COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53L
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MARS 2017
R.G. N° 16/03658
AFFAIRE :
SCI AVL
...
C/
SAS CENTRALE EUROPEENNE DE DISTRIBUTION - C10
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Avril 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre : 3
N° Section :
N° RG : 2014F01175
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 16.03.2017
à :
Me Thierry PICQUET
Me Martine DUPUIS
TC NANTERRE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE SEIZE MARS DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
- SCI AVL
[Adresse 1]
[Localité 1]
- SELARL [U]-[E], ès qualités de mandataire judiciaire de la SCI AVL.
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentées par Me Thierry PICQUET de l'AARPI BLANC PICQUET ASSOCIES, avocat Postulant, au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 710 - N° du dossier 0027631 et par Me Frédéric MANGEL, avocat plaidant au barreau de SAINT QUENTIN, substitué par Me CAUSSIN, avocat au barreau de PARIS
APPELANTES
****************
SAS CENTRALE EUROPEENNE DE DISTRIBUTION - C10 à capital variable, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège - N° SIRET : 414 22 9 4 50
[Adresse 3]
[Localité 3]
Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat Postulant, au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1656025 et par Me B. TONIN de la SELAS FIDAL, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Janvier 2017, Madame Aude RACHOU, présidente, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Aude RACHOU, Présidente,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Karine MOONEESAWMY, adjoint administratif assermenté faisant fonction de greffier
FAITS ET PROCEDURE,
La société Centrale de distribution C10 (la société C10), centrale de distribution de boissons à destination des cafés, hôtels, restaurants ainsi que de la restauration collective anime un réseau d'entrepositaires grossistes indépendants de 166 adhérents.
Le 11 octobre 2010, l'un de ses adhérents, la SAS [D], dont le président M. [F] [D] ayant une dette à l'égard de la société C10 d'environ 1 700 000 euros, la SCI AVL, société propriétaire de 5 immeubles dont M. [F] [D] est le gérant et détient 99 des 100 parts, s'est rendue caution de la société [D].
Auparavant, par une décision collective des deux associés de la SCI AVL en date du 25 septembre 2010, ceux-ci ont agréé la cession à la société [D] d'une part de la société AVL détenue par le gérant et la cession d'une autre part à la société C 10, agréé ces dernières sociétés comme nouvelles associées, étendu l'objet social à la faculté de cautionner les engagements de ses associés ou de constituer des sûretés réelles sur des biens lui appartenant, autorisé la SCI à se porter caution solidaire de [D] dans le remboursement de toutes sommes que cette dernière doit et pourra devoir à la société C10 dans la limite de 1 000 000 euros et pour la durée de l'adhésion de la société cautionnée au réseau C10 et conféré tous pouvoirs au gérant pour représenter la société à l'acte de cautionnement.
Le 11 octobre 2010, les cessions de parts sociales ont été effectuées, les statuts de la SCI mis à jour et un protocole d'accord a été signé entre la société [D] et la société C10 stipulant que toutes sommes dues, ou qui pourront être dues, par la première à la seconde seront garanties par le nantissement de 204 actions de la société C10 détenues par la société [D] et par le cautionnement solidaire de la SCI AVL à hauteur d'un million d'euros. L'acte de cautionnement a été signé le même jour par le gérant de la SCI.
Le 2 décembre 2010, la société C 10 a consenti à la société [D] un prêt de 600 000 euros remboursable en 4 annuités égales de 150 000 euros, portant intérêt au taux de 5 % l'an.
Le 16 septembre 2011, la société [D] a été mise en redressement judiciaire, la date de cessation de paiements étant fixée au 31 décembre 2010. La SCP [G] a été nommée administrateur judiciaire et la SELARL [U]-[E] mandataire judiciaire. Le 17 décembre 2012 la liquidation judiciaire de la société a été prononcée.
La société C10 a déclaré une créance de 1 666 331,69 euros outre 600 000 euros de prêt en principal hors intérêts, créances qui ont été admises le 25 octobre 2012 par des décisions qui ont été confirmées par arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 26 septembre 2013.
Le 27 septembre 2012, la SCI AVL a également été mise en redressement sur déclaration de cessation de paiements régularisée par son dirigeant, la SCP [G] étant nommée administrateur judiciaire et la SELARL [U]-[E] mandataire judiciaire.
Le 24 octobre 2012, la société C10 a déclaré ses créances à titre privilégié au passif de la SCI, soit 1 666 331,69 euros au titre des créances de fournitures, outre 21 250 euros d'intérêts et 600 000 euros au titre du prêt avec intérêts au taux de 5% l'an.
Le mandataire judiciaire a proposé le rejet de la créance le 24 juin 2013, le cautionnement lui paraissant contraire à l'objet et à l'intérêt social de la SCI AVL.
Le 23 juillet 2013, la société C10 a contesté cette proposition.
Le 16 avril 2014, la SCI AVL et ses administrateur et mandataire judiciaires, ont assigné la société C10 devant le tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir le prononcer de la nullité de l'acte de cautionnement souscrit par la société AVL.
Par jugement du 14 avril 2016 le tribunal de commerce a :
- dit que l'intérêt social de la SCI AVL ne s'opposait pas à la délivrance de son cautionnement,
- dit qu'au moment de la souscription du contrat de cautionnement, les éléments disponibles ne permettaient pas de mettre en cause une éventuelle insuffisance d'actif de la SCI AVL,
- débouté la SCI AVL, la SCP [G] et la société [U]-[E] ès qualités de leur demande d'annulation du contrat de cautionnement du 11 octobre 2010,
- confirmé que le contrat de cautionnement couvre bien toute dette de la société [D] à l'égard de la société C10, y compris celle due au titre du contrat de prêt signé postérieurement,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI AVL, la SCP [G] et la SELARL [U] [E] aux entiers dépens.
La SCI AVL et la SELARL [U] [E] ès qualités ont interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions du 27 décembre 2016, la SCI et le mandataire judiciaire demandent à la cour, au visa des articles 1849, 1852, 1854 du code civil, de :
- dire la SCI AVL, la SCP [G] prise ès qualités et la SELARL [U] [E] prise ès qualités recevables et bien fondées en leur appel,
- infirmer le jugement en date du 14 avril 2016 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- dire recevables et bien fondées en leurs demandes fins et prétentions la SCI AVL, la SCP [G] et la SCP [Z] [E],
- constater que le contrat de cautionnement souscrit par la société AVL l'a été avant même que le prêt garanti n'ait été accordé,
- constater qu'au jour de la souscription du contrat de cautionnement la société AVL ne disposait pas d'un actif de nature à exécuter l'engagement sans risque de la faire disparaître,
- constater en effet que les actifs immobiliers étaient dans la totalité de leur valeur grevés d'hypothèques au profit des banques prêteuses,
En conséquence,
- dire que l'engagement de caution souscrit dans les conditions décrites ne pouvait être
conforme à l'intérêt social,
- annuler l'engagement de caution souscrit par la société AVL au bénéfice de la société
C10 le 11 octobre 2010,
- condamner la société C10 à payer aux demandeurs la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens tant de 1ère instance que d'appel.
Dans ses dernières conclusions du 9 décembre 2016, la société C10 demande à la cour de :
- recevoir la société C10 en ses entières demandes,
- confirmer le jugement (RG n°2014 F001175) rendu par le tribunal de commerce de Nanterre,
le 14 avril 2016 en toutes ses dispositions,
- dire que l'engagement de caution souscrit le 11 octobre 2010 par la SCI AVL au bénéfice de la société C10 est conforme à son objet social et à son intérêt social,
- à toutes fins, fixer au passif de la SCI AVL la créance de la C10 pour un montant de 1 005 771,24 euros,
En conséquence,
- débouter la société AVL et la SELARL [U]-[E] ès qualités de leurs entières demandes,
- condamner solidairement la société AVL et la SELARL [U]-[E] ès qualités à payer à la société C10 la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance, en ceux compris les frais d'une éventuelle exécution forcée,
- dire que ceux d'appel pourront être directement recouvrés par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée le 5 janvier 2017.
SUR CE :
Sur la recevabilité de l'appel :
Considérant que la SCI AVL et la SELARL [U] [E] ès qualités demandent à la cour de déclarer recevable en leur appel la SCI AVL, la SCP [G] prise ès qualités et la SELARL [U] [E] ; que la SCP [G], administrateur judiciaire, n'a pas interjeté appel et n'a pas été intimée; qu'aucun moyen d'irrecevabilité n'étant susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer recevable le seul appel de la SCI AVL et de la SELARL [U] [E] ès qualités ;
Sur la validité de l'engagement de caution souscrit par la société AVL au bénéfice de la société C10 le 11 octobre 2010 :
Considérant que la société AVL et la SELARL [U] [E] font valoir en premier lieu que l'engagement de caution a été consenti avant même que le prêt garanti n'ait été accordé ; qu'elles soutiennent que pour être valable une sûreté doit être donnée du consentement unanime des associés et être conforme à l'intérêt social, ces deux conditions étant exigées cumulativement ; que la sûreté accordée par une société civile dont le seul bien est un bien immobilier est contraire à son objet social quand bien même elle entrerait dans cet objet social, dès lors qu'elle est de nature à compromettre son existence même ; qu'il ne suffit donc pas à la société C10 d'avoir obtenu la modification de l'objet social et l'accord de tous les associés, aucune contrepartie n'existant à cet engagement de caution ; que les arrêts de la Cour de cassation cités par la société C10 concernent des hypothèses où l'opération cautionnée se faisait in fine au bénéfice de la SCI, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, l'existence de la SCI s'en trouvant au contraire compromise ; qu'en effet les immeubles qu'elle détient ont été surévalués le 19 octobre 2010 de façon très excessive à la valeur de 2 620 000 euros, alors qu'un nouvel expert en 2014 a procédé à une évaluation à la date du 1er octobre 2010 et retenu la somme de 1 635 000 euros ; qu'en outre ces immeubles sont eux-mêmes grevés d'hypothèques pour un montant total de 1 672 396 euros, de sorte qu'avec l'engagement de caution, l'intégralité du patrimoine de la SCI était engagée, la mise en jeu du cautionnement ne pouvant qu'entraîner la disparition de la SCI ;
Considérant que la société C10 fait valoir que sur décision des associés l'objet social de la SCI a été étendu à la faculté pour la SCI de cautionner des engagements de la société, que l'engagement de caution est donc conforme à l'intérêt social de la SCI ; que la jurisprudence est constante en ce qu'est valable le cautionnement donné par une SCI si celle-ci en tire une contrepartie ou s'il permet la sauvegarde du groupe dont fait partie cette SCI quand bien même ce cautionnement porterait sur le seul actif de la SCI ; qu'il suffit donc que la SCI tire un avantage de l'opération qu'elle garantit, ce qui est le cas en l'espèce les sociétés AVL et [D] étant liées par une étroite communauté d'intérêts ; que sans cet engagement la société [D], qui était locataire de deux des cinq immeubles de la SCI AVL, n'aurait jamais obtenu d'aménagement de sa dette, la société C10 ayant fait de cette garantie une condition déterminante de son accord ; que la SCI en a bénéficié puisque la société [D] était locataire de deux de ses cinq immeubles et qu'elle a donc bénéficié de loyers représentant près de la moitié de ses revenus ; que la déconfiture de son locataire aurait entraîné sa propre déconfiture ; que l'engagement pris n'engage pas la totalité de ses biens, la dette pouvant être remboursée par la vente de deux des immeubles détenus;
Considérant que la SCI AVL s'est portée caution de 'toutes les sommes en principal, intérêts et commissions et accessoires actuellement dues ou qui pourront ultérieurement être dues par le débiteur (la société [D]) au bénéficiaire (la société C10) dans le cadre de leurs relations commerciales jusqu'à concurrence d'un montant maximum de 1 000 000 en euros, en principal, à majorer de tous intérêts, frais et acessoires' ;que le cautionnement d'une dette future n'est pas nul ; que l'engagement 'omnibus' de la SCI était donc possible; que ce cautionnement garantit donc tant la dette commerciale de la société [D] envers la société C10 que le prêt consenti le 2 décembre 2010 ;
Considérant que le cautionnement donné par une société n'est valable que s'il entre directement dans son objet social ou s'il existe une communauté d'intérêts entre cette société et la personne cautionnée ou s'il résulte du consentement unanime des associés ; qu'à ces conditions s'ajoutent, s'agissant des sociétés à risque illimité, la nécessité de constater que la sûreté donnée est conforme à son intérêt social ;
Considérant qu'en l'espèce la garantie donnée par la SCI AVL à la société C10 entre dans son objet social qui a été modifié par les associés avant sa signature ; qu'il convient de rechercher si cet engagement est ou non conforme à l'intérêt social de la SCI ; que le cautionnement d'un associé, en l'espèce la société [D], qui permet aux créanciers de cette société de saisir les biens de la SCI est a priori incompatible avec l'intérêt de la SCI sauf si la SCI a pu trouver dans cette garantie une contrepartie pour elle-même ;
Considérant qu'en l'espèce la SCI tire ses revenus de la location de locaux commerciaux ; que deux des cinq biens qu'elle possède sont loués à la société [D], ces loyers représentant 43 % de ses ressources soit une partie importante ; que les autres baux sont consentis respectivement à une autre société du groupe [D], à une société bénéficiant de sûretés de la société [D] et à une société dont M. [F] [D] est également le gérant ; que ces éléments mettent en évidence la communauté d'intérêts entre les différentes sociétés du groupe, dont la SCI ; que lors de l'engagement, la société [D] connaissait d'importantes difficultés financières menaçant son existence ; qu'elle avait notamment une dette de 1 700 000 euros envers la société C10 ; que l'engagement de caution de la SCI AVL à hauteur d'un million d'euros a permis la signature d'un accord sur l'échelonnement de cette dette ; que la SCI avait donc un intérêt à la signature de cet accord qui avait pour objet de permettre la survie de la société [D] dont le paiement de loyers lui assurait 43% de ses revenus ; que la preuve de cet intérêt personnel de la SCI au bon fonctionnement de la société [D] est attesté et corroboré par l'incidence de la déconfiture de la société [D] sur la SCI AVL qui a elle-même été mise en redressement judiciaire un an plus tard ; qu'il n'y a donc pas lieu de retenir que l'acte de caution signé le 11 octobre 2010 est nul pour être contraire à son intérêt social ; que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que la créance contre la caution n'est pas contestée en son montant, qui représente l'intégralité de l'engagement pris ; que la contestation sur l'existence de l'engagement étant tranchée, la créance de la société C10 ne sera pas fixée au passif, le juge commissaire étant exclusivement compétent, en l'absence de contestation sérieuse, en matière de vérification, d'admission et de rejet des créances ;
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Déclare recevable l'appel de la SCI AVL et la SELARL [U] [E] ès qualités,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 14 avril 2016,
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande de fixation de la créance formée par la société Centrale de distribution C10,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI AVL aux dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Aude RACHOU, Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,