COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53I
16e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MARS 2017
R.G. N° 15/04014
AFFAIRE :
[I] [T] [O]
C/
SA SOCIETE GENERALE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Avril 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 6
N° Section :
N° RG : 13/10149
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
SCP SOUCHON CATTE LOUIS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS
SCP B.L.S.T., avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MARS DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [I] [T] [O]
né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
Représentant : Me Jean-françois LOUIS de la SCP SOUCHON CATTE LOUIS ET ASSOCIÉS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0452 - N° du dossier 15331
APPELANT
****************
SA SOCIETE GENERALE
N° SIRET : 552 120 222
[Adresse 2]
Représentant : Me Stéphanie SINGER de la SCP B.L.S.T., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 709 - N° du dossier 132174
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Février 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Odette-Luce BOUVIER, Président chargé du rapport et Madame Ghislaine SIXDENIER, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Odette-Luce BOUVIER, Président,
Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller,
Madame Ghislaine SIXDENIER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Bernadette RUIZ DE CONEJO,
FAITS ET PROCEDURE,
Par acte sous seing privé du 12 novembre 2009, M. [J] [X], Mme [S] [U] et M. [T] [O] ont constitué une société civile immobilière dénommée SCI De Guercheville.
M. [X] a été désigné aux fonctions de gérant de la société pour une durée illimitée.
En janvier 2010, M. [X] a élaboré avec la société anonyme (SA) Société Générale un projet de financement aux fins d'acquérir une maison en tant qu'habitation principale pour lui et Mme [U], pour un montant de 410.000 euros.
La SA Société Générale leur a remis une étude personnalisée en janvier et en février 2010 proposant un prêt par palier. Ces propositions prévoyaient pour garantir le prêt la caution personnelle et solidaire des trois associés de la SCI.
Le projet de financement a été finalisé le 11 mars 2010 par la SA Société Générale et la SCI De Guercheville et ses trois actionnaires après collecte des informations nécessaires à l'élaboration du projet par M. [T] [Q], préposé de la SA Société Générale.
Le remboursement du prêt a été prévu de la façon suivante, par paliers :
- palier 1 : sur 201 mois avec des échéances assurance comprise d'un montant de 2.202,86 euros
- palier 2 : sur 39 mois avec une mensualité de 4.148,06 euros.
La SA Société Générale a garanti le remboursement du prêt au moyen de la caution personnelle et solidaire des trois associés de la société, ainsi que par un privilège de prêteur de deniers de premier rang à hauteur de 400.000 euros sur le bien financé.
L'offre a été acceptée par les trois associés de la SCI le 6 avril 2010.
M. [O] s'est porté caution personnelle et solidaire des engagements de la SCI au même titre que les deux autres associés en garantie du prêt à hauteur de la somme de 520.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 264 mois.
Par acte du 28 avril 2010 reçu par maître [N] [V], Notaire associé à [Localité 2], la SCI De Guercheville a acheté une maison à usage d'habitation au [Adresse 3].
L'acte de prêt a été annexé à l'acte de vente du bien, objet du prêt.
A compter de juillet 2012, les échéances du prêt n'ont plus été honorées par la SCI De Guercheville.
Par différents courriers en date des 26 septembre 2012, 17 décembre 2012, et 11 avril 2013, la SA Société Générale a informé M. [O] du non-paiement des échéances par la SCI De Guercheville.
La banque a mis M. [O] en demeure de régulariser la situation pour éviter le prononcé de l'exigibilité anticipée du prêt et le paiement intégral des sommes dues.
Le 18 juillet 2013, la SA Société Générale a prononcé la déchéance du terme du prêt, mettant la SCI De Guercheville en demeure de payer la somme de 420.716,83 euros, outre les intérêts de retard au taux contractuel jusqu'à complet paiement précisant que faute de règlement, elle procéderait au recouvrement judiciaire de sa créance.
Le 10 juillet 2013, la SA Société Générale a informé M. [O] du prononcé de l'exigibilité anticipée du prêt consenti et l'a mis en demeure de lui payer la somme de 420.716,83 euros.
Selon ordonnance sur requête en date du 31 juillet 2013, 1e juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a autorisé la SA Société Générale à inscrire des hypothèques judiciaires provisoires sur deux biens immobiliers appartenant à M. [O] situés à Montrouge.
Ces inscriptions d'hypothèque ont été publiées le 2 août 2013 et dénoncées à M. [O] le 7 août suivant.
Parallèlement, par acte d'huissier du 22 août 2013, la SA Société Générale a assigné M. [O] devant le tribunal de grande instance de Nanterre sur le fondement des articles 1134 et 2298 du code civil, en paiement des sommes de' 420.716,83 euros arrêtée au 10 juillet 2013, augmentée des intérêts au taux conventionnel de 7 % l'an du 11 juillet 2011 jusqu'à parfait paiement et capitalisation annuelle des intérêts.
Par jugement rendu le 17 avril 2015, le tribunal de grande instance de Nanterre, retenant notamment qu'au regard de l'objet social de la SCI, de la qualité d'associé fondateur de cette SCI de M. [O] et de sa qualité d'associé d'une autre SCI qui a pour objet la gestion de deux autres biens immobiliers, ni la SCI ni M. [O] ne peuvent être considérés comme emprunteurs ou des cautions profanes, mais au contraire comme des interlocuteurs avertis des transactions immobilières ou financières ; que M. [O] ne saurait invoquer le manquement par la banque de son devoir de mise en garde, la preuve n'étant pas apportée en outre de ce que la banque détenait sur la situation du débiteur ou de la caution avertis des informations qu'eux-m^mes auraient ignorées, et le prêt litigieux n'étant pas disproportionné par rapport aux capacités financières de l'emprunteur, les échéances ayant été honorées pendant plus de deux ans, a :
- condamné M. [O] à payer à la SA Société Générale les sommes de :
*419.615,93 euros avec intérêts à compter du 11 juillet 2013, au taux conventionnel de 7 % l'an sur la somme de 394.095,19 euros et au taux légal sur celle de 25.520,74 euros,
*800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les intérêts échus pour une année entière depuis la demande en justice (2 septembre 2013) produiront eux-mêmes intérêts à compter du 2 septembre 2014,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- rejeté toutes plus amples demandes des parties,
- condamné M. [O] aux dépens.
Le 1er juin 2015, M. [O] a formé appel de la décision.
Dans ses conclusions transmises le 31 août 2015, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [O], appelant, demande à la cour de :
-le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
Y faisant droit :
-infirmer en toutes ses dispositions le jugement,
Statuant à nouveau ;
-dire et juger que la SA Société Générale a manqué à son devoir de vigilance, d'information, de mise en garde, et qu'elle a commis une erreur d'appréciation manifeste,
A titre principal,
- dire et juger que la SA Société Générale a commis une faute en accordant le prêt litigieux en date du 25 mars 2010 pour un montant excessif de 400.000 euros et qu'elle lui a causé un préjudice, sachant qu'il ne se serait pas porté garant en qualité de caution solidaire et personnelle si la SA Société Générale avait respecté ses obligations,
En conséquence,
- condamner la SA Société Générale à réparer son préjudice pour un montant de 420.716,83 euros de dommages et intérêts,
- ordonner la compensation entre le montant des dommages et intérêts qui lui sont accordés et les sommes réclamées par la SA Société Générale,
- ordonner la mainlevée aux frais exclusifs de la SA Société Générale des deux inscriptions d'hypothèques judiciaires conservatoires que la SA Société Générale a fait publier auprès de la conservation des hypothèques de [Localité 3], sur les deux biens immobiliers lui appartenant situés à [Localité 4],
A titre subsidiaire,
- lui accorder les plus larges délais pour le paiement d'éventuelles condamnations,
En tout état de cause :
- condamner la SA Société Générale aux entiers dépens de l'instance,
- condamner la SA Société Générale à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Au soutien de ses demandes, M. [O] fait valoir :
- que le crédit consenti par la SA Société Générale a conduit au surendettement de la SCI De Guercheville, le montant de ce prêt dépassant les capacités financières de la société et des associés; que la banque a commis une faute en ayant accordé un crédit excessif sans avoir alerté l'emprunteur ;
- que le patrimoine immobilier et mobilier de la caution ne peut être pris en compte pour accorder un prêt ; que les revenus des trois associés au moment de la souscription du prêt, en mars 2010 (revenus bruts mensuels de 1.528,78 euros, 1.368 euros et environ 1.400 euros), ne pouvaient justifier l'accord donné par la banque pour un prêt d'un montant aussi important ; que la durée durant laquelle les échéances ont été honorées, soit deux ans, est extrêmement courte au regard de la durée totale du crédit (240 mois, soit 20 ans) ;
- que le prêt avait été souscrit dans l'objectif de l'acquisition de l'habitation principale de M. [X] et Mme [U], dont les ressources ne correspondaient pas à trois fois la mensualité ; que la SA Société Générale n'a engagé de recours que contre lui ce qui démontre qu'elle est consciente de l'insolvabilité de la SCI et des deux associés bénéficiaires du paiement ; que ce recours exclusif caractérise une faute supplémentaire de la banque, qui ne peut lui faire supporter seul la charge du paiement ;
- que la SA Société Générale a finalement assigné M. [X] et Mme [U] le 21 juillet 2014 devant le tribunal de grande instance de Fontainebleau, après qu'elle ait déposé ses conclusions devant la juridiction de Versailles ;
- que c'est à tort que le jugement déféré a considéré la SCI De Guercheville comme un emprunteur averti, la jurisprudence s'opposant à l'octroi de cette qualification sur la seule base de la rédaction de l'objet social de l'emprunteur ; qu'il fallait vérifier si les associés disposaient de la compétence, de l'expérience et des ressources nécessaires pour que la SCI puisse recevoir cette qualification; - que, selon la jurisprudence, la distinction entre caution non avertie et caution avertie est similaire à celle opposant l'emprunteur non averti et l'emprunteur averti ; qu'il ne peut être qualifié de caution avertie ou de professionnel, même au regard de son patrimoine immobilier ; que la SA Société Générale était tenue d'un devoir de mise en garde à son encontre ;
- que la jurisprudence de la Cour de cassation consacre la responsabilité de l'établissement de crédit dans son manquement au devoir d'éclairer l'emprunteur sur les avantages et inconvénients du crédit consenti et que cette jurisprudence bénéficie aux emprunteurs profanes comme avertis;
- que, du fait de la faute de la banque, il a subi un préjudice consistant en la perte d'une chance de ne pas se porter caution et de ne pas contracter ;
- qu'il reçoit aujourd'hui une pension de retraite de 28.047,79 euros annuels, soit 2.300 euros par mois, qui ne lui permet pas de rembourser l'intégralité de la somme en une seule fois.
Dans ses conclusions transmises le 30 octobre 2015, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA Société Générale, intimée, demande à la cour de :
- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer en tous ses éléments le jugement rendu le 17 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Nanterre entre les parties,
En conséquence,
- condamner M. [O] à lui payer les sommes de :
*419.615,93 euros avec intérêts à compter du 11 juillet 2013, au taux conventionnel de 7 % l'an sur la somme de 394.095,19 euros et au taux légal sur celle de 25.520,74 euros,
*800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que les intérêts échus pour une année entière depuis la demande en justice (2 septembre 2013) produiront eux-mêmes intérêts à compter du 2 septembre 2014,
- rejeter toutes autres demandes des parties,
- condamner M. [O] aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
- condamner M. [O] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [O] aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses demandes, la SA Société Générale affirme :
- que la qualité d'emprunteur averti de la SCI a été démontrée et reconnue par les juge en première instance ; que la Cour de cassation a jugé que la qualité de gérant averti d'une SCI se répercutait sur la SCI qui était alors elle-même emprunteur averti, quand bien même la SCI a été constituée quelques semaines seulement avant l'octroi du prêt ; que M. [X], associé fondateur et gérant de la SCI De Guercheville, exerçait la profession de négociateur immobilier, agissant ainsi en véritable professionnel de l'immobilier ; que M. [X], et la SCI par l'intermédiaire de son gérant, peuvent donc être qualifiés d'avertis ; qu'elle n'était nullement tenue à un quelconque devoir de mise en garde à l'égard de la SCI De Guercheville ;
- qu'il appartient à M. [O], pour rechercher sa responsabilité, de rapporter la preuve qu'elle disposait d'informations sur la situation financière de la SCI De Guercheville que la SCI aurait elle-même ignorées (Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19315 ; Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-14114) ;
- que, selon les ressources mensuelles totales (dont revenus locatifs hors projet) déclarées par les associés (soient 10.266 euros), le prêt consenti ne dépasse pas leurs capacités financières (les mensualités pendant un premier palier de 201 mois ayant été fixées à la somme de 2.202,86 euros); que leur patrimoine mobilier et immobilier s'élevait à la somme de 1.402.823 euros.
- qu'en tant qu'associé fondateur de la SCI De Guercheville, M. [O] a été rendu destinataire de l'offre de prêt ; qu'il est à la tête d'un patrimoine immobilier dont il percevait des revenus, et est associé-gérant d'une SCI Luna constituée en 2006 ; que M. [O] avait donc la connaissance, l'expérience et les compétences nécessaires dans le domaine d'activité de la SCI De Guercheville ; qu'ainsi, il doit être qualifié de caution avertie, et il lui revient de rapporter la preuve qu'elle disposait d'informations sur la situation de la SCI que lui-même aurait ignoré pour rechercher sa responsabilité.
- que M. [O] se contente de verser aux débats son avis d'imposition 2009 ; que dans sa décision du 17 avril dernier, le jugement a justement relevé que « cette seule pièce est insuffisante à justifier le report ou l'échelonnement des sommes dues. ».
****
La clôture de l'instruction a été prononcée le 6 décembre 2016.
L'audience de plaidoirie a été fixée au 1er février 2017 et le délibéré au 16 mars 2017.
A l'audience du 1er février 2017, la cour a autorisé la communication contradictoire et en cours de délibéré par le conseil de l'appelant du jugement du tribunal de grande instance de Fontainebleau dans l'instance opposant la SA Société Générale aux deux autres cautions de la SCI de Guercheville, M. [X] et Mme [U].
La décision rendue le 23 mars 2016 par le tribunal de grande instance de Fontainebleau a été transmise à la cour par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 9 février 2017.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le devoir de mise en garde de la banque
Selon l'ancien article 1147 du code civil, applicable à l'espèce, l'acte litigieux ayant été conclu avant le 1er octobre 2016, date de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 , «Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part».
Le banquier ou l'organisme de crédit est débiteur à l'égard de tout contractant d'un crédit, en sus d'une information objective sur l'opération projetée, d'une obligation de conseil quant à son opportunité.
En outre, il résulte d'une jurisprudence constante que la banque ou l'organisme de crédit, outre ces obligations d'information et de conseil, est tenu à un devoir de mise en garde de l'emprunteur et de la caution non avertis qui consiste à les alerter sur les dangers de l'opération de crédit projetée, au regard de leurs capacités financières et du risque d'endettement né de l'octroi du prêt.
Celui qui invoque à son profit le devoir de mise en garde doit justifier d'un risque de surendettement. Si le crédit n'est pas excessif ou consenti à des conditions normales, il n'existe pas de devoir de mise en garde.
La caution de l'emprunteur, se prévalant du caractère accessoire de son engagement, peut invoquer la faute commise par l'établissement de crédit envers l'emprunteur pour ne pas avoir alerté la caution sur les risques de non remboursement du crédit mais également de la faute commise par le créancier envers elle pour ne pas l'avoir mis en garde sur les risques du cautionnement compte tenu des ressources et du patrimoine de la caution.
Il incombe à la banque d'établir la qualification d'averti de son client pour se dégager de son devoir de mise en garde, à savoir que la caution avait les capacités de mesurer le risque pris en s'engageant.
Le devoir de mise en garde opère en considération du savoir économique et financier de l'emprunteur. Si l'emprunteur est averti des choses du crédit, il ne peut faire grief à son cocontractant, hors l'hypothèse d'une rétention par ce dernier d'informations décisives sur sa situation financière ou sur ses facultés de remboursement raisonnablement prévisibles que l'emprunteur ignorait, de lui avoir accordé un prêt sollicité.
La qualité de caution non avertie peut ainsi être attribuée au dirigeant inexpérimenté ou non impliqué. Inversement, le dirigeant qui se prévaut de son expérience sera considéré comme averti.
En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats :
- que la SCI de Guercheville, constituée le 12 novembre 2009 avec un capital de 300 euros, ne disposait le 25 mars 2010, date de l'offre du prêt immobilier litigieux, dit 'Casanova', d'un montant total de 410.000 euros, avec un taux d'intérêt de 3,40 % l'an, hors assurance et remboursable sur une durée de 240 mois, comprenant un premier palier de 201 mois par échéances mensuelles, assurance comprise, d'un montant de 2.202,86 euros, puis un second palier de 39 mois avec une mensualité de 4.148,06 euros, que des seules ressources de ses trois associés fondateurs;
- que le prêt était destiné à l'achat d'une maison à usage d'habitation pour le gérant de la SCI, M. [X] et sa compagne, Mme [U], tous deux associés de la SCI, M. [O], le troisième associé, s'étant porté caution personne et solidaire des engagements de la SCI au même titre que les deux autres à hauteur de la somme de 520.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard pour une durée de 264 euros ;
- qu'il n'est pas contesté que la SCI ne serait financièrement alimentée que par les ressources propres de ses trois associés ;
- que lors de l'élaboration de l'offre de prêt, la banque a recueilli, lors du premier trimestre 2010, les informations suivantes sur les capacités financières et patrimoines des associés :
* M. [X], négociateur immobilier gérant non salarié d'une société de commerce de voitures et de véhicules automobiles légers, percevait, au titre de ses revenus professionnels, 1.057 euros par mois, et disposait d'un patrimoine mobilier évalué à la somme de 41.000 euros,
* Mme [U], non imposable en 2009 et 2010, était coiffeuse salariée depuis peu et percevait, au titre de ses revenus professionnels, 1.200 euros par mois, au titre de revenus locatifs hors projet, 2.810 euros par mois et disposait d'un patrimoine immobilier évalué à la somme de 611.823 euros,
* M. [O], retraité, non imposable sur le revenu en 2009, percevait une retraite mensuelle de 2.300 euros par mois, de revenus locatifs hors projet de 1.484 euros par mois, et disposait d'un patrimoine immobilier évalué à la somme de 750.000 euros,
Sur le caractère d'emprunteur non averti de la SCI, si son objet statutaire était l'acquisition de biens immobiliers, la propriété, la gestion, l'administration et la disposition de biens dont elle pourrait devenir propriétaire par la suite, par voie d'acquisition, échange, apport ou autrement, tous placements de capitaux sous toutes ses formes, y compris la souscription ou l'acquisition de toutes autres actions et obligations ou parts sociales' et si Mme [U] et M. [O], deux des trois associés de la SCI, sont également les associés de la SCI Luna qui a pour objet 'la gestion locative de deux autres biens immobiliers situés à Nemours', comme l'a retenu le jugement déféré, la cour relève que ces éléments ne suffisent pas à caractériser, in concreto, la qualité d'emprunteur averti, dès lors qu'il convient d'examiner, dans le cas d'espèce, les connaissances et expériences professionnelles effectives dans le secteur immobilier des trois associés fondateurs et de leur savoir économique et financier.
Or, il ressort des éléments versés aux débats que, si le gérant de la SCI, M. [X] a été brièvement négociateur immobilier, il n'était ni gérant, ni responsable d'une agence immobilière et a créé par la suite une SARL ayant pour objet le commerce de voitures et véhicules automobiles légers, radiée du registre du commerce et des sociétés le 15 juillet 2011, avant de s'associer avec Mme [U], gérante d'un établissement de restauration traditionnelle, dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 25 octobre 2012, parcours professionnels quelque peu erratiques qui démontrent, pour le moins, le caractère non averti de ces associés dans le secteur immobilier.
Quant à M. [O], le troisième associé de la SCI de Guercheville, retraité lors de l'octroi du prêt, il n'est pas contestable qu'il est profane en la matière et ne saurait être considéré comme un professionnel du marché et du crédit immobiliers, peu important sa participation à la création, dans les circonstances et dans le contexte sus mentionnés, d'une SCI disposant à sa création d'un capital de 300 euros et la seule perception de revenus locatifs mensuels d'environ 1.500 euros, par le biais de la SCI Luna, étant insuffisante à en faire un professionnel de l'immobilier.
Dès lors, la SCI de Guercheville , qui ne disposait pas de la compétence, de l'expérience et des ressources nécessaires ne peut être considérée commune un emprunteur averti dans le domaine immobilier, comme l'a retenu au demeurant le tribunal de grande instance de Fontainebleau, dans son jugement du 23 mars 2016.
En conséquence, la banque était tenue à l' égard de l'emprunteur, la SCI de Guercheville ,comme envers M. [O], en sa qualité de caution non avertie, d'un devoir de mise en garde.
Au regard des ressources limitées de cette SCI, dont le seul projet était précisément l'acquisition d'une maison d'habitation, objet du prêt immobilier, destinée à devenir la résidence de M. [X] et de Mme [U], opération qui n'apporterait aucune ressource à la SCI, de l'absence d'autres projets immobiliers ou locatifs et du montant relativement élevé des mensualités de remboursement assurées par les seuls revenus des trois associés, dont l'un était retraité et les deux autres dans une situation professionnelle fragile, la cour retient que le crédit accordé présentait un risque réel de surendettement en ce qu'il n'était manifestement pas adapté aux capacités financières réelles de l'emprunteur et à ses perspectives d'évolution, étant observé que, dès juillet 2012, la SCI a effectivement cessé de rembourser le prêt.
Le fait que M. [O], caution de l'opération projetée disposait de sa propre maison d'habitation, évaluée à la somme de 750.000 euros, et percevait par ailleurs des revenus locatifs, ne saurait être retenu, dès lors que son engagement n'est qu'accessoire à la dette principale, pour justifier d'une absence de risque de l'opération projetée par la SCI et de dispenser, en l'espèce, l'établissement de crédit de son devoir de mise en garde de l'emprunteur au regard de ses capacités financières et du risque d'endettement né de l'octroi du prêt et de la caution non avertie qu'était M. [O] que la banque aurait dû alerter sur les risques importants de l'opération pour l'emprunteur et partant, pour ses cautions.
La cour relève enfin que le tribunal de grande instance de Fontainebleau, par sa décision du 23 mars 2016, a retenu le caractère d'emprunteur non averti de la SCI et la violation par la banque de son devoir de mise en garde à son égard et à l'égard des deux autres cautions, au regard du caractère manifestement excessif du crédit accordé, M. [X] et Mme [U] ayant interjeté appel pour avoir été déboutés de leur demande d'indemnisation au motif que leur préjudice serait hypothétique.
En ce qui concerne le préjudice subi du fait de la violation par la banque de son devoir de mise en garde, il convient de rappeler qu'il s'analyse, pour la caution, en la perte de chance d'avoir pu prendre une décision éclairée et de ne pas s'être contractuellement engagée.
Au regard des éléments de la cause, il convient d'évaluer la perte de chance subie par M. [O] à la somme de 410.000 euros, étant rappelé que l'indemnisation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [O] de sa demande d'indemnisation du préjudice par lui subi en raison de la faute de la banque et, statuant à nouveau, de condamner la SA Société Générale à payer M. [O] à titre de dommages-intérêts et d'ordonner la compensation entre les sommes respectivement dues par la banque et l'appelant, aux termes de la présente décision.
En revanche, il n'appartient pas à la présente cour, saisi de l'appel relatif au crédit immobilier litigieux, d'ordonner la mainlevée aux frais exclusifs de la SA Société Générale des deux inscriptions d'hypothèques judiciaires conservatoires que la SA Société Générale a fait publier auprès de la conservation des hypothèques de [Localité 3], sur les deux biens immobiliers appartenant à l'appelant et situés à [Localité 4].
Il convient en conséquence de dire irrecevable cette demande.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de faire droit à la demande de l'appelant présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; l'intimée est condamné à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.
Partie perdante pour l'essentiel, l'intimée ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS LA COUR
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation soutenue par M. [T] [O],
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la SA Société Générale à payer à M. [T] [O] la somme de 410.000 euros au titre de dommages-intérêts,
Ordonne la compensation des sommes respectivement et réciproquement dues par la SA Société Générale et M. [T] [O],
Y ajoutant,
Dit irrecevable M. [T] [O] en sa demande de mainlevée d'inscription d'hypothèques,
Condamne la SA Société Générale à payer à M. [T] [O] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Rejette la demande de la SA Société Générale présentée par le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SA Société Générale aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, Président et par Madame RUIZ DE CONEJO, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,