dernières conclusions après arrêt avant-dire droit transmises le 3 novembre 2016, M. [F] et M. [E], appelants, demandent à la cour de :

-déclarer recevable leur appel interjeté à l'encontre du jugement rendu le 19 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Paris, et les y déclarer fondés,

-infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

-constater que la SA HSBC France n'a répondu que très partiellement à l'injonction qui lui a été faite par arrêt du 7 avril 2016,

- constater que la SA HSBC France ne justifie pas du caractère contractuel des intérêts, agios et frais appliqués,

- constater que la SA HSBC France entrave le calcul de la part des frais, intérêts et agios dans le montant de la créance qu'elle revendique,

En conséquence,

- dire et juger que la SA HSBC France est mal fondée en sa demande de paiement et la débouter de ses demandes,

A tout le moins,

- dire et juger que la SA HSBC France est mal fondée en sa demande de paiement de la somme de 214.452,46 € à laquelle s'élèvent au minimum les seuls frais, intérêts et agios dont elle a permis le calcul,

En conséquence,

- réduire le montant de leur dette de la somme minimum de 214.452,46 €,

- constater la violation par la SA HSBC France de son devoir de mise en garde et de son obligation de conseil à leur égard,

- condamner la SA HSBC France à réparer le préjudice qu'ils ont subi par le paiement à leur profit d'une somme de 30.310,50 € avec intérêts au taux contractuel de 6.90% majoré de un point à compter du 23 février 2010, et de la somme de 302.254,43 € avec intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2010,

- ordonner la compensation entre ces sommes et les condamnations qui seront prononcées à leur encontre,

Subsidiairement,

- condamner la SA HSBC France à réparer le préjudice qu'ils ont subi par le paiement à leur profit d'une somme de 214.452,46 € à parfaire au vu des relevés de compte mentionnés ci-dessus que la SA HSBC France sera condamnée à produire,

- ordonner la compensation entre cette somme et les condamnations qui seront prononcées à leur encontre,

- leur accorder les plus larges délais pour se libérer du surplus de leur dette,

- condamner la SA HSBC France à leur payer la somme de 8.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SA HSBC France à supporter les entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, M. [F] et M. [E] font valoir :

- qu'il appartient à la SA HSBC France de justifier d'une part, du caractère contractuel des intérêts, frais et agios dont elle demande le paiement et, d'autre part, du calcul exact de ces intérêts, frais et agios ; qu'elle n'a jamais transmis à ses clients les conditions tarifaires applicables, qui ne figurent pas sur les relevés de compte ; que les seuls frais, intérêts et agios qui ont pu être calculés représentent à eux seuls 65% de la somme dont le paiement est poursuivi par la SA HSBC France; qu'en dépit de l'injonction qui lui a été faite par la cour, la SA HSBC France ne justifie toujours pas du caractère contractuel des taux d'intérêts appliqués, des agios et des frais facturés ; que la SA HSBC France empêche le calcul de la part exacte de la créance que représentent les frais, intérêts et agios qu'elle a prélevés de façon non contractuelle ;

- que le délai de prescription quinquennale, prévu par l'article 1304 du code civil et soulevé par la SA HSBC France, ne concerne que l'action en nullité ou en rescision d'une convention, ce qu'ils n'ont pas demandé ;

- que, s'agissant du devoir de mise en garde, le dispensateur de crédit doit vérifier les capacités financières de l'emprunteur non averti et doit l'alerter sur les risques de l'endettement ; qu'il appartient à la banque d'établir que le client est un emprunteur averti, mais, en outre, que la qualité d'emprunteur averti ne se déduit pas de la seule profession exercée par l'emprunteur et ne se confond pas avec la notion de professionnel ; qu'ils ne sont pas des emprunteurs avertis et l'étaient d'autant moins à la date de l'octroi des crédits, ne disposant pas, alors, des connaissances financières leur permettant de vérifier que leurs capacités leur permettaient de faire face à leur endettement ; que la SA HSBC France n'a ni procédé à des vérifications, ni alerté ses clients sur le risque d'endettement qu'ils encouraient, et a laissé la situation se dégrader.

- que, s'agissant de l'obligation de conseil, la banque doit analyser la situation financière de ses clients pour rechercher et leur proposer les solutions de financement les mieux adaptées à leur situation, de façon à éviter de les entraîner dans une situation d'endettement injustifiée, ce qu'elle n'a pas fait ; que la SA HSBC France a présenté des solutions de manière tardive, et qui ne tendaient qu' à préserver ses intérêts, à leur détriment.

Dans ses dernières conclusions récapitulatives après arrêt avant-dire droit transmises le 7 novembre 2016, la SA HSBC France, intimée, demande à la cour de :

- débouter purement et simplement MM. [F] et [E] de toutes leurs demandes ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamner MM. [F] et M. [E] au paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, la SA HSBC France expose :

- que MM. [F] et M. [E], jusqu'à leur dernières écritures signifiées le 7 juillet 2015, n'ont jamais contesté ni le principe ni le quantum de sa créance ; qu'ils n'avaient d'ailleurs jamais élevé le moindre grief à son encontre avant qu'elle n'engage la procédure contentieuse ; que leur demande devra être déclarée irrecevable par la cour car, le délai de prescription quinquennale devant être retenu, elle est prescrite, alors qu'ils avaient tous les éléments pour élever une contestation dans le délai de prescription.

- qu'il résulte des conditions générales versées aux débats que le montant des intérêts, frais et agios facturés à M. [F] et M. [E] étaient contractuellement prévus ; que, néanmoins, pour répondre à l'arrêt avant-dire droit rendu par la cour d' appel de Versailles le 7 avril 2016, elle communique certaines pièces ;

- que contrairement aux affirmations des appelants, les tickets d'agios justifient très précisément du montant des frais puisqu'ils correspondent à des factures détaillant la nature des différents frais, intérêts, commissions de découvert et commissions de mouvement auxquels s'ajoute la TVA ; qu'elle produit également un tableau récapitulant le montant des frais prélevés sur toute la période du compte à compter de septembre 2003 et qui s'élève à la somme de 131.098,94 €.

- qu'en ce qui concerne le manquement au devoir de mise en garde, une jurisprudence constante de la Cour de cassation affirme que cette faute de la banque ne peut être soulevée que par un emprunteur profane, les emprunteurs avertis étant mal fondés à soulever un tel argument ; que M. [F] et M. [E], dirigeants de l'association d'avocats, puis de la SELARL qu'ils ont constitué, ne sont pas profanes et connaissaient parfaitement la situation financière de leur entreprise ;

- que, concernant le manquement au devoir de conseil, il s'agit d'une nouvelle argumentation, sur laquelle le tribunal ne pouvait pas statuer en première instance ; que la responsabilité de la banque pour un manquement au devoir de conseil ne peut être engagée que s'il est établi que le banquier avait, sur la situation financière où les perspectives de l'opération financière, des renseignements que l'emprunteur ignorait ; que M. [F] et M. [E] ne démontrent pas que la société HSBC France avait des renseignements sur leurs capacités de remboursement qu'ils ignoraient par suite de circonstances exceptionnelles, de sorte que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, elle n'est redevable d'aucun devoir d'information et de conseil.

Elle indique s'opposer à la demande de délai des appelants, MM. [F] et [E] , au motif que leurs nombreux engagements n'ont jamais été tenus, qu' ils ont bénéficié de cinq années de délai sans avoir versé le moindre acompte pour venir régler leur dette, alors qu'ils ne l'ont jamais contestée avant la procédure contentieuse ; elle souligne que M. [F] et M. [E] ne produisent aucune pièce venant appuyer leur demande de délais.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 8 novembre 2016.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la prescription de la demande de suppression des intérêts, agios et frais prélevés sur le compte bancaire :

La cour relève que MM. [F] et [E] n'ont pas expressément et directement contesté, avant le 15 juillet 2015 le montant des intérêts, agios et frais prélevés par la banque à l'occasion des opérations débitrices et sur le solde débiteur du compte.

Contrairement aux allégations de la banque intimée, la déchéance du terme du prêt et l'exigibilité du solde du compte courant ont été prononcées simultanément par lettre recommandée avec avis de réception du 16 septembre 2009, le courrier du 4 septembre 2008 s'analysant en une simple mise en demeure avant exigibilité. MM. [F] et [E] ne pouvaient donc contester le montant des intérêts frais et agios facturés par la SA HSBC France que pendant cinq ans à compter du 16 septembre 2009, soit jusqu'au 16 septembre 2014. Il est constant que leur demande, formulée pour la première fois aux termes du dispositif de leurs écritures du 8 juillet 2015, doit être déclarée prescrite comme tardive.

Dès lors, ils seront reconnus irrecevables en leur demande de restitution par la banque des sommes accessoires correspondant aux intérêts, agios et frais portés sur leur compte professionnel, et ce quelque puisse être la pertinence de leurs observations sur le défaut de signature par eux d'une convention de compte ou au moins des conditions générales de la banque stipulant le taux et le montant des accessoires de la créance.

Sur la violation par la banque de son obligation de mise en garde :

Il résulte d'une jurisprudence constante prise sur le fondement de l'article 1147 du code civil, que le dispensateur de crédit doit vérifier les capacités financières de l'emprunteur non averti et l'alerter sur les risques de l'endettement. (cass. Civ 1ère 12 juillet 2005, n° 03-10.921 ; Ch.Mixte 29 novembre 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673 ; Civ. 1ère 19 novembe 2009, N° 07-21.382).

Il est constant que la situation de l'emprunteur s'apprécie in concreto, selon la profession et les connaissances du débiteur et la nature et la complexité de l'engagement contracté. Force est de constater qu'en l'espèce, MM. [F] et [E] n'ont souscrit qu'un prêt professionnel de 130.000€ destiné à financer des travaux dans leur cabinet d'avocats en novembre 2002, moyennant des mensualités à taux fixe sur une durée de sept ans, ainsi que deux conventions d'ouverture de crédit en compte professionnel, les 10 novembre 2005 puis 1er décembre 2006.

Ces trois conventions sont dépourvues de grande complexité et en tant que dirigeants de leur association d'avocats, puis de la SELARL qu'il sont constituée, MM. [F] et [E] ne pouvaient qu'en comprendre la portée ainsi que connaître parfaitement la situation financière de leur entreprise et partant, leur capacité d'endettement et de remboursement. Force est de constater que les appelants ne démontrent pas leur affirmation selon laquelle la société HSBC France leur aurait encore proposé en octobre 2008 une nouvelle ouverture de crédit multipliant par 2,5 le dernier découvert autorisé. Il apparaît que le projet d'ouverture d'un cabinet d'avocats était viable en 2002, et il n'est pas prétendu que les perspectives de rentabiliser l'opération présentaient des facteurs de risque excédant ceux inhérents à toute entreprise.

Enfin MM. [F] et [E], ainsi que l'a justement souligné le jugement entrepris, ne justifient pas non plus, comme ils ne seraient en droit de le faire que dans le cadre de l'examen du respect par la banque de son obligation de mise en garde, que la banque ait eu sur leur situation financière, en 2005 comme en 2006, des informations qu'ils auraient eux-mêmes ignorées.

La banque n'a donc pas commis de manquement à son obligation de mise en garde vis à vis des appelants.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté MM. [F] et [E] de

leur demande d'indemnisation de la violation par la banque de son devoir de mise en garde.

Sur le manquement de la banque à son devoir de conseil :

MM. [F] et [E] font grief à la banque HSBC France, devant la cour, de son inertie certaine et même de son accompagnement de leur "agonie financière", qu'ils lui reprochent d'avoir encouragée en laissant leur situation se dégrader dans des proportions déraisonnables, puisqu'elle a augmenté de façon exponentielle sans réagir et même en l'encourageant, le découvert de leur compte courant, pendant toute la période courant de mai 2002 à septembre 2009. Ils arguent que la SA HSBC France est responsable de l'endettement qu'elle a volontairement laissé se créer et dont elle demande aujourd'hui le remboursement.

Les appelants substituent ainsi en appel, au grief tiré d'un soutien abusif et développé en première instance, celui de manquement de la SA HSBC France à son devoir de conseil.

La cour relève qu'une telle demande n'est pas nouvelle en cause d'appel dès lors qu'elle tend aux mêmes fins à savoir l'indemnisation du préjudice allégué du fait de manquements de la banque à ses obligations . Il s'en déduit que la prétention fondée sur une violation du devoir de conseil est dès lors recevable en cause d'appel.

La cour rappelle que la banque, établissement de crédit contractant avec un non-commerçant personne physique, même professionnel, même emprunteur averti, a une obligation de vigilance et de suivi des comptes bancaires ouverts dans ses livres.

En l'espèce, dès le 10 juillet 2002, deux mois seulement après son ouverture, le compte des appelants fonctionnait déjà en position débitrice - 29.000 € au 31 mai 2002 et -45.000 € au 30 juin 2002-, sans que la banque ne réagisse en les incitant à la régularisation de leur compte. Alors que le compte a toujours fonctionné en débit et que le solde débiteur n'a cessé d'augmenter, la banque n'a accordé une première autorisation de découvert selon convention écrite qu'après presque trois années de fonctionnement du compte en position débitrice, et encore ce découvert était lors de son accord, déjà dépassé. Dans les mois suivants cette première autorisation, dès le mois de mai 2006, le compte a repris son fonctionnement en position débitrice, mais très aggravée, puisque le débit au second semestre 2006 a atteint 132.000 à 209.000 €. Au lieu de consentir à ses clients un prêt résorbant l'arriéré, ce qui aurait permis de limiter le montant des frais et intérêts, la banque a proposé une nouvelle autorisation de découvert, dont le montant multipliait par 2,5 celui de l'autorisation consentie seulement un an auparavant. Ces solutions se sont avérées très coûteuses pour les clients, dont le compte n'est jamais revenu en position créditrice en sept ans de relations: les intérêts et frais représentent en effet à eux seuls plus de la moitié de la dette.

Ainsi la banque s'est-elle montrée négligente dans le suivi des comptes de ses clients et défaillante dans la proposition de solutions conformes à leur intérêt, le mode de financement dans lequel elle s'est engagée n'étant pas adapté à la situation de MM. [F] et [E], lesquels ont à plusieurs reprises demandé des prêts.

Elle n'a pas respecté son devoir de conseil vis à vis de clients qui pouvaient s'attendre à une assistance dans la tenue de leur compte, et a négligé leurs intérêts. La SA HSBC France devra donc répondre du préjudice à nature de perte de chance de résorber leur endettement causé à MM [F] et [E]. Compte tenu du caractère averti des appelants des circonstances de la cause, qui font que l'octroi d'un prêt à moyen terme aurait donné lieu à perception d'intérêts, et du fait que la réparation de la perte de chance de par sa nature n'aboutit jamais à la réparation intégrale du préjudice,

La cour dispose des éléments suffisants pour accorder aux appelants, ajoutant à la décision déférée, une somme de 80.000 € à titre de dommages-intérêts au titre de la violation du devoir de conseil.

Sur la compensation :

MM. [F] et [E] sollicitent le bénéfice de la compensation judiciaire entre les condamnations qui seront confirmée ou prononcées à l'encontre de chacune des parties.

Les dettes réciproques définies par le présent arrêt étant pareillement certaines, liquides et exigibles, il est fait droit à la demande de compensation.

Sur la demande de délais :

M. [F] et M. [E] sollicitent le bénéfice des plus larges délais de paiement de l'article 1244-1 du code civil, sans aucun motif ni communication des pièces justificatives de leurs revenus ni du chiffre d'affaire ou de la comptabilité de la SELARL. Force est de constater qu'ils ont bénéficié de cinq années de délai sans avoir versé le moindre acompte pour venir régler leur dette, alors qu'ils ne l'ont pas contestée avant la procédure contentieuse. Il n'apparaissent pas en mesure de s'acquitter des sommes conséquentes dûes même dans les plus larges délais de la loi.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a rejeté leur demande de délais de règlement.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il n'apparaît pas inéquitable au vu des circonstances de la cause, chacune des parties succombant en certaines de ses prétentions, de laisser à leur charge les frais irrépétibles de procédure exposés en demande et en défense à l'appel.

Sur les dépens :

MM. [F] et [E], demeurant condamnés envers la SA HSBC France, supporteront les dépens d'appel comme de première instance.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Confirme le jugement rendu le 19 novembre 2013 par le tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu'il a débouté les parties de leur demande de compensation des sommes respectivement dues par les parties,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Condamne la SA HSBC France à payer à MM. [Y] [E] et [T] [F] une somme de 80.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la violation par la banque de son devoir de conseil ;

Ordonne la compensation entre les sommes que se doivent mutuellement les parties, à dûe concurrence de leur montant respectif ;

Déclare irrecevable la demande de restitution par la SA HSBC FRANCE des sommes accessoires correspondant aux intérêts, agios et frais portés sur leur compte professionnel ;

Rejette les prétentions fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, Président et par Madame RUIZ DE CONEJO, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 16e chambre
Numéro d'arrêt : 15/00499
Date de la décision : 23/02/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 16, arrêt n°15/00499 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-02-23;15.00499 ?
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